mercredi 27 octobre 2021

rendre le pouvoir au peuple

 

                      Rendre le pouvoir au peuple.

                     Par Christian Fremaux avocat honoraire.

Par ces temps de pré- campagne électorale présidentielle qui ne dit pas vraiment son nom avec de vrais-faux candidats, on entend souvent l’incantation à vouloir rendre le pouvoir au peuple. Cela signifie qu’il l’a perdu, qu’il a été confisqué on ne sait pas précisément au profit de qui mais en soupçonnant des technocrates, et qui sont les véritables pickpockets qui en profitent. Pourtant en République on gouverne par et pour le peuple. On se gargarise de ce mantra qui est l’ensemble des personnes soumises aux mêmes lois et qui forment une nation. Du moins en théorie car on s’aperçoit bien que l’application de la loi est à géométrie variable et que certains récusent le terme de nation au bénéfice de la simple juxtaposition de groupes culturels différents qui essaient de coopérer sur un même territoire sans frontières si possible ce qui permet de se détacher d’un mode de vie, de principes institutionnels ou immatériels, et de valeurs communes. On abhorre l’Etat- Léviathan mais on l’appelle au secours en cas de crise. On rêve de l’auberge espagnole où le peuple est au four et au moulin. Des prétendues élites auto-proclamées mais bruyantes déconstruisent tout ce qui fait sens depuis des siècles. Mais démolir n’est pas jouer : il faut être concret, sérieux et proposer, sinon on ne sort pas de la polémique et il n’y a aucun bénéfice pour le peuple que l’on veut servir. 

La démocratie directe athénienne avec l’assemblée délibérante (l’ecclésia) est difficile à mettre en place. Les citoyens réunis votaient à main levée et la loi était ensuite exposée au public dans l’agora. Aujourd’hui c’est tout juste si on n’exige pas que la loi soit votée par les réseaux sociaux ou les minorités agissantes et les groupes de pression. Notre système représentatif avec des élections libres à intervalles réguliers, des élus et divers corps intermédiaires, est décrié. On dit que le citoyen doit avoir son mot à dire sur tout ce qui le concerne, en permanence être interrogé (et non seulement sondé) et que les pouvoirs exécutif comme législatif ne font plus l’affaire. Que seul le peuple sait ce qui est bon pour lui. Mais on n’explique pas comment on tranche, qui a le choix final, par quelles structures institutionnelles légitimes, sur quels sujets, par quels moyens, avec quels recours…  Je ne crois pas qu’un comité ad hoc de personnes tirées au sort soit plus intelligent que des experts patentés qui donnent un avis technique qui doit être validé ou non par les politiques- je pense à l’assemblée nationale- qui engagent leurs responsabilités. Sortons de la mode et de l’utopie qui veulent qu’un quidam soit par nature intègre, compétent, soucieux de l’intérêt général et représente le peuple dans ses multiples composantes et croyances.

Avant de jeter ce qui fonctionne même si on doit l’améliorer voire le réviser, ne jouons pas les apprentis sorciers qui transforment le plomb de ce qui existe en un idéal en or pour imiter nos glorieux ainés de 1789 où le petit peuple a souffert dans l’espérance de jours meilleurs sans de plus égaux que d’autres. Avant de se lancer dans une assemblée constituante prévoyons des expérimentations novatrices le peuple n’étant pas une variable d’ajustement ni corvéable à merci. Il a besoin aussi de tranquillité et de stabilité.  Ne passons pas à la 6ème république sans avoir épuisé toutes les possibilités de la 5ème qui fait la preuve de la solidité de ses fondations. Et posons-nous d’abord la question : y a-t-il un peuple soudé sur des principes d’universalité qui fait la nation ? Quel(s) pouvoir(s) devons- nous rendre à quel peuple ?   

Avec les gilets jaunes il y a eu la demande de fonder le référendum d’initiative populaire, alors même qu’existe le référendum d’initiative partagée créé par M. Sarkozy qu’on n’utilise pas, pas plus que le référendum cher au général De Gaulle. Au lieu de réinventer la roue faisons la tourner vers ce qui se trouve déjà quitte à modifier la constitution et son article 11 pour permettre plus de souplesse dans la ou les questions posées sur l’organisation des pouvoirs publics et augmenter les domaines pour solliciter l’avis des français. Mais pour cela il ne faut pas avoir peur des réponses du peuple, et ne pas transformer un non comme en 2005 par un oui législatif. Le pouvoir du peuple c’est de se prononcer et que ceux qui sont chargés d’appliquer les décisions le fassent y compris si elles leur déplaisent.

Des maires ont mis en place des budgets dits participatifs parfois genrés pour distinguer dans le peuple ! dont on ne sait pas bien ce que cela veut dire, mais je n’ai aucune compétence dans ce domaine après 37 ans d’élu municipal dans une commune de 600 habitants en zone rurale : j’interroge « mon peuple », mes concitoyens dans la rue ou chez eux, dans les cérémonies officielles ou à l’occasion de réunions dédiées, et ils font confiance à ceux qu’ils ont élus. C’est ringard ?   Rendre le pouvoir au peuple c’est aussi le considérer comme composé par des adultes et non des adolescents attardés ou wokistes qu’il faut guider par une lumière qui vient du haut. Une démocratie ne vit que si le citoyen par son avis - son vote – sera entendu, compris et suivi. Encore faut -il que les propositions des candidats soient claires.    

Rendre le pouvoir au peuple c’est encore faire en sorte que la justice prononcée au nom du peuple français ne soit pas dépendante de cours de justice extérieures au- delà de ce que le peuple a décidé par sa constitution et ses lois. Il va de soi que les traités internationaux signés par la France doivent être scrupuleusement respectés, car la France n’a qu’une parole et qu’une signature. L’Union Européenne en particulier a fondé son existence par l’intégration des Etats par le droit. Mais à 27 membres c’est devenu la quadrature du cercle, le droit devient tordu et les citoyens ne tolèrent plus les oukazes, je veux dire les règlements et directives venus de Bruxelles établis par des bureaucrates évidemment non élus ce qui n’est pas entièrement juste puisque les Etats participent avec le parlement européen à la décision librement consentie et négociée. Le citoyen veut que sa justice puisse prononcer les peines que méritent des individus, que le droit européen ne s’oppose pas à des politiques publiques, et que ce qui apparait comme un gouvernement de juges lointains ne contrarie pas le peuple souverain qui choisit son destin et sa manière de vivre.  

 Il va donc falloir que tous ceux qui veulent rendre le pouvoir au peuple nous expliquent de quoi il s’agit, qui décide quoi, le mode d’emploi, et la pertinence. En évitant une sorte d’élection continue ou des interrogations et récriminations sans fin. Il s’agit de restaurer une république vivante et moderne plus informative avec les citoyens, avec son histoire, ses valeurs et ambitions et des débats publics sans tabous, sans anathèmes, sans rejet de l’autre. Il faut rendre au moins ce que l’on a reçu, avec des dividendes c’est préférable.          

vendredi 8 octobre 2021

La démocratie un concept ou une réalité qui se dégrade ?

          La démocratie un concept ou une réalité qui se dégrade ?

                           Par Christian Fremaux avocat honoraire. 

On a que le mot démocratie à la bouche. On revendique des libertés pour tout et rien surtout si elles ne concernent qu’un petit groupe d’individus. On est exigeant pour les autres car pour soi on n’a plus de limites. Un petit clan sans légitimité particulière ni élu ni représentatif de qui que ce soit, définit les normes et les thèmes à débattre entre soi en se regardant dans la glace et en admirant leur nombril, et exclut ceux qui ne sont pas dans la bonne ligne, dans la bienpensance terme fourre-tout qui ne veut rien dire sauf à disqualifier.  Les renégats ou ceux qui essaient d’émettre des idées différentes même parfois extrêmes en paroles et en principe deviennent nauséabonds et infréquentables, fachos de surcroit car ils clivent au-delà de ce qui est toléré et pourraient convaincre des électeurs ce qui serait inadmissible. Les citoyens doivent se contenter de ce qui est bon pour eux, selon les critères des mêmes ayatollahs. La démocratie est pourtant l’échange même vif, le débat public contradictoire et aucune question ne peut être taboue. Pour être élu dans la clarté il faut convaincre et ne pas gagner par défaut. On verra dans quelques mois si les électeurs ont été persuadés par cette méthode sectaire qui veut faire leur bonheur parfois malgré eux. On se rappelle la vieille formule de Bertolt Brecht : « puisque le peuple vote contre le gouvernement il faut dissoudre le peuple ». Notre démocratie semble se dégrader.

La démocratie est une forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple composé des citoyens et de ses représentants élus, à la Nation comme le déclarait l’abbé Sieyès en 1789 qui s’interrogeait sur ce qu’était le Tiers -Etat. On devrait donc être satisfait qu’il y ait des populistes (littéralement les membres du peuple) et des Etats issus de cette mouvance que l’on rejette pourtant sous le terme de régimes illibéraux. En Europe notamment la Pologne ou la Hongrie partagent ce discrédit car ils écartent la doxa de l’union européenne et la mondialisation dite heureuse, protègent leurs frontières, ne sont pas ouverts aux migrants… Chacun appréciera ce que font ces pays où l’état de droit est pratiqué sous des aspects particuliers : les élections sont a priori libres et les dirigeants sont élus voire réélus par un processus électoral classique. Mais la justice, les médias, l’enseignement, l’immigration et la protection de certaines minorités sont gérés selon des critères qui ne conviennent pas à la pensée dominante en France ou dans l’ensemble des autorités des institutions européennes. Chacun a son avis sur ces situations.

Le jeune politologue américain Yascha Mounk a écrit « le peuple contre la démocratie » en estimant que la démocratie libérale qui triomphait (Francis Fukuyama avait écrit la fin de l’histoire après la chute du mur de Berlin) était désormais menacée par la montée des populismes en raison de la désillusion des citoyens envers les élites, les partis politiques, les décisions publiques, voire le personnel politique qui n’apparait plus à la hauteur des enjeux présents et futurs (il n’y a pas de propositions crédibles) et en qui on a perdu confiance. La désobéissance civile (on refuse d’appliquer la loi ,parfois aussi chez les magistrats !) et civique (on s’abstient d’aller voter car cela ne servirait à rien), entrainent de la violence dans les rues, dans les rapports humains, et paralysent les institutions puisqu’il faut créer des comités ad hoc de quelques citoyens choisis  arbitrairement qui sont supposés être neutres et de bonne foi,  avoir la science infuse et qui se substituent au parlement ou à des institutions chargées de réfléchir à des sujets pointus ou à la mode dans l’urgence et l’émotion.  La démocratie est ainsi court -circuitée, et on croit que le peuple n’est pas dupe. Nos élites dirigeantes sont des lumières.  

Il nous faudrait un nouveau Tocqueville qui enquêterait sur la démocratie en France ; sur la transparence exigée du haut en bas ; sur les réseaux sociaux avec leurs qualités et leurs grands défauts en matière d’expression et d’incitation à la haine ; sur l’abstention massive ; sur l’état de droit en général réclamé par tous mais bafoué par les mêmes ; sur la justice indépendante et pourtant soupçonnée d’être perméable à des idéologies et à des règlements de comptes avec des exemples concrets comme le mur des cons.   

La crise du covid-19 et les confinements ont démontré combien la démocratie était fragile. On a hurlé aux lois forcément liberticides, aux interdictions diverses, donc à la réduction de nos libertés. L’intérêt individuel a été en confrontation avec l’intérêt collectif ou général et il a fallu que l’exécutif agisse à vue entre fausses informations (des mensonges volontaires disent certains) ordres et contre-ordres, navigation à la godille et communication approximative, anxiogène donc ratée.  Certes les experts médecins- tous des professeurs éminents- n’ont pas clarifié la situation et les politiques ne sont pas seuls responsables : ce sera la Cour de Justice de la république qui épluchera le rôle des ministres et 1er ministre, le président de la république étant pénalement irresponsable pendant son mandat. Les tribunaux pénaux pour le menu fretin diront si des infractions ont été commises ou non. Le virus par lui-même coupable principal ne sera pas entendu, pas mis en garde à vue et pas condamné.  Vive la démocratie judiciaire qui fera connaitre sa vérité dans un certain temps.  

Les reports successifs de l’état d’urgence sanitaire ont été validés par le parlement -qui représente le peuple- mais des membres dudit peuple contestent cette atteinte à leurs droits d’aller et venir ; à disposer de leur corps ; à se soigner s’ils le veulent ; à se protéger ou non dans l’intérêt des autres. Le général de Gaulle aurait critiqué cette pagaille, de chienlit.

Réfléchissant sur la droite politique et la gauche culturelle M. Jacques Juillard pense qu’il y a deux conceptions de la démocratie fondée sur les droits de l’homme essentiels dans notre démocratie qui ne s’interprètent pas de la même manière par tous en France, et ne sont même pas existants ou considérés comme quasi universels dans d’autres pays. Il écrit que «  les droits de l’homme étaient naguère essentiellement politiques, tandis que  « les droits humains» d’aujourd’hui » sont essentiellement sociaux fondés sur un individualisme effréné ».  Il a raison et ma conclusion personnelle est que notre démocratie n’est plus ce qu’elle était et qu’il va falloir la revisiter, la reconstruire (et non la déconstruire selon le slogan « wokiste » à la mode pour d’autres domaines), la vivifier par la réaffirmation et la traduction concrète des valeurs républicaines si l’on veut continuer à vivre dans un régime de libertés et d’égalité sinon fraternité, en additionnant les différences pour les agréger à un destin commun qui sera celui de la Nation. Et non pas un cadre malléable vidé de sens, distributeur de droits, sans règles coercitives, sans autorité, sans ordre public et sans responsabilité pour quiconque. C’est la réalité et de la responsabilité de chacun là où il se situe pour que le peuple ne soit plus contre la démocratie et comprenne qu’il détient un trésor précieux que l’on ne dépense qu’avec parcimonie.