jeudi 25 février 2016

LA JUSTICE PÉNALE FAIT-ELLE L'ELECTION ?

La justice pénale fait-elle l’élection ?
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local.
On dit que les juges excèdent leurs missions et se mêlent de politique quand c’est un ami qui est concerné ou le candidat que l’on soutient qui est mis en cause. Est-ce vrai ? On dénonce alors un gouvernement des juges dont la légitimité est contestée et on fait prévaloir la supériorité du suffrage universel : est-ce bien raisonnable ? On est à quelques mois de l’élection présidentielle de 2017 et tout semble s’accélérer en particulier les mises en examen soit d’une  personnalité de premier plan soit de collaborateurs proches de certains candidats ; certains bénéficient du statut de témoin assisté (notion de procédure pénale  qui permet d’avoir accès au dossier et un avocat) ce qui ne veut pas dire innocence comme on peut le penser, et s’en revendiquer à tort. Tout ceci sous l’œil impitoyable des médias qui cherchent le scoop, insistent sur la mine déconfite des intéressés même si tous estiment être sereins, n’avoir rien fait de reprochable et avoir pleine confiance dans la justice de leur pays, en la maudissant in petto.
Chacun connait pourtant le principe de la présomption d’innocence à savoir que tant qu’un tribunal n’a pas prononcé définitivement la culpabilité d’une personne poursuivie,  on doit être considéré comme innocent c’est-à-dire de n’avoir pas commis d’acte délictueux. On revendique ce principe pour soi, pour son camp, mais on l’ignore pour l’adversaire, pire on le bafoue allégrement et le tribunal des incompétents, ceux qui ne connaissent pas le dossier mais qui ont glané des rumeurs, des bouts d’enquête,  celui de l’opinion,  se transforme en juge  d’un jour et prononce par avance le  verdict qu’il souhaite. Ces manipulations influencent-elles l’électeur, celui qui voit le spectacle et va se déterminer bien sûr selon ses convictions et les programmes proposés, mais aussi sur la personnalité des candidats ? La morale domine-t-elle l’éventuelle décision des juges ?Aucun membre des partis principaux (P.S ;Les républicains ; le front national ) n’est à l’abri d’une « affaire » passée ou à venir. Il est donc contre-productif et par ailleurs inexact de dénoncer un « gouvernement des juges » car pour que le procureur de la république ouvre une enquête préliminaire ou que des juges d’instruction instruisent à charge et à décharge (le non-lieu existe et certains en ont déjà bénéficié) , encore faut-il qu’il y ait une plainte, et des victimes, ou que des éléments matériels avérés laissent présumer qu’il peut y avoir infraction.
Le temps judiciaire est long et se heurte au temps politique qui est court, génère des temps forts, de l’émotion, de la polémique, de la concurrence, et est enfermé dans des échéances impératives et des délais légaux ( la précampagne et la campagne avec ses meetings et ses débats ; le financement ; les sondages) qui se terminent par le vote.
Des soupçonneux s’étonnent que l’on semble s’acharner sur tel ou tel et que les juges d’instruction redoublent d’ardeur au fur et à mesure que la compétition électorale avance. Ce sont des méchantes langues car on ne peut pas s’imaginer -sinon on n’est plus dans un état de droit - que des juges membres de l’autorité judiciaire veulent s’immiscer dans le choix qui conduit à exercer le pouvoir exécutif ! Certes les quelques magistrats qui ont construit-pour rire selon eux et à titre privé-le mur des cons ne peuvent être taxés d’objectivité à toute épreuve, mais ils sont une minorité. On ne peut pas, on ne doit pas, tout en n’étant pas naïf, suspecter les juges en général : ce serait attenter aux institutions qui ont confié à la magistrature la protection des libertés individuelles. Les juges ont le droit d’avoir des convictions y compris partisanes, ils sont aussi citoyens. Ce qui leur est demandé est d’appliquer la loi, votée par les parlementaires, de façon équitable, objective et de mesurer les conséquences de leurs décisions. Je ne doute pas que c’est le cas. Ce n’est pas de leur faute si des infractions sont commises, si des plaintes sont déposées, si des soupçons pèsent sur des puissants, d’ailleurs conseillés par des avocats compétents et de talent. Dans le duel judiciaire l’accusation peut mordre la poussière, on l’a vu et c’est tant mieux : c’est la caractéristique d’une démocratie  et d’une justice indépendante. Quand son champion est blanchi, on adore brusquement les juges !
Personne n’aime devoir passer à la question, être suspecté et ne pas être cru sur parole. Surtout si l’on exerce ou on a exercé des fonctions très importantes. Des médias aiment bien les jeux du cirque et ont besoin d’aveu en direct ou de filmer les affres de l’individu que l’on présente comme quasi coupable, c’est plus vendeur. Le journaliste professionnel et digne de ce nom, recoupe ses sources et les faits, ne s’en tient pas à l’apparence  et prend des précautions dans son information, a de la retenue dans ses propos  et attend la décision finale des juges pour conclure. Il doit agir sous le prisme de la responsabilité. Souvent ce qui est écrit dans le journal ou diffusé à la télévision est pris pour argent comptant, comme la vérité. Mais ce n’est souvent que celle du moment, partielle voire partiale. Personne n’est au-dessus des lois, ni au-dessous d’ailleurs. Les juges non plus qui ne demandent rien sauf de pouvoir exercer leurs difficiles fonctions en toute sérénité et avec les moyens que le budget actuel de la justice - scandaleusement trop bas - leur donne. Si les juges devenaient un pouvoir judiciaire il faudrait s’interroger sur leur légitimité et leurs responsabilités. C’est un autre débat .Et relativisons. On a vu des élus condamnés reprendre leurs activités et se faire réélire : laissons le citoyen décider entre morale et politique.
Il faudra bien qu’un jour, sans passion, nous débattions de la place de la justice en général dans notre société ; du caractère inquisitoire (avec juge d’instruction) ou accusatoire (comme dans les pays anglo-saxons où le procureur doit faire la preuve de ses accusations) de notre justice pénale. En attendant suivons les péripéties qui concernent le monde politique et réfléchissons par nous mêmes.

Comme l’hirondelle  la justice ne fera pas le printemps en mai 2017. Mais elle peut couvrir d’un manteau d’hiver divers postulants à la présidence de la république, ce qui les entravera dans leurs envolées pour nous convaincre.

mardi 23 février 2016

ALLÔ 49-3 URGENCE TRAVAIL?

                               Allô 49-3 urgence travail ?
Par Christian FREMAUX, avocat honoraire ; conseiller prud’homme ; et élu local.
Qu’il me soit pardonné de traiter sur un mode léger ce qui est le problème central de notre société ; le manque de travail , le chômage qui détruit l’homme et sa famille, et l’incapacité des gouvernants de toutes tendances à améliorer la situation , même s’il y a des milliers de pages de rapports pour analyser les causes  et proposer des mesures, que les blocages sont connus  et les solutions diverses. Mais on a l’impression vu de l’extérieur , que certes la bonne volonté des uns et des autres n’est pas en question, mais que chacun campe sur des positions idéologiques, les droits acquis pour les uns, la libération des énergies et la baisse des charges pour les autres , ce qui toutes choses n’étant pas comparables rappelle une lutte des classes sans le dire , mais réelle. Les partenaires sociaux n’arrivent jamais à trouver un consensus ou à la marge. Les mêmes syndicats ne signent jamais aucun  accord. Lorsqu’un référendum dans l’entreprise permet une avancée (exemple le travail le dimanche dans les zones touristiques), des syndicats s’y opposent et la loi pourtant âprement discutée au parlement ne sert à rien….Le gouvernement de M.VALLS a  avec raison décidé de s’affronter à la réforme du code du travail à la suite du rapport de M.BADINTER et d’un groupe de travail présidé par un conseiller d’Etat. Le projet doit être gagnant-gagnant. Mais avant même que le texte soit  exposé et disséqué, certains qui n’ont encore rien lu  des propositions sont … contre et menacent (de grèves selon nos bonnes vieilles habitudes ?) C’est ce comportement que je dénonce. Le président de la République s’est engagé à ne pas se représenter si « la courbe du chômage ne s’inversait pas ».Attendons pour voir ce qui est un autre problème : faut- il croire ceux qui promettent ?...
C’est la prétendue starlette NABILLA  des « anges de la téléréalité » ( SIC)  qui a connu son heure de gloire en prononçant cette apostrophe célèbre : « allô, non mais allô quoi.. » qui a fait le buzz en dépassant de très loin la formule « casse-toi pauv’ con », ce qui prouve le niveau de délabrement moral et intellectuel  où nous en sommes arrivés. Il y avait eu aussi le film à succès de J.J. BEINEIX « 37,2 le matin » avec Jean -Hugues  ANGLADE et Béatrice DALLE qui racontait un road movie qui se terminait mal.La société évolue  et les élites ou prétendues telles sont dépassées : on se préoccupe aussi d’autres sujets, plus anodins.
Les symboles peuvent se traduire par des chiffres ou des formules. Pour le projet du gouvernement actuel en matière de réforme du droit du travail, on a aussitôt évoqué l’article 49-3 de la Constitution de 1958, cette constitution dont on a discuté pendant des semaines pour savoir s’il fallait y inclure la déchéance de nationalité pour les terroristes. Comme si ceux ci- avaient des scrupules quand ils massacraient des innocents ! Mais c’est un autre débat  en cours : on verra si le congrès est saisi, ou non.
Mme EL KHOMRI, celle qui a hésité à la question du journaliste de RMC ,M.BOURDIN sur le nombre possible de renouvellement d’un CDD-mais n’accablons pas la ministre  car même des spécialistes du droit du travail ne savent pas tout en la matière, -et c’est toujours plus facile quand on a la réponse sous les yeux comme Julien LEPERS pourtant licencié comme un malpropre du jeu « questions pour un champion »- a la charge de faire voter le projet de loi qui comprend actuellement 131 pages et des articles nombreux sur des points fondamentaux qui vont permettre de donner une nouvelle vie aux relations salariés-employeurs. Tout le monde devrait être d’accord sur une telle réforme, mais les cris d’orfraie ont déjà été poussés et les épithètes négatives fleurissent ce qui augure bien du débat parlementaire qui va avoir lieu !La ministre a aussitôt dégainé en disant que s’il n’y avait pas d’accord (dans la majorité ce qui est un comble) et si l’opposition faisait obstacle, le gouvernement prendrait ses responsabilités. La presse a immédiatement traduit en disant que le gouvernement utiliserait l’article 49-3 de la Constitution qui dispose : « le premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l’assemblée nationale  … pour un projet ou une proposition de loi, par  session ».Le  projet est adopté sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures et votée. Nous n’en sommes pas là même si M.VALLS qui a déjà utilisé cet article considère qu’il s‘agit non pas d’un acte d’autorité mais d’un acte d’efficacité, quand la discussion a été suffisamment longue et contradictoire. Vulgairement on dit que l’article 49-3 permet de «  passer en force » et faire adopter une loi malgré des oppositions, voire une pétition qui circule signée par quelques centaines de milliers de personne. La démocratie s’exprime légalement au parlement  qui entend la voix des citoyens et en tient évidemment compte, d’autant plus que le président de la république avait borné la réforme en demandant à ce que l’on ne touche ni aux 35h., ni au CDI,  ni aux heures supplémentaires qui doivent être payées. Mais ce projet   revoit  les rigidités ; la cause réelle et sérieuse avec la limitation des indemnités aux prud’hommes ; la définition  du périmètre et des causes du licenciement économique ; les accords d’entreprise  et les référendums permettant aux salariés de s’exprimer sans pour autant ne pas méconnaitre le rôle des syndicats ;  la formation  tout le long de la carrière ;   les droits maintenus avec de nouvelles clauses dans le contrat des salariés selon  que la conjoncture économique est bonne ou moins bonne. Tout ceci est fait pour permettre de libérer le marché du travail, donc de faciliter l’emploi, permettre à ceux qui travaillent déjà de se maintenir et d’évoluer, et à ceux qui veulent entrer –les jeunes et les plus de 50 ans- d’accéder au graal.C’est aussi de rendre plus souple et décadenasser des règles peu flexibles, une jurisprudence plus favorable aux salariés soyons francs,  et lever une incertitude juridique pour les uns et les autres. On ne touche pas aux droits acquis, le totem du monde des travailleurs et on essaie de faire entrer l’entreprise dans le monde du 21ème siècle, l’ère des technologies et du numérique, de repenser la notion de salarié et du lien de subordination, du contrat de travail qui doit apporter protection au salarié mais aussi souplesse pour l’entreprise. Le CDD doit aussi être revu pour qu’il ne soit pas considéré comme une situation précaire et la variable d’ajustement pour tout le monde. L’apprentissage doit être revalorisé et ouvrir les portes. Le salarié doit pouvoir se former en permanence et avoir des droits (au chômage) rechargeables… Bref la discussion parlementaire doit permettre d’aboutir à des solutions consensuelles et le peuple de gauche doit s’unir au peuple de droite pour réussir, c’est -à-dire permettre au peuple tout court de retrouver sa fierté, sa dignité par le travail, dans une société mondialisée que l’on accepte ou non, ouverte à la concurrence et qui mourra –certes debout- si elle s’appuie sur les principes qui ont fait leur temps. Soyons pragmatique plutôt qu’idéologique :l’ entreprise n’embauche que si elle a un vrai carnet de commande pour un délai lointain, ce qui lui permet d’investir (ne jetons pas la pierre aux actionnaires) pour se développer, conquérir ou maintenir des marchés et donc donner du travail. Bannissons la méfiance réciproque du salarié qui croit que le patron s’enrichit sur son dos et est favorisé par les pouvoirs publics, et du patron qui considère que les salaires sont toujours trop élevés et que les charges sont insupportables (ce qui est objectivement vrai).Seule la compréhension des désirs des uns et des autres peut conduire à des résultats profitables à tous, sans que chacun ne perde la face.
Le gouvernement a été prudent : il n’a pas mis en cause le régime des intermittents du spectacle déficitaire de façon récurrente, et n’a pas demandé à certains fonctionnaires qui ont l’emploi à vie et qui ne paient donc pas de cotisations chômage,  de régler une cotisation de «  solidarité » ce qui aurait permis de réduire la différence entre les salariés du privé et ceux du public. M. MACRON , ministre ,avait souligné lui-même qu’en dehors des postes régaliens (armée, justice, police… ) la notion d’emploi garanti à vie plus la retraite calculée sur les 6 derniers mois du traitement, n’avait plus de vraie justification. Cela se discute comme l’aurait dit feu le sympathique et talentueux Jean-luc DELARUE.J’espère donc qu’il ne sera pas nécessaire d’utiliser le fameux article 49-3 mais il faudra le faire si les résistances paralysent la réforme. Le conservatisme se trouve aussi, parfois, parmi les forces dites de progrès. Le parlement s’honorerait et remonterait dans les esprits en votant une réforme consensuelle. Comme aurait pu l’écrire ALAIN SOUCHON « allô maman bobo, comment tu m’as fait, je ne suis pas beau.. », on doit chanter : « allô responsables de toute nature, faites nous un nouveau code du travail moderne, efficace,  qui permettra de créer du travail,  de lui redonner un caractère stimulant, enthousiasmant, et qui ne sera pas une course de haies  où l’on renonce à prendre le départ, salarié comme employeur, en raison d’obstacles infranchissables ».
Le travail  fourni par des entrepreneurs qui risquent leurs biens et osent, est d’abord ce qui permet de gagner sa vie, de faire vivre sa famille, d’être utile à la société ce qui est une valeur qui dépasse l’individu et le fait grandir. Entrons dans l’avenir avec des idées neuves comme disait SAINT-JUST à propos du bonheur, et créons une société de la confiance.

mercredi 10 février 2016

L A Q.P.C.: QU'ES AQUO ?

La Q.P.C. : qu’es aquò ?
Par Christian FREMAUX avocat et élu local
M.Jérôme CAHUZAC ancien ministre est poursuivi devant le tribunal correctionnel de Paris pour son compte caché en SUISSE. Il est accusé d’avoir fraudé le fisc alors qu’il était ministre du budget,ce qui est un oxymore !Chacun se rappelle ses déclarations publiques où il niait toute dissimulation,  avant finalement de reconnaitre les faits,   et de quitter le gouvernement précipitamment.
Respectant la présomption d’innocence  et ne le connaissant pas au-delà de ce que la presse en a dit, je n’ai pas à me prononcer sur le fond de ce dossier pénal, sachant que par ailleurs M.CAHUZAC a payé très cher sa fraude. Ses avocats ont déposé au début de l’audience une question prioritaire de constitutionnalité tendant à faire admettre que l’on ne peut être condamné deux fois pour le même délit : sur le plan administratif ( les amendes et pénalités ) et sur le plan pénal où des condamnations concernant les libertés individuelles (diverses interdictions même si M.CAHUZAC a déclaré qu’il était en retraite) peuvent être prononcées. Le procureur s’est indigné à l’audience de «  l’impudence «  de M.CAHUZAC  qui n’avait pas les mêmes scrupules quand il était ministre et tirait à boulets rouges sur les présumés fraudeurs et qui pour les besoins de sa cause «  ose « » retarder les débats de fond  par une question de procédure .Le parquet a tort : chaque  prévenu a le droit d’utiliser le droit pour se défendre, qu’il soit puissant ou misérable et l’audience publique n’est pas une mise à mort publique, un jeu du cirque où CESAR lève ou abaisse son pouce, pour servir d’exemple .La justice doit juger dans la sérénité  même si ses jugements doivent être exemplaires, et si comme en l’espèce  la personnalité du prévenu,et sa qualité d’ancien ministre, éclairent les débats d’un lumière crue pour montrer quel est le bon chemin , et combien il est nécessaire de donner l’exemple quand on assure de hautes responsabilités publiques. C’est ce qui redonne confiance aux citoyens envers ceux qui nous dirigent et ont sollicité nos suffrages.  Le tribunal a fait droit à l’argumentation de M.CAHUZAC, ce qui est tout à fait normal puisque le tribunal pénal doit statuer en droit et non en fonction de la morale,  et a renvoyé le dossier devant la cour de cassation qui décidera de saisir, ou non, le conseil constitutionnel.J’avais écrit il y a plusieurs mois à propos de la société UBER et des taxis  -débat toujours d’actualité -  un article pour expliquer ce qu’est une question prioritaire de constitutionnalité (Q.P.C.) Vous lirez ci-dessous mes commentaires. Le procès de M.CAHUZAC a été renvoyé au 5 septembre 2016. Le tribunal jugera en fonction de la décision du conseil constitutionnel, M.Laurent FABIUS étant son président car il vient d’y être nommé par le président de la République.

Chacun se souvient de l’épisode peu glorieux, violent, mené par quelques casseurs  qui défendaient leur outil de travail, qui a opposé il y a quelques  semaines les chauffeurs de taxis et les « travailleurs » de la société UBER qui veut « libéraliser » le secteur des transports, au profit des clients, naturellement, c’est du moins la thèse officielle : on ne parle pas de profits dans ce domaine  cela va de soi ! Dans la mondialisation  qui a eu l’audace de s’installer aussi dans notre vieux pays,  avec ses us et coutumes comme le fait de payer très cher une licence de taxi, le conservatisme-à tort ou raison- pour ne pas bousculer les habitudes, même mauvaises  et les fameux  droits acquis qui sont le socle de l’action des syndicats de salariés, résistent dans tous les domaines (voir la loi MACRON et les dernières déclarations du sémillant ministre de l’économie sur les fonctionnaires dont le simple fait d’en parler a suscité un tollé : le débat d’idées a du mal à décoller et des sujets restent tabous !).On comprend bien sûr celui qui a beaucoup investi pour avoir le droit de travailler, s’est endetté pendant des années, paie taxes et impôts, qui exerce une activité dure, et qui voit arriver ce qu’il appelle une concurrence déloyale. Mais le client lui, l’usager, le consommateur, ne voit il pas d’un bon œil  cette offre de service nouvelle ? C’est un autre débat .La Justice a du départager les deux camps  qui représentent  deux légitimités.
Le Conseil Constitutionnel a rendu une décision n°2015-484 du 22 septembre 2015 et a jugé que l’article L.3124-13 du code des transports était conforme à la Constitution. Les organisations de taxis ont crié victoire, qui espérons le pour elles, n’est pas une victoire à la PYRRHUS .La loi THEVENOUD  (celle de l’excellent député qui avait une phobie envers les impôts mais les a finalement payés selon lui), qui interdit le service UBERPOP  ,a donc été validée. Le débat portait sur l’article L.3124-13 qui dispose : « est puni de deux ans  d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende le fait d’organiser un système de mise en relation de clients avec des personnes qui se livrent aux activités  de l’article L.3120-1  » c’est – à- dire, le transport routier. La décision du conseil Constitutionnel s’appuie sur les articles 8 et 9 de la déclaration de 1789 ; sur le code des transports ; sur l’article 61-1 de la Constitution de 1958 ; et sur le principe de la présomption d’innocence. Mais comment ledit conseil a-t-il été saisi et par qui ?
Il a été saisi le 23 juin 2015 par la chambre commerciale de la Cour de Cassation, à Paris, par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (Q.P.C.), posée par les sociétés UBER France SAS et UBER BV   ,relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit au premier alinéa de l’article L.3124-13 du code des transports .Dans le litige il y avait en défense l’UNION NATIONALE DES TAXIS ,et diverses sociétés de transport. Le débat portait sur l’incrimination de la mise en relation de clients avec des conducteurs non professionnels, débat de nature PENALE sur la liberté d’entreprendre, le principe d’égalité et celui de la nécessité des délits et des peines et la présomption d’innocence. Que de grandes causes, donc. La Cour de cassation devait se prononcer sur ces points de droit pas encore tranchés ( Cour de cassation chambre commerciale-mardi 23 juin 2015-n° de pourvoi 15-40012 ; n° d’arrêt 699) .La Q.P.C. permet au Conseil Constitutionnel de vérifier si une loi n’est pas inconstitutionnelle en ce qu’elle porterait «  atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution  de 1958 ». Elle a été introduite en droit français  à l’occasion de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, initiée par le Président Nicolas SARKOZY qui a crée un art.61-1. qui stipule : « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ,le Conseil Constitutionnel peut être saisi de cette question, sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la cour de Cassation, qui se prononce dans un délai déterminé ».

Cette Q.P.C. est une avancée majeure dans notre état de droit, et une possibilité très concrète pour le justiciable pour faire admettre son argumentation.(lire Cour de cassation service de documentation).Le conseil constitutionnel actuellement présidé par M.jean-louis DEBRE nommé par la Président CHIRAC, est composé de 9 membres outre les anciens chefs de l’Etat membres de droit. Il y aura un renouvellement au début de l’année 2016 : 3 juges seront nommés par le Président de la République et celui de l’assemblée nationale et du Sénat .   La politique s’efface au profit des compétences, de l’expérience, de la neutralité, et de l’indépendance même envers celui qui a nommé, au profit du droit. La jurisprudence renforce  notre démocratie qui a besoin de grands principes clairs et réaffirmés .Les membres y sont nommés en raison de leurs qualités exceptionnelles, aucun soupçon ne pouvant les affecter, et ils participent à la régulation de notre société  ,et à la protection de l’individu face aux empiétements parfois de l’Etat qui a ses propres raisons. La Q.P.C.permet d’obtenir Justice, et c’est l’essentiel.

dimanche 7 février 2016

DES MOTS POUR LE DIRE

Des mots pour le dire

Par Christian FREMAUX avocat et élu local.


Mme  VALLAUD -BELKACEM ministre de l’éducation nationale vient d’annoncer une réforme de l’orthographe qui dormait dans les cartons depuis des années et qui va concerner  environ 2400 mots. Pourquoi  sortir de la naphtaline (ou naftaline ?) cette réforme en pleine discussion sur la déchéance de nationalité concernant les terroristes, c’est un mystère ou une diversion, même si la ministre parle de l’intérêt des enfants .La polémique a aussitôt éclaté entre les partisans de ceux  qui sont les tenants de l’orthographe classique, et du français tel qu’il résulte de l’ordonnance  de 1539  de VILLERS-COTTERETS du bon roi François 1e r(qui n’est pas le chef de l’Etat actuel)  et ceux qui font le constat que malgré 80% de bacheliers dans une classe d’âge les fautes sont encore très nombreuses et qu’il convient donc d’abaisser le niveau général pour se mettre à la portée de tous et notamment de ceux qui n’ont pas à la maison les moyens culturels leur permettant de progresser,  ce qui leur permettra d’avoir des diplômes et donc de trouver du travail. Ce raisonnement est un leurre car chacun sait que la sélection arrive un jour ou l’autre et qu’un employeur veut  compter sur des compétences et connaissances réelles, et non par sur un parchemin qui les présume. C’est Bertold BRECHT en critiquant le régime politique de la R.D.A  qui a écrit que lorsque le peuple n’est pas d’accord avec le gouvernement, c’est le peuple que l’on devrait  dissoudre ! Puisque l’orthographe pénalise il faudrait donc permettre à l’élève de ne pas en tenir compte voire supprimer les notes et l’évaluation, c’est plus simple. Je laisse les académiciens français et tous ceux qui aiment les belles lettres se prononcer sur ce débat entre les anciens et les modernes, car je n’ai aucune légitimité en la matière, sauf pour affirmer qu’à force  de traquer l’élitisme ou simplement la connaissance, on tire tout le monde vers le bas.
Cette annonce de simplification de l’orthographe coïncide avec l’emploi d’un mot ou d’une formule que depuis des semaines on dissèque, analyse, décortique pour leur faire dire ce que l’on souhaite : celui de déchéance complété par de nationalité pour les français  dit de souche (ALAIN MINC parle de souche avec un S)  ou binationaux qui sont si j’ai bien retenu le nombre, plusieurs millions. Il va de soi que globalement ils ne sont pas visés, qu’ils sont français-un point c’est tout- et que personne n’a l’intention de les discriminer. Cela va mieux en l’affirmant.
Nous sommes dans le cadre exclusif de la lutte contre le terrorisme -et ceux qui craignent l’extension à d’autres cas prennent, selon moi ,leurs peurs pour une réalité qui ne peut survenir quelque soit le pouvoir en place, y compris celui que certains craignent car notre république est fondée sur un état de droit, des juges, et des parlementaires qui s’opposeraient à toute déviation -et on parle d’une sanction  et sur l’opportunité de la graver dans la marbre de notre Constitution de 1958.Sur ce sujet  je suis réservé car une loi peut faire l’affaire et notre texte suprême ne doit pas être modifié ou complété à chaque événement grave. Si  les parlementaires acceptent cette modification  ils devront le faire en âme et conscience, sans se soumettre à un vote partisan ou pour faire plaisir à tel leader politique qui peut avoir, imaginons le, des arrière-pensées plus subalternes.
Il va de soi que tout le monde est d’accord sur un point :la déchéance de nationalité promise à un terroriste qui va se faire exploser après avoir commis son forfait, n’a aucune efficacité préventive et ne l’arrêtera pas dans son élan maléfique . S’il est pris vivant, ce sera une peine infamante qui s’ajoute à la prison à perpétuité pour celui qui, après procès selon nos règles immuables avec droit à un avocat, a tué volontairement  dans le cadre d’une action revendiquée comme terroriste.
On parle  de symbole ce qui est un mot très fort. Est-ce le cas ? Le symbole est la représentation d’une chose, d’une idée, d’une figure, par un caractère imagé. Par exemple la colombe symbolise la paix. La nationalité est plus qu’un symbole. Elle exprime une identité et les valeurs qui vont avec, comme le respect de l’autre et de la vie, la tolérance, la nation et la république et ses principes, un mode de vie, la démocratie qui permet de faire connaitre ses choix, et les libertés publiques comme individuelles. Perdre sa nationalité , ce qui est déjà prévu dans le code civil aux articles 23-7 et 25 ,c’est donc être privé d’un honneur et de droits, ainsi que de pouvoir vivre parmi nos semblables, nos égaux .Les terroristes nient ces valeurs, et les priver de nationalité n’a ni importance ni sens pour eux puisqu’ils ont choisi de s’identifier à un pouvoir théocratique, nihiliste, mais surtout totalitaire qui rejette l’homme en tant que tel , en ce qu’il est et représente, en sa dignité  et existence terrestre. Celui qui tue, qui efface l’identité de sa victime, ne peut avoir le droit de conserver la sienne qui est un privilège .La déchéance de nationalité n’est pas un symbole : c’est une simple mesure de justice. Aussi discuter sans fin , en coupant les cheveux en quatre voire en seize, avoir des scrupules qui nous honorent -tout en imaginant que les affidés de DAECH, d’AL QAIDA, ou autre groupuscule terroriste, sans compter les candidats individuels au djihad qui viennent de nos beaux territoires et qui ont été élevés au lait des droits de l’homme, ricanent -me parait un peu extravagant et une perte de temps, alors que nos autres problèmes économiques, sociaux et  de société  méritent que l’on s’y attarde pour trouver des solutions consensuelles pour que, quand  la croissance reviendra,  que l’on soit prêt  en ayant accompli les réformes structurelles et sans tabou (car les blocages ne sont l’apanage d’aucun camp) qui s’imposent, en ne nous contentant pas d’apposer  des rustines sur ce qui fuit de partout. Si les français sont sensibles aux débats moraux, ils se posent moins de questions que les élites  parlementaires ou  philosophiques qui veulent montrer un chemin «  lumineux et juridiquement exemplaire » sur le sort des terroristes et les conséquences pour les citoyens français, et préféreraient que l’on s’occupe d’eux et des emplois, ce qui est une ambition très humaine, aussi.
Ce n’est pas déchoir que d’être d’accord avec la peine infamante de la déchéance de nationalité pour les terroristes, même s’il y en a qu’un ; ce n’est pas déchoir que de demander à ce que l’on touche à la Constitution que d’une main tremblante et que si le fonctionnement des institutions l’exige ; ce n’est pas déchoir  que d’essayer d’obtenir une majorité au congrès des 3/5 ème  droite et gauche confondues sans pour autant donner un satisfecit général à celui qui gouverne. Et ce n’est pas déchoir que tenter d’éviter que nos ennemis se félicitent de nos discussions qui  sont le reflet de notre humanisme et de notre grandeur .Réformons donc l’orthographe mais surtout changeons les esprits pour qu’ils soient  plus pragmatiques et ouverts. Nous avons des priorités à résoudre de façon concrète  qui sont vitales pour notre avenir ;   la sécurité qui est la première des libertés conditionne toutes les autres. On comprend que nos dirigeants s’y consacrent à fond. Les explications des uns et des autres qui écrivent des livres pour nous dire pourquoi ils n’ont pas agi, ce qu’ils regrettent, qu’ils ont changé, nous éclairent certes et sont intéressants, mais les citoyens ont compris que les promesses n’engagent que ceux qui y croient .Concluons donc au plus vite sur la déchéance de nationalité, inscrite ou non dans la Constitution et passons à autre chose. Il y a un mot pour dire que les polémiques politiciennes suffisent ; «  basta »   en italien et en bon français : il suffit.