Le silence est d’or.
Par Christian
Fremaux avocat honoraire.
Il est
souvent préférable de s’abstenir de vouloir faire plaisir à des minorités qui
ne représentent qu’elles-mêmes et qui mènent un combat surtout quand on est une
personnalité de l’Etat donc l’incarnation visible de tous les citoyens avec
leurs opinions contradictoires, leurs croyances, leurs changements d’humeur. Toute
parole maladroite ou initiative hasardeuse publiques entrainent des polémiques
dont on peut se passer. La dialectique est un art qui se travaille, et
maîtriser son expression s’apprend surtout à notre époque où tout part en
vrille, où à peine énoncé un sujet enflamme, et où surtout les moins
représentatifs crient au scandale pour tout et rien. On est dans un monde de
l’hyperbole, de l’instantané, de l’image, puis on passe rapidement à autre
chose, l’urgence chassant l’urgence. Mais il ne faut pas annoncer à la va-vite
et sans nuances des décisions de fond qui vont marquer les esprits, parfois les
contrarier durablement, sauf à devoir rétropédaler et en ajouter à ce qui est
déjà inacceptable. N’est pas un bon communicant qui veut et l’utilisation du en «
même temps » est délicate. L’actualité nous le démontre.
Le ministre
de l’intérieur qui a la sémantique difficile on l’a déjà constaté - mais son
métier est de faire respecter l’ordre républicain et la cohésion sociale- a
fait des déclarations qui laissent pantois en voulant je pense réconforter ses
forces de l’ordre et nier -avec raison- que le racisme soit systémique dans
l’Etat, tout en assurant de sa compassion ceux qui s’en estiment victimes. Il
n’a satisfait ni les uns ni les autres. Le grand écart verbal n’est pas donné à
tous.
Prenant en compte la mort de George Floyd à
Minneapolis ce qui a provoqué à juste titre une vague d’indignation et entrainé
des manifestations en France, le ministre dans un bel élan oratoire (mais
était- il réfléchi ?) a fait savoir devant les médias qui s’en
pourlèchent, que le racisme dans les
rangs des forces de l’ordre ne serait pas toléré mais puni- ce qui est
d’ailleurs déjà le cas comme pour les bavures policières- ce qui aurait dû
ravir la ligue de défense des noirs très excessive dans ses propos voire
diffamatoire et insultante pour l’ensemble des français, car je n’ai
personnellement comme « blanc
privilégié » aucune responsabilité dans les interpellations qui se
terminent avec un mort et je laisse les juges décider de qui a fait quoi . Le
ministre a employé la formule de « soupçon avéré ». C’est un oxymore. Ou
il y a soupçon de paroles ou d’actes racistes et la présomption d’innocence
joue jusqu’à ce que l’enquête ait prouvé des faits objectifs. Ou si les faits
sont avérés il n’y a pas de doute et le coupable doit être sanctionné puisque
le racisme n’est pas une opinion mais un délit.
On comprend que les policiers et les gendarmes qui disposent de la
violence légitime avec des gardes -fous juridiques et déontologiques précis
soient furieux, car avec ce vocable c’est une quasi présomption de culpabilité
qui pèse sur leurs interventions ce qui n’est pas rassurant et laisse planer un
risque disciplinaire ou pénal. On verra à l’usage, mais le ministre devrait tourner
sa langue 7 fois dans sa bouche avant d’annoncer des approximations. C’est la même
chose quand il ignore la loi.
Le ministre
a récidivé dans l’incohérence.
Concernant
les manifestations interdites pour des raisons sanitaires, ou de sécurité ou
autres qui sont de la compétence et de l’appréciation des autorités publiques,
il a déclaré que « l’émotion mondiale » (liée à la mort de George Floyd) «
dépassait les règles juridiques » (sic) et qu’ainsi il n’y aurait pas de
sanction en cas de violation des règles d’interdiction. Ce fut un appel d’air
et bien sûr les manifestations eurent lieu. L’émotion a donc une valeur
supérieure à la loi ce qui remet en cause la hiérarchie des normes. Les professeurs
de droit vont avoir du grain à moudre pour commenter.
Plus
prosaïquement que comprend le citoyen lambda ? Il entend que la loi est à
géométrie variable, et que si on a un prétexte ou une excuse sociologique,
religieuse, sociale, culturelle ou de couleur de peau ou d’origine, la règle ne
s’applique pas. C’est de la discrimination à l’envers : le citoyen qui
n’appartient à aucun groupe spécifique, qui n’est pas défavorisé, paie ses
impôts, travaille, ne se fait pas interpeller pour une raison ou une autre,
doit respecter strictement la loi dans toute sa rigueur. Il comprend qu’une cause subjective supposée
d’importance mondiale, puis nationale, puis communautaire, puis individuelle
permet des passe- droits. Est-ce que j’exagère ? Je n’en suis pas sûr, car
les raisonnements intellectuellement sophistiqués entrainent parfois des
conséquences graves sur le terrain et ont des prolongements inattendus. Sans
compter que c’est souvent contre- productif et fait naitre des réactions de
ceux qui sont de bonne foi et ouverts. Trop c’est toujours trop.
Je me doute
que le ministre n’a pas songé aux conséquences de sa déclaration à
l’emporte-pièce une nouvelle fois compassionnelle, qu’il a voulu calmer le jeu,
ce qui d’ailleurs n’a servi à rien. Mais la majorité silencieuse a enregistré
et médite sur l’autorité de l’Etat et la force qui doit rester à la loi parfois
injuste disait le président Mitterrand même s’il n’est pas interdit de tenir
compte de circonstances exceptionnelles, soyons didactique dans une société
fracturée qui a besoin de se ressouder et dans une république qui ne distingue
pas parmi ses enfants. L’égalité des
droits et des devoirs est un principe intangible.
Je n’aurai
pas la cruauté de rappeler quelques déclarations hasardeuses de la porte -parole
du gouvernement, car je voudrai terminer par l’initiative curieuse de la Garde
des Sceaux, agrégée de droit et ancienne membre du conseil constitutionnel.
Elle s’est distinguée en invitant la famille
de M. Adama Traoré - sans inviter les policiers ou gendarmes visés par l’instruction – pour
parler avec elle du fonctionnement de la justice et pas du dossier a -t-elle
précisé ! D’autres justiciables qui
n’ont pas de comité de soutien voudraient un tel honneur. C’était déjà
baroque que la ministre de la justice reçoive des parties civiles alors que
l’enquête judiciaire est en cours, qu’il y a des polémiques sur les expertises,
et qu’une manifestation rassemblant des milliers de personne a eu lieu sur le
parvis du palais de justice, ce qui s’appelle faire pression sur les juges. Mais
la ministre a été humiliée puisque la famille Traoré – dont certains membres
ont connu de près les tribunaux -a refusé de venir la voir en lui rappelant le
principe de la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. 1 pour
Traoré et 0 pour l’Etat représenté par son Garde des Sceaux. Si ce dossier se
termine par un non -lieu gare aux représailles.
On peut
conclure de ces faux pas qu’à force d’essayer d’éteindre des incendies
provoqués pour des causes qui n’ont rien à voir avec les dossiers réels à
régler, on perd de vue les grands principes et on alimente des discussions
vaines qui meurtrissent et dissimulent les véritables enjeux, les problèmes de fond
qui minent notre société. Il ne s’agit
pas d’ignorer ce que ressentent certains et de nier qu’il y a des inégalités,
des injustices, des haines qu’il faut éradiquer. Ou de prétendre contre la
réalité que des policiers ou des gendarmes ne dérapent pas dans le feu de
l’action. Il y a des mauvais partout, surtout chez les délinquants. Mais on ne peut faire supporter à la
majorité d’entre eux qui doivent être soutenus et méritent considération, les
infractions de quelques-uns.
Ce n’est pas
par le ministère de la parole qu’on arrivera à convaincre ceux qui s’estiment
victimes quoique l’on fasse pour eux. Une politique de rassemblement et
d’égalité des droits est préférable, concrètement. Il faut aller vers une
société de confiance, et non vers une suspicion généralisée. L’autorité n’est pas l’alpha et l’omega, mais
elle est nécessaire et la sécurité en général notamment juridique est la
première des libertés. Qu’au moins les ministres aient une parole structurée,
claire, uniquement fondée sur les valeurs républicaines avec les devoirs aussi et
des faits vérifiés en respectant la loi, et que l’émotion ne motive pas leurs
déclarations publiques. Ne mettons pas un genou à terre, et écartons la
repentance tout en étant humaniste et solidaire. La république qui n’est ni
raciste, ni brutale, ni totalitaire, ni fermée a besoin d’apaisement pour que
la démocratie vive. Les à -peu- près
verbaux n’apportent rien, sauf à crisper les uns contre les autres. Le
politiquement correct est une régression. Discutons de tout sans tabou pour
progresser et combattons tous les fléaux dont le racisme et les violences par
l’éducation et l’exemple.
Il est
parfois préférable de se taire. Le virus est aussi dans les têtes. Faisons tout
pour le faire partir.
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