Le
virus et le licenciement économique.
Par
Christian Fremaux avocat honoraire .
Compte tenu
de la conjoncture post confinement et malgré les dispositifs de soutien pris
par l’Etat des entreprises vont connaitre de grandes difficultés économiques
qui vont se traduire par des suppressions d’emploi ou la renégociation de
conditions de travail et de salaires. Un dialogue exigeant va s’ouvrir entre
patronat et syndicats avec un but commun partagé : maintenir l’emploi et
des conditions de travail et de salaires dignes, et faire repartir la
croissance en permettant aux entreprises de sortir du carcan administratif et
des normes et d’être plus flexibles dans leurs organisations. Car la crise a
révélé les pesanteurs et la difficulté de prendre des initiatives. Il va
falloir faire confiance aussi au secteur privé puisque l ’Etat ne peut
tout assumer. Qu’il se contente des activités régaliennes, et qu’il facilite la
création de richesses et la redistribution avec la solidarité, c’est déjà
énorme.
Personne ne doit payer les pots cassés de la
crise sanitaire, car il n’y a pas de responsable identifié. Mais il va
falloir être réaliste, et c’est là que les positions dogmatiques dans les deux
camps ne doivent pas s’opposer ou que l’on cherche à travers une nécessaire
restructuration à faire des gagnants et des perdants. On a gagné quelques mois
de polémiques sur des notions que l’on n’avait pas éprouvées dans les faits
comme le télétravail, le présentiel ou non sur le rendement et l’efficacité
voire le moral des salariés, les conditions de travail et de salaires de ceux
qui sont indispensables, la dépendance en matière de fournisseurs étrangers, et
la nécessité de recréer une industrie pour protéger nationalement nos intérêts
vitaux et revivifier les territoires. Le droit social est un droit vivant qui
touche directement au destin individuel de l’homme/la femme et aux entreprises
qui doivent pouvoir vivre et dégager des richesses : il doit donc
s’adapter et ne pas être figé.
Le
citoyen-consommateur va devoir aussi faire un choix : est-il prêt à
payer un peu plus cher ce qu’il achète pour favoriser la production
locale ? Oui dit la raison. Peut- être dit le portefeuille :
attendons donc de voir ce que les français vont choisir. Car chacun d’entre
nous à une responsabilité dans la reprise.
En attendant
il va falloir gérer les conséquences négatives de la crise notamment des
licenciements. Les dispositions légales qui existent- notamment de 2016 et
2017- vont s’appliquer avec les possibilités de négocier des conditions ou des
formes de travail nouvelles, y compris avec des baisses de rémunérations, sujet
sensible s’il en est.
En matière
de contentieux il va falloir aussi innover. Pour un licenciement
économique, le covid-19 et ses conséquences dont la fermeture obligatoire des
entreprises et l’absence d’activités donc de tout chiffre d’affaires
va-t-il être considéré par les juges des conseils de prud’homme comme une
cause nouvelle réelle et sérieuse justifiant les licenciements individuels
comme collectifs ? Le virus va- t-il faire évoluer la jurisprudence dans
une matière très délicate puisqu’elle touche à l’emploi ?
L’actualité nous a informé fin mai-début juin 2020 de la
condamnation de l’entreprise Good Year qui avait fermé son site picard en 2014
et avait licencié pour motifs économiques 832 salariés. Sous l’empire de
la législation de l’époque, on jugeait la situation financière notamment
au niveau du groupe mondial s’il existait, et le juge départiteur d’Amiens
vient de considérer que Good Year Amiens n’aurait pas dû licencier alors que le
groupe faisait des profits. Il a considéré que le licenciement était sans cause
réelle et sérieuse et les anciens salariés toucheront des dommages -intérêts,
après appel peut être ? Mais on ne remettra pas la situation en l’état de
2014 ! Rappelons que le conseil de prud’homme est composé de deux
employeurs et de deux salariés et qu’il doit trouver une majorité pour
condamner ou non. A défaut on y adjoint un juge professionnel qui
« départit » entre les deux collèges qui ne se sont pas mis d’accord.
L’appréciation de la réalité du motif économique est de
la compétence exclusive des conseils de prud’homme qui jugent en fonction de
l’évolution de la jurisprudence et de la loi sachant que les motifs économiques
peuvent dépendre de la conjoncture et de l’imprévisible comme aujourd’hui …le
covid- 19 ?
Il y a aussi un débat récurrent : comment concilier
l’intérêt des salariés qui veulent continuer à travailler, ne sont pour rien
dans les difficultés que connait l’entreprise, ont parfois consenti des
sacrifices, et ne veulent pas se retrouver sur le carreau, sans ressources,
indignés, et devenus précaires. Et les intérêts aussi des actionnaires qui
veulent recevoir légitimement des dividendes, ou des financiers qui ont investi
et veulent un retour sur investissements et ont besoin de garanties sur leur
stratégie, leurs choix, leurs décisions. Les plans de sauvegarde de l’emploi
vont être négociés âprement et être contrôlés a posteriori par les conseils de
prud’homme puisque le gouvernement souhaite qu’on licencie le moins possible.
Il n’a pas osé reprendre la formule de Bernard Tapie qui voulait interdire les
licenciements !
L’ordonnance dite macron du n°2017-1385 du 22 septembre 2017 a créé un dispositif qui est mis en œuvre : l’accord de performance
collective permet des innovations pour un période limitée. Il s’agit d’aménager
la durée du travail, ses modalités d’organisation, de revoir les salaires (donc
à la baisse) en respectant les minima par profession et les jours de congés ou
Rtt ; de favoriser les départs à la retraite ; de déterminer les
formations ; de fixer les conditions de la mobilité professionnelle ou
géographique interne à l’entreprise.
C’est un accord négocié entre le patronat et les syndicats majoritaires
(au moins 50% des voix) et des modalités particulières selon que l’entreprise a
plus ou moins 11 salariés ; ou plus ou moins entre 11 et 50 salariés. Les dirigeants salariés ou sociaux et les
actionnaires doivent fournir aussi des efforts. L’accord modifie le contrat de
travail individuel, et si le salarié refuse il s’expose à un licenciement
pour motif personnel. Il s’agit de
répondre aux contraintes de fonctionnement de l’entreprise ou à préserver ou développer
l’emploi. On verra ce qu’il en est dans les mois qui viennent.
On a évolué dans cette matière des difficultés de
l’entreprise ou sa volonté de se restructurer.
On avait connu les licenciements dits « boursiers »
selon l’expression de M.Bocquet président du groupe PCF à l’assemblée en 2001 à
propos de la suppression d’emplois dans le monde par Danone dont 570 dans sa branche française
biscuits- Lu. La restructuration dans une entreprise qui marche et est saine
pour accroitre les bénéfices n’est pas admise. La morale et l’indignation qui
sont désormais la règle dans tous les domaines ne permettent plus a priori ce
genre de restructuration !
La sécurité juridique
des uns et des autres est essentielle et il faut concilier ce qui peut paraitre
comme contradictoire : la liberté d’entreprendre et le droit à l’emploi. Même
si cette opposition est quelque peu biaisée car on ne peut systématiquement
maintenir l’emploi au prix de la réalité économique. En revanche on doit donner
des protections à ceux qui sont victimes d’une crise ou d’une mauvaise gestion.
Il faut trouver un équilibre que
l’on vérifie judiciairement au cas par cas.
L’entreprise a aussi besoin de se réorganiser, de se restructurer et de
se séparer de salariés pour pouvoir rebondir et retrouver du dynamisme voire
rembaucher ultérieurement. Cela génère des conflits car l’humain est au cœur de
la problématique, mais en même temps il faut faciliter les mesures concrètes
qui permettent d’éviter un dépôt de bilan, et des reprises hasardeuses.
La définition classique et générale du licenciement pour
motifs économiques est la suivante : « constitue un licenciement pour
motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou
plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’un
suppression ou transformation d’emploi, ou d’une modification refusée par le
salarié d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives NOTAMMENT à
des difficultés économiques, à des mutations
technologiques, à une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la
sauvegarde de sa compétitivité ou à la cessation d’activité de
l’entreprise ».
Il y a du grain à
moudre en matière d’interprétation et de justifications donc de contentieux et
de débats houleux.
La jurisprudence avait évolué par les arrêts dits
« pages jaunes » rendus par la chambre sociale de la cour de
cassation le 11 janvier 2006. La cour considère désormais qu’est justifiée une
réorganisation de l’entreprise motivée par le souci de prévenir des difficultés
économiques futures susceptibles d’avoir des conséquences négatives sur l’emploi.
Retenons le double critère de réorganisation et qui doit
avoir été mise en œuvre pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise ou
celle du secteur d’activité du groupe à laquelle elle appartient.
La loi dite de Mme EL Khomry du 8 août 2016 entrée en
vigueur le 1er décembre, a
apporté des modifications concernant les critères du licenciement économique
visé à l’article L.1233-3 du code du travail qui dispose que l’employeur
peut licencier un salarié « en raison des difficultés économiques caractérisées
soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel
qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires ,des pertes
d’exploitation ou une dégradation de la
trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation , soit par tout autre élément
de nature à justifier de ces difficultés ».
L’ordonnance dite macron du 22 septembre 2017 a encore assoupli
certaines dispositions en matière de licenciement économique : le
périmètre d’appréciation de la cause économique est l’entreprise. Si celle-ci
appartient à un groupe, la cause s’apprécie au niveau du secteur d’activité
commun au sien et à celui des entreprises du groupe (dont la définition est
revue avec les entités implantées en France) auquel elles appartiennent et
qui sont établies sur le territoire national. Il est précisé que le
licenciement économique ne peut intervenir que lorsque toutes les recherches de
reclassement et de formation ont été épuisées, et qu’aucun reclassement n’est
possible (les offres hors territoire national ne sont plus
indispensables). Les autres obligations sont maintenues : ordre des
licenciements, convocation du salarié ; PSE dans les entreprises de plus
de 50 personnes ; contrat de sécurisation professionnelle ;
information de la Direccte…).
Les juges vont devoir apprécier les conséquences du
confinement lié au covid-19. Les futurs licenciements pour motifs économiques
devront répondre aux critères légaux, dont l’origine peut être le virus. Celui-
ci ne peut être par lui- même une cause réelle et sérieuse. Il s’ajoutera
à des motifs objectifs et vérifiables, aura parfois accéléré une situation
compromise mais ne pourra servir d’excuse ou de prétexte ou d’opportunités pour
les actionnaires. La loi El khomry a prévu des baisses de commandes ou de
chiffres d’affaire notamment sur 1 ou plusieurs trimestres consécutifs selon la
taille de l’entreprise. Il faudra les prouver.
La force majeure prévue à l’article 1218 du code civil
s’applique dans le domaine contractuel et vise un évènement imprévisible et
irrésistible. Mais le contrat de travail ne
peut être assimilé à un contrat banal, en raison de la particularité des
obligations du salarié et de l’employeur qui relèvent de l’ordre social public,
qui par ces temps troublés est considéré comme fondamental pour la cohésion
sociale. Les employeurs seront prudents en ne fondant pas d’éventuels
licenciements économiques en invoquant uniquement les conséquences du virus. A
priori mais chaque juge aura son opinion, le covid-19 ne pourra être opposé à
des résultats acceptables bien qu’en baisse et au maintien de l’emploi et ne pourra
faire accroitre par contagion le profit actuel ou futur.
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