mardi 21 juin 2022

Le gagnant est le parti de l’abstention.

 

                  Le gagnant est le parti de l’abstention.

                       Par Christian Fremaux avocat honoraire.

 Alors qu’on aspire au repos et à la concorde on s’écharpe ferme et bruyamment après le résultat des élections législatives de juin 2022 puisqu’il n’y a pas de majorité absolue et que l’assemblée va devoir fonctionner de façon inédite. Ce qui revient à accroitre l’importance du parlement face à ce que certains dénonçaient comme un régime présidentiel à la merci de l’élu suprême du suffrage universel qui décide seul de tout. Et désormais réfléchit, suppute, doit trancher pour les 5 ans à venir. La séquence des élections est terminée mais le psychodrame continue alors qu’il faut passer aux choses sérieuses : réformer, faire gagner le plus grand nombre, donner les moyens à l’Etat. Je ne doute pas que des majorités d’idées ou autres se concrétiseront car l’homme/ la femme est ce qu’il est et parfois son intérêt personnel va avec celui de la France. Au détriment de son parti.  Le soir des élections il n’y a que des quasis vainqueurs ou des non battus et chacun se fige dans sa position d’avoir apporté la vérité et être le sauveur. Mais cette fois -ci il y a eu des oubliés : ceux qui n’ont pas participé et qui ont selon les méchants les résultats qu’ils méritent ou ce dont ils ne voulaient pas. Mais si en réalité les abstentionnistes avaient gagné en imposant par leur carence une situation nouvelle qui va obliger les élus à agir autrement, à coopérer au- delà des polémiques politiciennes dont on se lasse ce qui peut expliquer la désaffection des urnes ?

Les abstentionnistes ont été de redoutables tacticiens. Ils ont donné sans l’exprimer une leçon à M. Macron et à ses godillots et ont fait en sorte que les votants éparpillent leurs suffrages pour que personne ne puisse dire : c’est grâce à moi que tout ira bien ! C’est très fort.  Naturellement chacun va partir en vacances avec la promesse que la rentrée notamment sociale sera chaude. Mais depuis le réchauffement climatique avec la canicule qui n’a tari aucune salive c’est brûlant désormais toute l’année pour tout sujet y compris ceux qui déterminent le futur et qui prennent des années avant de produire des effets. A condition que les députés soient efficaces et ne se marquent pas à la culotte comme au foot. Comme des Raminagrobis qui ne dorment que d’un œil les syndicats et les multiples minorités vont se réveiller croyant que leur heure est enfin arrivée puisque le peuple ou la partie prétendument la plus éclairée est au parlement. L’immobilisme et l’abstention risquent de triompher dans la rue. Défiler doit être moins fatigant que d’aller voter et une pancarte qui revendique est plus facile à fabriquer qu’un bulletin à glisser dans l’urne surtout quand on n’aime personne. Et que l’on applique sans le savoir la politique de l’ancien président du conseil M. Henri Queuille : « il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout ».

Qui est responsable de l ’abstention ? La réponse est complexe mais il y a des évidences.

*En priorité ceux qui ne sont pas allés aux urnes pour des raisons personnelles et d’égoïsme comme la pêche ou le barbecue voire la sieste ou l’indifférence pour le pays et les autres citoyens.  Certains se sentent exclus et non entendus à tort ou à raison et ils l’ont fait exprès pour lancer un message négatif. Ils ont cru que l’abstention est un acte positif qui peut faire bouger l’élite dirigeante et médiatique, des présumés privilégiés qui arbitrent dans un entre soi.  Et pour tous ceux qui crient aux extrêmes, aux dangers, et qui ne cessent de jeter les uns contre les autres.  

 La difficulté est de décrypter le message car la réprobation peut être contradictoire : on en a fait de trop pour des catégories sociales ou des minorités et pas assez pour d’autres majoritaires et qui respectent les règles. Par exemple la laïcité est trop ouverte pour les uns et une punition sinon une interdiction pour les autres… 1 français sur 2 soit 26 millions de citoyens potentiels ce qui est gigantesque ne se sent plus concerné par la vie publique.  Mais 2 sur 2 ont des exigences matérielles, sociales, identitaires avec des valeurs universelles républicaines.  Aucun parti politique, aucun leader auto-proclamé n’a reçu mandat du peuple pour transformer le pays en profondeur et lui faire prendre une direction et un mode de vie contraires à ses traditions, à sa grandeur, et ses intérêts.  La tolérance ne peut tout accepter dans l’espace public. Il va falloir poser très vite des règles drastiques du jeu collectif qui s’imposent à la multitude infinie des droits individuels et définir clairement des projets qui font consensus. Quitte à interroger par référendum ou autre moyen directement tous les français. Et ne pas les consulter à travers des comités Théodule avec des citoyens tirés au sort. Sinon pourquoi les parlementaires se décarcasseraient-ils ? Le vote permet de valider ou non. Peut- être que les 26 millions d’invisibles dans les bureaux de vote comprendront ce qu’on attend d’eux et retrouveront le goût de s’exprimer, liberté qui est recherchée dans la plupart des pays du monde. A défaut faute de combattants civiques notre démocratie sombrera. Et il faudra créer le vote obligatoire ce qui pose d’autres problèmes. L’inversion du calendrier électoral a aussi dérouté et on a cru que les jeux étaient faits. A revoir.    

*Puis viennent les professionnels de la politique dont certains en ont fait un métier mais qui ne sont pas encouragés à l’audace ou au courage, ni à la modération dans la dispute publique, ni à la réflexion objective. Certains poussent à la révolte, décrivent ce qu’ils voient avec des lunettes noires et dramatisent tout, comme si la France était le dernier des pays où règnent la misère généralisée, l’injustice, le racisme, la violence institutionnelle, le non -respect des femmes, des genres et des minorités qui sont accablées. Outre des lois liberticides…Des citoyens de bonne foi le croient surtout ceux qui ne bénéficient de rien et sont convaincus d’être des victimes, sans s’interroger sur ce qu’ils font et donnent ou comment ils pourraient plus être actifs.  Pourquoi dès lors aller voter puisque des politiques vous disent qu’il ne faut pas aggraver la casse sociale, qu’il ne faut pas faire confiance à d’autres qu’eux, qu’on les exploite et qu’ils servent de chair à canon ! Comme un enfant le citoyen adulte a besoin d’être motivé et être persuadé. Les politiques en place doivent donner l’espoir, pas décourager. Et tout faire pour éviter le slogan élection piège à électeur.

*Le choix du scrutin n’est pas indifférent entre celui qui est majoritaire à deux tours et en général amplifie la victoire des sortants sauf une crise de dégagisme, et la proportionnelle parée de toutes les vertus alors qu’il y a des effets secondaires en éparpillant les voix. On ne peut inventer un mode de scrutin qui donnera satisfaction à chacun des électeurs. Être dans l’opposition ne veut pas dire être inutile. Face à la majorité indispensable il suffit d’être constructif, d’amender les futures lois qui vont être votées, de contrôler l’action de l’exécutif, de travailler dans les commissions, d’être présent aux séances, de faire entendre sa voix tout en gardant ses convictions. Sans oublier de labourer le terrain pour être au contact des citoyens. Être élu se mérite. Le scrutin s’immisce faussement dans la croyance de l’électeur pour l’abstention même s’il n’est pas la cause principale. On a vu avec les élections de 2022 qu’avec le traditionnel scrutin majoritaire à deux tours trois blocs s’étaient créés. Les extrêmes ont été élus et se feront entendre. L’électeur qui  a voté est satisfait. L’abstentionniste paie sa carence et le fait qu’il est allé aux fraises qui sont de saison.

*Les autres responsables de l’abstention sont nos institutions que tout le monde veut réviser mais pas de la même manière et sans les affaiblir. Il faut un Etat fort chargé des fonctions régaliennes et favorisant par l’état de droit la libération de toutes les initiatives.  Le rôle du président de la république pourra être précisé puisque notre culture n’est pas celle d’un régime entièrement présidentiel. Nous aimons la concertation qui souvent conduit à des compromis acceptables par tous. Avec cependant un vrai chef pour lever toutes les contraintes dont celle de la bureaucratie. Un Etat garant, protecteur, déconcentré, et pas un Etat gérant tout et son contraire. Il faut que le pouvoir soit près du citoyen et la décentralisation doit être étendue. J’aimais bien le cumul député-élu local.  Le citoyen doit adhérer plus et qu’on lui donne souvent la parole. Le conseil économique, social et environnemental rénové et dépoussiéré parait être une bonne solution. On n’a pas besoin de créer un machin de plus. Les comités citoyens me paraissent une fausse bonne idée. En revanche pour satisfaire Montesquieu il est impératif de revaloriser le parlement pour qu’il ne soit pas une chambre d’enregistrement. Donc facilite l’abstention. Lui donner des moyens conséquents permettra aux parlementaires à l’image des élus du Capitole aux Usa d’avoir des pouvoirs étendus, ce qui me parait une bonne solution. Il faudra pour cela peut être réduire le nombre de parlementaires. J’y suis d’autant plus favorable que je ne suis pas député !  

*enfin le dernier responsable de l’abstention c’est moi qui ne vois le parlement que comme un guichet, un distributeur d’avantages et de droits dans mon intérêt peu important le bien commun et la fureur des autres qui ont forcément tort et ne défendent que leurs intérêts de classe. Je vote pour un député que si je suis sûr qu’il m’aidera. Et me donnera raison sous mille justifications que je ne soupçonnais pas. Sinon à quoi bon voter. L’abstention paie plus puisque je ne suis responsable de rien mais je peux critiquer. Et m’estimer perdant. Je veux des résultats sonnants et trébuchants. Un bulletin de vote se monnaye de fait. J’exagère à peine.

Imaginons une hypothèse folle. Et si l’abstention avait été pensée inconsciemment à leur insu de leur plein gré par les 26 millions qui ne se sont pas déplacés pour aboutir à l’éclatement que l’on voit et à la nécessité d’innover sachant que les votants sont des militants le plus souvent ou des intéressés « partiaux » ? Et si elle était un complot de citoyens déserteurs volontaires des urnes pour obliger les parlementaires et la classe politique à s’unir et agir ? Ce serait le hold-up du siècle puisque le civisme ne se décrète pas ? L’avenir nous le dira rapidement. En attendant le parti de l’abstention a gagné.   

vendredi 17 juin 2022

La liberté pour les nuls.

 

                                      La liberté pour les nuls.

                   Par Christian Fremaux avocat honoraire.

 

Un sujet du bac 2022 m’a plu : « La liberté consiste-t-elle à n’obéir à personne » ? C’est d’actualité entre les insoumis qui veulent gouverner ! et les rebelles ou fâchés de toutes catégories, des beaux quartiers comme dans ceux qui sont qualifié de sensibles, tout ceci au nom de causes estimées justes comme la paix et la fin de la violence, la planète, la faim et la pauvreté dans le monde, … enfin tout ce qui entraine compassion. Le bien est dans le cœur de chacun. La pratique est différente. N’obéir à personne m’a rappelé la vieille formule historique : «ni dieu ni maitres »

 

J’ai passé mon bac.au moment de Mai 68, et je n’ai pas réussi avec mes camarades ( bourgeois devenus bohêmes réussite en poche) pendant les trente glorieuses qui ont suivi à extirper l’état d’esprit libertaire des soixante- huitards –«  jouir sans entrave »… «  pas de liberté pour les ennemis de la liberté »- qui ont profité de la situation pour devenir  hommes et femmes politiques avec le succès et le passif  que l’on découvre actuellement ,ou très hauts fonctionnaires, banquiers, notaires ou magistrats et avocats comme moi, en verrouillant les pouvoirs car il ne faut pas exagérer dans la générosité. Ce qui m’étonne dans les élections de 2022 c’est le niveau très haut du total des extrêmes ou de ceux qui rejettent « l’ordre » établi ou la société telle qu’elle est devenue. Ce qui démontre que même des nantis se rebellent. Veulent-ils se faire pardonner ? mais sûrement avec des raisons contraires d’où la difficulté à trouver la bonne solution pour tout le monde. C’est donc que le mal est profond ?

 

Peut- on n’obéir à rien et à personne sauf à son avis et d’où vient cette tendance de plus en plus prégnante, ce qui mine la société ?  La liberté est-elle un refus ? Le fait d’obéir ne libère-t-il jamais ? Ne peut-on être libre en fixant des limites dans l’intérêt de tous ?      

L’autorité-ou ce qu’il en reste- est mise en cause. La rébellion ou pour ne pas exagérer cette propension à discuter, protester, pinailler, douter, dire tout et son contraire, se retrouvent dans tous les domaines et chacun d’entre nous doit l’affronter : par exemple  dans la famille avec les enfants ; à l’école où les parents viennent agresser les enseignants ;  dans l’entreprise où la moindre remarque est considérée comme du harcèlement moral et de la discrimination ; en justice où les jugements rendus font polémiques ; et bien sûr dans la sphère publique quand les politiques votent des lois à la suite d’un processus démocratique. A peine élu, le responsable n’est plus légitime. Guignol rosse le gendarme sous les applaudissements. 

 Refuser d’obéir, de se soumettre à la loi, c’est considérer que la liberté individuelle est un principe supérieur à toute autre considération, en particulier si elle nous concerne. L’intérêt général devient secondaire.

On doit se rappeler ce que prêchait le père Henri Lacordaire (1802-1861), membre de l’Académie française et homme politique : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Examinons deux concepts : l’ordre illégal et la désobéissance civile.

 

La 1ère catégorie de désobéissance consiste pour un militaire surtout (un fonctionnaire aussi) à ne pas exécuter un ordre qui lui parait illégal. C’est la théorie des « baïonnettes intelligentes ». L’article 122-4 du code pénal précise que « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime sauf si cet acte est manifestement illégal ». Mais cette théorie veut dire aussi que désobéir à l’autorité est admis par la loi dans des conditions très strictes cela va de soi.

 

La 2ème catégorie de désobéissance concerne ceux qui sont persuadés de détenir la vérité. Ils occupent des terres, ils se battent pour que tel projet soit abandonné. Ils savent tout en matière de virus et ne croient pas les spécialistes …Ils n’ont pas tout faux, mais ils n’apportent aucune vraie solution. On ne joue pas à la roulette russe avec la santé, ou l’économie. L’ordre public est légal. Les pseudos résistants à son application sont des tigres de papier.

 

Les militants qui désobéissent en se disant pacifiques mais en n’hésitant pas à faire le coup de poing avec les forces de l’ordre, utilisent le concept de désobéissance civile pour se justifier. Elle a été décrite en 1849 par le philosophe, naturaliste et poète né en 1817 à Concord (usa) Henry David Thoreau.  En juillet 1846 il avait refusé de payer un impôt à l’Etat américain pour protester contre l’esclavage dans le sud du pays et la guerre au Mexique. Il ne va passer qu’une nuit en prison car sa tante va payer sa caution. Furieux il décide de théoriser son action sans oublier « le Discours de la servitude volontaire ou le contr’un » d’Estienne de la Boétie (1530-1563) qui est une remise en cause de la légitimité des gouvernants à propos d’une révolte antifiscale - déjà - en Guyenne en 1548. Ce texte de La Boétie traduit le désarroi d’une partie de la population souvent cultivée devant la réalité de l’absolutisme. La question est : « pourquoi obéit-on ? ».

 

Avec la désobéissance civile on refuse de se soumettre à une loi ou une mesure qui nous paraissent injustes. On s’interroge : « le légal est-il juste ? » alors que l’on est en république et que l’absolutisme n’existe plus et sauf à penser que l’Etat est totalitaire. On en appelle à la conscience personnelle, aux valeurs qui nous motivent, à la définition du bien et du mal, à l’intérêt collectif outre à l’impuissance des Etats face à des firmes mondialisées.

On connait les désobéisseurs collectifs (les zadistes) qui défendent une cause et les quasi- professionnels proches des mouvements anarchistes, nihilistes ou anticapitalistes

 Il y a aussi des désobéisseurs individuels qui font passer l’humain avant tout. Au nom du beau mot de fraternité.  

Une société moderne complexe par définition qui ne sait pas répondre immédiatement à ce qui n’est jamais arrivé et est imprévisible, ou qui envisage les meilleures décisions pour l’avenir par des réformes, ne peut bien fonctionner qu’avec l’acceptation des règles par le plus grand nombre. La désobéissance pour avoir raison ou par principe ne peut mener qu’au désordre civique. La vérité est protéiforme et seule la légitimité démocratique par l’élection permet de progresser. La désobéissance conduit à l’impasse exceptés quelques exemples historiques. Ma liberté est d’obéir en réfléchissant à ce qui me parait conforme à l’intérêt général. Je le fais volontairement avec une contrainte librement consentie. Mon devoir devient ma liberté. Obéir est de ma responsabilité sauf au tyran. Je n’obéis pas à moi-même.

 

 Si je suis recalé pour cette copie je redoublerai !   

 

 

 

L’Etat c’est moi .

 

                                       L’Etat c’est moi .

                    Par Christian Fremaux avocat honoraire

 

 

Je n’aurai pas voulu passer mon baccalauréat en juin 2022 car non seulement il y a la canicule qui aurait fait fondre mes quelques neurones mais en plus il y a les élections législatives et les déclarations échevelées de certains candidats qui perturbent et nous font voir midi à14h. Je ne sais si l’avenir institutionnel et économique va être radieux compte tenu des sujets très sérieux qu’il faut résoudre avec un minimum d’union pour y parvenir. On a posé aux futurs bacheliers l’élite montante, des questions fondamentales mais difficiles sur le rôle de l’art, de l’Etat, de la liberté, de ce qui est juste, et je ne suis pas sûr que la grande majorité des adultes qui votent seraient capables d’y répondre. Je m’y essaie mais j’espère que je n’aurai pas un zéro pointé.

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Un pays sans Etat, sans règles objectives d’intérêt général, avec des lois d’opportunité, qui est en outre corrompu, court au désastre, à l’affrontement. Un pays qui a un Etat fort et totalitaire comme George Orwell l’avait décrit est mortel pour les individus et les libertés. Méfions-nous de l’extension infinie de la haute technologie qui est un progrès mais qui nous piste à notre insu de notre plein gré. L’histoire nous a donné des exemples de chaque catégorie d’Etat et de leurs conséquences souvent dramatiques. L’Etat est l’ensemble des pouvoirs de contrainte collective que la nation possède pour le bien commun que personne n’a défini et coulé dans le marbre.

 

En France quel est le rôle de l’Etat qui est cette grosse machinerie que certains considèrent comme l’Alpha et l’Omega. Et attendent tout de lui ce qui évite de prendre ses propres responsabilités ne serait- ce que celle élémentaire qui nous est enviée dans le monde d’aller librement voter ! Du temps de M. Reagan aux Usa et de Mme Thatcher en Grande Bretagne on lui demandait d’être minimum, de réserver ses actions aux fonctions strictement régaliennes et de faire confiance à l’activité privée, de libérer des énergies, de ne pas s’immiscer dans la vie privée ou les croyances voire de l’éthique sauf exceptions discutées publiquement et contradictoirement.

 Les différentes crises et menaces guerrières ainsi que l’évolution des mœurs et des exigences individuelles ont laminé ce modèle et désormais on attend tout de l’Etat sauf qu’il est devenu obèse, impotent et inefficace. Il faut le réformer mais on ne sait pas où tailler et pour quels objectifs. L’actualité nous démontre chaque jour son impuissance entre les avis divergents des groupes de pression. L’Etat est sommé d’intervenir sous peine d’être poursuivi et condamné par les tribunaux pour des manquements présumés en ce qui concerne de multiples sujets comme par exemple l’environnement, la justice sociale,  la fin de vie, la bioéthique, sans compter les revendications catégorielles, et le budget des familles selon leurs besoins. La liste est sans fin. Le citoyen exige d’être protégé mais souvent se refuse à en payer le prix ou subir quelques contraintes. L’Etat devient l’adversaire comme s’il prenait des décisions pour lui -même dans son intérêt exclusif. L’individu estime avoir des droits et une créance sur la collectivité. L’Etat ne peut en plus fixer les règles morales du jeu et définir le bien et le mal. Il se réfugie derrière la notion de valeurs républicaines de nature universelle dont certaines sont reconnues comme telles et d’autres remises en question. La devise liberté égalité fraternité permet de fixer le cap, mais il y a parfois des tempêtes qui font dévier de la route pour arriver à bon port.

 

 Personne ne peut décréter ce qui est juste ou non qui dépend de notre conscience et de notre subjectivité. Je n’évoque pas la justice qui est une vertu et une institution matérielle gérée par des hommes et des femmes avec leurs qualités et défauts. L’Etat n’y intervient pas sauf en garantissant son indépendance et en collaborant par les projets du gouvernement à l’initiative des lois que les juges appliquent. La justice est plutôt décriée mais indispensable.

 

L’Etat ne se mêle pas non plus de la morale qui est du domaine de l’intime. Est juste la personne qui se comporte conformément à la justice et à la loi, ainsi qu’à l’équité qui est une notion à géométrie variable très subjective car elle se définit différemment selon ce qui est inné, notre origine, notre héritage familial ou sociologique, et nos acquis avec nos échecs et nos détestations, notre expérience et le fruit de nos propres réflexions. Nous avons construit notre statue intérieure avec des matériaux composites. Parfois elle se lézarde et parfois elle nous permet de résister et d’imposer notre opinion dans le respect de celui qui ne la partage pas et la tolérance. C’est un combat permanent contre soi-même mais aussi une lutte musclée contre d’autres. Soyons honnêtes la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Je ne crois pas que l’homme soit né forcément bon, il faut des règles pour qu’il le soit, et surtout quand une minorité agissante et très peu ouverte pour ceux qui ne croient pas en ses raisonnements rêve du grand soir ou d’une nouvelle aube prétendument rayonnante du jour au lendemain pour faire notre bonheur, ce que je ne demande pas. Guillaume Apollinaire guetteur mélancolique a écrit que jamais les crépuscules ne vaincront les aurores.

 

Revient-il à l’Etat de décider ce qui est juste a-t-on demandé à nos chères têtes blondes si j’ose encore cette expression qui peut me conduire à une accusation de discrimination. L’Etat c’est moi d’abord puis nous dans notre diversité et nos contradictions. L’Etat Léviathan qui incarne la volonté générale donc qui est un monstre froid et impersonnel n’est rien par lui-même. Le gouvernement fait légiférer pour ses projets .Avec parfois la force injuste de la loi. Il n’est qu’un moyen pour faire fonctionner la république et maintenir la démocratie. Il est un serviteur pas un créateur. L’Etat n’a pas de droits spécifiques.

Quand on parle de l’état de droit on veut dire que la puissance publique est soumise aux mêmes lois que tout citoyen, qu’il n’y a de privilèges pour personne y compris les premiers de cordée et que le rôle de l’Etat est de conforter les libertés dans le cadre légal voté par l’assemblée nationale et le Sénat. Sous l’autorité des juges qui tranchent les litiges et rappellent les obligations au nom du peuple français qui est le souverain. Montesquieu est toujours vivant même si les pouvoirs actuels se disputent dans leurs moyens et légitimités, et si notre démocratie semble fatiguée les citoyens s’abstenant de la régénérer par perte de confiance et le « à quoi bon-isme » tout en voulant y participer et qu’on les interroge, en dehors des jours d’élections bien sûr ! 

 

L’Etat - ou plutôt nos représentants et la bureaucratie qui l’animent -n’a pas à nous dicter nos conduites, croyances et notre mode de vie. Les droits individuels semblent dominer les devoirs collectifs ce qui devient excessif voire dangereux car la liberté illimitée a déjà conduit à des catastrophes. L’Etat doit maintenir l’équilibre. Pas définir le juste.

 

jeudi 2 juin 2022

Abus de droit, sécurité et responsabilités.

 

                Abus de droit, sécurité et responsabilités.

                     Par Christian FREMAUX avocat honoraire.

On a assisté avec stupéfaction aux débordements brutaux qui ont accompagné samedi 28 mai 2022 la finale de la ligue des champions de football entre Liverpool et le Real Madrid au stade de France.  La France a été sifflée et a pris un carton rouge pour la sécurité publique. Son image a pâli. Il va falloir se rattraper pour l’organisation des prochains grands évènements. L’U.E.F.A. avait choisi en catastrophe Paris pour cette confrontation à la place de Saint- Pétersbourg la Russie étant en guerre, et par précaution justement parce que la France a une réputation de savoir- faire en matière de protection des populations et de maintien de l’ordre : il va falloir le réviser et confirmer. La France est en paix y compris dans les compétitions sportives. Elle est championne toute catégorie des libertés et des droits de l’homme/de la femme. Et désormais concourt dans le camp de la violence tous azimuts pour tout sujet, sur tous les terrains, dans les quartiers et les communes de l’hexagone. C’est le problème de fond.  

L’éminent spécialiste de la sécurité et de la criminologie le professeur Alain Bauer a décrit les grains de sable qui s’étaient accumulés au point de devenir une plage. Elle a été inondée. Le ministre a désigné un peu vite les présumés coupables à savoir surtout les supporters anglais avec la fausse billetterie. On polémique sur les chiffres et on se demande qui ment ? En voyant les images il semble que les responsabilités soient partagées entre l’organisateur la fédération ; le consortium du stade ; Liverpool avec ses billets papiers ; la sécurité publique avec les moyens déployés dont les gaz lacrymogènes ; et l’intervention volontaire bien que non désirée de voyous de toute nature. A propos de ces derniers il ne faut pas en dénier la réalité avec l’insécurité régnante un peu partout sur le territoire. L’occasion fait le larron.    

Admettons- le a minima :  il y a eu un problème d’ordre public aux causes multiples qu’il va falloir analyser à froid pour qu’il ne se reproduise plus. Heureusement il n’y a eu ni blessés graves ni morts, que des frustrés, des volés, et des déçus. Ce qui est déjà beaucoup. Mais l’Etat doit toujours tendre vers le mieux. Laissons prospérer les enquêtes avant de désigner des responsables privés et publics par manque d’anticipation et de réactions (in)appropriées, les forces de l’ordre répondant aux consignes et  à l’action en direct. N’oublions pas de condamner les délinquants reconnus et jugés coupables.   

Mais il y a des limites à la décence qu’il ne faut pas franchir. Parmi les grains de sable qui ont conduit au désordre il y a eu la grève dans le RER B qui a obligé les spectateurs étrangers donc un peu perdus et irrités à venir par le RER D ce qui avec les retards et la configuration des lieux a tout changé en matière d’entrée dans le stade. La grève n’est évidemment pas le fait majeur mais elle a facilité le désordre. Je n’ai pas aimé le communiqué cynique du mardi 31 mai de la CGT qui a considéré que son mouvement du samedi était une « réussite » et qu’elle allait le renouveler pour concrétiser le rapport de forces. Je n’ignore pas la valeur constitutionnelle et symbolique du droit de grève. Celle-ci s’exerce dans le cadre des lois qui la réglementent notamment pour les nécessités de l’ordre public. Sous le contrôle du juge.

Il s’est agi d’un abus de droit car les grévistes des deux entreprises Ratp et Sncf qui exploitent le réseau ne pouvaient méconnaître le fait que si le RER ne fonctionnait pas comme d’habitude il y aurait des conséquences qui n’ont rien à voir avec des revendications sociales. Les usagers ou clients ne sont pas des otages. Vieux débat. Il y a eu la prise volontaire d’un risque énorme en perturbant les acheminements de la foule ce qui fait partie de la sécurité globale à laquelle tout le monde doit coopérer sans s’exonérer pour préserver ou obtenir des avantages corporatifs. La sécurité est l’affaire de tous et est trop sérieuse pour ne la laisser qu’aux professionnels ou à l’Etat ce qui est facile. Le citoyen responsable dans tous ses états doit s’y consacrer. La Cgt aussi.

L’abus de droit est une notion juridique notamment associée à la morale qui permet de sanctionner tout usage d’un bénéfice légal qui dépasse les bornes de ce qui est raisonnable. Par exemple dans le domaine fiscal ; ou le mariage blanc ; ou une clause abusive dans un contrat.  Cicéron dans De Officiis constatait :« l’application excessive du droit conduit à l’injustice ». Il faut savoir user de ses droits avec modération. On ne comprend désormais que les droits individuels. La notion de devoirs qui fondaient la nation a disparu. Tout est prétendument liberticide notamment les lois discutées et votées par nos parlementaires en matière de défense collective, terrorisme ou santé confondus.

J’espère que les élus de juin 2022 seront des législateurs courageux pour concilier droits et devoirs, pour trouver l’équilibre entre les libertés et les restrictions aux fins de protections. On a besoin d’armes légales et d’autorité. Que veut-on face aux menaces ?  La société idéale devrait- elle être sans aucune contrainte dans un état de droit toujours irréprochable quelles que soient les circonstances ; conduisant au bonheur à travers des débats sans fin avec les citoyens tous égaux. Est-ce possible ? Qui décidera au bout ?  L’utopie a conduit Thomas More à perdre sa tête plus vite que la mise en application de ses idées réformatrices en théorie.

En attendant on s’en remettra aux juges qui se prononcent sur les responsabilités. Ils le font en conscience en l’état du droit national et européen qui parfois empêche.Et des valeurs républicaines. Mais chacun sait qu’en démocratie celui qui a le pouvoir c’est le peuple souverain représenté par ses élus et non pas par des autorités diverses. Qui veut des actes.   

M. Jean-Éric Schoettl ancien conseiller d’Etat et secrétaire général du Conseil Constitutionnel a consacré toute sa vie à la défense du droit. Il écrit dans « la Démocratie au péril des prétoires. De l’Etat de droit au gouvernement des juges [éd.le débat] » : « L’Etat de droit ne veut entendre que les raisons d’Antigone et récuse celles de Créon ». « L’absolutisme droits-de-l’hommiste bloque l’intérêt général. L’Etat de droit est devenu fondamentaliste. Le contrôle des différents juges est devenu dogmatique et pointilleux ». M.Schoettl prône le retour des autorités politiques. Encore faut- il qu’elles le veuillent ou le puissent. Le mauvais exemple du foot.  va-t-il conduire à une prise de conscience générale ?.

Quant au match Liverpool-Real Madrid il n’y a eu aucun abus de qualité. Il fut morne. Si un club français avait joué tout aurait changé, parvis inclus. La fête ne se serait pas transformée en défaite. Je galéje bien sûr ! France 0 - Fiasco 1.