lundi 5 septembre 2016

LA JUSTICE PÉNALE FAIT-ELLE L'ELECTION OU DE L'ART DE SE RÉPÉTER? 5 septembre 2016

La justice pénale fait-elle l’élection ou de l’art de se répéter ?
 Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local.
On aime ou on maudit les juges selon le côté où l’on se situe, mais ils jouent un rôle essentiel dans notre état de droit.
A la fin des vacances les juges des tribunaux administratifs et particulièrement ceux du  CONSEIL d’ETAT ont été au soleil à propos des arrêtés contre les burkinis. J’avais écrit dans mon dernier article  d’août 2016 que le burkini n’était pas contraire à la loi et que l’on ne pouvait soutenir sérieusement qu’il favorisait le terrorisme pour l’interdire. Le Conseil d’Etat a annulé l’arrêté d’interdiction d’un maire en indiquant qu’il n’y avait pas de preuve tangible du trouble à l’ordre public. Dont acte en droit car s’il y a un jour trouble on pourra interdire- ce qui ne vaut pas approbation sur le plan moral et des principes puisque je pense que le burkini est une provocation  pour tester la résistance de la république et savoir si les pouvoirs publics ont de l’autorité ou non, et est contraire à nos valeurs d’égalité homme- femme, et une atteinte  à la dignité , même s’il est porté « volontairement » par certaines femmes. Les juges administratifs se sont prononcés, qu’on les approuve ou non, mais la discussion continue.
Ce lundi 5 septembre 2016  les juges d’instruction ou du tribunal correctionnel ont été mis en lumière. Dans cette même journée on voyait d’abord l’étonnant ancien ministre M. Jérôme CAHUZAC qui avait démissionné du gouvernement après avoir menti à tous notamment devant le parlement puis finalement admis sa fraude fiscale, répondre au président du tribunal que son premier dépôt d’espèces en SUISSE  l’avait été  pour faciliter la campagne électorale de M.ROCARD : que ne l’a-t-il pas dit plus tôt du temps que M.ROCARD était vivant et que l’on aurait pu interroger. Mais M.CAHUZAC a pris soin de préciser que  M.ROCARD n’était au courant de rien. Ouf, mais personne n’a jamais soupçonné M.Michel ROCARD de tricher, même si on ne partageait pas ses convictions politiques: il était un homme politique loyal, disait la vérité ou ce qu’il croyait sincèrement, et sur le plan moral il avait des principes. Le terme fraude accolé à celui de M.ROCARD est inimaginable. Je pense que M.CAHUZAC a plutôt aggravé son cas avec cette déclaration et je plains ses excellents avocats : ils vont avoir du travail et du talent à déployer pour convaincre le tribunal !Puis on a  ensuite appris par les médias que le procureur de la république  demandait  que les personnes mises en examen dans l’affaire dite BYGMALION ou plutôt des comptes de campagne présidentielle de M. SARKOZY , soient renvoyées devant le tribunal correctionnel. Ce sont les juges d’instruction qui vont prendre la décision de suivre le parquet ou non, tous les mis en examen étant toujours présumés innocents à ce stade de la procédure. Rappelons que M.SARKOZY a déjà payé de sa poche la sanction financière importante qui avait été décidée  par le conseil constitutionnel, justement pour dépassement de ses comptes de campagne. Peut-il être en plus poursuivi et condamné pour le même motif- et pas pour une autre infraction soyons limitatifs et objectifs-le débat est ouvert. M.SARKOZY a notamment Me HERZOG comme conseil, qui est un avocat de talent et combatif. Rien n’est donc joué pour les ennemis ou les adversaires ou les concurrents de M.SARKOZY dont certains doivent se souvenir et se regarder dans la glace, avant de se réjouir.
La journée du 5 septembre a donc été animée par la justice. Certains s’en désolent en disant que les juges se sont mêlés de politique ; d’autres s’en réjouissent  en soutenant que la justice est indépendante et que l’on n’a pas à commenter.
La question est de savoir si les affaires de justice influencent ou non le vote des électeurs. J’avais écrit le 6 mars 2016 sur mon blog l’article qui suit. Il est encore plus d’actualité.
« On dit que les juges excèdent leurs missions et se mêlent de politique quand c’est un ami qui est concerné ou le candidat que l’on soutient qui est mis en cause. Est-ce vrai ? On dénonce alors un gouvernement des juges dont la légitimité est contestée et on fait prévaloir la supériorité du suffrage universel : est-ce bien raisonnable ? On est à quelques mois de l’élection présidentielle de 2017 et tout semble s’accélérer en particulier les mises en examen soit d’une  personnalité de premier plan soit de collaborateurs proches de certains candidats ; certains bénéficient du statut de témoin assisté (notion de procédure pénale  qui permet d’avoir accès au dossier et un avocat) ce qui ne veut pas dire innocence comme on peut le penser, et s’en revendiquer à tort. Tout ceci sous l’œil impitoyable des médias qui cherchent le scoop, insistent sur la mine déconfite des intéressés même si tous estiment être sereins, n’avoir rien fait de reprochable et avoir pleine confiance dans la justice de leur pays, en la maudissant in petto.
Chacun connait pourtant le principe de la présomption d’innocence à savoir que tant qu’un tribunal n’a pas prononcé définitivement la culpabilité d’une personne poursuivie,  on doit être considéré comme innocent c’est-à-dire de n’avoir pas commis d’acte délictueux. On revendique ce principe pour soi, pour son camp, mais on l’ignore pour l’adversaire, pire on le bafoue allégrement et le tribunal des incompétents, ceux qui ne connaissent pas le dossier mais qui ont glané des rumeurs, des bouts d’enquête,  celui de l’opinion,  se transforme en juge  d’un jour et prononce par avance le  verdict qu’il souhaite. Ces manipulations influencent-elles l’électeur, celui qui voit le spectacle et va se déterminer bien sûr selon ses convictions et les programmes proposés, mais aussi sur la personnalité des candidats ? La morale domine-t-elle l’éventuelle décision des juges ?Aucun membre des partis principaux (P.S ;Les républicains ; le front national ) n’est à l’abri d’une « affaire » passée ou à venir. Il est donc contre-productif et par ailleurs inexact de dénoncer un « gouvernement des juges » car pour que le procureur de la république ouvre une enquête préliminaire ou que des juges d’instruction instruisent à charge et à décharge (le non-lieu existe et certains en ont déjà bénéficié) , encore faut-il qu’il y ait une plainte, et des victimes, ou que des éléments matériels avérés laissent présumer qu’il peut y avoir infraction.
Le temps judiciaire est long et se heurte au temps politique qui est court, génère des temps forts, de l’émotion, de la polémique, de la concurrence, et est enfermé dans des échéances impératives et des délais légaux ( la précampagne et la campagne avec ses meetings et ses débats ; le financement ; les sondages) qui se terminent par le vote.
Des soupçonneux s’étonnent que l’on semble s’acharner sur tel ou tel et que les juges d’instruction redoublent d’ardeur au fur et à mesure que la compétition électorale avance. Ce sont des méchantes langues car on ne peut pas s’imaginer -sinon on n’est plus dans un état de droit - que des juges membres de l’autorité judiciaire veulent s’immiscer dans le choix qui conduit à exercer le pouvoir exécutif ! Certes les quelques magistrats qui ont construit-pour rire selon eux et à titre privé-le mur des cons ne peuvent être taxés d’objectivité à toute épreuve, mais ils sont une minorité. On ne peut pas, on ne doit pas, tout en n’étant pas naïf, suspecter les juges en général : ce serait attenter aux institutions qui ont confié à la magistrature la protection des libertés individuelles. Les juges ont le droit d’avoir des convictions y compris partisanes, ils sont aussi citoyens. Ce qui leur est demandé est d’appliquer la loi, votée par les parlementaires, de façon équitable, objective et de mesurer les conséquences de leurs décisions. Je ne doute pas que c’est le cas. Ce n’est pas de leur faute si des infractions sont commises, si des plaintes sont déposées, si des soupçons pèsent sur des puissants, d’ailleurs conseillés par des avocats compétents et de talent. Dans le duel judiciaire l’accusation peut mordre la poussière, on l’a vu et c’est tant mieux : c’est la caractéristique d’une démocratie  et d’une justice indépendante. Quand son champion est blanchi, on adore brusquement les juges !
Personne n’aime devoir passer à la question, être suspecté et ne pas être cru sur parole. Surtout si l’on exerce ou on a exercé des fonctions très importantes. Des médias aiment bien les jeux du cirque et ont besoin d’aveu en direct ou de filmer les affres de l’individu que l’on présente comme quasi coupable, c’est plus vendeur. Le journaliste professionnel et digne de ce nom, recoupe ses sources et les faits, ne s’en tient pas à l’apparence  et prend des précautions dans son information, a de la retenue dans ses propos  et attend la décision finale des juges pour conclure. Il doit agir sous le prisme de la responsabilité. Souvent ce qui est écrit dans le journal ou diffusé à la télévision est pris pour argent comptant, comme la vérité. Mais ce n’est souvent que celle du moment, partielle voire partiale. Personne n’est au-dessus des lois, ni au-dessous d’ailleurs. Les juges non plus qui ne demandent rien sauf de pouvoir exercer leurs difficiles fonctions en toute sérénité et avec les moyens que le budget actuel de la justice - scandaleusement trop bas - leur donne. Si les juges devenaient un pouvoir judiciaire il faudrait s’interroger sur leur légitimité et leurs responsabilités. C’est un autre débat .Et relativisons. On a vu des élus condamnés reprendre leurs activités et se faire réélire : laissons le citoyen décider entre morale et politique.
Il faudra bien qu’un jour, sans passion, nous débattions de la place de la justice en général dans notre société ; du caractère inquisitoire (avec juge d’instruction) ou accusatoire (comme dans les pays anglo-saxons où le procureur doit faire la preuve de ses accusations) de notre justice pénale. En attendant suivons les péripéties qui concernent le monde politique et réfléchissons par nous mêmes.
Comme l’hirondelle  la justice ne fera pas le printemps en mai 2017. Mais elle peut couvrir d’un manteau d’hiver divers postulants à la présidence de la république, ce qui les entravera dans leurs envolées pour nous convaincre. »

Nous sommes le 5 septembre 2016. Je ne change pas une ligne de ce que j’avais écrit. Mis en examen, témoins assistés, condamnés il y a longtemps, poursuivis de diverses manières par le fisc ou autre, qu’on le sache pour certains ou que l’on le taise pour d’autres, l’homme ou la femme politique doit donner l’exemple. Il ne s’agit pas pour moi –qui ne suis qu’un quidam et n’est candidat à rien -de donner des leçons de morale car c’est facile quand on n’exerce aucune responsabilité. Mais je ne veux pas  que l’on se tourne vers les populistes, ceux qui ont la «  moraline » à la bouche comme le dénonçait NIETZSCHE, et qui ne font pas mieux . La vertu doit aussi être à l’ordre du jour des prochains débats, avec de la cohérence et de la modestie. Les français jugeront par leurs votes.