jeudi 6 avril 2017

LA JUSTICE ET LA PAROLE DONNÉE

La justice et la parole donnée.
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local.
On a peu l’occasion de rire par ces temps indécis où la gravité du moment et les choix à faire paraissent si importants qu’on a plutôt envie d’aller se coucher que d’entendre que la fin du monde est proche et que seul tel ou tel candidat à l’élection présidentielle peut être le sauveur. C’est vrai que certains sont plus crédibles que d’autres et que même un seul -malgré les erreurs morales qu’il a admises - a un programme complet, cohérent  , de l’expérience et saura agir sur les 2200 milliards de dettes et mener  les réformes structurelles  sans que cela soit une purge même si nous allons tous payer. Soyons réalistes : nous n’élisons pas un prix de beauté ou de vertu-qui est parfait d’ailleurs ?  Nous avons besoin d’une personnalité forte qui n’est pas d’accord avec tout et tous, et qui choisit l’intérêt général,  qui sait trancher, qui rétablisse l’autorité de l’Etat dans le cadre européen à revoir-ce qui nécessite des négociations avec les autres 27 Etats moins la Grande-Bretagne qui a rejoint le large, et qui pourra s’appuyer sur une vraie majorité parlementaire, car un parlement soudé et non composé de bric et de broc d’élus sélectionnés par internet est indispensable pour réussir. Mais ce n’est pas le sujet que je veux traiter. J’ai regardé sur BFM TV le débat avec les 11 candidats, et j’ai retenu la débauche d’engagements par milliards de dépenses, sauf pour deux candidats qui conseillent  des économies et des suppressions de coûts. Ce fut un festival de promesses. Juridiquement que vaut une promesse électorale ? Jusqu’à présent rien , mais si cela changeait ? La justice si décriée- mais peut -on s’en passer  dans un état de droit et une démocratie  même s’il faut revoir le rôle des juges et définir leur indépendance une fois pour toutes pour éviter les mises en cause et les soupçons  qui ne grandissent personne -vient d’être saisie d’un demande inédite . La démarche peut paraitre farfelue mais elle témoigne de l’exaspération des citoyens et de la méfiance envers le personnel politique. Le journal la Provence  s’est fait l’écho d’une plainte  qui est une première, a priori : une militante du PS de Marseille  avait voté aux deux tours de la primaire de gauche, en payant les 2 euros exigés, en fonction de l’engagement des candidats qui avaient signé la charte éthique de soutenir ensuite le candidat désigné par les électeurs et de voter pour lui. Elle avait cru en la parole donnée-une promesse, et à la signature des candidats.  C’était  au moins un quasi-contrat en droit .Ce fut Benoit Hamon qui gagna. Manuel Valls qui avait promis de soutenir le vainqueur fut battu. Mais après avoir réfléchi il a changé sa décision  après certainement un combat intérieur de conscience car il n’est pas un traitre mais un responsable aguerri qui doute , recherche l’intérêt supérieur de la France, sans s’oublier. Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis . Manuel Valls pour des raisons tendant surtout à barrer la route au FN,  a décidé de ne pas soutenir le candidat de son parti le PS et   non pas de   rallier -la sémantique joue - mais de donner sa voix à Emmanuel Macron qui s’est dispensé de participer à une quelconque primaire, pas de gauche bien sûr mais aussi pas de droite La militante PS s’est sentie flouée et a déposé plainte pour abus de confiance contre le PS pour obtenir le remboursement des deux euros versés, voire la condamnation pénale des dirigeants du PS et peut être solidairement  de M.Valls pour promesse mensongère et non respect de la parole donnée. Les policiers ont entendu la plaignante et engagé la procédure : le procureur de la république donnera- t -il suite ? L’avenir nous le dira. Certes on  est peut- être dans la galéjade , puisque nous sommes à Marseille, mais  si cette démarche en précédait d’autres, ou que de très nombreux  citoyens engageaient une action de groupe  que Mme Taubira a crée, pour des faits qui n’ont rien à voir avec les élections bien sûr que ferait la justice ?Et si elle  prenait tout ceci au pied de la lettre vu l’importance d’un vote en démocratie et ouvrait une enquête préliminaire, comme pour les costumes d’un candidat  ce qui est d’une futilité confondante? Examinons le droit à cette occasion et laissons la justice se prononcer en fonction de la loi  et pas de l’émotion. Le tribunal de l’opinion aime juger rapidement  les autres et surtout les puissants, les citoyens exigeant que nos élus soient exemplaires. Je suis d’accord mais je préfère des élus efficaces et réformateurs rassemblant les français plutôt que les diviser et prenant à bras le corps les problèmes concrets qui se posent. Car si on ne fait rien , si on  ne remet jamais  en cause des acquis qui posent problèmes , si chacun garde ses petits avantages et privilèges, si on «  ripoline »  au lieu de reconstruire même si c’est douloureux , on renforce le conservatisme ,on s’enfonce encore plus et les générations suivantes paieront. Revenons à notre sujet. En matière civile promesse de vente vaut vente ; des pourparlers commerciaux peuvent valoir contrat et son défaut  d’exécution être condamné ; une rupture abusive de fiançailles peut donner lieu à des dommages intérêts…. Les tribunaux jugent régulièrement tous ces cas. Mais les promesses électorales non tenues peuvent- elles être sanctionnées par la justice pénale ?  Examinons de façon non exhaustive quelques infractions du droit pénal . 
L’abus de confiance visé par la militante est prévu à l’article 314-1 du code pénal. C’est  pour une personne« le fait de détourner au préjudice d’autrui des fonds, des valeurs, ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre , de les représenter ou d’en faire un usage déterminé » .Ce délit est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 .000 euros d’amende. La jurisprudence a déjà jugé qu’il n’y avait pas besoin d’un contrat formalisé  mais qu’un accord de volonté suffisait. La primaire est- elle  un contrat ou un accord de volonté entre ceux qui l’organisent, les candidats et les électeurs ? Je pense que oui, sinon à quoi sert-elle. ? M.Fillon a démontré malgré tsunamis et vents contraires qu’il respectait le vote de la primaire de droite .Il n’a pas renoncé ,n’a cédé sur rien et assumé tout. !: C’est un signal encourageant sur sa fermeté même s’il lui arrive de céder  aux douces sollicitations de ses amis et de la loi parlementaire comme des dizaines de parlementaires de tout bord. ! Si les juges poursuivent le PS et M.Valls ils pourraient les condamner par exemple à un travail d’intérêt général  et à rembourser les deux euros avec intérêts outre des dommages intérêts pour préjudice politique (M.TAPIE a bien reçu des millions pour préjudice moral) et aux frais de procédure.
 La militante en furie pour impressionner les esprits aurait pu tenter de déposer plainte pour escroquerie qui  se distingue de l’abus de confiance. Cette infraction est prévue à l’article 313-3 du code pénal. Mais il faut caractériser des manœuvres frauduleuses : l’organisation de la primaire de la gauche a-t-elle été montée dans le but de  tromper les militants alors même que  le nombre de la participation des électeurs a fait l’objet d’un bug ? ; s’agissait-il exclusivement de récupérer deux euros par personne ce qui avec entre 1,6 millions et 2 millions de participants fait un joli pactole ? ; a-t-on forcé la volonté des participants en  sachant que l’engagement des candidats de soutenir le vainqueur n’avait aucun caractère impératif ?...Seul un tribunal correctionnel peut  répondre à ces questions après enquête d’un juge d’instruction.
Continuons à feuilleter le  volumineux code pénal qui prouve que la société aime avoir des responsables et coupables, que tout doit être judiciarisé, et que la méfiance et la surveillance sont constantes, personne n’étant  à l’abri- sauf celui qui ne fait rien et encore , n’a pas d’activités  ou de prétentions surtout s’il réussit -d’être un jour mis en examen puisque il s’agit d’apprécier des faits ce qui est subjectif, et d’interpréter la loi,  et malgré la présomption d’innocence, être trainé plus bas que terre.
La militante du PS de «  la bonne mère » aurait –elle pu déposer plainte pour abus de faiblesse ? Ce délit de  l’article 223-15-2 du code pénal est « l’exploitation de la vulnérabilité , de l’ignorance ou de l’état de sujétion psychologique ou physique  d’une personne afin de la conduire à prendre des engagements dont elle ne peut apprécier la portée ». C’est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375. 000 euros d’amende. Un électeur est par définition ignorant de la réalité des dossiers, des combines, des petits arrangements entre amis, des stratégies réelles. Il fait confiance à l’apparence, à ce que les médias orientés souvent révèlent et à la bonne bouille du candidat : il vote au « faciès » si je puis oser l’écrire .Il est crédule et veut croire sur parole  quand on le flatte et  veut le convaincre qu’on peut travailler moins pour gagner plus, qu’on peut recevoir un revenu universel,  que le cannabis doit être légalisé pour calmer les uns et les autres et assécher les trafics ; que l’Europe est la cause de tous les maux, et qu’en se recroquevillant sur nous dans un monde ouvert, on retrouvera la croissance ; qu’en dépensant toujours plus la prospérité reviendra sans que l’on sache qui paiera ; que les 2200 milliards d’ euros de dettes ne seront pas payés et que plus il y a d’agents publics- alors que l’Allemagne ou d’autres pays de la zone euro diminuent la fonction publique et fonctionnent bien- mieux c’est (ceux qui habitent en zone rurale apprécient mais n’ont rien vu venir depuis 5 ans).  Et qu’en faisant la synthèse de propositions de droite ou de gauche, ou de l’air du temps, on gagnera collectivement. L’électeur est en plein burn-out : il est devenu fragile donc vulnérable,  et il est perdu. Il y a abus de faiblesse à lui faire croire n’importe quoi . M.Valls en revenant sur ses engagements , tout en reconnaissant le sérieux de M.Fillon, a surtout démontré que les promesses de M.Hamon engageaient les électeurs  à cautionner des idées  dont ils ne connaissent pas la portée.
Enfin évoquons la diffusion de  fausse nouvelle qui est prévue par l’article 27 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 (ce qui ne nous rajeunit pas) et par l’article 97 du code électoral. C’est par exemple la courbe du chômage qui s’inverse  ou la reprise miraculeuse de l’emploi par le candidat qui succède –fils présomptif- à M.Hollande., en détaillant a minima les dépenses à supprimer et sans être clair sur l’organisation du travail ou le code du même nom. , même si, il faut le reconnaitre ce candidat est plus libéral que d’autres. Mais l’original vaut toujours mieux que la copie. La fausse nouvelle s’apparente « aux fake news » de M.Trump qui ne croit qu’en ses propres informations (on est toujours mieux servi par soi-même) et à son combat contre les médias américains.
On constate donc que la justice dispose des moyens de droit pour sanctionner les menteurs,  ou ceux qui ont des convictions à géométrie variable, et embarquent les électeurs dans l’erreur, la déception et l’échec collectif. On n’est pas dans le domaine de la morale personnelle qui est relative et dépend de chacun ou du comportement privé .On n’a pas à entrer au domicile ni être voyeur dans la chambre à coucher : on peut avoir commis des erreurs-qui n’a pas fait de faute ou profité des circonstances ? – et être cependant le dirigeant adéquat ayant les qualités pour redresser le pays et le remettre sur rails à destination d’un objectif précis, avec des étapes et en rendant des comptes. Avec les promesses de bateleur  à qui il faut signer un chèque en blanc, on est dans la parole publique, celle qui engage et entraine la conviction des électeurs. Que les vertueux tous les jours et depuis leurs débuts constituent un club ou un parti politique et présentent un  programme. Robespierre voulait le citoyen parfait. Il a créé la terreur et a fini sur l’échafaud .M.Raymond Barre ancien premier ministre avait déclaré que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. C’était plutôt cynique mais vrai à l’époque. Celle-ci est révolue . Le citoyen  navigue à vue  lui qui s’était habitué à être déçu, et qui est aussi versatile avouons le, ce qui expliquerait son attrait pour les extrêmes ou les votes inutiles ou son désir d’abstention  ce qui n’est ni raisonnable ni responsable quand on est citoyen d’un rare pays sans guerre civile ou autre dans le monde ,où la démocratie est réelle, vivante, et le peuple écouté, même si ce n’est jamais assez. Il doit donc choisir avec raison  et ne pas se laisser aller à son affect car le candidat idéal  à 100% dans tous les domaines est une utopie. A l’heure du terrorisme, des menaces de toutes natures, des difficultés économiques et sociales, ou d’identité et de culture française, le citoyen doit se ressaisir et être responsable de lui-même et des autres .On ne peut se permettre un pari et un vote à l’aveuglette.
SI les juges deviennent les arbitres de la vie démocratique, et sanctionnent mensonges et contre-vérités sommes nous prêts à ce grand chambardement ? Pourraient ils aussi sanctionner le président de la république élu sur un  programme qu’il n’appliquerait pas, ou changerait en raison des circonstances. Le débat est ouvert mais il faudra changer la constitution ce que proposent des candidats qui veulent pouvoir révoquer en cours de mandat un élu, sur pétition d’un petit pourcentage des électeurs. On va droit à l’instabilité.
Notons que les juges aussi changent souvent d’avis et de raisonnements. Cela ne s’appelle pas des «  mensonges » ou des reniements, mais des revirements de jurisprudence. Et que se passerait-il si c’est l’électeur qui change d’avis ? Après avoir porté un candidat au pouvoir ,s’ il considère qu’il s’est  trompé, que l’élu fait aussi mal voire plus mal que son prédécesseur  et que son programme conduit à la catastrophe, et qu’il faut changer de président à peine installé, qu’il « dégage » :  faudra -t -il saisir la justice ?
Si le peuple est changeant  faut-il appliquer la parole de bertolt Brecht  auteur  notamment de la résistible ascension d’Arturo Uy : « puisque le peuple vote contre le gouvernement il faut dissoudre le peuple ».
L’avenir de la justice en matière de promesses électorales est donc grandiose si l’on considère que la parole donnée par le politique  est d’ «  évangile » c'est-à-dire vaut contrat et qu’en cas de non respect ou d’inexécution la responsabilité du candidat élu est engagée. On peut rêver. En attendant le 7 mai 2017, carpe diem comme l’écrivait le poète Horace (23-22 av. JC.).