lundi 15 juin 2020

le virus et le licenciement économique


Le virus et le licenciement économique.
Par Christian Fremaux avocat honoraire .
Compte tenu de la conjoncture post confinement et malgré les dispositifs de soutien pris par l’Etat des entreprises vont connaitre de grandes difficultés économiques qui vont se traduire par des suppressions d’emploi ou la renégociation de conditions de travail et de salaires.  Un dialogue exigeant va s’ouvrir entre patronat et syndicats avec un but commun partagé : maintenir l’emploi et des conditions de travail et de salaires dignes, et faire repartir la croissance en permettant aux entreprises de sortir du carcan administratif et des normes et d’être plus flexibles dans leurs organisations. Car la crise a révélé les pesanteurs et la difficulté de prendre des initiatives. Il va falloir faire confiance aussi au secteur privé puisque l ’Etat ne peut tout assumer. Qu’il se contente des activités régaliennes, et qu’il facilite la création de richesses et la redistribution avec la solidarité, c’est déjà énorme.
 Personne ne doit payer les pots cassés de la crise sanitaire, car il n’y a pas de responsable identifié. Mais il va falloir être réaliste, et c’est là que les positions dogmatiques dans les deux camps ne doivent pas s’opposer ou que l’on cherche à travers une nécessaire restructuration à faire des gagnants et des perdants. On a gagné quelques mois de polémiques sur des notions que l’on n’avait pas éprouvées dans les faits comme le télétravail, le présentiel ou non sur le rendement et l’efficacité voire le moral des salariés, les conditions de travail et de salaires de ceux qui sont indispensables, la dépendance en matière de fournisseurs étrangers, et la nécessité de recréer une industrie pour protéger nationalement nos intérêts vitaux et revivifier les territoires. Le droit social est un droit vivant qui touche directement au destin individuel de l’homme/la femme et aux entreprises qui doivent pouvoir vivre et dégager des richesses : il doit donc s’adapter et ne pas être figé.
Le citoyen-consommateur va devoir aussi faire un choix : est-il prêt à payer un peu plus cher ce qu’il achète pour favoriser la production locale ? Oui dit la raison. Peut- être dit le portefeuille : attendons donc de voir ce que les français vont choisir. Car chacun d’entre nous à une responsabilité dans la reprise.   
En attendant il va falloir gérer les conséquences négatives de la crise notamment des licenciements. Les dispositions légales qui existent- notamment de 2016 et 2017- vont s’appliquer avec les possibilités de négocier des conditions ou des formes de travail nouvelles, y compris avec des baisses de rémunérations, sujet sensible s’il en est.  
En matière de contentieux il va falloir aussi innover. Pour un licenciement économique, le covid-19 et ses conséquences dont la fermeture obligatoire des entreprises et l’absence d’activités donc de tout chiffre d’affaires va-t-il être considéré par les juges des conseils de prud’homme comme une cause nouvelle réelle et sérieuse justifiant les licenciements individuels comme collectifs ? Le virus va- t-il faire évoluer la jurisprudence dans une matière très délicate puisqu’elle touche à l’emploi ?
L’actualité nous a informé fin mai-début juin 2020 de la condamnation de l’entreprise Good Year qui avait fermé son site picard en 2014 et avait licencié pour motifs économiques 832 salariés. Sous l’empire de la législation de l’époque, on jugeait la situation financière notamment au niveau du groupe mondial s’il existait, et le juge départiteur d’Amiens vient de considérer que Good Year Amiens n’aurait pas dû licencier alors que le groupe faisait des profits. Il a considéré que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et les anciens salariés toucheront des dommages -intérêts, après appel peut être ? Mais on ne remettra pas la situation en l’état de 2014 ! Rappelons que le conseil de prud’homme est composé de deux employeurs et de deux salariés et qu’il doit trouver une majorité pour condamner ou non. A défaut on y adjoint un juge professionnel qui « départit » entre les deux collèges qui ne se sont pas mis d’accord.  
L’appréciation de la réalité du motif économique est de la compétence exclusive des conseils de prud’homme qui jugent en fonction de l’évolution de la jurisprudence et de la loi sachant que les motifs économiques peuvent dépendre de la conjoncture et de l’imprévisible comme aujourd’hui …le covid- 19 ?
Il y a aussi un débat récurrent : comment concilier l’intérêt des salariés qui veulent continuer à travailler, ne sont pour rien dans les difficultés que connait l’entreprise, ont parfois consenti des sacrifices, et ne veulent pas se retrouver sur le carreau, sans ressources, indignés, et devenus précaires. Et les intérêts aussi des actionnaires qui veulent recevoir légitimement des dividendes, ou des financiers qui ont investi et veulent un retour sur investissements et ont besoin de garanties sur leur stratégie, leurs choix, leurs décisions. Les plans de sauvegarde de l’emploi vont être négociés âprement et être contrôlés a posteriori par les conseils de prud’homme puisque le gouvernement souhaite qu’on licencie le moins possible. Il n’a pas osé reprendre la formule de Bernard Tapie qui voulait interdire les licenciements !
L’ordonnance dite macron du n°2017-1385 du 22 septembre 2017 a créé un dispositif qui est mis en œuvre : l’accord de performance collective permet des innovations pour un période limitée. Il s’agit d’aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation, de revoir les salaires (donc à la baisse) en respectant les minima par profession et les jours de congés ou Rtt ; de favoriser les départs à la retraite ; de déterminer les formations ; de fixer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.  C’est un accord négocié entre le patronat et les syndicats majoritaires (au moins 50% des voix) et des modalités particulières selon que l’entreprise a plus ou moins 11 salariés ; ou plus ou moins entre 11 et 50 salariés.  Les dirigeants salariés ou sociaux et les actionnaires doivent fournir aussi des efforts. L’accord modifie le contrat de travail individuel, et si le salarié refuse il s’expose à un licenciement pour motif personnel.  Il s’agit de répondre aux contraintes de fonctionnement de l’entreprise ou à préserver ou développer l’emploi. On verra ce qu’il en est dans les mois qui viennent.
On a évolué dans cette matière des difficultés de l’entreprise ou sa volonté de se restructurer.  
On avait connu les licenciements dits « boursiers » selon l’expression de M.Bocquet président du groupe PCF à l’assemblée en 2001 à propos de la suppression d’emplois dans le monde  par Danone dont 570 dans sa branche française biscuits- Lu. La restructuration dans une entreprise qui marche et est saine pour accroitre les bénéfices n’est pas admise. La morale et l’indignation qui sont désormais la règle dans tous les domaines ne permettent plus a priori ce genre de restructuration !
 La sécurité juridique des uns et des autres est essentielle et il faut concilier ce qui peut paraitre comme contradictoire : la liberté d’entreprendre et le droit à l’emploi. Même si cette opposition est quelque peu biaisée car on ne peut systématiquement maintenir l’emploi au prix de la réalité économique. En revanche on doit donner des protections à ceux qui sont victimes d’une crise ou d’une mauvaise gestion.  Il faut trouver un équilibre que l’on vérifie judiciairement au cas par cas.  L’entreprise a aussi besoin de se réorganiser, de se restructurer et de se séparer de salariés pour pouvoir rebondir et retrouver du dynamisme voire rembaucher ultérieurement. Cela génère des conflits car l’humain est au cœur de la problématique, mais en même temps il faut faciliter les mesures concrètes qui permettent d’éviter un dépôt de bilan, et des reprises hasardeuses.
La définition classique et générale du licenciement pour motifs économiques est la suivante : « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’un suppression ou transformation d’emploi, ou d’une modification refusée par le salarié d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives NOTAMMENT à des difficultés économiques, à des mutations  technologiques, à une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou à la cessation d’activité de l’entreprise ».
 Il y a du grain à moudre en matière d’interprétation et de justifications donc de contentieux et de débats houleux.
La jurisprudence avait évolué par les arrêts dits « pages jaunes » rendus par la chambre sociale de la cour de cassation le 11 janvier 2006. La cour considère désormais qu’est justifiée une réorganisation de l’entreprise motivée par le souci de prévenir des difficultés économiques futures susceptibles d’avoir des conséquences négatives sur l’emploi.
Retenons le double critère de réorganisation et qui doit avoir été mise en œuvre pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise ou celle du secteur d’activité du groupe à laquelle elle appartient.
La loi dite de Mme EL Khomry du 8 août 2016 entrée en vigueur le 1er décembre,  a apporté des modifications concernant les critères du licenciement économique visé à l’article L.1233-3 du code du travail  qui dispose que l’employeur peut licencier un salarié «  en raison des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires ,des pertes d’exploitation  ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation , soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ».
L’ordonnance dite macron du 22 septembre 2017 a encore assoupli certaines dispositions en matière de licenciement économique : le périmètre d’appréciation de la cause économique est l’entreprise. Si celle-ci appartient à un groupe, la cause s’apprécie au niveau du secteur d’activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe (dont la définition est revue avec les entités implantées en France) auquel elles appartiennent et qui sont établies sur le territoire national. Il est précisé que le licenciement économique ne peut intervenir que lorsque toutes les recherches de reclassement et de formation ont été épuisées, et qu’aucun reclassement n’est possible (les offres hors territoire national ne sont plus indispensables). Les autres obligations sont maintenues : ordre des licenciements, convocation du salarié ; PSE dans les entreprises de plus de 50 personnes ; contrat de sécurisation professionnelle ; information de la Direccte…).
Les juges vont devoir apprécier les conséquences du confinement lié au covid-19. Les futurs licenciements pour motifs économiques devront répondre aux critères légaux, dont l’origine peut être le virus. Celui- ci ne peut être par lui- même une cause réelle et sérieuse. Il s’ajoutera à des motifs objectifs et vérifiables, aura parfois accéléré une situation compromise mais ne pourra servir d’excuse ou de prétexte ou d’opportunités pour les actionnaires. La loi El khomry a prévu des baisses de commandes ou de chiffres d’affaire notamment sur 1 ou plusieurs trimestres consécutifs selon la taille de l’entreprise. Il faudra les prouver.
La force majeure prévue à l’article 1218 du code civil s’applique dans le domaine contractuel et vise un évènement imprévisible et irrésistible.  Mais le contrat de travail ne peut être assimilé à un contrat banal, en raison de la particularité des obligations du salarié et de l’employeur qui relèvent de l’ordre social public, qui par ces temps troublés est considéré comme fondamental pour la cohésion sociale. Les employeurs seront prudents en ne fondant pas d’éventuels licenciements économiques en invoquant uniquement les conséquences du virus. A priori mais chaque juge aura son opinion, le covid-19 ne pourra être opposé à des résultats acceptables bien qu’en baisse et au maintien de l’emploi et ne pourra faire accroitre par contagion le profit actuel ou futur.                      


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