J’ai mal
Par Christian FREMAUX avocat
honoraire
On a le
devoir d’être heureux. Malgré les vicissitudes du quotidien car il y a pire
ailleurs et pour d’autres. C’est la période de Noël -si on peut encore employer
ce terme sans heurter la laïcité ou la conscience de chacun- où on doit se
calmer, réfléchir, prendre des bonnes résolutions et aborder l’année nouvelle
avec un autre esprit, celui de tolérance, de raison, et d’unité de la nation.
Tout en conservant ses libertés y compris spirituelles qui doivent cependant se
fondre dans les valeurs républicaines ou être pour le moins compatibles. Il n’est
pas utile de brûler des voitures.
J’ai mal car
la guerre de tranchées désormais en Ukraine va se geler. Les ukrainiens
souffrent dans leur chair et nous subissons des effets secondaires matériels. Notre
petit confort va être touché. Il y a de l’eau dans le gaz cher, l’électricité
peut manquer alors que nous avions un parc nucléaire envié dans le monde que
nos dirigeants ont démantelé par idéologie et pour faire plaisir à des
minorités bruyantes. C’est pourquoi la pythie Greta Thunberg est muette.
J’ai
mal car la violence quotidienne empire. Regarder ou entendre les
informations notamment en continu est un calvaire. Et je ne suis pas sur les
réseaux sociaux où parait-il la polémique brutale, les menaces de mort, la mise
au poteau sont banales. Dire qu’il y a un sentiment d’insécurité est un
déni de réalité. On s’aperçoit de la sauvagerie parfois gratuite de jeunes que
l’on dit mineurs - donc délinquants potentiels sans vraies craintes d’ordre
pénal - pour qui l’autre est un ennemi sur un territoire qui ne lui appartient
pas. Ou d’individus plus âgés de toute confession ou origine et niveau social
qui passent à l’acte barbare et définitif. On se demande comment c’est possible
malgré notre éducation nationale, nos encadrants, les aides de toutes natures,
les droits de l’homme qui remplacent la morale et qui permettent à certains de
confondre droits et devoirs. Jules Ferry a été gommé par les adeptes
prétendument éclairés du wokisme et de la déconstruction. On s’inquiète pour
soi, pour sa femme, sa fille, son petit enfant puisque la vie tient à un fil,
une mauvaise rencontre, un regard, une pulsion. Les violences intrafamiliales
ne cessent de progresser. J’ajoute la violence dans les relations humaines dans
tous les milieux professionnels pour tout et presque rien, sans oublier les
débats indignes de nos députés à l’assemblée nationale où l’invective, les injures
sont monnaie courante. Ils ne sont pas loin d’en venir aux mains. On doit
trancher les oreilles et la queue de la corrida parlementaire. Et l’exemplarité
bordel !
J’ai mal car
je suis sommé de pleurer sur la misère de ceux qui prennent des bateaux en
payant fort cher des passeurs crapuleux, qu’il faut secourir en mer. J’ai déjà
donné puisque j’ai compati à l’époque pour les boat-people, et par mes impôts
je subventionne des ONG qui font le contraire de ce que je souhaite croyant avoir
le monopole du cœur. Mais sans avoir de mandat du peuple ni aucune responsabilité
d’élus, de représentants légitimes ni de comptes à rendre. Et si on n’approuve
pas sous peine de passer pour un raciste pour le moins d’extrême droite
accusation que l’on porte quand on ne sait pas quoi dire. Je n’aime pas, et je
bénéficie de la présomption d’innocence. On ne maitrise plus rien.
J’ai mal car
la planète agoniserait et je continue à rouler dans ma campagne avec mon vieux véhicule
d’occasion alimenté au diesel. Je n’ai pas encore obéi aux injonctions
gouvernementales en m’endettant pour acheter une voiture électrique neuve livrée
dans plusieurs mois. A condition qu’il y ait de l’électricité. Et que les
forçats qui travaillent pour extraire le lithium ne se mettent pas en grève à l’image
de nos travailleurs. Comme d’habitude pour les fêtes et vacances pour les modestes
contrôleurs Sncf qui ont un travail pénible selon eux ou d’autres maltraités
des services publics. Ou comme les malheureux exploités de Total Energie. Le
dialogue social est spécial dans notre démocratie.
J’ai mal de
ne pas partager le postulat des biens pensants donneurs de leçons qui croient que
l’homme et la femme sont naturellement bons et que le mauvais ne provient
que de la société, des provocations des riches, de l’inégalité structurelle et
maintenue volontairement, avec l’Etat totalitaire. Tout ceci devrait se
discuter objectivement. La désobéissance civile n’est pas ma tasse de thé. Ni la
civique : il faut aller voter. La rue mène à des impasses.
J’ai mal qu’il
n’y ait plus de justice efficace et rapide dont j’ai été et reste un auxiliaire
depuis près d’un demi-siècle. Elle ne peut être rendue par soi-même ce n’est
pas la vengeance. Je ne partage pas la harangue du magistrat Oswald Baudot qui en
1968 a écrit pour les futurs juges « soyez partiaux : examinez
où sont le fort et le faible qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant
et sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant
contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le
patron… ». La justice doit être équanime et il y a l’équité s’il faut
corriger les effets injustes des textes légaux. Suum cuique jus. Je préfère
plutôt ce que disait le père de Lacordaire : « entre le fort et le faible,
entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur c’est la liberté qui
opprime et la loi qui affranchit ». Mais je suis pour les libertés dans un
état de droit. Encore faut-il des tribunaux performants donc équipés et des
magistrats respectés qui appliquent la loi votée sans l’interpréter selon leurs
propres convictions. La justice n’est pas devenue un pouvoir à la Montesquieu. L’Etat
est encore fondamental. Et défend la collectivité.
J’ai mal d’avoir
mal et de vivre dans un climat anxiogène où l’on se regarde en chien de faïence.
Et où il faut se méfier de tout et tous. Le sens de la responsabilité s’érode.
La fraternité est un vain mot. On pense d’abord à soi. Nos valeurs républicaines
ne sont plus consensuelles et leur universalisme est remis en cause.
J’ai mal car
on nous bassine que les pauvres souffrent tandis que les riches s’enrichissent.
On doit renforcer la redistribution. L’affirmation est surtout un slogan. Les politiques
qui le profèrent n’ont pas à le justifier ni à se l’appliquer. Je m’interroge :
suis-je riche ? malgré l’inflation et ma retraite à partir de 65 ans qui est
le résultat de dizaines d’années de travail avec plus de 35 heures par semaine ?
J’ai mal mais
je suis toujours vivant et optimiste. Je m’en contente et espère que tout ira mieux
en 2023. Je dois participer à ce renouveau. On a le devoir d’être heureux.