mercredi 24 juin 2020

Quand la parole est au peuple


                            Quand la parole est au peuple.
     Billet d’humeur par Christian Fremaux avocat honoraire et ancien élu local.
La démocratie directe ou participative qui consiste à écarter les élites qui seraient hors-sol et ne comprennent rien aux desideratas simples du peuple qui n’a pas besoin d’avocats, est un art difficile. En quoi quelques citoyens qui donnent leurs avis sont -ils plus légitimes que ceux qui se sont frottés au suffrage universel, ont des responsabilités morales et de droit et doivent rendre compte de ce qu’ils font ? sachant en outre que le peuple est traversé d’exigences contradictoires.
Le président Macron a voulu tenter une expérience de donner la parole au peuple en créant une convention citoyenne pour le climat avec 150 citoyens. Bravo, voyons cependant le principe et les résultats.
On se rappelle naturellement la crise violente des gilets jaunes et leurs prises incontrôlées de parole, dont la révolte est partie notamment d’un projet de taxe carbone ; qui ne voulaient pas que l’on réduise la vitesse sur les routes à 80 kms/heure ; qui demandaient que l’on s’intéresse à la fin du mois plutôt qu’à celle de la planète ; et qui exigeaient l’instauration d’un R.I.C. référendum d’initiative citoyenne qui leur fut sèchement refusé, à juste titre.  Le président a cependant débloqué 17 milliards d’euros pour calmer la grogne, pour eux qui comme tous ceux qui étaient pacifistes et ne souhaitent que de vivre en paix en changeant ce qui ne va pas donc des citoyens raisonnables et civiques tout simplement, ont subi la grève des transports, puis les manifestations contre la réforme des retraites et enfin le confinement. Les gilets jaunes ont dû faire grise mine quand ils ont vu qu’on ne les avait pas pris vraiment au sérieux selon eux alors qu’ils étaient des milliers, mais que l’on créait pour 150 citoyens un cadre officiel qui devait déboucher par des mesures que le président de la république s’était engagé par avance - imprudemment selon moi mais je ne suis rien - à faire prospérer. Y aurait-il plusieurs peuples, ou sous -catégories selon la cause que l’on défend et d’où on vient et qui composent les porteurs de réclamations. Avoir l’appui des médias et des bien- pensants compte aussi pour beaucoup. Le peuple des campagnes n’est-il pas équivalent à celui des villes ou des bobos ?
 Il est possible que l’on revoie du jaune à la rentrée qui deviendra de couleur arc-en -ciel puisque le noir s’est imposé récemment dans le débat, car la convergence des luttes à laquelle aspirent tous les candidats pseudo révolutionnaires et les mécontents pour diverses raisons, est attendue sinon espérée par les plus radicaux en septembre. Mais par quoi remplacer la république et la démocratie ? Que l’on me donne un exemple possible et qui existe de ce qui serait parfait. Et pas des pétitions de principe ou des postulats.   
Le peuple vient de se prononcer à travers le rapport des 150 citoyens tirés au sort dans le cadre de la convention citoyenne pour le climat. 150 inconnus avec leurs croyances, intérêts, détestations comme tout un chacun sur plus de 67 millions d’habitants ce n’est pas beaucoup. On vient de constituer un cluster comme pour le covid-19 ou en français un foyer ou un club qui va se prendre pour une élite je le crains, et qui a proposé des mesures de décroissance dont je ne peux citer toute la liste à la Prévert, mesures votées à une simple majorité et non à l’unanimité ce qui relativise la faisabilité des suggestions. Alors qu’après la crise sanitaire qui se poursuit lentement, on a besoin de travailler plus et de relancer l’économie.
 La croissance est- elle compatible avec des mesures d’interdiction ( par exemple de consommer  contrairement à ses goûts et à son budget) ; de limitation (110 kms /h. sur l’autoroute et la prohibition  des centres- villes  aux véhicules dits  polluants) ; de punition contre les véhicules thermiques notamment  car on veut nous désintoxiquer de  l’usage de la voiture pourtant liberté fondamentale d’autant plus qu’on a fait voter une loi mobilités  mais on n’est pas à une injonction contradictoire de plus ; de taxations diverses (vive l’impôt) ; de répression très sévère  dont la création d’un crime pas moins  contre l’écologie  en « participant  au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires » : les professeurs de droit  pénal vont se mettre au travail pour en définir les conditions  juridiques ce qui implique de beaux débats comme pour la définition du crime contre l’humanité. Les spécialistes de droit constitutionnel s’arrachent déjà les cheveux. Et merci patrons de vouloir réduire drastiquement les libertés individuelles et publiques.
Manquait une nouvelle strate bureaucratique avec la création d’un défenseur de la nature haut fonctionnaire ou autorité indépendante à l’image du défenseur des droits que M.Toubon qui arrive au bout de son mandat incarnait. Pour être pratique sans créer un nouveau machin on aurait pu lui rajouter la mission de veiller à l’écologie.
 On ne connait évidemment pas la facture globale de ces projets merveilleux. Le club des 150 dont on espère que tous paient des impôts, n’a pas chiffré ses propositions et peut -être les membres pensent -ils que l’Etat passera à la caisse. Sauf que l’Etat c’est nous.  
On a échappé aux 28 heures au lieu des 35 par un sursaut de lucidité dans le contexte actuel c’est déjà cela ! Bien sûr tout n’est pas négatif car l’écologie appartient à tout le monde, et pas à EELV parti politique plus rouge que vert on l’a vu dans la campagne des municipales et il va de soi que nous devons prendre des mesures pour la transition écologique, qui comme son nom l’indique n’est pas pour demain matin. Il faut l’organiser sur le plan économique et social, trancher sur le nucléaire qui est un des éléments de notre puissance et souveraineté et savoir si ces perspectives s’inscrivent dans le contexte européen. 
Ce que je  déplore c’est que le peuple veut changer ma vie, me dicte ce que je dois manger ou boire et comment vivre, ou me déplacer sans prendre l’avion , ou aller à pied dans les centres-villes même si je viens de ma campagne ou de ma banlieue … tout ceci me paraissant quelque peu totalitaire pour reprendre une appréciation que l’on entend dans le débat public à l’encontre de notre gouvernement et du chef de l’Etat accusés de profiter de la crise pour instaurer une démocrature. « Tout ce qui est excessif est insignifiant » disait le prince de Talleyrand –Périgord, une gloire aristocratique de l’époque connue pour ses mots d’esprit insolents !
Mais tout ce qui vient du peuple n’est pas parole sacrée, comme on l’a vu dans le passé avec les gouvernements du peuple par et pour le peuple qui se sont terminés dans le sang et souvent le retour à un ordre ancien. Je ne doute pas que les 150 soient de bonne foi et qu’ils pensent sincèrement que leurs propositions sont positives et feront progresser notre société en voulant faire mon bonheur, idée neuve en Europe comme le disait Saint-Just avant d’être guillotiné en Thermidor.  On verra ce que diront les plus de 40 millions de citoyens électeurs si le président décide de leur soumettre par référendum ou autre moyen des propositions issues du rapport de la convention pour le climat.  S ‘il biaise, s’il ne le fait pas il sera en porte à faux avec ses déclarations publiques, puis il devra faire la synthèse ou l’arbitrage entre la fin du mois et la fin de la planète sachant que qui trop embrasse mal étreint. Et qu’il y a peut- être d’autres priorités pour les mois et années qui viennent.
Mais puisque on semble vouloir écarter le régime représentatif qui consiste à élire librement des personnalités pour leur confier des missions et des objectifs précis, utilisons ce principe de désigner aléatoirement des citoyens pour qu’ils réfléchissent à d’autres sujets comme l’immigration, la sécurité nationale, le séparatisme, la délinquance, la justice, le rôle de l’Etat en ses fonctions régaliennes et dans la redistribution, avec la décentralisation, la souveraineté dans l’Europe… et les sujets graves sont légion. Si l’on veut que le peuple s’exprime il y a de quoi faire.
On joue donc le peuple présupposé réaliste, modéré et avisé contre la démocratie comme l’a expliqué en 2018 Yascha Mounk jeune universitaire américain en analysant la crise de la démocratie libérale et en particulier l’illibéralisme de la Hongrie, de la Pologne, voire de l’Amérique de M. Trump. On dénonce le populisme mais on veut que le peuple s’exprime. C’est le grand écart. Et en additionnant en peinture du jaune et du vert on obtient une couleur bizarre presque du kaki, ce qui ne rassure personne.
Quand on donne la parole à ceux que l’on ne voit jamais et qui n’ont pas l’habitude de pérorer comme les prétendus auto-proclamés experts sur les ondes et à la télévision ils l’utilisent et il ne faut pas s’étonner qu’ils en usent voire abusent car après tout ce qu’ils disent n’est que leur simple opinion, éclairée ou non, partisane ou neutre, banale ou intéressante.  Ils ne sont pas à blâmer.  Chacun a droit à son quart d’heure de gloire comme le disait Andy Warhol.  Mais reste à savoir si la démocratie a besoin d’eux et si elle se valorise ou devient plus transparente et répond aux attentes du plus grand nombre ? Le quidam devient une référence pour l’avenir. Je préfèrerai d’autres intervenants plus crédibles. Le diktat des minuscules ne passera pas.
Personnellement je ne vois pas en quoi la parole d’un citoyen de base qui n’est pas plus sincère que moi et qui n’a pas le monopole de la bonne foi, de la connaissance et de l’onction démocratique ou républicaine avec certes ses qualités, a plus de valeur que celle de quelqu’un qui a des responsabilités, de l’expérience des dossiers à multiples facettes, réfléchit, et propose. Je ne parle pas de mon humble personne qui a atteint son niveau d’incompétence depuis longtemps. Même si cette affirmation est considérée comme méprisante et la résultante de l’appartenance à une classe privilégiée pourquoi n’aurai-je pas aussi le droit à la parole :  qu’ai-je volé et à qui, quelle est ma faute ? Dois-je m’incliner devant 150 particuliers dont je ne sais rien, dont la désignation m’échappe, et me réjouir d’un tirage au sort ce qui renvoie à des jeux de hasard ou au loto.  Pourquoi ne pas utiliser la même méthode pour l’élection du président de la république : le suffrage universel c’est ringard, ça coûte cher, et le candidat à peine élu n’est plus considéré comme légitime.
Déjà on avait vu en 2017 les candidats à la députation de LREM être désignés en envoyant leurs CV par courriel. Les électeurs de chaque territoire ont subi.  On n’arrête pas le progrès mais je ne crois pas que la démocratie en profite.
J’ai entendu que les 150 seront reçus par le président de la république qui décidera des suites à donner, référendum selon l’article 11 ou 89 de la constitution ? ce qui me plairait avec des questions multiples ce qui serait innovant constitutionnellement parlant, avec le choix des thèmes par le parlement donc la loi, ou passage uniquement devant les députés et sénateurs, ou décisions réglementaires, tout est ouvert  mais le droit constitutionnel aussi qui interdit- sauf erreur de ma part- par référendum d’introduire des  modifications directes et éclectiques de la constitution qui n’est pas le réceptacle fourre- tout de la mode ou du politiquement correct.
 On peut aussi penser à un enterrement de 1ère ou 2ème classe avec des fleurs écologie oblige car il ne faut désespérer personne. Si on fait droit sans filtre à la volonté des 150 les principes supérieurs de droit qui garantissent la démocratie risquent d’être malmenés pour ne pas contrarier ces citoyens.
Le président de la république qui est habile devra jouer à fond de son « en même temps » pour concilier le futur et les contraintes du présent.
 Nos 150 vont se regrouper dans un club et deviendront ainsi ceux qu’ils dénonçaient, des experts et technocrates citoyens ce qui est un oxymore : vive l’ascenseur social et le mérite. On sait le monde complexe et que l’intelligence collective conduit parfois à des raisonnements curieux, et à des prises de décisions confuses et inopérantes dans  le temps..
La convention citoyenne pour le climat a eu au moins l’intérêt de poser des limites à l’expression de la démocratie directe qui n’est pas la panacée et plutôt un ersatz que les démagogues de tout horizon voudraient instaurer.  Cela incite à réfléchir à d’autres pistes de réforme de la démocratie pour l’aérer plus et faire participer davantage. Dans ce sens cette convention fut positive.   
La démocratie représentative classique ou malmenée par les réseaux sociaux et l’expression anonyme débridée voire haineuse et discriminante, est comme la république le pire des régimes à l’exception de tous les autres comme le disait Winston Churchill dont on déboulonne honteusement les statues ou en taguant les monuments rendant hommages à celui qui n’était pas l’homme idéal en tout, mais qui a sauvé le monde libre.
La parole a besoin de libertés et de pluralité pour être entendue. Le peuple n’appartient à personne. Si on veut son avis on l’interroge globalement. A M. Macron de choisir, et de nous informer quand il s’exprimera sur ce que sera la deuxième mi-temps du quinquennat. Par la magie de son verbe, c’est le peuple souverain qui parlera. La parole publique est un bien précieux qui ne peut être confiée à n’importe qui. On a besoin d’y croire, d’y adhérer en confiance si on veut que la démocratie vive.

jeudi 18 juin 2020

humanisme et autorité: le couple maudit.


Humanisme et autorité : le couple maudit.
Par Christian FREMAUX avocat honoraire .
Je mets de côté les règlements de compte à balles réelles dans des quartiers de nos villes sur fond de trafics de tous genres qui témoignent que des élus locaux malgré leurs efforts ne sont plus maîtres sur des parties de leurs territoires souvent perdus comme l’a décrit depuis 2002 M.Bensoussan puis d’autres . L’Etat a du mal à faire respecter la loi et ne peut intervenir qu’avec précautions sinon il est accusé- par les coupables ! et parfois aussi étrangement par les victimes- de mettre de l’huile sur le feu ou d’être trop répressif, ou comme les carabiniers d’envoyer ses troupes trop tard.  Je ne sais quel politique aura le courage et le bon sens d’édicter des règles strictes votées par le parlement et de les faire observer pour que la paix publique règne, que les délinquants soient punis, et que personne n’y trouve à redire, surtout la majorité silencieuse des citoyens. L’ordre républicain n’est pas l’autoritarisme. Il ne conduit pas d’office à une démocrature. Les droits de l’homme d’ailleurs à géométrie variable ne sont pas la religion officielle dans un pays laïc même s’ils sont fondamentaux. Nous avons besoin de sécurité publique comme de défense nationale pour exercer pleinement nos libertés individuelles comme publiques et ce n’est pas en criant aux mesures liberticides dès que l’on essaie de décider de protections collectives quitte à réduire provisoirement nos grands principes au nom de la lutte contre toutes les menaces qu’elles soient terroristes ou sanitaires, que l’on va arriver à éviter les violences qui prennent désormais des dimensions qui font peur. Il faut savoir ce que l’on veut et s’en donner les moyens. Chacun a compris qu’il y avait un combat de civilisation pour nous faire renoncer à ce qui constitue la nation ; que chaque individu pense n’avoir que des droits et des créances sur la société et gomme le mot devoir ; et que l’intérêt général serait au service des intérêts particuliers matériels comme spirituels. C’est comme cela qu’on va échouer collectivement si on ne se reprend pas, si on ne lutte pas contre tous ceux et celles qui veulent condamner notre pays en lui demandant d’expier ses prétendues fautes du passé qui nourriraient le présent par tradition ! et en introduisant dans le pacte républicain les germes du séparatisme. Sans pour autant nier les inégalités et discriminations qu’il faut absolument corriger.
Au secours Général de Gaulle dont on fête les 80 ans de l’appel du 18 juin ,  ils sont devenus fous.   
On assiste à des phénomènes de violences pour tout motif comme celui de dénoncer un prétendu racisme institutionnel  en voulant imiter ce qui se passe aux Etats Unis  ce qui  n’est ni notre culture ni notre organisation de l’Etat en accusant  notamment  les forces de l’ordre ; en s’indignant qu’une «  gentille » infirmière soignante applaudie tous les soirs,  d’une cinquantaine d’années jetant des pierres et proférant des insultes- ce qu’elle a reconnu en disant qu’elle avait pété les plombs-- soit interpellée fermement  par  des policiers et on plaide le pot de terre contre le pot de fer et que la dame de 1,55 m. avait besoin de ventoline : mais elle ne manquait pas d’air quand elle était déchainée contre les forces de l’ordre ! La justice tranchera. Laissons- la faire et écartons l’émotion qui ne veut pas dire raison. On ne peut tout accepter :  à force de vouloir mettre un genou à terre on va finir à plat ventre et se faire marcher sur la tête.
Je n’entrerai pas dans le débat binaire qui veut qu’il n’y ait que des victimes parmi les manifestants forcément pacifistes de bonne foi et pas manipulés par des extrémistes et des délinquants qui n’attendent que cela (en pillant au passage) .Selon la doxa contemporaine, si la personne interpellée a commis une infraction il faut ne pas en tenir compte, et s’attarder uniquement  sur  la fin de ce que l’on voit - puisque tout est désormais filmé- et conclure que les violences policières sont  avérées et récurrentes. Voudrait-on que les policiers et gendarmes qui ont heureusement des tenues de protection, interviennent en chemise bleue avec képi et gants blancs, sans arme ne serait- ce que de défense, et que le discernement et la proportionnalité qui leur sont imposés soient de bonnes paroles d’apaisement et de compréhension. On nage dans l’utopie, et l’hypocrisie car pour qu’il y ait du calme il faut être deux et que les « gentils » manifestants y mettent du leur ! Cela me rappelle la parole d’Alphonse Karr : « je suis contre la peine de mort mais que MM.les assassins commencent les premiers ».    
C’est reparti ou plutôt cela continue, le débat entre bons sentiments ou humanisme, et autorité prise dans le sens d’inhumanité et de force.  Les associations, les défenseurs des droits dits désormais humains naturellement orientés car on est loin des principes de 1789 enfin tous ceux qui ont une conscience prétendument plus développée que celle des autres et font de l’être humain la priorité quelques soient les circonstances, les lieux et la loi, sont farouchement contre ce qui est contraignant, et sont prêts à en découdre ! La liberté justifie -t- elle les débordements ? L’autorité est par essence un gros mot selon eux, et ils n’en acceptent pas même l’esquisse ni dans les familles, ni dans l’entreprise, ni dans la société. Ils se prétendent des manifestants pacifiques, mais ils ont besoin des forces de l’ordre pour assurer leur tranquillité braillarde et pour pouvoir… en découdre à la fin des défilés. Pas eux bien sûr quoique ? mais des casseurs dont ils prétendent ignorer tout en leur faisant un brin de conduite : car si on peut agresser en groupe un policier ou un gendarme en quasi impunité tant mieux profitons de l’occasion et si on peut jeter une pierre ou donner vite fait des coups de pied sur un fonctionnaire à terre, on ne se prive pas. L’humanisme n’exclut pas les petites vengeances physiques !
Mais ne pourrait-on pas aborder les sujets qui fâchent d’une autre manière, qui ne soit pas conflictuelle comme si le ciel allait nous tomber sur la tête. A force d’entendre que le fascisme ne passera pas, qu’il y a un racisme d’Etat, que quasiment l’homme est un porc pour tout, ce qui est faux ou pour le moins excessif, qu’il ne faut rien ni personne discriminer ce qui est exact, et que seuls les rapports de force comptent surtout quand ils émanent d’un infime minorité, on se lasse, on se fatigue et on se demande pourquoi il faut s’incliner tout le temps en vertu de la bien -pensance, pourquoi la majorité silencieuse ne fait pas la loi, pourquoi on se sent toujours coupable de quelque chose, pourquoi il faut se repentir et réécrire l’histoire quand la fin ne convient pas (comme Carmen qui désormais tue son harceleur) .Pourquoi l’excuse pour tout et rien est-elle devenue la norme, et pourquoi il y a une police de la pensée avec des ayatollahs vigilants qui guettent ce qui ne leur convient pas et clouent au pilori médiatique ceux qui ne pensent pas comme eux. Georges Orwell est dépassé. Halte au feu.
Est-ce un oxymore quand on parle d’une autorité humaniste, celle qui concilie les droits et les devoirs, qui fait respecter les règles et la loi, qui sanctionne les infractions et qui comprend les pauvres, les exclus, les faibles, les persécutés divers, les malheureux en général. « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur,  c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » déclarait  jean- baptiste Lacordaire religieux dominicain (1802-1861).
Peut-on imaginer de laisser les choses en l’état et ne pas avoir une politique migratoire jugée « inhumaine » par certains dont des députés de La République en marche ? Est-il humain d’accueillir tous les migrants, qu’ils soient réfugiés stricto sensu, ou pour des raisons économiques, climatiques ou culturelles voire religieuses pour les laisser dans une impasse et finalement les renvoyer chez le voisin ou d’où ils viennent ? Les habitants des territoires concernés, comme à Calais, Ouistreham, ou Vintimille et la Savoie désormais n’ont-ils pas le droit, comme tous les citoyens français de vivre dans la paix, sans avoir peur à tort ou à raison, sans subir des exactions avérées certes commises par des voyous en petit nombre mais qui sont.
 La république à vocation universelle ne doit-elle pas protéger ses citoyens et encourager ceux qui ont des missions essentielles ?  Ainsi les forces de l’ordre qui font un travail ingrat, qui sont accusées sans preuve - des fake news ?- des pires maux, les pompiers et les services de santé qui font le maximum, tandis que les collectivités locales sur place y vont de leur budget et de la critique de leurs administrés.
Les bons sentiments sont- ils un humanisme ? L’humanisme est une philosophie du 16ème siècle, de la Renaissance qui place l’homme et les valeurs humaines au- dessus de toutes les autres valeurs. Il vise à l’épanouissement de l’homme par la culture d’origine grecque et latine, par l’éducation. Son équivalent est l’altruisme, l’amour des hommes (et des femmes, parité oblige).
L’humanisme n’empêche pas le regard critique, puisqu’il est fondé sur la réflexion, sur le doute qui s’oppose aux dogmes, aux certitudes, aux postulats. Il est en recherche permanente de l’équilibre entre le bien et le mal (qui existe hélas) et sur la connaissance de l’homme pour l’améliorer donc en faire profiter l’humanité. L’humanisme n’est pas un laxisme : au contraire pour que les valeurs humaines triomphent sur  d’autres valeurs qui clivent, séparent, accablent ou conduisent au mal (exemple le terrorisme qui s’appuie principalement sur une religion donc un dogme dans lequel l’homme ou la femme se soumettent volontairement ), il faut un cadre , et non pas un état de nature sauvage ou chacun fait ce qu’il lui plait .Une démocratie est l’organisation des rapports humains, avec une autorité légitimée par des élections libres et une justice indépendante. Est-il normal de céder à toutes les minorités qui obéissent parfois à des motifs idéologiques ou politiques qui n’ont rien à voir avec l’idéal qu’ils prétendent défendre, ou qui vomissent notre société démocratique capitaliste, libérale et redistributive, dont ils profitent et qui leur laisse la liberté d’expression ?
L’humanisme c’est aussi d’admettre que l’on n’a pas toujours raison et de penser que l’autre est aussi respectable. L’humanisme c’est la volonté de régler les problèmes par la raison et non par le canon ; par la conviction et non l’imposition ; et de considérer que les droits personnels sont en miroir avec les devoirs collectifs . On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments » disait André Gide. Victor Hugo pensait que tout dépend du talent de l’écrivain et je crois qu’il avait raison. Prenons un exemple d’il y a quelques mois quand on a manifesté l’intention de republier les ouvrages de Louis-Ferdinand Céline : on peut faire de la bonne ou originale littérature tout en étant clairement ignoble sur le fond. On a battu en retraite et renoncé en fonction des cris d’orfraie entendus. L’opinion publique est impitoyable, voire autoritaire. Ce n’est pas en déboulonnant les statues ou en effaçant ce qui a existé que l’on progresse. Le présent a besoin des exemples du passé pour ne pas les répéter s’ils étaient mauvais.
Mais l’humanisme ne se divise pas et il ne s’agit évidemment pas de poursuivre des politiques publiques sur de mauvais sentiments. Je n’imagine pas un seul homme politique et une femme encore moins, annoncer cyniquement qu’il allait prendre une loi liberticide ou discriminatoire ou revancharde ou protectrice des français de souche on non (autre polémique), pour que nos valeurs dites universelles mais réputées à tort franchouillardes s’appliquent qu’entre certains, « blancs privilégiés » , qui seuls profitent des avantages et que tout ce qui n’est pas citoyen « classique » de la république soit exclu. On a les gouvernements que l’on mérite mais jusqu’à ce jour ils sont responsables et humains, que l’on ait voté pour eux ou non. 
Cela n’empêche pas d’avoir du bon sens chose du monde la mieux partagée disait Descartes et de l’autorité. Au contraire c’est une obligation. 
L’autorité est le pouvoir de commander, d’être obéi. Elle implique les notions de légitimité, et de commandement. Elle ne se confond ni avec l’autoritarisme ni avec la répression. On ne discute pas de l’autorité de la chose jugée par la justice, ni de l’autorité parentale par exemple. Ou de l’autorité naturelle de telle personnalité ou quidam. C’est une valeur conférée qui concerne surtout l’Etat. C’est son caractère nécessaire à la structure de toute organisation qui la rend légitime.  Et qui permet de l’opposer erga omnes. L’autorité se confond avec les pouvoirs publics.  Platon a beaucoup disserté sur l’autorité et Max Weber a parlé de l’autorité charismatique. Chaque citoyen a sa compréhension de l’autorité et de son contenu. Il la souhaite plutôt ouverte à son égard quand cela l’arrange, et ferme pour les autres sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Chacun vit avec ses contradictions.  Les buts de l’autorité sont la sauvegarde du groupe et la conduite de celui-ci vers des objectifs collectifs consentis.
L’évacuation de la ZAD de notre- dame- des landes des éléments les plus radicalisés (qui sont-ils ?) quelle que soit la décision sur le fond a été un test pour l’autorité de l’Etat en nette perte de vitesse ces dernières années. Souvenons- nous du feuilleton Léonarda avec le président Hollande et désormais celui qui commence avec la famille Adama Traoré. Sans compter la colère des surveillants de prison qui se font agresser par des détenus, comme les attaques contre les forces de l’ordre, ou les médecins et pompiers dans des territoires pas perdus pour le business lié à la drogue ; ou encore les insultes voire violences commises à l’intérieur des tribunaux contre les magistrats comme l’a dénoncé Mme la Procureure du TGI de Nanterre, il y a quelques mois. Tout ceci  témoigne que désormais tout est possible et que certains estiment  qu’ils ont droit à l’impunité au nom de prétextes fumeux qui vont de la misère sexuelle ou sociale, au manque de travail ou de revenus, ou parce qu’ils s’ennuient ( des intellectuels  sérieux ont justifié l’incendie des véhicules en disant que c’était surtout ludique-sic-), et enfin parce que les barres d’immeubles invivables inciteraient à la violence  et que dans ces quartiers la moindre arrestation ou un contrôle d’identité ou de ce qui fut le confinement tourne au drame et à l’accusation contre la police qui soit provoque par son uniforme soit est raciste et violente. Basta comme on dit chez certains de nos amis corses qui s’y connaissent un peu en la matière.  Et les motifs exonératoires ne sont pas exhaustifs.
Mais l’autorité est surtout remise en cause par ceux qui prétendent détenir la vérité, qui savent ce qui est bon et bien, qui nient la société telle qu’elle existe et qui ne leur convient pas, qui ont beaucoup beaucoup discuté…  entre eux , sans admettre d’autres contradicteurs (rappelons- nous de «  nuit debout ») , qui croient incarner le peuple sans avoir été élus- c’est ringard- ou avoir le moindre mandat -pourquoi rendre des comptes ?-ni naturellement une quelconque légitimité : ils ne représentent qu’eux, ce qui est court pour exiger quoique ce soit. Mais on les entend : ils haïssent les médias qui diffuseraient des fausses nouvelles ou informations et les télévisions qui abêtissent les citoyens selon eux, mais ils savent s’en servir et faire passer leur message : nous résistons -résiste chantait France Gall- à l’oppression, à la finance, aux ordres et à une société inhumaine, disent-ils. Nous avons des droits naturels, comme ceux de s’approprier des terres puisque le sol n’appartient à personne merci pour les propriétaires, et de manifester ce que personne ne leur conteste. En exigeant de recevoir ce qu’ils demandent. On adresse des ultimatum à l’Etat.  
Le journal le parisien avait titré : « enquête sur la génération j’ai le droit ». Il aurait pu ajouter que des parents et des adultes avaient la même conception de la société.
Quand on a que des droits, on ne tolère plus l’autorité et on pense que tout ce qui est contraire à ce que l’on pense est forcément injuste et inhumain. Le «  je » l’emporte sur le « nous » (Le président Macron vient de le rappeler) comme le masculin l’emporte sur le féminin en  grammaire, mais plus pour longtemps semble-t-il , les féministes s’activent . L’écriture inclusive veut s’imposer ce qui est une bonne nouvelle pour personne.

Et s’il n’y avait plus d’autorité(s) comme on a bien interdit la fessée par amendement du parlement du 22 décembre 2016 que se passerait -il ?  Chacun peut imaginer ce qu’il en serait de la vie en société. L’humanisme n’est pas incompatible avec les principes de responsabilité et réalité.  Un gouvernement doit faire des choix en raison des besoins internes  et notamment pour le logement (plus ou moins de social, faut- il pénaliser les propriétaires privés); la sécurité (la lutte contre le terrorisme justifie-t-elle une législation rigoureuse tout en protégeant les libertés publiques et individuelles ?) ; la justice  (le procureur doit- il être soumis à l’exécutif ou être totalement indépendant, ou à quoi sert la prison ?) ; les impôts doivent-ils être payés par tous selon leurs capacités contributives pour avoir un lien avec le service public ?; comment intégrer les jeunes sur le marché du travail et ne pas pénaliser les retraités -dont je suis- qui ont payé impôts et taxes toute leur vie et qui ne sont pas des privilégiés, puisque en plus ils aident enfants et petits -enfants ?Comment sortir de la crise sanitaire  dont personne n’est responsable avec le moins de dégâts sociaux possibles ?Comment basculer vers une société verdie mais aussi efficace (avant la crise) pour créer des richesses,  redistribuer et être plus solidaire ? .... Tous les sujets doivent être traités avec un souci de résultats et de dimension humaine mais il faut un encadrement solide et participatif (des institutions) et des règles à respecter (y compris pour ceux qui représentent l’Etat)  .Humanisme et autorité sont donc compatibles, sachant qu’il y aura toujours des mécontents et des moins gagnants que d’autres. Ne peut- on baisser d’un ton, essayer d’abord de faire prévaloir la raison et ne pas voir dans un contradicteur un horrible raciste, un macho ou un ultra- conservateur, même plus un adversaire mais un ennemi.  Comme si le progrès ne résultait que de ce qui est minoritaire, ou d’arguments qui partent du cœur et ne sont ni objectifs ni vérifiés ni applicables au quotidien.  
L’Etat qui dirige à ce jour 67,2 millions de citoyens et essaie d’intégrer ceux qui appellent au secours doit trouver l’équilibre entre l’autorité sans qui rien ne peut se faire et le respect de la vie et des libertés c’est-à-dire les valeurs humanistes ou républicaines les deux se confondant. N’oublions pas que l’Etat c’est nous dans notre diversité certes mais surtout dans l’union nationale et dans l’acceptation volontaire de servitudes.  C’est la grandeur de sa mission mais aussi de chaque citoyen qui participe à la réussite collective.




lundi 15 juin 2020

le virus et le licenciement économique


Le virus et le licenciement économique.
Par Christian Fremaux avocat honoraire .
Compte tenu de la conjoncture post confinement et malgré les dispositifs de soutien pris par l’Etat des entreprises vont connaitre de grandes difficultés économiques qui vont se traduire par des suppressions d’emploi ou la renégociation de conditions de travail et de salaires.  Un dialogue exigeant va s’ouvrir entre patronat et syndicats avec un but commun partagé : maintenir l’emploi et des conditions de travail et de salaires dignes, et faire repartir la croissance en permettant aux entreprises de sortir du carcan administratif et des normes et d’être plus flexibles dans leurs organisations. Car la crise a révélé les pesanteurs et la difficulté de prendre des initiatives. Il va falloir faire confiance aussi au secteur privé puisque l ’Etat ne peut tout assumer. Qu’il se contente des activités régaliennes, et qu’il facilite la création de richesses et la redistribution avec la solidarité, c’est déjà énorme.
 Personne ne doit payer les pots cassés de la crise sanitaire, car il n’y a pas de responsable identifié. Mais il va falloir être réaliste, et c’est là que les positions dogmatiques dans les deux camps ne doivent pas s’opposer ou que l’on cherche à travers une nécessaire restructuration à faire des gagnants et des perdants. On a gagné quelques mois de polémiques sur des notions que l’on n’avait pas éprouvées dans les faits comme le télétravail, le présentiel ou non sur le rendement et l’efficacité voire le moral des salariés, les conditions de travail et de salaires de ceux qui sont indispensables, la dépendance en matière de fournisseurs étrangers, et la nécessité de recréer une industrie pour protéger nationalement nos intérêts vitaux et revivifier les territoires. Le droit social est un droit vivant qui touche directement au destin individuel de l’homme/la femme et aux entreprises qui doivent pouvoir vivre et dégager des richesses : il doit donc s’adapter et ne pas être figé.
Le citoyen-consommateur va devoir aussi faire un choix : est-il prêt à payer un peu plus cher ce qu’il achète pour favoriser la production locale ? Oui dit la raison. Peut- être dit le portefeuille : attendons donc de voir ce que les français vont choisir. Car chacun d’entre nous à une responsabilité dans la reprise.   
En attendant il va falloir gérer les conséquences négatives de la crise notamment des licenciements. Les dispositions légales qui existent- notamment de 2016 et 2017- vont s’appliquer avec les possibilités de négocier des conditions ou des formes de travail nouvelles, y compris avec des baisses de rémunérations, sujet sensible s’il en est.  
En matière de contentieux il va falloir aussi innover. Pour un licenciement économique, le covid-19 et ses conséquences dont la fermeture obligatoire des entreprises et l’absence d’activités donc de tout chiffre d’affaires va-t-il être considéré par les juges des conseils de prud’homme comme une cause nouvelle réelle et sérieuse justifiant les licenciements individuels comme collectifs ? Le virus va- t-il faire évoluer la jurisprudence dans une matière très délicate puisqu’elle touche à l’emploi ?
L’actualité nous a informé fin mai-début juin 2020 de la condamnation de l’entreprise Good Year qui avait fermé son site picard en 2014 et avait licencié pour motifs économiques 832 salariés. Sous l’empire de la législation de l’époque, on jugeait la situation financière notamment au niveau du groupe mondial s’il existait, et le juge départiteur d’Amiens vient de considérer que Good Year Amiens n’aurait pas dû licencier alors que le groupe faisait des profits. Il a considéré que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et les anciens salariés toucheront des dommages -intérêts, après appel peut être ? Mais on ne remettra pas la situation en l’état de 2014 ! Rappelons que le conseil de prud’homme est composé de deux employeurs et de deux salariés et qu’il doit trouver une majorité pour condamner ou non. A défaut on y adjoint un juge professionnel qui « départit » entre les deux collèges qui ne se sont pas mis d’accord.  
L’appréciation de la réalité du motif économique est de la compétence exclusive des conseils de prud’homme qui jugent en fonction de l’évolution de la jurisprudence et de la loi sachant que les motifs économiques peuvent dépendre de la conjoncture et de l’imprévisible comme aujourd’hui …le covid- 19 ?
Il y a aussi un débat récurrent : comment concilier l’intérêt des salariés qui veulent continuer à travailler, ne sont pour rien dans les difficultés que connait l’entreprise, ont parfois consenti des sacrifices, et ne veulent pas se retrouver sur le carreau, sans ressources, indignés, et devenus précaires. Et les intérêts aussi des actionnaires qui veulent recevoir légitimement des dividendes, ou des financiers qui ont investi et veulent un retour sur investissements et ont besoin de garanties sur leur stratégie, leurs choix, leurs décisions. Les plans de sauvegarde de l’emploi vont être négociés âprement et être contrôlés a posteriori par les conseils de prud’homme puisque le gouvernement souhaite qu’on licencie le moins possible. Il n’a pas osé reprendre la formule de Bernard Tapie qui voulait interdire les licenciements !
L’ordonnance dite macron du n°2017-1385 du 22 septembre 2017 a créé un dispositif qui est mis en œuvre : l’accord de performance collective permet des innovations pour un période limitée. Il s’agit d’aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation, de revoir les salaires (donc à la baisse) en respectant les minima par profession et les jours de congés ou Rtt ; de favoriser les départs à la retraite ; de déterminer les formations ; de fixer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.  C’est un accord négocié entre le patronat et les syndicats majoritaires (au moins 50% des voix) et des modalités particulières selon que l’entreprise a plus ou moins 11 salariés ; ou plus ou moins entre 11 et 50 salariés.  Les dirigeants salariés ou sociaux et les actionnaires doivent fournir aussi des efforts. L’accord modifie le contrat de travail individuel, et si le salarié refuse il s’expose à un licenciement pour motif personnel.  Il s’agit de répondre aux contraintes de fonctionnement de l’entreprise ou à préserver ou développer l’emploi. On verra ce qu’il en est dans les mois qui viennent.
On a évolué dans cette matière des difficultés de l’entreprise ou sa volonté de se restructurer.  
On avait connu les licenciements dits « boursiers » selon l’expression de M.Bocquet président du groupe PCF à l’assemblée en 2001 à propos de la suppression d’emplois dans le monde  par Danone dont 570 dans sa branche française biscuits- Lu. La restructuration dans une entreprise qui marche et est saine pour accroitre les bénéfices n’est pas admise. La morale et l’indignation qui sont désormais la règle dans tous les domaines ne permettent plus a priori ce genre de restructuration !
 La sécurité juridique des uns et des autres est essentielle et il faut concilier ce qui peut paraitre comme contradictoire : la liberté d’entreprendre et le droit à l’emploi. Même si cette opposition est quelque peu biaisée car on ne peut systématiquement maintenir l’emploi au prix de la réalité économique. En revanche on doit donner des protections à ceux qui sont victimes d’une crise ou d’une mauvaise gestion.  Il faut trouver un équilibre que l’on vérifie judiciairement au cas par cas.  L’entreprise a aussi besoin de se réorganiser, de se restructurer et de se séparer de salariés pour pouvoir rebondir et retrouver du dynamisme voire rembaucher ultérieurement. Cela génère des conflits car l’humain est au cœur de la problématique, mais en même temps il faut faciliter les mesures concrètes qui permettent d’éviter un dépôt de bilan, et des reprises hasardeuses.
La définition classique et générale du licenciement pour motifs économiques est la suivante : « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’un suppression ou transformation d’emploi, ou d’une modification refusée par le salarié d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives NOTAMMENT à des difficultés économiques, à des mutations  technologiques, à une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou à la cessation d’activité de l’entreprise ».
 Il y a du grain à moudre en matière d’interprétation et de justifications donc de contentieux et de débats houleux.
La jurisprudence avait évolué par les arrêts dits « pages jaunes » rendus par la chambre sociale de la cour de cassation le 11 janvier 2006. La cour considère désormais qu’est justifiée une réorganisation de l’entreprise motivée par le souci de prévenir des difficultés économiques futures susceptibles d’avoir des conséquences négatives sur l’emploi.
Retenons le double critère de réorganisation et qui doit avoir été mise en œuvre pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise ou celle du secteur d’activité du groupe à laquelle elle appartient.
La loi dite de Mme EL Khomry du 8 août 2016 entrée en vigueur le 1er décembre,  a apporté des modifications concernant les critères du licenciement économique visé à l’article L.1233-3 du code du travail  qui dispose que l’employeur peut licencier un salarié «  en raison des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires ,des pertes d’exploitation  ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation , soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ».
L’ordonnance dite macron du 22 septembre 2017 a encore assoupli certaines dispositions en matière de licenciement économique : le périmètre d’appréciation de la cause économique est l’entreprise. Si celle-ci appartient à un groupe, la cause s’apprécie au niveau du secteur d’activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe (dont la définition est revue avec les entités implantées en France) auquel elles appartiennent et qui sont établies sur le territoire national. Il est précisé que le licenciement économique ne peut intervenir que lorsque toutes les recherches de reclassement et de formation ont été épuisées, et qu’aucun reclassement n’est possible (les offres hors territoire national ne sont plus indispensables). Les autres obligations sont maintenues : ordre des licenciements, convocation du salarié ; PSE dans les entreprises de plus de 50 personnes ; contrat de sécurisation professionnelle ; information de la Direccte…).
Les juges vont devoir apprécier les conséquences du confinement lié au covid-19. Les futurs licenciements pour motifs économiques devront répondre aux critères légaux, dont l’origine peut être le virus. Celui- ci ne peut être par lui- même une cause réelle et sérieuse. Il s’ajoutera à des motifs objectifs et vérifiables, aura parfois accéléré une situation compromise mais ne pourra servir d’excuse ou de prétexte ou d’opportunités pour les actionnaires. La loi El khomry a prévu des baisses de commandes ou de chiffres d’affaire notamment sur 1 ou plusieurs trimestres consécutifs selon la taille de l’entreprise. Il faudra les prouver.
La force majeure prévue à l’article 1218 du code civil s’applique dans le domaine contractuel et vise un évènement imprévisible et irrésistible.  Mais le contrat de travail ne peut être assimilé à un contrat banal, en raison de la particularité des obligations du salarié et de l’employeur qui relèvent de l’ordre social public, qui par ces temps troublés est considéré comme fondamental pour la cohésion sociale. Les employeurs seront prudents en ne fondant pas d’éventuels licenciements économiques en invoquant uniquement les conséquences du virus. A priori mais chaque juge aura son opinion, le covid-19 ne pourra être opposé à des résultats acceptables bien qu’en baisse et au maintien de l’emploi et ne pourra faire accroitre par contagion le profit actuel ou futur.                      


jeudi 11 juin 2020

le silence est d'or


                       Le silence est d’or.
           Par Christian Fremaux avocat honoraire.
Il est souvent préférable de s’abstenir de vouloir faire plaisir à des minorités qui ne représentent qu’elles-mêmes et qui mènent un combat surtout quand on est une personnalité de l’Etat donc l’incarnation visible de tous les citoyens avec leurs opinions contradictoires, leurs croyances, leurs changements d’humeur. Toute parole maladroite ou initiative hasardeuse publiques entrainent des polémiques dont on peut se passer. La dialectique est un art qui se travaille, et maîtriser son expression s’apprend surtout à notre époque où tout part en vrille, où à peine énoncé un sujet enflamme, et où surtout les moins représentatifs crient au scandale pour tout et rien. On est dans un monde de l’hyperbole, de l’instantané, de l’image, puis on passe rapidement à autre chose, l’urgence chassant l’urgence. Mais il ne faut pas annoncer à la va-vite et sans nuances des décisions de fond qui vont marquer les esprits, parfois les contrarier durablement, sauf à devoir rétropédaler et en ajouter à ce qui est déjà inacceptable. N’est pas un bon communicant qui veut et l’utilisation du en « même temps » est délicate. L’actualité nous le démontre.
Le ministre de l’intérieur qui a la sémantique difficile on l’a déjà constaté - mais son métier est de faire respecter l’ordre républicain et la cohésion sociale- a fait des déclarations qui laissent pantois en voulant je pense réconforter ses forces de l’ordre et nier -avec raison- que le racisme soit systémique dans l’Etat, tout en assurant de sa compassion ceux qui s’en estiment victimes. Il n’a satisfait ni les uns ni les autres. Le grand écart verbal n’est pas donné à tous.  
 Prenant en compte la mort de George Floyd à Minneapolis ce qui a provoqué à juste titre une vague d’indignation et entrainé des manifestations en France, le ministre dans un bel élan oratoire (mais était- il réfléchi ?) a fait savoir devant les médias qui s’en pourlèchent,  que le racisme dans les rangs des forces de l’ordre ne serait pas toléré mais puni- ce qui est d’ailleurs déjà le cas comme pour les bavures policières- ce qui aurait dû ravir la ligue de défense des noirs très excessive dans ses propos voire diffamatoire et insultante pour l’ensemble des français, car je n’ai personnellement  comme «  blanc privilégié » aucune responsabilité dans les interpellations qui se terminent avec un mort et je laisse les juges décider de qui a fait quoi . Le ministre a employé la formule de « soupçon avéré ». C’est un oxymore. Ou il y a soupçon de paroles ou d’actes racistes et la présomption d’innocence joue jusqu’à ce que l’enquête ait prouvé des faits objectifs. Ou si les faits sont avérés il n’y a pas de doute et le coupable doit être sanctionné puisque le racisme n’est pas une opinion mais un délit.  On comprend que les policiers et les gendarmes qui disposent de la violence légitime avec des gardes -fous juridiques et déontologiques précis soient furieux, car avec ce vocable c’est une quasi présomption de culpabilité qui pèse sur leurs interventions ce qui n’est pas rassurant et laisse planer un risque disciplinaire ou pénal. On verra à l’usage, mais le ministre devrait tourner sa langue 7 fois dans sa bouche avant d’annoncer des approximations. C’est la même chose quand il ignore la loi.
Le ministre a récidivé dans l’incohérence.
Concernant les manifestations interdites pour des raisons sanitaires, ou de sécurité ou autres qui sont de la compétence et de l’appréciation des autorités publiques, il a déclaré que « l’émotion mondiale » (liée à la mort de George Floyd) « dépassait les règles juridiques » (sic) et qu’ainsi il n’y aurait pas de sanction en cas de violation des règles d’interdiction. Ce fut un appel d’air et bien sûr les manifestations eurent lieu. L’émotion a donc une valeur supérieure à la loi ce qui remet en cause la hiérarchie des normes. Les professeurs de droit vont avoir du grain à moudre pour commenter.
Plus prosaïquement que comprend le citoyen lambda ? Il entend que la loi est à géométrie variable, et que si on a un prétexte ou une excuse sociologique, religieuse, sociale, culturelle ou de couleur de peau ou d’origine, la règle ne s’applique pas. C’est de la discrimination à l’envers : le citoyen qui n’appartient à aucun groupe spécifique, qui n’est pas défavorisé, paie ses impôts, travaille, ne se fait pas interpeller pour une raison ou une autre, doit respecter strictement la loi dans toute sa rigueur.  Il comprend qu’une cause subjective supposée d’importance mondiale, puis nationale, puis communautaire, puis individuelle permet des passe- droits. Est-ce que j’exagère ? Je n’en suis pas sûr, car les raisonnements intellectuellement sophistiqués entrainent parfois des conséquences graves sur le terrain et ont des prolongements inattendus. Sans compter que c’est souvent contre- productif et fait naitre des réactions de ceux qui sont de bonne foi et ouverts. Trop c’est toujours trop.  
Je me doute que le ministre n’a pas songé aux conséquences de sa déclaration à l’emporte-pièce une nouvelle fois compassionnelle, qu’il a voulu calmer le jeu, ce qui d’ailleurs n’a servi à rien. Mais la majorité silencieuse a enregistré et médite sur l’autorité de l’Etat et la force qui doit rester à la loi parfois injuste disait le président Mitterrand même s’il n’est pas interdit de tenir compte de circonstances exceptionnelles, soyons didactique dans une société fracturée qui a besoin de se ressouder et dans une république qui ne distingue pas parmi ses enfants.  L’égalité des droits et des devoirs est un principe intangible.
Je n’aurai pas la cruauté de rappeler quelques déclarations hasardeuses de la porte -parole du gouvernement, car je voudrai terminer par l’initiative curieuse de la Garde des Sceaux, agrégée de droit et ancienne membre du conseil constitutionnel.
 Elle s’est distinguée en invitant la famille de M. Adama Traoré - sans inviter les policiers  ou gendarmes visés par l’instruction – pour parler avec elle du fonctionnement de la justice et pas du dossier a -t-elle précisé !  D’autres justiciables qui n’ont pas de comité de soutien voudraient un tel honneur. C’était déjà baroque que la ministre de la justice reçoive des parties civiles alors que l’enquête judiciaire est en cours, qu’il y a des polémiques sur les expertises, et qu’une manifestation rassemblant des milliers de personne a eu lieu sur le parvis du palais de justice, ce qui s’appelle faire pression sur les juges. Mais la ministre a été humiliée puisque la famille Traoré – dont certains membres ont connu de près les tribunaux -a refusé de venir la voir en lui rappelant le principe de la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. 1 pour Traoré et 0 pour l’Etat représenté par son Garde des Sceaux. Si ce dossier se termine par un non -lieu gare aux représailles.
On peut conclure de ces faux pas qu’à force d’essayer d’éteindre des incendies provoqués pour des causes qui n’ont rien à voir avec les dossiers réels à régler, on perd de vue les grands principes et on alimente des discussions vaines qui meurtrissent et dissimulent les véritables enjeux, les problèmes de fond qui minent notre société.  Il ne s’agit pas d’ignorer ce que ressentent certains et de nier qu’il y a des inégalités, des injustices, des haines qu’il faut éradiquer. Ou de prétendre contre la réalité que des policiers ou des gendarmes ne dérapent pas dans le feu de l’action. Il y a des mauvais partout, surtout chez les délinquants.   Mais on ne peut faire supporter à la majorité d’entre eux qui doivent être soutenus et méritent considération, les infractions de quelques-uns.
Ce n’est pas par le ministère de la parole qu’on arrivera à convaincre ceux qui s’estiment victimes quoique l’on fasse pour eux. Une politique de rassemblement et d’égalité des droits est préférable, concrètement. Il faut aller vers une société de confiance, et non vers une suspicion généralisée.  L’autorité n’est pas l’alpha et l’omega, mais elle est nécessaire et la sécurité en général notamment juridique est la première des libertés. Qu’au moins les ministres aient une parole structurée, claire, uniquement fondée sur les valeurs républicaines avec les devoirs aussi et des faits vérifiés en respectant la loi, et que l’émotion ne motive pas leurs déclarations publiques. Ne mettons pas un genou à terre, et écartons la repentance tout en étant humaniste et solidaire. La république qui n’est ni raciste, ni brutale, ni totalitaire, ni fermée a besoin d’apaisement pour que la démocratie vive.  Les à -peu- près verbaux n’apportent rien, sauf à crisper les uns contre les autres. Le politiquement correct est une régression. Discutons de tout sans tabou pour progresser et combattons tous les fléaux dont le racisme et les violences par l’éducation et l’exemple.
Il est parfois préférable de se taire. Le virus est aussi dans les têtes. Faisons tout pour le faire partir. 



mardi 9 juin 2020

la justice sans les justiciables


La justice sans les justiciables : un moment provisoire.
Par Christian Fremaux avocat honoraire.
La crise sanitaire a des effets secondaires même là où on ne les attend pas. La justice qui tourne au ralenti depuis des mois n’est pas épargnée alors que la volonté de faire reconnaitre ses droits, ou d’être jugé en fonction de ce qu’on estime être sa responsabilité, n’a jamais été aussi forte. Au-delà des procès médiatiques qui mettent en cause les puissants, politiques souvent, le citoyen a besoin de savoir que la justice est indépendante de tous les pouvoirs, que la loi s’applique à tous, et que ceux qui ont commis des fautes -des infractions - seront poursuivis, on veut dire punis. Car quand la foule réclame justice cela signifie en pratique pas de présomption d’innocence et condamnation immédiate de ceux qui sont accusés sans preuve formelle ou sans débat contradictoire surtout s’ils sont une émanation de l’Etat. Je pense aux forces de l’ordre qui disposent de la violence légitime, sauf bavures ou abus cela va de soi. Si on invente ou s’il y a un exemple lointain qui n’a rien à voir pour des raisons culturelles et historiques ou d’organisation de l’Etat, on amalgame et on hurle d’autant plus. Les minorités criardes souvent avec l’aide de médias font pression sur la justice et certains trouvent cela normal, car il faut des boucs émissaires pour que la cause se justifie. Comme à Rome on baisse le pouce. Il faut des coupables individuels avérés ou présumés qui paient. Et si on peut y ajouter un responsable institutionnel, le compte est bon.  Tout ceci est dangereux car ce raisonnement peut conduire à la déstabilisation de la société et à sa fracturation. Mais c’est une autre histoire comme aurait dit R.Kipling. 
 L’actualité nous prouve tous les jours que la soif de justice est grande et que l’injustice réelle ou supposée n’est plus subie mais revendiquée pour tout expliquer voire excuser. Ainsi la lutte contre le racisme est un combat juste, mais elle ne doit pas entrainer des débordements , des violences et pillages et culpabiliser tous les citoyens, et elle n’existe pas toujours. En effet les causes prétendues sont parfois discutables et orientées : une victime présumée ne l’est pas forcément parce qu’elle le dit, et il faut remonter aux faits avant de se prononcer sur les conséquences qui ne tiennent pas obligatoirement ou systématiquement à une couleur de peau ou à une détresse sociale. Le bien et le mal sont dans tous les camps et le raisonnement binaire est trop simpliste. On ne peut écarter les faits pour faire admettre ce que l’on souhaite, pour prononcer un postulat, pour faire remonter les responsabilités d’aujourd’hui au passé et aux comportements de dirigeants ou d’individus d’une ancienne époque, où personne n’était parfait, jugés à l’aune des critères contemporains. Prenons le cas des droits de l’homme devenus un dogme extensible dans tous les domaines.  Sont-ils toujours universels y compris chez nous ? Comment les concilier avec le principe de laïcité mis à mal dans notre société dite multiculturelle, ce qui se discute d’ailleurs alors que nous sommes dans un cadre républicain et qu’on ne différencie pas les citoyens qui ont aussi des devoirs, faut-il le rappeler ? L’indignation vaut- elle raison et est-elle la preuve que c’est la vérité ?  Peut -on considérer que les libertés individuelles doivent s’imposer quoiqu’il arrive dans le cadre de la sécurité extérieure comme intérieure, et quand il faut protéger la population y compris contre elle -même dans son intérêt, par exemple d’un ennemi invisible, un virus. Où placer le curseur pour trouver le bon équilibre entre les grands principes qui fondent l’état de droit et la république et la nécessité d’une protection collective ? En outre la justice doit s’adapter à la conjoncture et aux menaces du moment.
Après les attentats de 2015 et plus tard les pouvoirs publics ont fait voter une législation contraignante et des mesures limitant quelque peu des libertés individuelles. Ce fut globalement admis, à titre provisoire pour une période donnée, mais les textes n’ont pas disparu et sont entrés dans le droit commun. Après la crise sanitaire nous avons assisté à une innovation : la justice qui a repris lentement ses activités avec masques mais sans justiciables. Pour obtenir une décision les délais étaient déjà longs dans le cours ordinaire. Ils vont être désormais sans fin compte tenu des retards pris dans ces conditions nouvelles !
On a demandé à ceux qui travaillent dans l’entreprise ou aux enseignants, de faire un maximum de télétravail et de ne pas se déplacer. En raison de moyens matériels inexistants pour ce faire les magistrats et les greffiers n’ont pu travailler sauf pour les urgences notamment touchant aux détentions, et ils sont restés confinés chez eux, comme les avocats qui n’avaient plus le droit d’aller à leur cabinet et qui de toutes les façons ne pouvaient utiliser le RPVA (réseau virtuel pour le dépôt des conclusions et échange de pièces entre avocats et magistrats) faute d’interlocuteurs dans les palais de justice. Pour éviter un immobilisme total dans des tribunaux et cours fermés, l’exécutif a pris des mesures par décret jusqu’à la fin de l’année a priori qui consistent à tenir des procès à distance, par dépôt des dossiers, donc sans audience publique, sans interrogatoire ou présence des parties quand la procédure est orale, sans plaidoirie des avocats, et hors l’existence physique des juges. C’est un bouleversement de la pratique de la justice même si c’était déjà la tendance. Des textes avaient été préparés et votés bien avant la crise malgré l’opposition des avocats notamment.  Depuis le début 2020 la procédure civile a été changée. Devant ce qui est le tribunal judiciaire- ancien TGI - la loi prescrit désormais de déposer les dossiers. L’avocat peut demander de plaider c’est à dire de fournir des observations mais ces affaires ne sont pas prioritaires. La crise sanitaire a accentué ces modalités qui ne doivent pas devenir définitives. Cette méthode existe depuis très longtemps devant les tribunaux administratifs où les juges se prononcent sur les mémoires écrits et les pièces échangés entre les parties. L’audience dite de plaidoirie sert surtout à entendre les conclusions du rapporteur public qui rappelle le droit sur un dossier donné.
Quand la procédure est juridiquement et officiellement orale comme devant les conseils de prud’homme l’audience de plaidoirie est fondamentale, et les parties sont invitées à comparaitre pour être éventuellement interrogées par les conseillers qui jugent en droit et en équité. La substantifique moelle d’un dossier ne se circonscrit pas à des écrits et à des documents : l’homme /la femme sont parties prenantes à la solution. L’audience est donc essentielle.
Naturellement en droit pénal, on ne concevrait pas un débat devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises sans présence des parties et interrogatoire verbal : aurait- on pu juger MM. Cahuzac ou Balkany, ou l’assassin d’Ilian Halimi ou M. Merah, ou les responsables des victimes du médiator… (liste non exhaustive) sans qu’ils puissent s’exprimer et sans que les ténors du barreau démontrent leur talent qui peut changer la donne sur une audience publique ?  Le décorum de la salle d’audience fait pour intimider et montrer la solennité de l’évènement et l’importance de la décision rendue en toute transparence, motivée, individualisée d’où l’opinion publique doit être exclue, au nom du peuple français, compte aussi beaucoup. Un justiciable a besoin de voir ses juges, les soupeser, les craindre éventuellement les maudire parfois, mais aussi de comprendre ce que la justice représente dans sa symbolique pour l’exemple, pour la portée juridique et non morale de ses jugements qui doivent aller au-delà de la personne concernée, et grandir tant les victimes que les coupables, ou trancher en toute objectivité un conflit.  Souvent un tribunal fait deux mécontents : celui qui a gagné mais pas assez, et celui qui a perdu ce qu’il pense être injuste. En matière pénale le condamné reconnu objectivement coupable doit « admettre » la sanction ou du moins considérer qu’elle est adaptée à son cas, sinon cela ne sert à rien ni pour la société ni pour lui.  Mission difficile reconnaissons- le.
S’il n’y a plus d’audience publique et plus de débat tout ceci disparait, et on n’aura plus confiance dans la justice qui est déjà très décriée alors que son rôle est fondamental dans un état de droit, et que l’on demande aux juges de régler des problèmes que le parlement a évité de discuter, ou qui font polémiques, ou qui étaient imprévus. Cela va être le cas avec la crise sanitaire où des victimes vont essayer de trouver des coupables au plus haut niveau politique et administratif possible. Le procureur de la république de paris vient d’ouvrir une information judiciaire sur la gestion de la crise.
La justice ne peut se passer des justiciables. Ni les facilités du numérique ni les algorithmes de la justice prédictive ne peuvent remplacer les éclats de voix, les échanges contradictoires, les émotions, dans un cadre approprié, avec les juges portant les insignes de leurs fonctions, robes noires ou rouges ou médailles. La justice sans audiences est à la vérité judiciaire ce que sont les fakes news à l’information vérifiée. L’homme/la femme a besoin d’être considéré comme la seule querelle qui vaille pour sortir d’une société anonyme, technologisée et mondialisée.  Un monde d’experts dans leurs bureaux ou tours d’ivoire  n’a pas d’avenir .Je suis certain que les magistrats sont d’accord.  Mettons fin au plus vite à l’état d’urgence sanitaire et revenons à la justice d’antan, qui certes a besoin d’être modernisée car on a la justice que l’on mérite si on ne s’en donne pas les moyens, mais qui est indispensable dans cette soif de transparence, de démocratie participative, et d’égalité en droit.