mercredi 30 septembre 2020

Ordre illégal et désobéissance civile à l’aune de l’ennemi invisible.

 

      Ordre illégal et désobéissance civile à l’aune de

                 l’ennemi invisible.

                 Par Christian Fremaux avocat honoraire.

 

On assiste depuis quelques jours à une fronde de certains élus de tous bords (à Marseille notamment), de professionnels qui souffrent comme les propriétaires de bars et restaurants, et de particuliers contre les mesures de précaution prises par le gouvernement pour lutter contre l’extension du covid-19 et pour éviter un reconfinement généralisé. Qui peut être contre ?  L’autorité-ou ce qu’il en reste- est mise en cause, ce qui est peu nouveau, et on ne veut pas respecter la loi ou les contraintes générales. Cela pose le principe du rapport à la loi. L’individu pour des raisons propres ou des intérêts personnels peut-il s’exonérer en toute bonne foi de ce qui soude le collectif mais qui ne lui plait pas à lui personnellement ?  L’Etat est-il devenu un adversaire ? Seuls les droits individuels comptent- ils ?  Je crains que les lignes qui suivent sur les théories ou les doctrines de la désobéissance en général -invoquée pour justifier les refus de se soumettre- soient d’actualité. Ce qui met en danger le pacte républicain déjà menacé dans sa cohésion. Surtout si des intellectuels ou des responsables politiques appellent à ne pas faire ce qui est demandé d’autant plus il faut l’avouer que parfois on ne voit aucune cohérence dans les décisions de l’Etat voire des contradictions internes, et surtout malheureusement avec peu de succès.

 

Dans cette période de pandémie beaucoup plus confuse que par le passé où ne planaient pas de risques pour la santé mais des menaces identifiées, s’y sont ajoutées l’anxiété et la peur car il y a des inconnues de toutes natures importantes à court et moyen terme. Même si les réactions ou revendications parfois brutales de diverses catégories sociales comme celles des individus durent depuis très longtemps on l’a vécu ces derniers mois, on a pris la mauvaise habitude par manque de courage pour ne pas faire de vagues donc à tort, de constater que certains ne respectent rien dans le courant ordinaire de la vie. Ce n’est donc pas faire un procès d’intention à quiconque de déplorer que pour toute décision publique il y a un refus de l’autorité, une répugnance à appliquer la loi, à considérer que toute disposition impérative voire toute simple recommandation, toute instruction générale sont inacceptables et abusives, à ne tolérer aucune contrainte quelconque et à croire qu’en désobéissant on est dans le camp du bien.  

Cette rébellion ou pour ne pas exagérer cette propension à discuter, protester, pinailler, douter, dire tout et son contraire, se retrouvent dans tous les domaines et chacun d’entre nous doit l’affronter : par exemple  dans la famille avec les enfants ; à l’école où les parents viennent agresser les enseignants ;  dans l’entreprise où la moindre remarque est considérée comme du harcèlement moral et de la discrimination ; en justice où les jugements rendus font polémiques ; et bien sûr dans la sphère publique quand les politiques votent des lois à la suite d’un processus démocratique. A peine élu, le responsable n’est plus légitime et il est soupçonné de prendre des mesures dangereuses voire régressives pour les droits acquis, de limiter les libertés individuelles et publiques au nom d’un objectif non avoué, et de prendre des décisions que l’on ne peut accepter.  Car seule l’opinion publique a raison, c’est -à- dire une infime partie de la minorité qui prétend savoir de source sûre et avec certitudes pour tout, ce qu’il faut faire.  Avec la crise sanitaire des sommets sont atteints avec les prétendus experts et les spécialistes du bavardage qui conduit au néant, qui réinventent le passé et avaient tout prévu.

Je ne sais pas si le « nouveau monde » voulu au moment de l’élection présidentielle mais désormais différent que l’on nous promet pour après la crise changera cet état d’esprit ou si les habitudes de l’ancien monde ressusciteront. J’espère que les vieux démons ne resurgiront pas.  Notre monde actuel est devenu un mode d’empêcher de gouverner en rond, sans avoir la moindre responsabilité et je pense à des médias en particulier, sans répondre de ses actes si on se trompe, au prétexte que la démocratie est une vérification permanente par le peuple ou ceux qui prétendent l’incarner, et qu’il est normal de s’opposer ou de dire non y compris par la violence. C’est de la vigilance active voire activiste dans le cadre d’un régime représentatif. Ce n’est pas ma conception de la gouvernance qui doit être évidemment contrôlée par les instances institutionnelles et l’application de la constitution, au nom du peuple qui n’appartient à personne même pas aux beaux esprits se disant plus éclairés que d’autres, mais comme je suis un senior qui a failli être confiné à vie, je dois être un has been. Je l’assume.

 

On a bien vu cette tendance avec les violations des mesures concernant le confinement, les millions de contrôles, les centaines de milliers d’infractions, les PV dressés et les renvois devant les tribunaux. Avec le déconfinement on constate encore plus de protestations et d’indignations sur les mesures du plan global de redressement comme on dit au tribunal de commerce pour faire repartir les activités et donc la croissance, pour déterminer qui fera les efforts, qui paiera la note finale, malgré l’explosion de la dette publique qu’il faudra un jour rembourser nous ou les générations futures que l’on veut préserver ? Chacun aura sa bonne idée. Celle qui vise surtout les autres. 

 Malgré les milliards du plan de relance venu de l’union européenne et un pognon de dingue qui est injecté, va-t-on aller sournoisement vers la solution facile de l’ancien monde d’un impôt dit du coronavirus, plutôt que d’innover et d’imaginer d’autres solutions qui toutes, soyons réalistes, demanderont des efforts.  Surtout que le processus innovant lié au déconfinement - reconfinement ciblé sera progressif et que des commerces risquent de souffrir plus tard que d’autres ce que je déplore pour les entreprises les plus fragiles mais bonnes pour le moral comme les bistrots restaurants et hôtels, marchés et spectacles. Le rétropédalage est aussi un moyen d’avancer si je peux dire, et de n’être pas contre -productif. Revenons à mon approche un brin partiale je l’avoue sur l’autorité mot qui fait geindre, et son non- respect. 

 Je voudrai me tromper et croire qu’il va y avoir un consensus, un défi commun, et un enthousiasme à tous relever les manches. Mais on assite à une vague de refus plus ou moins motivés, plus ou moins dans l’intérêt général, qui va renforcer l’esprit de désobéissance qui nous anime. Et la détestation de recevoir des ordres même élaborés démocratiquement. Guignol rosse le gendarme sous les applaudissements.  C’est le sujet de ces lignes. 

 

N’en faire que selon ses désirs est devenu un sport national, une manière de vivre et d’être, de se croire rebelles -sans risques d’ailleurs- de s’en prendre aux pouvoirs publics tout en profitant des avantages et en négligeant que l’Etat ce n’est pas moi comme le disait Louis XIV mais nous, tous les citoyens. Refuser d’obéir, de se soumettre à la loi, c’est considérer que la liberté individuelle est un principe supérieur à toute autre considération, en particulier si elle nous concerne. L’intérêt général devient secondaire.

On doit se rappeler ce que prêchait le père Henri Lacordaire (1802-1861), membre de l’Académie française et homme politique : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Examinons cependant deux concepts : l’ordre illégal et la désobéissance civile.

La 1ère catégorie de désobéissance consiste pour un militaire surtout (un fonctionnaire aussi) à ne pas exécuter un ordre qui lui parait illégal. C’est la théorie des « baïonnettes intelligentes ». L’article 122-4 du code pénal précise que « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime sauf si cet acte est manifestement illégal ». La difficulté en justice est de savoir comment on interprète le « manifestement illégal » : un ordre exagéré, mal conçu, ambigu, mal formulé… ne correspondent pas forcément à la définition, ni celui qui est contraire à sa conscience. J’ai plaidé jadis quelques dossiers de ce genre quand le tribunal aux forces armées existait encore. Ce fut toujours difficile en faits, en sémantique, en morale, donc en droit. Je donne l’exemple atypique et ancien des gendarmes qui sur ordre du préfet ont mis le feu à des paillottes sur une plage corse. Ils ont été condamnés. Mais cette théorie veut dire aussi que désobéir à l’autorité est admis par la loi dans des conditions très strictes cela va de soi.

Dans le cadre de la crise du coronavirus, des mesures qui restreignent les libertés individuelles pour un temps déterminé avaient été votées dans le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire, et le confinement a été ordonné. On a déconfiné mais on peut retourner à cet état ancien selon les endroits. La menace plane, la peur rôde.  L’ordre public est légal. Les pseudos résistants à son application qui inventent des prétextes aussi farfelus que dérisoires pour circuler librement, se réunir entre copains ou famille, continuer à vivre insouciants sont dangereux pour eux -mêmes, leurs proches, et tous ceux qu’ils croisent. Cela me permet d’aborder un autre aspect de la désobéissance.

 

La 2ème catégorie de désobéissance concerne ceux qui sont persuadés de détenir la vérité, par exemple sur le réchauffement climatique ou l’environnement en général, avec la décroissance nécessaire, et qui dénoncent la main nocive de l’homme partout notamment avec les méfaits de la finance. Ils occupent des terres, ils se battent pour que tel projet soit abandonné. Ils savent tout en matière de virus et ne croient pas les spécialistes …Ils n’ont pas tout faux, mais ils n’apportent aucune vraie solution. Avoir des intuitions ou des certitudes non vérifiées et validées (voir la polémique actuelle sur les médicaments ou le vaccin) ne garantissent pas des résultats heureux. Et le pouvoir ne peut prévoir des politiques publiques sur des hypothèses. Tout chef d’entreprise le sait. On ne joue pas à la roulette russe avec la santé, ou l’économie. Comme on a les modèles et les penseurs que l’on mérite, je cite mon maître du bon sens Coluche qui définissait le capitalisme « comme l’exploitation de l’homme par l’homme, et le syndicalisme par le contraire ».

Les militants qui désobéissent en se disant pacifiques mais en n’hésitant pas à faire le coup de poing avec les forces de l’ordre, utilisent le concept de désobéissance civile pour se justifier. Elle a été décrite en 1849 par le philosophe, naturaliste et poète né en 1817 à Concord (usa) Henry David Thoreau.  En juillet 1846 il avait refusé de payer un impôt à l’Etat américain pour protester contre l’esclavage dans le sud du pays et la guerre au Mexique. Il ne va passer qu’une nuit en prison car sa tante va payer sa caution. Furieux il décide de théoriser son action sans oublier « le discours de la servitude volontaire ou le contr’un » d’Estienne de la Boétie (1530-1563) qui est une remise en cause de la légitimité des gouvernants à propos d’une révolte antifiscale - déjà - en Guyenne en 1548. Ce texte de La Boétie traduit le désarroi d’une partie de la population souvent cultivée devant la réalité de l’absolutisme. La question est : « pourquoi obéit-on ? ».

 

Avec la désobéissance civile on refuse de se soumettre à une loi ou une mesure qui nous paraissent injustes. On s’interroge : « le légal est-il juste ? » alors que l’on est en république et que l’absolutisme n’existe plus et sauf à penser que l’Etat est totalitaire.  On en appelle à la conscience personnelle, aux valeurs qui nous motivent, à la définition du bien et du mal, à l’intérêt collectif outre à l’impuissance des Etats face à des firmes mondialisées.

On connait les désobéisseurs collectifs (les anti-zadistes) qui défendent une cause et les quasi- professionnels proches des mouvements anarchistes, nihilistes ou anticapitalistes. On a pu vérifier que la violence était un moyen d’action fréquent. Dans une démocratie c’est intolérable.

 Il y a aussi des désobéisseurs individuels qui font passer l’humain avant tout comme récemment M. Cédric Herroux agriculteur installé près de la frontière franco-italienne qui aidait les migrants illégaux.  Son cas a fait progresser le droit. La cour de cassation par le biais d’une QPC a interrogé le conseil constitutionnel qui a jugé que le principe de la fraternité à but humanitaire bien sûr, faisait désormais partie de notre bloc constitutionnel comme la liberté et l’égalité de notre devise [décision du 6 juillet 2018].

Une société moderne complexe par définition qui ne sait pas répondre immédiatement à ce qui n’est jamais arrivé et est imprévisible, ou qui envisage les meilleures décisions pour l’avenir par des réformes, ne peut bien fonctionner qu’avec l’acceptation par le plus grand nombre des lois et règles votées démocratiquement. C’est de la responsabilité de chacun. Certes il n’est pas interdit d’avoir une confiance raisonnée envers nos décideurs et de conserver l’esprit critique, car nul n’est parfait et on peut se tromper. Mais la désobéissance pour avoir raison ou par principe ne peut mener qu’au désordre civique, à l’incapacité d’agir, à la chienlit aurait dit le général de gaulle. La vérité est protéiforme et seule la légitimité démocratique par l’élection permet de progresser. La désobéissance conduit à l’impasse exceptés quelques exemples historiques. 

 

lundi 21 septembre 2020

L’Etat et/ou la justice sont- ils les serviteurs des particuliers ?

 

L’Etat et/ou la justice sont- ils les serviteurs des particuliers ?

Par Christian Fremaux avocat honoraire.

Les années passent et se ressemblent. Désormais le pire succède au pire mais il faut agir, l’Etat est attendu.  Par moment on s’interroge et on se demande où est l’intérêt général, qui le défend, et on voudrait savoir si l’Etat est au service des particuliers/citoyens et électeurs ou s’il a une mission plus globale ?  On se rappelle l’apostrophe énervée d’un gilet jaune à M. Macron venu discuter : « vous êtes mon serviteur ! » ce qui résume l’état d’esprit ambiant et le peu de considération que l’on a envers les autorités publiques, même si on peut comprendre le désarroi de certains et leur précarité. Il en est de même en matière de justice : celle-ci doit-elle avoir pour mission principale de préserver les intérêts supérieurs de la nation, conforter les valeurs républicaines et traditionnelles du droit positif ou doit- elle faire droit uniquement à des demandes particulières puisqu’elle doit répondre aux questions qui lui sont posées quitte à remettre en cause la cohésion morale ou de conscience en créant la polémique ? En un mot à quoi sert l’Etat sous toutes ses formes : pour qui gouverne-t-il ?

 M. Jospin premier ministre avait dit que l’Etat ne peut pas tout. Il a trainé cette vérité comme un boulet car on lui a reproché de ne vouloir rien faire. Il y a quelques années assez récentes on disait que l’Etat devait être minimum, qu’il fallait revoir son périmètre pour le réduire aux fonctions régaliennes et ainsi diminuer drastiquement les dépenses publiques. Il y avait plus ou moins consensus sur cette nécessité. Mais la crise de 2008 puis celle du covid-19 notamment couplée à la crise de la sécurité (ou de l’insécurité selon les sensibilités), à l’économie qui rame, à l’anxiété qui fait douter et la demande des citoyens ont tout remis en cause.

Le même reproche d’impuissance de l’Etat à trouver des solutions concrètes et rapides revient avec les dépôts de bilan liés (ou non) à la crise sanitaire. Comment va-t-il les empêcher ? M. Tapie ministre voulait une loi qui interdise les licenciements : est-ce envisageable ?  L’Etat conseillé par des éminents et très nombreux experts épidémiologistes n’arrive pas à faire disparaitre le virus - à l’impossible invisible nul n’est tenu - ou à trouver des bonnes mesures sans confinement généralisé. On le critique sévèrement et on engage des poursuites pénales contre les ministres. On a déjà saisi les juridictions pour dénoncer les insuffisances du gouvernement en matière de lutte contre le réchauffement climatique. 

Quand la société Bridgestone annonce qu’elle fermera en 2021 son usine de Béthune qui est la moins rentable du groupe selon la direction, on se tourne illico vers l’Etat. L’émotion est à son comble ce qui est légitime pour les salariés qui perdent leur travail, et les politiques emploient les qualificatifs les plus durs voire les insultes pour dénoncer des dirigeants de l’usine sans cœur et profiteurs d’argent public sans contrepartie avérée.  Le gouvernement s’écrie qu’il « fera tout » pour sauver les emplois, sans dire quoi, comment, selon quel coût et quand. On le sait bien : en matière industrielle privée l’Etat ne peut que gesticuler et aider : il ne dirige et ne décide pas, et quand il est actionnaire d’une entreprise il n’est pas compétent pour gérer.  Les travailleurs et leurs syndicats ne l’ignorent malheureusement pas : faute d’une perspective industrielle ou d’une reconversion réelle en concertation avec ceux qui font tourner la boutique le site risque de disparaitre. L’indignation médiatique a payé provisoirement : les ministres concernés sont allés sur place et un accord de méthode permettra pendant 5 mois de négocier. Mais la direction de Bridgestone n’a pas renoncé. Les pouvoirs publics n’ont pas gagné.

 L’Etat n’est ni magicien ni doté de pouvoirs de coercition contre des dirigeants d’entreprise. On se rappelle un candidat devenu président de la république perché sur le toit d’une camionnette qui avait dit qu’avec lui élu, le site ne fermerait pas. C’était ArcelorMittal à Florange en 2012. On avait promis une loi. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient disait Raymond Barre. On peut citer d’autres exemples, mais je ne veux pas faire perdre le moral à quiconque car il faut être volontariste.  La conclusion navrante est que toujours en 2020 l’Etat ne peut sauver tous les emplois et donc les particuliers et je le regrette profondément. Il doit travailler en amont et en permanence en ayant des politiques plus préventives. On ne fera croire à personne que la situation de Bridgestone n’était pas connue : je crois qu’un accord de compétitivité a été proposé aux syndicats début 2020 qui a été refusé certainement pour des bonnes raisons. C’était à ce moment qu’il fallait agir. Et il semble évident qu’il faut donner aux autorités décentralisées régions comme départements, plus de moyens en matière économique voire sociale, pour trouver des solutions locales. L’Etat a la charge de l’intérêt général mais il n’est pas interdit qu’il en confie aussi la responsabilité aux élus de terrain avec l’aide des services déconcentrés que le préfet dirige.  L’intérêt général se nourrit de la cohésion sociale, des intérêts des particuliers, et de l’humain avant peut être de la finance et l’équilibre d’une société à vocation mondiale. Une nation doit avoir un Etat fort et respecté : mais il doit faire la preuve de son efficacité au profit de tous les citoyens.  

En matière de justice le débat est récurrent sur le « pouvoir » des juges (notamment en matière pénale mais ce n’est qu’une petite partie des contentieux) et pour savoir si une décision ne fait pas droit à un particulier s’il s’agit ou non d’une décision liberticide ? Les juges ont- ils une obligation de résultats ou ont- ils - ce que j’espère et crois - une libre appréciation même si elle n’est pas favorable ? Peut- on faire de la peine à un justiciable qui mène un combat que l’Etat n’a pas abordé ?  Cela éviterait de revenir à l’éternel débat sur l’indépendance des juges ! Je cite un cas d’espèce tiré de l’actualité qui m’a ouvert des abîmes de réflexion, mais je ne suis qu’un vieux conservateur.  Je résume au mieux les faits et je m’excuse de mes raccourcis.

Un monsieur a eu deux enfants avec sa femme. Puis étant transgenre il est devenu lui-même femme ce qui a été transcrit à l’état civil conformément à une loi de 2016. Toujours marié il avait eu avec sa femme un troisième enfant en 2014 car il n’avait rien perdu de ses attributs virils. Il a voulu aller encore plus loin et que pour l’état civil de son dernier enfant l’administration l’inscrive comme mère. Il y a eu conflit d’où la saisine des juridictions.   La cour d’appel de Montpellier a quasi fait droit à sa demande en lui conférant un statut inédit : celui de « parent biologique ». La cour de cassation a été saisie et par arrêt du 16 septembre 2020 elle a cassé l’arrêt de Montpellier en renvoyant le dossier devant une autre cour d’appel, en considérant que la filiation pouvait être reconnue par la voie de l’adoption, et que dans l’intérêt supérieur de l’enfant on ne pouvait accéder à la demande. Elle a donc refusé le statut de mère à un homme devenu femme.

L’avocat du monsieur/dame et l’association qui soutenait son combat ont crié à une « violation des droits et libertés essentiels » et que la cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg serait saisie au plus vite. Je ne me prononce pas sur le fond humain de ce dossier et je respecte les motivations profondes du demandeur mais je m’interroge sur l’aspect égalité humaine du jeune enfant surtout pour son avenir et ce qu’il pensera quand il sera adulte :  l’enfant n’a -t -il pas droit à avoir un père et une mère comme ses ainés, et non pas deux mères , sujet vaste par ailleurs avec des projets législatifs en cours sauf erreur ?  Plus sérieusement juridiquement ce procès pose la question des droits de la société puisque on peut tenter de remettre en cause les fondements en droit de la filiation et de l’état civil. Les droits individuels ont -ils vocation à être illimités seraient -ils en contradiction avec les tendances lourdes de la société et de la majorité silencieuse.  La cour de cassation semble avoir voulu dire que la vie privée ne peut pas prendre le dessus sur le droit existant qui concerne tout le monde.   

  La question est :  l’Etat à travers sa justice rendue au nom du peuple français peut- il faire droit à toutes les demandes quand la loi est muette, avec des requêtes infiniment rares comme spécifiques pour satisfaire l’envie irrépressible et de bonne foi d’un individu ? On sait que des militants plaident pour la disparition des termes père et mère ; veulent dégenrer les cours d’école, imposer l’écriture inclusive et se réservent d’autres nouveautés qu’ils estiment progressistes.

 L’Etat pouvoir exécutif par ses décisions propres ou à travers la justice – « simple » autorité judiciaire- doit- il être un distributeur automatique de droits nouveaux ou un justicier (masqué évidemment) si la morale ne coïncide pas avec le droit ou des besoins pragmatiques comme le maintien de l’emploi ? Doit-il confier le soin aux juges dans leur indépendance de créer des règles en évitant ainsi des débats publics dans des domaines délicats qui engagent l’avenir comme par exemple la bioéthique qui touche à la morale personnelle, à la conscience de chacun, et qui peut bouleverser notre société ? « Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante » a écrit Montesquieu. La justice n’est pas un laboratoire d’idées ou un substitut au peuple qui ne s’est pas exprimé sur un sujet donné.

Et l’Etat peut de moins en moins d’où l’urgence de le réformer en profondeur, de ne lui confier que ce qui est vital, qu’il garantisse l’état de droit et le fonctionnement des institutions, et assure la redistribution pour ne pas oublier les plus faibles. On doit pouvoir avoir confiance et faire participer la société civile à l’intérêt général qui n’est pas le monopole exclusif de l’Etat.  Celui-ci a le devoir de garder les intérêts collectifs supérieurs de la nation et de ne pas s’aventurer sur des chemins sinueux qui conduisent à l’inconnu. Il n’est le serviteur de personne, il doit rester le maître même si certain(e)s trouvent cette appellation connotée y compris… pour les avocats ! On progresse !

Cessons de demander tout à l’Etat ou à la justice qui d’ailleurs « rend des arrêts et non des services » comme le déclarait jadis le 1er président de la cour d’appel de paris et pair de France Antoine-jean Séguier.  

mardi 15 septembre 2020

ne cédons pas à la facilité


Ne cédons pas à la facilité.
               Par Christian Fremaux avocat honoraire.
Il fallait s’y attendre. Après la polémique sur les termes ensauvagement et celui de sentiment d’insécurité les français qui craignent d’être des victimes réelles ou potentielles pour des faits malfaisants de toute nature ont répondu à un sondage qu’ils étaient pour le rétablissement de la peine de mort. Docteur Guillotin au secours on confond 2020 et 1789. Ce n’est pas la bonne période pour les avocats pénalistes devenus ministres. Me Badinter doit être dans tous ses états, et Me Dupont-Moretti doit penser que défendre un individu aux assises est plus facile que défendre le peuple français face aux agresseurs.
Le manichéisme en matière de justice pénale n’est pas acceptable car si la répression à outrance avait stoppé les violences, les meurtres, les assassinats, et les attentats on le saurait. De même si la prévention avait porté tous ses fruits, on vivrait heureux sans récidive dans une société parfaite. Mais si tel n’est pas le cas et que l’on constate que le mal existe, que le bon sauvage de J.J. Rousseau est devenu dans la vie des gens un dangereux délinquant, ou un citoyen qui ne respecte aucune règle et qui pourrit le quotidien, il faut en tirer les conséquences. Faire l’autruche n’est pas une politique, dénier la réalité non plus, vouloir respecter à la lettre les droits de l’homme que les délinquants ignorent eux, donner des chances successives à ceux qui s’en moquent, accepter toutes les différences qui sapent les fondements de la république et qui fissurent la nation, et renoncer devant un climat délétère où chacun estime n’avoir que des droits sans devoirs, c’est s’exposer à une escalade qui ne peut rien produire de positif. Notre démocratie représentative est fragile et on sent bien qu’elle peut basculer dans le pire. Nous devons faire un effort collectif pour retrouver ce qui fait sens, nos valeurs traditionnelles, y intégrer des notions nouvelles et faire en sorte que tout le monde ait sa place, à la condition que les candidats ou ceux nés sur notre sol jouent le jeu et ne dénigrent pas ce qui existe en parlant systématiquement de racisme, de discriminations structurelles et d’inégalités voulues, exigent d’obtenir pardon pour  ce qui a été ou est à l’étranger, veulent des excuses pour ce que nos très anciens aînés ont cru devoir bien faire. On ne bâtit pas l’avenir en démolissant le passé.
Le citoyen sait qu’il n’y a pas de solutions miracles en matière d’insécurité, et que c’est l’affaire de la société en général de mettre en œuvre les moyens qui s’adaptent aux nouveaux comportements. Oui je n’hésite pas à l’écrire : c’est à la société d’adapter les outils juridiques et autres supports techniques pour faire face aux nouvelles menaces, car si l’on attend que le délinquant potentiel attiré par les profits faciles, ou en proie à ses pulsions morbides qu’aucun spécialiste médical ne décèle, décide de bon gré de rentrer dans le rang pour travailler et participer à l’effort comme tout un chacun ou devenir un homme-femme lambda, on s’égare. Il ne faut pas préparer la dernière guerre. Il faut prévoir, anticiper et avoir les réponses à ce qui peut arriver de pire ou de destructeur du lien social.  Car au- delà de l’économique et du social, les problèmes de sécurité et de justice sont des éléments du climat difficile actuel, de la défiance envers les institutions, du manque d’autorité et du fait que le citoyen réclame des actes et moins de paroles.
La peine de mort tient la corde dans les sondages. Qui s’en étonnerait tant la solution est facile. Mais pour qui et pour quoi ? Quel ministre monterait à la tribune de l’assemblée nationale pour plaider son retour ? Même pas un ancien avocat commis d’office ! Mais on comprend les motivations qui conduisent à cette réponse. Je pense aux crimes de sang qui indignent ; les violences volontaires aussi chez les jeunes sans vraies raisons et très brutales ; les attentats qui frappent à l’aveugle mais qui sont signés pour nous déstabiliser et faire tomber notre civilisation… On est là en légitime défense et la société a le droit de se défendre et de punir très sévèrement.  Ces cas très très graves sont quand même peu fréquents heureusement même s’il y en a de trop. L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales rattaché à l’Inhesj (et début 2021 à  I’Ihemi ?) les décrit et donne des explications.  Après un procès qui doit intervenir le plus rapidement possible et non des années plus tard, la sanction doit être de la prison ferme, et il faut réfléchir pour savoir si on maintient les dispositions actuelles d’exécution de la peine puis de la libération, ou non. Il ne faut jamais priver un coupable d’espoir, mais on peut en durcir les conditions ?  La société ne doit pas appliquer les méthodes des criminels. Elle ne peut donner la mort : elle doit préserver la vie.
La peine de mort ne répond pas non plus à ce qui exaspère ou qui cause des dommages de moindre importance, même si la victime veut avoir sinon vengeance au moins réparation et que le responsable soit sanctionné.  Ainsi le squatteur qui « vole » une propriété, ce qui révulse tous les propriétaires qui se sont sacrifiés pour acheter leur bien. Ne faudrait-il pas une loi plus efficace ?  Ou celui qui fait des rodéos motorisés dans les rues : qu’il soit condamné à les nettoyer ! Pour la plupart des infractions importantes je ne crois pas que les juges soient laxistes. Ils appliquent la loi que nos parlementaires votent : ceux-ci ont décidé qu’à moins d’1 an de prison prononcée il fallait trouver une alternative à l’enfermement. Si les citoyens ne sont plus d’accord, qu’ils fassent changer la loi et /ou ne votent pas pour des candidats qui ont d’autres raisonnements que les leurs.  Le responsable n’est pas toujours l’autre. Le citoyen-électeur doit user de ses armes. Ne cédons ni à la fatalité ni à la facilité.
Il ne peut y avoir des boucs émissaires. La France a un passé, une histoire qui se construit tous les jours et des élus verts ont le droit de ne pas aimer le tour de France cycliste ou l’arbre de nöel. Mais on a aussi le droit d’être en désaccord avec eux, de ne pas voir le mal partout , de ne pas vouloir de la société qu’ils prônent , d’être conservateur et libéral puisque l’Etat ne peut pas tout, ce qui ne veut pas dire ringard, et de penser que la France vient de loin , que la république qui a fêté l’anniversaire des 150 ans de la 3ème a des valeurs solides toujours modernes  qu’il faut conforter, et que le consensus est préférable  dans la vie quotidienne à de prétendus progrès qui sont dans la tête de certains exaltés.  
La démocratie participative que beaucoup réclament s’en portera mieux. Les effets d’annonces ne concernent que ceux qui y croient. En matière de justice soyons fermes en donnant à nos magistrats les textes et solutions pratiques dont ils ont besoin. Sans pour autant réchauffer un débat qui n’a pas de sens, sachant que l’on ne prend pas un marteau pour écraser un virus serait- il le covid-19.
Et rappelons-nous la formule de John Kennedy : « ne te demande pas ce que ton pays peut pour toi. Demande- toi ce que tu peux faire pour ton pays ».    

vendredi 4 septembre 2020

le sentiment d'insécurité:bis repetita.


Le sentiment d’insécurité : bis repetita.
par christian fremaux avocat honoraire.

Je me souviens. En 1989 M.Pierre Joxe était ministre de l’intérieur et les problèmes d’insécurité avaient explosé. On discutait déjà du sexe des anges ce qui a perdu Byzance, pour savoir si ce qu’on appelait les faits divers à l’époque étaient surestimés, si c’était une réalité ou un simple sentiment c’est-à-dire une appréciation subjective souvent exagérée et ne reposant sur aucune certitude. A l’image de l’Ihedn (institut national des hautes études de défense nationale) qui existait depuis des années et qui permettait à des experts militaires comme civils de la défense nationale de réfléchir sur les menaces, d’analyser avec tous les moyens de l’Etat, de proposer des solutions aux pouvoirs publics, et de pouvoir réagir vite s’il le fallait, M.Joxe créa l’Ihesi institut  des hautes études de la sécurité intérieure ( à vocation nationale) et il y ajouta l’observatoire national  de la délinquance et des réponses pénales (ondrp) comme outil statistique, que M.Alain Bauer pilota avec maestria. Connaissant le mot de Churchill : « je ne crois pas aux statistiques sauf celles que j’ai moi -même falsifiées ».
La première promotion eut lieu en 1990 : après sélection nationale sur dossier puis entretien individuel elle regroupait une centaine d’auditeurs admis parmi la haute fonction publique, les hauts gradés de la gendarmerie et de la police nationale, le corps préfectoral… enfin tous ceux qui concouraient à la sécurité publique, avec des magistrats, quelques parlementaires et des membres de la société civile. C’est le ministre de l’intérieur qui validait les candidats choisis par arrêté publié au journal officiel.  Comme avocat je fus retenu dans la 2ème promotion de 1991. Un des intérêts majeurs de cet institut est qu’il mettait en contact des responsables publics comme privés qui auparavant ne se parlaient pas, ignoraient l’état d’esprit et les contraintes des autres, leurs fonctionnements, et permettait ainsi de nouer un dialogue positif permettant d’agir concrètement avec plus d’efficacité.
 Tout en continuant à exercer leurs activités professionnelles, les auditeurs recevaient une formation pluridisciplinaire au plus haut niveau, participaient à des groupes de travail et rendaient des rapports circonstanciés et documentés, faisaient des visites sur site ( je me rappelle avoir passé quelques jours dans la vallée de la Sambre, avec toutes ses friches industrielles ,le chômage, la délinquance…) et se déplaçaient à l’étranger pour comparer. L’institut avait de nombreux chercheurs de toutes disciplines, s’intéressaient aux matières liées à la délinquance, au terrorisme, aux menaces nouvelles qui émergeaient, organisait des colloques aux thèmes pointus, faisait venir les responsables en fonction de la sécurité et de la magistrature pour qu’ils parlent de leurs expériences de terrain, et alimentait les pouvoirs publics de ses conclusions.
 Le sentiment d’insécurité fut disséqué, vérifié, étudié scientifiquement. Je peux citer entre autres multiples études, le travail de M. Sébastien Roché qui continue à faire autorité.
L’Ondrp outre ses analyses des infractions en général catégories par catégories, avait commencé à faire aussi des enquêtes de victimation qui consistent à demander aux victimes quelles infractions elles ont subi, dans quelles circonstances, avec quels impacts matériels ou psychologiques et un rapport volumineux était rendu au ministre solennellement chaque année.  Alain Bauer est devenu professeur de criminologie et est un expert mondialement connu, invité dans les médias et ayant l’oreille de nos gouvernants.
L’Ihesi prit une dimension considérable au fil des années, se transforma en Inhes (institut national des hautes études de sécurité) puis ajouta le J pour justice car on avait pris conscience que sécurité et justice étaient liées. L’institut devenu établissement public administratif fut placé sous l’égide du 1 er ministre pour en faire un outil transversal interministériel. IL est encore l’Inhesj institut national des hautes études de sécurité et justice. J’écris encore car M.Edouard Philippe premier ministre a décidé fin 2019 de le supprimer  comme d’autres organismes publics ayant moins de cent personnes , pour de bonnes raisons  selon lui  mais je pense essentiellement budgétaires car la sécurité et la justice restent en pointe de l’actualité. Il serait désastreux de se priver d’un tel outil de gestion des crises, du management de la sécurité, de l’étude de la violence et de la délinquance, des menaces terroristes et sanitaires, de la cybercriminalité, de la protection des entreprises et des données personnelles, de l’immixtion des réseaux sociaux … Bref on a besoin d’un tel institut.
J’ai fait ce rappel historique pour montrer qu’on dispose déjà de nombreux rapports, que l’on a circonscrit les problèmes, et que désormais on sait que l’on ne pourra jamais empêcher un crime et que l’homme commette le mal, ni des violences y compris dans la famille ce qui est désolant puisque on croit y découvrir l’amour et la bienveillance. Et si on déplore la délinquance, les incivilités, le manque absolu de respect et de civisme, l’émergence de difficultés qui ressurgissent avec des idéologies ou des religions radicales, on a des solutions à condition qu’il y ait une volonté politique qui s’appuie sur un consensus citoyen et sur les valeurs de la république. C’est bien de s’indigner ; c’est bon de ne vouloir stigmatiser personne. Je suis pour l’humanisme mais à la condition que les coupables y mettent du leur, que la société se ressaisisse, que les citoyens qui dérapent tentent de « s’empêcher » comme le disait le père d’Albert Camus, que le civisme refleurisse, et que l’on soit tous d’accord pour faire gagner tout le monde dans la société apaisée et réunie sans séparatisme et sans vouloir imposer des règles ou des coutumes qui ne correspondent ni à notre identité ni à notre corpus de droit ou de valeurs universelles.  Ce qui n’enlève rien aux débats publics, aux contestations, aux réclamations pour plus de partage ou de redistribution. Mais la sécurité et la justice ne doivent pas permettre des polémiques et l’accusation de laxisme ou au contraire de tout répressif donc de mesures liberticides, n’a pas lieu d’être. Il faut trouver le bon équilibre, celui qui protège, celui qui rassure.    
L’ Ihedn  a sauvé son existence tout en devant se restructurer : je m’en réjouis comme ancien auditeur. L’Inhesj est repris à partir de janvier 2021 par le ministère de l’intérieur, sans qu’on n’en connaisse encore exactement les modalités pratiques en détail et les compétences en matière de formation que conserve le ministère de la justice. Mais la sécurité ou l’insécurité comme on veut font de nouveau parler d’elles avec vigueur.  C’est un retour vers le futur.  
Cet été 2020 fut terrible en matière de délits et crimes, sans compter les incivilités, le non- port du masque et les attaques très graves contre les représentants de la puissance publique devenus des cibles qu’ils soient maires, policiers et gendarmes, pompiers, médecins en y ajoutant conducteurs de bus … Je ne peux tout décrire M. l’ancien avocat général Philippe Bilger ayant rappelé avec talent et modération sur son blog en disant qui faisait quoi où et quand. On a donc les informations. La crise de l’autorité a pris une ampleur inégalée. Des jeunes -ou des moins jeunes-que l’on ne définit pas mais que l’on reconnaitra se sont distingués en matière de violence extrême et de provocation ou de batailles rangées avec armes de guerre sur fond de trafics naturellement et pas pour réclamer du travail ; des récidivistes ont agi, dont un odieusement sur une jeune fille qu’il a violée et tuée. Le procès de l' attentat contre Charlie hebdo  s’est ouvert avec la souffrance enfouie des victimes, ce qui a mis l’accent sur les dangers réels et potentiels et révélé que la menace terroriste était toujours présente. Par ailleurs on sait que des territoires sont en danger, perdus pour l’état de droit comme l’a signalé M.Benssousan en 2002 et  ce que M.Ch.Guilluy a confirmé. L’universitaire Gilles Kepel a dit pourquoi.  Donc l’habitant lambda qui y habite s’inquiète car il vit les désordres. Ce n’est pas un simple sentiment.
 M.Darmanin ministre de l’intérieur incarne le glaive de l’Etat et les devoirs collectifs. Il est dans le réel quotidien. Il  a parlé d’ensauvagement de la société ce qui est un cran bien au- dessus des sauvageons de M.Chevènement et peut égaler les racailles de M.Sarkozy. Le ministre de la justice Me Dupond-Moretti ténor du barreau soucieux des droits individuels et conscient à juste titre que la société n’a pas besoin d’être encore plus électrisée a contesté cette appréciation en disant que l’insécurité était plutôt de l’ordre du fantasme, que la France n’était pas à feu et à sang (il a raison sur ce plan heureusement) et que tout fait criminel, délictueux ou autre serait puni au plus vite. On s’en réjouit si on donne aux magistrats les moyens de se prononcer peu après les faits prouvés par les forces de l’ordre. Plus il y a de greffiers et de juges mieux c’est : on a la justice que l’on se paie. Elle participe à effacer au moins le sentiment d’impunité.
 Mais un fantasme qui s’appuie sur des faits avérés est- ce encore un fantasme qui relève de l’imaginaire et de l’inconscient ? Et serait-ce le cas on doit combattre aussi ledit fantasme qui crée des polémiques et de l’incertitude voire de la peur irraisonnée. C’est un devoir du gouvernement tout entier, et aussi des citoyens puisque la sécurité est l’affaire de tous, avec désormais l’appui de la sécurité privée et des polices municipales, voire l’intelligence artificielle en matière de technologie. On ne rêve plus d’une société parfaite : on doit agir.   
Il ne faut pas avoir peur des mots.  Peu importe celui qui les emploie, leur origine n’est pas en cause. Ne pas nommer précisément c’est se condamner aux malentendus et à l’erreur. Jean-jacques Rousseau voulait écarter les faits qui ne correspondaient pas à sa pensée philosophique et contrariaient son argumentation pure ! L’individu de base, père de famille qui travaille, paie impôts et taxes, élève ses enfants selon ses valeurs familiales, use parfois de mots durs un brin excessifs. Il n’habite pas Saint -germain-des prés et n’a pas lu Michel Foucault. Il ne disserte pas sur la prison et la nécessaire punition. Il n’a pas l’impression qu’il encourage le désordre ou la chienlit ou la casse ou qu’il développe l’instinct de rébellion ou de désobéissance. Il a plutôt le sentiment qu’il sécurise ceux qu’il aime. 
 On a donc entendu revenir le vieux débat qui date de 1989 et qui paraissait être clos sur le sentiment d’insécurité. C’est désormais la notion de sécurité globale qui s’est imposée avec des causes protéiformes. Le sentiment d’insécurité est une vieille lune.  Naturellement ce n’est pas la sémantique qui compte, mais les actes pris par les pouvoirs publics pour ralentir ou plutôt stopper la montée de la violence et les infractions qui sont commises à toute occasion y compris pour de prétendus bons motifs ou surtout de moins bons voire de prétextes fumeux il faut l’admettre : ainsi quand le PSG perd on casse les champs Elysées. S’il gagne aussi car on est content ou pas assez quoiqu’il arrive et il faut se défouler après le confinement.
 Il faut cesser aussi de faire passer l’émotion avant toute raison et vérification contradictoire des faits. Le sentiment de faiblesse résulte de ce qu’on inflige un rappel à la loi pour l’agression d’un élu par exemple. Le sentiment d’insécurité vient du fait que ceux qui n’ont été victimes de rien (ou pas encore pour les plus pessimistes) voient ce qu’il est arrivé aux victimes réelles et en sont solidaires. On a la justice que l’on se choisit. Il appartient à nos parlementaires de voter des lois et des punitions à la hauteur de l’ambiance et des risques de 2020 et du comportement de certains dont des mineurs qui ne veulent pas se plier à la règle commune avec l’influence ce qui se passe à l’extérieur sur des théâtres de guerre ou de division raciale.  Il n’y a pas de présomption ou de sentiment de culpabilité en matière d’insécurité. Il y a des coupables avérés ou non. On a le droit d’être sentimental ou empathique qui est de la grandeur de l’humain, et de croire que le responsable c’est toujours l’autre. Mais on a le devoir d’être réaliste. Dura lex sed lex, sinon il faut changer la loi.
 Aux politiques de choisir et de prendre leurs responsabilités. Le citoyen ne veut pas arbitrer entre le laxisme et le tout répressif avec la tolérance zéro comme à New-York. Il veut simplement des résultats, que les ministres s’accordent. La sécurité exige des certitudes et pas des discussions sans fin. Que nos deux excellents ministres se parlent et trouvent des solutions qui satisfassent le citoyen, puisqu’après tout les politiques sont nommés pour servir le peuple et pas leur égo. 
C’est difficile d’être citoyen cela s’apprend, de ne pas jalouser celui qui a réussi, et c’est facile de rejeter l’autre qui serait la source de son échec.  On souhaite n’obéir qu’à son instinct et son plaisir, d’être en marge tout en se réclamant de ce qui l’arrange. Chacun a son échelle de ce qui est grave ou non, de celui qui doit faire l’objet d’une sanction ou non.  Le sentiment d’insécurité n’existe pas pour une victime. Alors cessons de discuter pour rien, de perdre son temps. Les ministres de l’intérieur et de la justice sont dans leurs rôles avec leurs tempéraments personnels. Ce qui compte pour les administrés c’est que la sécurité réelle, potentielle ou virtuelle existe en pratique ; que la violence soit éradiquée autant qu’il soit possible ; que les coupables reconnus subissent une peine qu’ils vont exécuter, pour préparer leur réinsertion bien sûr ; et que la république protège tous les citoyens.
Pour trancher cette querelle de vocabulaire qui cache une approche différenciée de fond et des problématiques, des décisions jusqu’à l’enfermement pour les cas les plus graves, et des mesures pour les autres, on ne va pas créer une commission bidule ou un institut : il existe déjà ! Il est à l’école militaire à paris. Les deux ministres bras -dessus bras -dessous n’ont plus qu’à l’interroger, car il n’est pas utile de réinventer l’eau tiède. C’est mon sentiment que je partage.