jeudi 11 juin 2020

le silence est d'or


                       Le silence est d’or.
           Par Christian Fremaux avocat honoraire.
Il est souvent préférable de s’abstenir de vouloir faire plaisir à des minorités qui ne représentent qu’elles-mêmes et qui mènent un combat surtout quand on est une personnalité de l’Etat donc l’incarnation visible de tous les citoyens avec leurs opinions contradictoires, leurs croyances, leurs changements d’humeur. Toute parole maladroite ou initiative hasardeuse publiques entrainent des polémiques dont on peut se passer. La dialectique est un art qui se travaille, et maîtriser son expression s’apprend surtout à notre époque où tout part en vrille, où à peine énoncé un sujet enflamme, et où surtout les moins représentatifs crient au scandale pour tout et rien. On est dans un monde de l’hyperbole, de l’instantané, de l’image, puis on passe rapidement à autre chose, l’urgence chassant l’urgence. Mais il ne faut pas annoncer à la va-vite et sans nuances des décisions de fond qui vont marquer les esprits, parfois les contrarier durablement, sauf à devoir rétropédaler et en ajouter à ce qui est déjà inacceptable. N’est pas un bon communicant qui veut et l’utilisation du en « même temps » est délicate. L’actualité nous le démontre.
Le ministre de l’intérieur qui a la sémantique difficile on l’a déjà constaté - mais son métier est de faire respecter l’ordre républicain et la cohésion sociale- a fait des déclarations qui laissent pantois en voulant je pense réconforter ses forces de l’ordre et nier -avec raison- que le racisme soit systémique dans l’Etat, tout en assurant de sa compassion ceux qui s’en estiment victimes. Il n’a satisfait ni les uns ni les autres. Le grand écart verbal n’est pas donné à tous.  
 Prenant en compte la mort de George Floyd à Minneapolis ce qui a provoqué à juste titre une vague d’indignation et entrainé des manifestations en France, le ministre dans un bel élan oratoire (mais était- il réfléchi ?) a fait savoir devant les médias qui s’en pourlèchent,  que le racisme dans les rangs des forces de l’ordre ne serait pas toléré mais puni- ce qui est d’ailleurs déjà le cas comme pour les bavures policières- ce qui aurait dû ravir la ligue de défense des noirs très excessive dans ses propos voire diffamatoire et insultante pour l’ensemble des français, car je n’ai personnellement  comme «  blanc privilégié » aucune responsabilité dans les interpellations qui se terminent avec un mort et je laisse les juges décider de qui a fait quoi . Le ministre a employé la formule de « soupçon avéré ». C’est un oxymore. Ou il y a soupçon de paroles ou d’actes racistes et la présomption d’innocence joue jusqu’à ce que l’enquête ait prouvé des faits objectifs. Ou si les faits sont avérés il n’y a pas de doute et le coupable doit être sanctionné puisque le racisme n’est pas une opinion mais un délit.  On comprend que les policiers et les gendarmes qui disposent de la violence légitime avec des gardes -fous juridiques et déontologiques précis soient furieux, car avec ce vocable c’est une quasi présomption de culpabilité qui pèse sur leurs interventions ce qui n’est pas rassurant et laisse planer un risque disciplinaire ou pénal. On verra à l’usage, mais le ministre devrait tourner sa langue 7 fois dans sa bouche avant d’annoncer des approximations. C’est la même chose quand il ignore la loi.
Le ministre a récidivé dans l’incohérence.
Concernant les manifestations interdites pour des raisons sanitaires, ou de sécurité ou autres qui sont de la compétence et de l’appréciation des autorités publiques, il a déclaré que « l’émotion mondiale » (liée à la mort de George Floyd) « dépassait les règles juridiques » (sic) et qu’ainsi il n’y aurait pas de sanction en cas de violation des règles d’interdiction. Ce fut un appel d’air et bien sûr les manifestations eurent lieu. L’émotion a donc une valeur supérieure à la loi ce qui remet en cause la hiérarchie des normes. Les professeurs de droit vont avoir du grain à moudre pour commenter.
Plus prosaïquement que comprend le citoyen lambda ? Il entend que la loi est à géométrie variable, et que si on a un prétexte ou une excuse sociologique, religieuse, sociale, culturelle ou de couleur de peau ou d’origine, la règle ne s’applique pas. C’est de la discrimination à l’envers : le citoyen qui n’appartient à aucun groupe spécifique, qui n’est pas défavorisé, paie ses impôts, travaille, ne se fait pas interpeller pour une raison ou une autre, doit respecter strictement la loi dans toute sa rigueur.  Il comprend qu’une cause subjective supposée d’importance mondiale, puis nationale, puis communautaire, puis individuelle permet des passe- droits. Est-ce que j’exagère ? Je n’en suis pas sûr, car les raisonnements intellectuellement sophistiqués entrainent parfois des conséquences graves sur le terrain et ont des prolongements inattendus. Sans compter que c’est souvent contre- productif et fait naitre des réactions de ceux qui sont de bonne foi et ouverts. Trop c’est toujours trop.  
Je me doute que le ministre n’a pas songé aux conséquences de sa déclaration à l’emporte-pièce une nouvelle fois compassionnelle, qu’il a voulu calmer le jeu, ce qui d’ailleurs n’a servi à rien. Mais la majorité silencieuse a enregistré et médite sur l’autorité de l’Etat et la force qui doit rester à la loi parfois injuste disait le président Mitterrand même s’il n’est pas interdit de tenir compte de circonstances exceptionnelles, soyons didactique dans une société fracturée qui a besoin de se ressouder et dans une république qui ne distingue pas parmi ses enfants.  L’égalité des droits et des devoirs est un principe intangible.
Je n’aurai pas la cruauté de rappeler quelques déclarations hasardeuses de la porte -parole du gouvernement, car je voudrai terminer par l’initiative curieuse de la Garde des Sceaux, agrégée de droit et ancienne membre du conseil constitutionnel.
 Elle s’est distinguée en invitant la famille de M. Adama Traoré - sans inviter les policiers  ou gendarmes visés par l’instruction – pour parler avec elle du fonctionnement de la justice et pas du dossier a -t-elle précisé !  D’autres justiciables qui n’ont pas de comité de soutien voudraient un tel honneur. C’était déjà baroque que la ministre de la justice reçoive des parties civiles alors que l’enquête judiciaire est en cours, qu’il y a des polémiques sur les expertises, et qu’une manifestation rassemblant des milliers de personne a eu lieu sur le parvis du palais de justice, ce qui s’appelle faire pression sur les juges. Mais la ministre a été humiliée puisque la famille Traoré – dont certains membres ont connu de près les tribunaux -a refusé de venir la voir en lui rappelant le principe de la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. 1 pour Traoré et 0 pour l’Etat représenté par son Garde des Sceaux. Si ce dossier se termine par un non -lieu gare aux représailles.
On peut conclure de ces faux pas qu’à force d’essayer d’éteindre des incendies provoqués pour des causes qui n’ont rien à voir avec les dossiers réels à régler, on perd de vue les grands principes et on alimente des discussions vaines qui meurtrissent et dissimulent les véritables enjeux, les problèmes de fond qui minent notre société.  Il ne s’agit pas d’ignorer ce que ressentent certains et de nier qu’il y a des inégalités, des injustices, des haines qu’il faut éradiquer. Ou de prétendre contre la réalité que des policiers ou des gendarmes ne dérapent pas dans le feu de l’action. Il y a des mauvais partout, surtout chez les délinquants.   Mais on ne peut faire supporter à la majorité d’entre eux qui doivent être soutenus et méritent considération, les infractions de quelques-uns.
Ce n’est pas par le ministère de la parole qu’on arrivera à convaincre ceux qui s’estiment victimes quoique l’on fasse pour eux. Une politique de rassemblement et d’égalité des droits est préférable, concrètement. Il faut aller vers une société de confiance, et non vers une suspicion généralisée.  L’autorité n’est pas l’alpha et l’omega, mais elle est nécessaire et la sécurité en général notamment juridique est la première des libertés. Qu’au moins les ministres aient une parole structurée, claire, uniquement fondée sur les valeurs républicaines avec les devoirs aussi et des faits vérifiés en respectant la loi, et que l’émotion ne motive pas leurs déclarations publiques. Ne mettons pas un genou à terre, et écartons la repentance tout en étant humaniste et solidaire. La république qui n’est ni raciste, ni brutale, ni totalitaire, ni fermée a besoin d’apaisement pour que la démocratie vive.  Les à -peu- près verbaux n’apportent rien, sauf à crisper les uns contre les autres. Le politiquement correct est une régression. Discutons de tout sans tabou pour progresser et combattons tous les fléaux dont le racisme et les violences par l’éducation et l’exemple.
Il est parfois préférable de se taire. Le virus est aussi dans les têtes. Faisons tout pour le faire partir. 



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