jeudi 25 octobre 2018

A propos de laïcité : la paille et la poutre


              A propos de laïcité : la paille et la poutre.
          Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local .
Le comité  des droits de l’homme de L’Onu vient d’ émettre pour la deuxième fois en quelques mois, un avis qui critique des décisions de justice de notre cour de cassation sur le port du voile dans l’entreprise ou  le niqab dans la rue,  en demandant à ce que les plaignantes soient indemnisées dans les 180 jours,  et que … l’on révise la loi. Certes cet avis n’a aucune obligation juridique mais il procède de l’intervention d’un comité «  Théodule » -avec tout le respect que l’on doit  à  l’Onu dont le rôle dans les relations internationales et le maintien de la paix  est fondamental- mais qui est  aussi   ce « machin » aurait dit le général de Gaulle. C’est une atteinte à notre souveraineté juridique et judiciaire,  à notre principe constitutionnel  de laïcité qui n’est manifestement pas compris par tout le monde, et à la nécessité de légiférer en France pour tenter de régler des problèmes pratiques, dans les écoles, à la cantine, à la piscine,  dans les entreprises, et dans l’espace public, pour éviter que cela ne dégénère. En France on ne commente pas -sauf les professeurs de droit- une décision de justice. Le comité des experts de l’Onu l’a fait. Examinons  les faits et le droit et rappelons d’abord  le contexte.
La laïcité et le respect des valeurs  de la  république sont un combat  permanent. Tout le monde n’habite pas dans des quartiers où rien de grave sur le plan des libertés ou délictuel ou criminel  ne se passe, où le vivre ensemble est un plaisir et le dialogue avec l’autre un enrichissement. L’actualité nous montre qu’il y a des quartiers perdus dans notre république que d’ailleurs le gouvernement actuel veut reconquérir, enfin. Pourvu que les déclarations d’intention se transforment en acte. M. Georges Bensoussan qui a écrit avec des professeurs un livre sur ce sujet dès 2002 a connu quelques déboires judiciaires pour l’avoir exposé publiquement, et un livre d’investigation  qui  vient d’être publié  d’élèves journalistes sous l’impulsion de  deux journalistes réputés MM.Davet et Lhomme prouve qu’il y a une islamisation galopante et inquiétante ne serait- ce qu’en Seine- saint Denis. La laïcité est donc en danger.   Certains s’offusqueront de cette affirmation comme si constater  ce qui ne va pas y compris en matière religieuse était un péché et que je sois un apostat.  Mon propos n’est pas de dénoncer quoique ce soit, ou d’essayer de comprendre pourquoi on en arrive à cette situation,  des spécialistes le font très bien, mais de prendre acte que l’islam sous des formes radicales et revendicatives pose problème même si nous vivons dans le cadre de la liberté religieuse, de l’interdiction de toute discrimination, et des droits particuliers de chacun  avec la liberté de conscience, de croire ou non , de vivre sa foi.  Pour les devoirs collectifs dans le cadre d’une nation c’est un autre combat que nous devons obligatoirement aussi mener et vite d’ailleurs,  car le communautarisme quel qu ‘il  soit  ou la tyrannie des minorités  le tout  au nom des droits de l’homme, ne doivent  pas triompher, sinon c’est la cohésion sociale, notre identité et notre  destin qui sont  remis en cause .La démocratie peut mourir d’être fracturée en faisant droit à toute demande.  C’est mon avis et je le partage car il n’engage que moi puisque je n’ai aucune responsabilité ou légitimité pour donner des leçons ou faire la morale et je revendique la liberté d’expression celle qui n’est pas réservée aux autres et qui se partage dans un dialogue républicain .
Dans notre république nous avons un pouvoir législatif , les députés et sénateurs qui votent la loi  représentent l’intérêt général,  la loi qui est motivée et a fait l’objet d’un débat public. Nos lois tiennent compte de certaines particularités, de notre histoire et  de nos traditions, de notre mode de vie,  du destin que nous avons choisi  ,et  ne rétrécissent jamais -sauf  par exception quand nous sommes menacés en matière de sécurité publique  et autre domaines vitaux – les libertés en général. Les tribunaux de l’ordre judiciaire protègent les libertés individuelles,  et ceux de l’ordre administratif renforcent les libertés publiques. Dans le domaine de la liberté religieuse c’est la loi de 1905  qui a consacré la séparation des églises (le des est important) et de l’Etat-donc du pouvoir politique- et a fondé la laïcité à la française. La république est neutre et garantit la liberté de rendre hommage à dieu comme on l’entend (dans le respect de l’ordre public)  ,proclame la liberté de conscience et consacre l’égalité : « la république ne reconnait , ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». La loi  s’est adaptée à l’évolution des mœurs, et à des revendications de plus en plus fortes de nos compatriotes musulmans pour pratiquer leur religion.  C’est leur droit, et ce n’est pas parce que l’on ne croit pas ou que l’on pratique une autre religion que l’on va leur dénier une liberté fondamentale. Mais on est passé progressivement à des exigences qui se discutent dans beaucoup de domaines et qui remettent en cause nos principes, ceux qui ont permis de bâtir une république soudée, unanime et déterminée à avoir des objectifs communs. Le débat s’est durci entre ceux qui veulent  toujours plus sans contrôle, sans critique possible  et même en leur donnant les moyens,  et ceux qui estiment qu’il ne faut pas aller trop loin qu’il y a des limites à ne pas franchir, que la société doit maitriser l’exercice de cette liberté pour qu’elle ne dérape pas ou se transforme en abus,   que le droit  de croire et d’exercer une telle  liberté doit être compatible avec des règles neutres destinées à combattre  tout différend  potentiel qui porte en germe de la violence ou la remise en cause de principes et qui peut conduire à des affrontements.   
C’est ce que l’on appelle la laïcité à la française qui caractérise notre personnalité  nationale à l’extérieur, s’appuie sur des valeurs universelles, est copiée plus ou moins bien par beaucoup de démocraties et qui fait notre grandeur.
Il y a eu deux procès en France sur la base de ces principes.  D’abord l’affaire de la crèche privée dite baby loup qui avait licenciée une de ses salariées qui souhaitait porter le voile à l’intérieur de l’établissement. Mme Afif la salariée concernée était soutenue  dans sa cause et la polémique fit rage sur fond de laïcité. Finalement la cour de cassation en assemblée plénière -ce qui démontre que la procédure ne fut pas un long fleuve tranquille- en 2014 a confirmé le licenciement pour faute grave , la salariée ayant refusé d’enlever son voile. Cet arrêt a mis en lumière le principe de laïcité dans des entreprises privées .Ce ne fut pas  à l’époque du goût de tout le monde en France, inutile de le préciser ou de donner des noms. La cour de cassation en entendit des vertes et des pas mûres.
La salariée Madame Fatima Afif  saisit ensuite  le comité  des droits de l’homme de l’ONU. Il ne faut  pas confondre ce comité  composé de 18 juristes indépendants  qui est chargé de suivre l’application du pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’Onu  signé en 1966, avec le conseil des droits de l’homme  composé des représentants de 47 Etats où l’on trouve  notamment l’Afghanistan,  le Mexique, la république du Congo,  le Venézuela,  l’Albanie… qui ne sont pas des paragons de vertu et des modèles en matière d’application des droits de l’homme !
Nous parlons donc de ce comité de juristes qui le 10 août 2018 avait considéré que notre cour de cassation  dans l’affaire Baby loup s’était fourvoyée, que l’obligation imposée à Mme Afif de retirer son foulard à son travail  dans la crèche constituait « une restriction portant atteinte à la liberté de religion  et avait considéré que le licenciement «  ne reposait pas sur un critère raisonnable ».Le comité  a considéré que la France  « n’a pas apporté de justification suffisante qui permette de conclure que le port d’un foulard par une éducatrice de la crèche  porte atteinte aux libertés et droits fondamentaux des enfants et des parents la fréquentant ».C’est une appréciation  qui ne correspond pas à notre culture et en plus à notre droit.
Alors que nous sommes champion du monde de football, c‘était un but à zéro pour l’ONU ou son comité de juristes  contre la France qui n’a rien changé,  pour l’instant à ma connaissance car il n’y avait pas d’arbitre dans le match qui n’était qu’amical et pas officiel en droit, sans sanction . Ce qui me réjouis car les faubourgs de  New -York sont loin même si le droit international signé par les Etats  a vocation à s’appliquer partout y compris dans les pays dont sont issus les éminents juristes. Que la France ne prend pas de réglementation à la légère surtout en matière de libertés. Et qu’enfin nos juridictions ne font pas de politique, ne suivent pas l’opinion publique  et respectent les lois y compris internationales  et  interprètent les textes s’il y a un vide juridique.  Il n’appartient qu’au législateur de modifier la loi s’il y a lieu. Je ne doute pas que les illustres juristes de New-York connaissent Montesquieu et la séparation des pouvoirs ce qui est un principe que nos donneurs de leçons de droit et d’éthique doivent exiger partout.
Ensuite on s'attaqua à l'espace public et bis repetita. Ledit comité des juristes de l’ONU  , le comité des droits de l’homme  présidé par un israélien vient de récidiver mardi 23 octobre 2018. Saisi par deux musulmanes qui portaient dans la rue à Nantes  le voile intégral, le niqab, et qui avaient été verbalisées,  il a condamné la France  en estimant que « l’interdiction du niqab viole la liberté de religion  et les droits humains », pas moins  !Remarquons la détermination des plaignantes passées du tribunal de police en France et d’une condamnation à une simple amende, à New-York et à un avis international. Chacun méditera sur cette volonté de vouloir établir une jurisprudence. Le droit n’est pas toujours neutre et peut servir à mener un combat.   
La loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdit la dissimulation du visage dans l’espace public (rues, commerces, transports, mairies...) .On ne peut porter une tenue destinée à dissimuler le visage  sous peine d’une amende pouvant aller jusqu’à 150 euros. Cette loi a été validée en 2014 par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. Elle complète la loi de 2004 sur le port de signes ou de tenues dans les collèges et lycées, par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, ce qui est interdit.
Il faut donc croire que la  connaissance et l’interprétation  des droits de l’homme ne sont plus universalistes et  qu’elles fluctuent selon la latitude ou la longitude et celui qui doit l’apprécier à  l’aune de des propres croyances religieuses ou non,   et de ses pratiques philosophiques, juridiques et  démocratiques. Ce n’est pas un progrès  de ne pas avoir des interprétations homogènes, de devoir confronter des jurisprudences contraires,  et cela peut conduire à des difficultés sérieuses. Puisque le comité des droits de l’homme a vocation à ne  donner que des avis sur des interprétations de textes, qu’il s’en tienne là. Qu’il n’émette pas des injonctions de faire, des quasi menaces qui de toutes façons seront sans effet contraignant, par exemple  de devoir indemniser de prétendues victimes qui ne font preuve d’aucun préjudice ( c’est la jurisprudence en droit social en France) ou qui soutiennent gratuitement qu’elles ne peuvent exercer des libertés fondamentales ce qui serait une faute lourde de l’Etat et justifierait des dommages-intérêts. On est dans l’absurde et un excès de prétendu pouvoir par ces « juges autoproclamés »
Cela n’empêche pas de discuter du fond par exemple des droits du salarié dans l’entreprise privée. La loi n°2016-1088 de Mme El Khomry dite loi travail   a introduit le principe de neutralité au sein du règlement intérieur de chaque entreprise. La loi stipule : « le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions  des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres  libertés ou droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise si elles sont proportionnées au but recherché ».C’est clair c’est notre droit et je ne pense pas que le comité des juristes de l’ONU trouvera une critique à formuler  sauf à s’immiscer dans notre démocratie ? .Il faut aussi tenir compte  de ceux qui dirigent l’entreprise et la fréquentent. C’est pareil  dans l’entreprise publique qui n’appartient à personne mais qui est la propriété de tous et qui doit rester neutre .
Cette législation globale  résulte  du droit de la société de prendre des précautions et de savoir toujours à qui on a affaire, ses droits et devoirs surtout dans le contexte d’insécurité,  de menaces diverses, d’attentats et de délinquance. Elle est faite aussi pour que chacun ne soit pas choqué par le comportement de l’autre. En conséquence   il peut y avoir un conflit de droits, ou un affrontement entre les libertés individuelles et le devoir de protection générale. Les droits de l’homme ne doivent pas être instrumentalisés. Il faut déjà les appliquer dans un consensus difficile à obtenir, les faire comprendre pour les conforter pour qu’ils redeviennent conquérants et exemplaires. Et l'Onu n'a pas la même interprétation que la Cour européenne des droits de l'homme: qui a raison?
Avant de voir la paille de la laïcité qui indispose chez l’autre il faut balayer devant sa porte. Cela évite de prendre des poutres de l’intolérance qui  favorise l’individu exclusivement sans tenir compte de ceux avec qui on vit, en pleine figure.  

lundi 22 octobre 2018

Un pays d’où l’on revient


                    Un pays d’où l’on revient.
           Par Christian Fremaux avocat honoraire et élu local.

Je reviens de nulle part .
Il faut pourtant prendre un vol d’Air Ethiopian qui dure 7h30 la nuit à partir de Roissy Charles-de-gaulle, puis arrivé au très petit matin à Addis-Abeba capitale de l’Ethiopie remonter dans un avion  qui nous transporte quelques centaines de kilomètres plus loin en une heure de vol jusqu’à un territoire indépendant qui  part de Djibouti   avec  une frontière commune  avec  l’Ethiopie au sud,  puis  qui longe sur 750 kilomètres le golfe d’Aden et les débuts de l’océan indien .La façade maritime dans cette région menacée et en conflit  de tout côté est donc importante. On se situe par 8° et 11’30 de latitude, et par 42°45’ et 49° de longitude, en tendant vers l’équateur. Nous sommes en plein dans la corne de l’Afrique, celle de l’est. En face c’est le Yémen, Oman et les émirats arabes avec Dubaï  qui investit, et le poids lourd l’Arabie Saoudite. C’est dire si la région est stratégique et combien les puissances régionales comme certaines plus lointaines s’intéressent au pays, à ses ports, à son emplacement , à ses ressources naturelles qui émergent, à sa place dans la région et à ses ambitions légitimes comme pour tout peuple, dans un contexte diplomatique difficile résultant de ce que les anciens pays colonisateurs ont laissé comme tracés et comme nécessités organisationnelles et administratives en général , avec l’Union Africaine qui se hâte lentement dans l’examen des revendications  de puissance publique et étatique et le différend désormais ancien et  récurrent qui concerne la Somalie celle qui a pour capitale Mogadiscio.
Ce pays couvre environ 137.000 kilomètres carrés, a une population de près de 4 millions de citoyens  donc plus  nombreuse que dans certains pays voisins du continent connus et reconnus , souvent agriculteurs, éleveurs de chèvres et de bestiaux divers qui vivent  dans un rude désert de pierres . Sa capitale Hargeisa a environ 1 million d’habitants, où les constructions nouvelles en dur qu’il a fallu édifier - car en raison de la guerre 90% de la ville avaient été ravagés  outre les pertes humaines dramatiques -,  côtoient des habitats  anciens plus précaires faits de bric et de broc. Les routes bétonnées ou en bon état sont rares -on y voit des carcasses de voitures ou de matériel abandonnées – mais ce sont  plutôt des chemins ou pistes même en ville en terre qui dominent, et à la saison sèche  c’est la poussière qui vole, qui recouvre tout , personnes, animaux, arbres, maisons , mosquées, outils, matériaux et  qui se mélange avec les détritus  plastique qui jonchent tout, tous  et partout et colorent l’environnement. Les écologistes donneurs de leçons en occident  ont du pain sur la planche !. Les petits commerces de toute nature florissent . La nourriture est à base de riz et de pâtes (importées), de viandes diverses (nos végans s’étrangleraient de rage) , et de fruits. On boit de l’eau minérale en abondance jamais le moindre alcool croyance oblige -bien qu’une eau de robinet potable existe -, et le soir l’éclairage public est fort. Malgré l’agitation  globale car il y a beaucoup de monde dans les rues, des femmes  qui portent le voile ou la burka, les enfants des écoles qui vont et viennent, les hommes qui s’affairent, les chèvres  sans trop bêler  voire les dromadaires faméliques et déblatérants  qui circulent librement ,  le calme relatif surprend , et je n’écris pas l’ordre règne à Hargeisa car j’ai vu peu de policiers dans la rue  mais je suis peut être naïf ou inattentif , avec  une circulation  intense de grosses voitures 4/4 en très bon état  de fabrication japonaise . Bref à Hargeisa on vit comme partout ailleurs, le plus paisiblement possible (la délinquance est marginale selon les autorités ?) avec un niveau de vie adapté aux possibilités financières même s’il est naturellement  insuffisant (  le pays ne reçoit aucune aide internationale)  et que certains restent sur le bas- côté dans la pauvreté. On y entend chanter le muezzin régulièrement , mais on ne voit pas les fidèles prier dans la rue,  et le soleil se couche vers 18 heures du moins quand j’y étais avec une nuit très noire qui s’installe….
J’avais été invité comme connaisseur de l’ordre public international notamment, des organisations internationales, et de ce que l’on appelle un Etat, à participer les 11 et 12 octobre 2018 à Hargeisa, à une conférence cruciale pour le pays qui s’intitulait : « achievements and challenges ahead 27 years later ».J’ai passé près d’une semaine sur place en bougeant.  27 ans après la proclamation unilatérale de leur indépendance en 1991,  les autorités voulaient démontrer à la communauté internationale que leur  pays a atteint un niveau de démocratie et de fonctionnement qui lui permet d’être reconnu comme un autre Etat , même si tout n’est pas parfait, mais quel Etat peut se vanter de n’avoir pas de points faibles dans sa pratique quotidienne, ses valeurs, et en comparaison d’autres Etats. On peut toujours faire mieux.  M.joel Broquet grand spécialiste des diasporas africaines en France (qui jouent un grand rôle dans notre propre démocratie par exemple dans les banlieues)  et  président du partenariat eurafricain qui était aussi à l’origine de la mission , était le deuxième délégué qui venait de France.   Nous avions été  mandatés  pour observer et donner nos avis par le représentant du pays en France M.Ismael Ali Hassan : on ne peut dire ambassadeur car il ne peut présenter des lettres de créance officielles de son pays qui n’est pas -encore  -formellement un Etat mais il  exerce des fonctions similaires et gère aussi  la diaspora de ce coin  spécifique de l’Afrique . Participaient  à ce colloque des délégués venant d’Afrique, d’Asie,  d’Europe et du  reste du monde. C’est dire le sérieux du constat et des propositions. Il y eut deux jours pendant lesquels des personnalités du pays expliquèrent les politiques publiques, les réussites comme les échecs, les défis à relever, les demandes d’aide et de coopération. Chacun put apporter sa pierre à la construction de solutions réalistes pour améliorer la situation, critiquer cependant des initiatives ne paraissant pas pertinentes , en attendant que le pays devienne un Etat de fait établi comme de droit  classique aux yeux de la communauté internationale, dans la paix et surtout le rapprochement avec les frères de la Somalie voisine.  Nous avons eu l’honneur mon collègue et moi d’être reçus par le président de la république du pays, accompagné de son ministre des affaires étrangères qui avait organisé la conférence, et de discuter plusieurs heures en visitant avec de nombreux ministres et parlementaires , dont des députés venant de Djibouti parlant… français.
Il faut connaitre l’histoire de ce pays pour comprendre   ce qu’il veut obtenir depuis sa naissance il y a 27 ans.
Historiquement la Somalie dont le territoire s’étend  principalement le long de l’océan indien en partant de l’extrême est de la corne de l’Afrique, jusqu’aux frontières avec le Kenya et l’Ethiopie  du sud vient  du protectorat britannique sur la partie nord- ouest  (celle où j’étais) et du protectorat  italien pour le reste  avec sa capitale Mogadiscio , bien connue pour diverses raisons parfois mauvaises et reconnue par la communauté internationale. C’est une république fédérale.  En 1960 la Somalie gagna son indépendance sur le plan extérieur, mais sur le plan interne des conflits subsistèrent. La guerre civile éclata entre frères qui conduisit à une séparation de fait entre le pays à partir de 1991 et la Somalie « officielle » avec  des tentatives pour essayer de trouver une solution diplomatique et pacifique après une guerre violente  qui fut dévastatrice en hommes et infrastructures. Le 18 Mai 1991 fut actée l’existence de deux entités distinctes, dotées chacune d’un territoire délimité, de pouvoirs politiques, d’habitants, avec en commun l’islam comme religion. Le pays d’où je viens mit en place une gouvernance, et créa progressivement   un proto -Etat.
Je n’insiste pas sur les difficultés que rencontre la Somalie de Mogadiscio, qui eut des gouvernements erratiques, voir plus d’Etat, subit la pression islamique des shebabs liés à Al- qaida, le terrorisme et la piraterie maritime… Les Nations-Unies durent envoyer des casques bleus entre 1992 et 1995 :  ce fut la mise en pratique d’un droit d’ingérence humanitaire d’ailleurs non prévu par les textes, mais il fallait préserver l’essentiel, y compris pour la communauté internationale car cette Somalie bénéficiait et cela continue d’un siège à l’ONU,  et également à l’organisation de l’union africaine et à la ligue arabe notamment. En 2018 le pays connait toujours une crise sécuritaire très grave. Le quai d’Orsay déconseille d’y aller…
Depuis 1991 à Hargeisa- où j’étais -le pays est réel, visible, tangible,  mais il  n’existe pas en droit international puisque on ne lui reconnait pas le statut d’Etat. D’où ses espoirs pour l’être en montrant qu’il en remplit les conditions.
C’est la convention de Montevidéo de 1933  sur les droits et les devoirs des Etats qui a fixé 4 critères pour caractériser  un Etat  souverain. Il faut :
*être peuplé en permanence ;
*contrôler un territoire défini ;
*être doté d’un gouvernement ;
*être apte à entretenir des relations étatiques.
Le pays d’où je reviens entretient déjà des relations  commerciales avec de nombreux Etats ou leurs entreprises. C’est bien mais pas suffisant. Il prouve qu’il répond en outre aux 4 critères :
1-il y a régulièrement des élections .Le président actuel  est M.Musa Bihi Abdi élu pour 4 ans au scrutin majoritaire unilatéral à deux tours, mandat renouvelable une fois. Les observateurs internationaux n’ont formulé aucune remarque négative sur son élection. Le régime est présidentiel avec un vice-président et sans 1er ministre. Les 82 députés sont aussi élus, et il y a une chambre des anciens (une sorte de sénat ou chambre des lords) qui sont nommés. Des élections locales ont lieu. Il y a trois partis politiques officiels ;
2-Il y a une constitution officielle votée en 2000 qui allie la charia et les droits de l’homme, ce qui est  compatible selon les interlocuteurs rencontrés qui n’ignorent pas que l’on doute du respect  effectif des droits de l’homme. Ils répondent que cela s’apprend comme la démocratie et qu’il faut un haut niveau de vie économique et culturelle pour que l’on accepte certaines valeurs et pratiques ; leur droit s’appuie certes sur la charia mais aussi sur les coutumes, la loi du parlement, que le système judiciaire applique. La presse y est libre.
3- le pays est peuplé en permanence  dans les villes et villages, et il y a des nomades. On y parle d’abord le somali, puis l’arabe, et enfin l’anglais ou l’italien. Il y aurait 7-8% de francophones.  Il y a  un budget (les impôts rentrent bien m’a-t-on affirmé ?) ,une monnaie bien que l’opérateur Télésom ait créé un service de monnaie virtuelle (ziad) via le téléphone portable pour suppléer la faiblesse du secteur bancaire. Chacun respecte la religion d’Etat qui est l’islam toute autre religion étant interdite . Enfin on développe les richesses culturelles notamment  avec le magnifique site archéologique de Las-geel  fouillé par les spécialistes de l’université de Montpellier III ;
4- le territoire est bien délimité  et suit les frontières de l’ex-protectorat,  protégé par une armée organisée et bien équipée  en raison des menaces diverses. Il y a un différend larvé avec le Puntland au nord-est qui revendique sa place, mais c’est un statu quo. Le principal port Berbera  qui est proche de Djibouti joue un rôle grandissant. Il a une base navale et aérienne  qui a été concédée depuis février 2017 aux Emirats arabes unis pour 25 ans. Dubaï y a mobilisé des fonds importants pour prolonger le quai de plusieurs centaines de mètres.  L’Ethiopie a pris un accord pour un accès.
Le pays entretient  des relations étatiques, y compris avec la Somalie même si dans ce cas on avance peu, on fait plutôt du surplace !.
Les autorités estiment que leur pays qui est une démocratie selon elles, doit devenir un Etat et entrer dans le concert des nations. Elles ne sous -estiment pas les difficultés qui sont juridiques, diplomatiques , humaines et comprennent que les intérêts des autres ne  coïncident  pas avec les leurs, que la Somalie rechigne et  que la communauté internationale en particulier l’union africaine ne veut pas provoquer un appel d’air en faisant droit à leurs revendications. Mais elles pensent que l’on ne peut ignorer durablement  un peuple  qui a les mêmes droits  humains que les autres, qui ne doit pas être pénalisé par des prétextes de droit ou politiques au sens des puissances souveraines, et que l’histoire va dans leur sens. Les conditions de la naissance de ce pays peuvent être discutées, mais il y a des précédents similaires dans le monde, et ce pays ne cherche pas à s’étendre par la force, ou priver ses voisins d’un bout de territoire. Il a repris ce qui existait…

Je n’ai pas à donner de conseils car je n’ai aucune légitimité et je ne représente que moi. Je suis venu dans ce pays, j’ai vu, j’ai été convaincu qu’il y avait une gouvernance, une puissance publique, les attributs d’un Etat, même si je ne connais pas le dessous des cartes,  et que je sais que la vie internationale  n’est pas un long fleuve tranquille, que les enjeux sont stratégiques et qu’il faut être réaliste. Mais  rappelons nous la formule classique « ils ne savaient pas que c’était  impossible, ils l’ont donc fait ».
Quand un individu appelle au secours on l’aide sans arrière- pensée. Quand un peuple est uni et veut vivre ensemble  avec un destin commun cela devient une nation de fait  et on l’encourage. Quand la nation de fait  veut devenir un Etat en droit  reconnu par la communauté internationale on ne peut pas prendre le risque de la marginaliser ce qui est un échec  et un danger  pour tout le monde car on peut la jeter dans l’inconnu où tout est possible.
Si le commerce ne suffit pas,- car on ne peut tout privatiser-, si les accords bilatéraux ne peuvent rien, si la diplomatie ne trouve pas un compromis,  restent la justice internationale et le droit. Ce justiciable pourra ainsi réussir à s’imposer. Il devra respecter ses droits et devoirs, rendre des comptes, s’intégrer sur le plan régional et international ce qui est toujours un progrès pour l’humanité, donc un grand bond en avant pour la démocratie.
Ce pays c’est le Somaliland. 
Je suis de retour à paris. Je reviens de nulle part.