lundi 21 décembre 2020

un procès singulier: des juges contre thémis

 

                

                   Un procès singulier : des juges contre Themis.

                              Par Christian Fremaux avocat honoraire.

                                                   Un dïner de c.

 Je pourrai choisir un exemple inédit : parmi les 10 qui ont diné à l’Elysée mercredi 16 décembre avec le président et le premier ministre je lis que certains d’entre eux et des associations auraient déposé plainte pour mise en danger de la vie d’autrui si ce n’est pas une fake- news, puisque on a appris par la presse que le président était atteint du covid. C’est un manque de reconnaissance du ventre, et un défaut de responsabilité personnelle. On peut accepter d’aller diner à 10 dans l’antre du pouvoir en passant par la cheminée sans respecter les gestes barrières pour profiter de la parole et de la table du président. Mais on ne se plaint pas après ! On pouvait décliner l’invitation. Comme dirait Francis Veber ce fut un dîner de c.

                                      Des juges vigilants qui s’autosaisissent quasiment.

Par ces temps énervés et d’esprits égarés, j’ai choisi un exemple singulier pour montrer jusqu’où peuvent aller des juges, ces juges dont on a besoin et qui arbitrent la vie ou l’avenir des hommes et des femmes.  On a envie de croire qu’ils sont sur les hauteurs et qu’ils ne s’attaquent pas à des détails, même si des détails posent problèmes. On a besoin de sérénité et de repères solides mais tout explose.  Des juges surtout syndicalistes ont craqué et attaquent en justice leur propre ministre qui incarne Thémis pour conflit d’intérêts et peut être d’autres infractions en l’accusant de profiter de ses fonctions ministérielles pour arranger ses dossiers d’ancien avocat. Ils ne lui adressent plus la parole ? : on n’ose y croire.   Essayons d’être clair d’après ce que l’on sait ou cru apprendre de cette affaire obscure des écoutes de Paul Bismuth alias N.Sarkozy ou l’inverse qui vient de se terminer dans l’indignation du barreau vent debout  et les larmes de l’infâmie  : si j’ai bien compris car les poursuites sont confuses  et non documentées l’avocat  Dupond-Moretti qui a été écouté pendant des années comme un criminel potentiel est soupçonné comme d’autres avocats - qui ont été plutôt victimes des procédures secrètes et curieuses du parquet national financier- d’avoir été ou d’avoir profité d’une  taupe (sic)  au sein de la cour de cassation à son profit personnel ? ou  pour informer son confrère avocat de M. Sarkozy.  On attend la décision au fond du tribunal pour l’ancien président et ses éventuels « comparses » pour le 1er mars 2021. Et si M. Sarkozy était relaxé, on ne peut l’exclure ! La justice rend des arrêts et non des services disait au 19ème siècle le 1er président de la cour d’appel M. Séguier. Mais concernant Me Dupond -Moretti des juges le soupçonnent d’autres vilénies dans des dossiers qu’il a gérés pendant qu’il était avocat, que l’on ne connait pas et heureusement secret professionnel oblige pour le moins. Les juges pensent que Me Dupond-Moretti n’est pas blanc-bleu dans d’autres dossiers qu’il a eu à défendre. C’est l’ère du soupçon qui monte jusqu’à un ministre. Alors pour la valetaille attention ! 

                                                 Partira partira pas ?

En attendant d’éventuels jugements publics ou plus de précisions puisque tout est confiné et couvert par le secret -sauf les fuites organisées- des juges poussent les feux, car ils n’ont pas aimé être critiqués même quand c’était légitime, et estiment avoir été maltraités pendant des années par celui qui est devenu leur ministre. On dit que la vengeance est un plat qui se mange froid. « Vengeance ? » répondent-ils pas le moins du monde simplement application du droit puisque le ministre n’est ni au-dessus ni au-dessous des lois surtout quand il était avocat. A chacun de choisir sa version ! Comme si un avocat même de talent pouvait à lui seul mettre à bas la magistrature qui s’exprime aussi.  La roue tourne pour tout le monde. Des juges se mordent la queue et on ne sait pas bien ce qu’ils veulent : le départ honteux de Me Dupond-Moretti et son remplacement par un ministre que les juges adouberaient partageant leurs visions de la justice. Ou que le ministre se rende à Canossa c’est-à-dire à la rentrée judiciaire de début 2021 à paris c’est moins loin et avoue son crime sinon ses turpitudes de sa vie passée ce qui permettrait ainsi d’avoir un aveu pour le faire démissionner ou pouvoir dire que le grand avocat avait tort et a cédé devant ses juges comme un vulgaire délinquant. Quelle victoire à la Pyrrhus quoiqu’il arrive. Sauf si le ministre persiste et signe, fait la preuve de son innocence alors que les procureurs devraient démontrer sa culpabilité, et que les juges soient renvoyés au fin fond des palais de justice pour qu’ils se contentent de faire leur métier, travaillent vite et bien, ce qui après tout n’est pas une sanction dégradante.

                                                La plainte contre le ministre

  Mieux vaut en rire qu’en pleurer mais je dois dire que cette nouvelle m’a démontré s’il le fallait encore que nous vivions dans une époque étrange où l’on fait n’importe quoi et où l’exemplarité n’a plus de sens. Et l’on s’étonne de vivre en Absurdistan quand nos élites technocratiques- pour notre bien cela va de soi - nous imposent des décisions a priori incohérentes en matière de santé même si je ne sais pas s’il y a des solutions qui n’ont pas d’effets secondaires néfastes pour certains et leurs professions, et que les juges qui doivent être exemplaires et tourner 7 fois leurs codes dans leurs mains s’y mettent aussi.  Ainsi deux syndicats de magistrats ont- ils déposé plainte devant la cour de justice de la république qui est déjà débordée par les plaintes liées à la crise sanitaire, contre leur ministre pour conflit d’intérêts entre autres, M. Dupond-Moretti aurait parait- il mélangé les genres. Quand il était avocat le ministre gérait dans son cabinet dans l’intérêt de ses clients ce qui est la base du métier, des dossiers dits sensibles soit par les problèmes de droit à régler soit en raison de la personnalité de ceux qu’il défendait et des causes qui avaient électrisé le pays. On le sait l’avocat Dupond-Moretti n’a jamais ménagé les juges en général. Le premier syndicat qui a déposé plainte est celui de la magistrature SM qui tire à boulets rouges et conduit à gauche. Le second majoritaire dans la profession est l’USM Union syndicale des magistrats, apolitique, de l’extrême centre technique et corporatiste. Pour que les deux se plaignent il faut un évènement très grave, au moins un crime, et pour un ministre de la haute trahison ou de la forfaiture sinon une question de principe supérieur. Il semble cependant qu’on soit dans une catégorie plus secondaire : de profiter d’être ministre pour régler des difficultés d’avocat ! Mais avant de dénoncer l’autre et de donner des leçons il faut montrer patte blanche, ou main désinfectée au gel hydro alcoolique.

                                            Sur la responsabilité personnelle des juges

 Rappelons que les magistrats sauf cas exceptionnel et faute lourde ne peuvent pas être poursuivis individuellement pour faute professionnelle comme un vulgaire avocat ou membre de n’importe quel métier, encore moins pour les décisions qu’ils prennent car on ne commente pas les jugements sauf techniquement sur le fond du droit, et que ces avantages font partie de leur indépendance et de leur statut bien qu’ils ne soient qu’une autorité et pas un pouvoir depuis la Constitution de 1958. S’ils se trompent - et cela arrive avec des détenus relâchés à raison d’un oubli ou d’un jugement contestable ou d’une appréciation erronée sans compter des jurisprudences dans tous domaines (social, civil …) qui prêtent à polémiques, ou des retards très importants dans le rendu des jugements pour des raisons diverses dont matérielles- l’Etat est poursuivi à leur place, et ils continuent leur carrière. Ce quasi régime d’exonération que les méchants qualifient d’impunité en titille plus d’un, car qui peut se vanter de ne rien craindre judiciairement à l’heure actuelle : personne. Un ancien premier ministre poursuivi pendant la campagne présidentielle de 2017 plus vite que l’éclair par le parquet financier national qui venait d’être créé pour lutter contre la grande délinquance a été condamné à 5 ans dont 2 ans de prison ferme. Il attend l’appel. Un ancien président de la république s’est entendu réclamer par les procureurs qui requièrent au nom du peuple français donc de tout citoyen d’accord ou non, une condamnation de 4 ans deux 2 ans de prison ferme, à égalité avec son avocat à qui on a ajouté 5 ans d’interdiction professionnelle ce qui met fin à sa carrière, et un présumé complice un ancien magistrat avocat général auprès de la cour de cassation pas moins.

                                      Réviser la Constitution : est-ce le moment ?

 Mais il faudrait au moins réviser la constitution si l’on veut modifier le régime de responsabilité des magistrats, sachant que la cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg considère que les procureurs ne sont pas des magistrats comme les autres puisqu’ils sont soumis au pouvoir exécutif. On vit donc une époque « formidable » puisque chacun vit selon ses droits et son statut protecteur ou sa vérité, ou sa vision des obligations de l’autre, voit midi à sa porte, et ne se soucie pas de l’ensemble et de l’image qu’il renvoie. Les syndicats de magistrats qui ont déposé plainte contre M. Dupond-Moretti Garde des Sceaux sont les gardiens de la justice : ils se veulent les gardes du corps de Thémis déesse de la justice, qui on le sait est souvent représentée avec un bandeau sur les yeux et le glaive à la main.

 La justice ne se grandira pas à instruire le ou les faits dénoncés contre le ministre pour savoir s’ils sont ou des délits. Comme avocat je préfèrerai que la justice aille ultra rapidement pour instruire les dossiers de toutes natures des justiciables et pour prendre des décisions exprèsses. Et comme citoyen je souhaiterai que la justice se concentre sur l’Etat de droit, sur les libertés, mais aussi sur la protection du collectif, n’invente pas des interprétations du droit qui ne font pas l’union, ne voit pas racisme et discriminations partout pour complaire aux minorités, et réponde des errements de certains rares magistrats voire fautes quand il y en a puisque personne n’est parfait et ne peut se vanter d’être irréprochable. Les leçons de vivre ensemble ou morale ne sont pas de mon goût. On gausse beaucoup sur les tendances sociétales ou politiques d’une très petite minorité de juges. Redonnons confiance aux justiciables en responsabilisant encore plus les magistrats : ils ne retrouveront leur lustre qu’avec leurs devoirs. Ils ne doivent pas être soupçonnés mais ils ne sont pas propriétaires de la justice, pas plus que les avocats ou l’opinion publique des groupes de pression. Seul le peuple est souverain et la justice est rendue en son nom.  Que les magistrats ne veuillent plus parler avec leur ministre est honteux : les citoyens ont le droit d’avoir une justice qui fonctionne, qui est reformée dans le consensus avec des débats constructifs en interrogeant les praticiens et les utilisateurs, sans qu’il y ait des dissensions au plus haut niveau. La responsabilité c’est de ne pas bouder mais de passer au-dessus de ses propres convictions et d’engager un dialogue même viril.

                                        Le match magistrats-ministre  

Revenons à nos moutons le match magistrats syndicalistes contre leur ministre. Belle affiche.  Depuis sa nomination pour ses qualités selon le président de la république et malgré ses défauts selon les magistrats, le ministre de la justice est conspué par les juges. Dans ce milieu fermé - il dit entre-soi ce qui n’est pas apprécié ! -on ne l’aime pas, et il le sait. On le somme de choisir entre prévention et répression alors que les deux sont nécessaires comme sécurité et libertés vont de pair.  Chez les citoyens il est un ténor du barreau et on compte sur lui pour mettre de l’ordre dans la maison place Vendôme, faire collaborer efficacement les uns et les autres en leur donnant des moyens matériels et humains, et en valorisant les juges essentiels dans un Etat de droit. Il ne s’agit pas de transformer la belle endormie en une pin- up moderne dont on se gargarise de sa beauté et des grands principes qu’elle porte fièrement. Mais elle doit être respectée, performante, protectrice des libertés et du collectif. Elle doit permettre de restaurer l’autorité tout en restant humaine avec ceux qui ont fauté. Tout ceci est possible mais il faut y croire et ne pas entraver l’action du ministre, même s’il doit répondre de ses responsabilités comme tout un chacun. Le risque potentiel voire structurel de ne pas répondre à la justice appartient au passé. Nul n’en est exempt.    

On est dans le paradoxe. A peine élu M. Macron avait voulu supprimer la Cour de justice de la république à la composition atypique de juristes et de politiques. Le congrès que l’on a réuni à Versailles avait refusé. Et cette cour n’a jamais eu autant de travail en 2020 et pour 2021.  

                                      La Cour de justice de la République

Des juges professionnels toute affaire cessante également parties selon la plainte, comme des parlementaires qui sont le pouvoir législatif aussi juges et parties puisqu’un ministre c’est un justiciable comme un autre qui doit répondre de ses actes mais c’est en même temps le pouvoir exécutif, vont dire si les faits sont avérés ou non après examen de la recevabilité de la requête. Déjà l’association anti-cor qui lutte contre la corruption avait saisi la justice ainsi qu’un militant écologiste. Le ministre avait cédé son cabinet d’avocat en hâte, avait répondu aux questions de la haute autorité sur la transparence de la vie publique notamment sur d’éventuels conflits d’intérêt, avait transféré lentement- c’est un des reproches constitutifs du présumé délit- au 1er ministre son pouvoir légal de connaitre comme ministre les remontées d’information de ses parquets sur ses dossiers, rien n’y a fait. Les réformes qu’il a initiées que l’on approuve ou non et qui sont en cours de discussion avec un budget très augmenté pour le ministère ne sont pas des circonstances atténuantes. Des syndicalistes magistrats veulent la peau du ministre. C’est grave et je dénonce la méthode, pas le ministre qui n’a pas besoin d’être assisté, il sait se défendre très bien.  Le droit est fait par les parlementaires élus, légitimes, et les magistrats doivent l’appliquer. Ils n’ont pas à choisir leur ministre. Personne ne détient la vérité.  Elle est la propriété du peuple souverain au nom de qui elle est rendue. 

                                          Pour quel profit ? 

Cette plainte contre le ministre ne va pas améliorer l’opinion du quidam sur la justice. Si les élites se battent entre elles, gare au justiciable de base. Au secours Thémis et Montesquieu réunis, ils sont devenus fous. Notre Etat de droit est fondamental par ces temps troublés et dangereux. Accrocher un ministre sur leurs robes noires ou d’hermines ne sera pas pour nos juges une décoration flatteuse. Qu’ils ne se perdent pas dans des querelles d’allemand s’ils veulent retrouver la confiance des citoyens. Qu’ils soient assidus dans les prétoires ce sera déjà une victoire et qu’ils s’interrogent sur eux- mêmes : n’ont-ils pas aussi des progrès à faire ? 

 

mardi 15 décembre 2020

justice impitoyable pour certains

 

                       Justice impitoyable pour certains ?

                      Par Christian Fremaux avocat honoraire.

 

Tout le monde a un avis sur tout même celui qui n’y connait rien surtout en matière de justice où la nuance devrait être la règle. On subit les commentaires et parfois on n’en croit pas ses oreilles. Chacun se met à la place de celui qui doit prendre ses responsabilités et donne un avis péremptoire sans avoir accès au dossier. On prend pour argent comptant le compte rendu que l’on lit dans la presse ou ce que l’on entend dans les médias alors que souvent le journaliste croit faire son travail mais n’était pas sur place, ou est partisan, ou n’a pas vraiment compris le débat de fond. Il est resté à la superficie des faits, au people, au spectaculaire, au scoop qu’il recherche, à l’émotion, éléments qu’il confond avec la recherche de la vérité judiciaire en particulier. Et quand un puissant comparait devant ses juges comme s’il allait à Canossa, c’est pain bénit. Tous ceux qui n’osaient hausser la voix sonnent l’hallali.

                                        Une société exigeante et énervée.

 Je vais donc être un peu excessif, partial et corporatiste cela me fait un bien fou par ces temps post coloniaux orientés et lacrymaux voire exonératoires selon ce que tu es et d’où tu viens. Je résiste comme le vieux nostalgique presque geek par force que je suis dans cette magnifique période où l’on nous parle des droits de l’homme pour tout et rien, des minorités agissantes qu’il faut saluer même si leurs combats sont antinomiques avec les intérêts de la société globale, des discriminations et du racisme qui seraient institutionnels et devant lesquels il faut se mettre à genoux pour s’excuser.  On devrait se réjouir de ces années dites humanistes où les policiers et gendarmes sont mis en cause et accablés de tous les maux, poursuivis et sanctionnés durement  quand ils ont commis une faute déontologique ou un  délit,  alors que leur agresseur  a un  simple rappel à la loi le plus souvent ; où l’on n’incarcère plus personne puisque les prisons sont pleines et que la détention conduit à de la radicalisation ; où la victime s’est trouvée de sa faute à un mauvais endroit à un mauvais moment ; où le droit sert à réparer les injustices de la vie sociale ou de la couleur de peau ; où l’autorité dans la rue, à l’école ou ailleurs est forcément le début de la dictature ; où la moindre remarque est considérée comme une odieuse  attaque et où l’on est prié d’accueillir qui décide à l’insu de son plein gré sous des justifications fantaisistes sauf les vrais réfugiés politiques de venir en France et bénéficier de nos aides sans contrepartie et sans dire merci, sous peine d’être traité comme un égoïste, donc un moins que rien qui ne connait pas la fraternité. Chacun aura son exemple qu’il vit ou connait de près.

                                            On est contre tout.

 Le discours dominant est anti fa. , anti -capitaliste, anti- démocratie libérale, anti- ordre public, décroissant si possible car la nature et les animaux seraient plus précieux que les hommes-femmes,  et il  faut privilégier  les libertés individuelles de ceux  qui n’ont pas à se soucier des autres dont la majorité qui respecte les lois et paie ou cotise. Dont acte mais on n’est pas obligé de partager ce discours peu citoyen et contraire aux valeurs universelles républicaines qui ne fait pas l’union. L’air du temps est d’être cool. Gramsci avait raison : la révolution et la mise à bas des démocraties et de leurs institutions commencent par gagner la guerre des esprits pour créer les conditions du changement en dénigrant tout et en relativisant ce qui est sombre. Nos beaux esprits participent à cette désagrégation, a priori sans le vouloir on l’espère. Mais il ne s’agit que d’une bataille et il appartient aux républicains et aux gens de bonne volonté de reconquérir le terrain car rien n’est inéluctable et à force de tirer sur la corde elle casse. J’avais prévenu que je serai peu dans la nuance alors que moi aussi je m’estime humaniste et n’aie aucune leçon à recevoir.  C’est fait !

                                                   Sur la justice

 Heureusement la justice est sévère envers certains. Le tribunal judiciaire de paris nouvellement installé après des débats qui remontent à M.Sarkozy quand il était président de la république et qui siège aux Batignolles dans le 17ème arrondissement est un magnifique bâtiment de verre, transparent , élancé vers le ciel comme une cathédrale si le rapprochement spirituel- profane ( juridique) est recevable ? Mais les juridictions statuant au nom du peuple français qui incarne la souveraineté pourquoi pas ? M.Giscard d’Estaing a eu le centre Pompidou-Beaubourg ; M.Mitterrand la pyramide du louvre ; et  M.Sarkozy a le tribunal ce qu’il regrette  peut être  compte tenu  des procès qu’il doit affronter ? Mais je m’égare. Le tribunal judiciaire s’est- t- il transformé en règlements de comptes à OK.Corral où l’on flingue  à coup de réquisitoires et de jugements  et où il faut un cadavre virtuel ou au moins des grands blessés pour que la justice passe ? Je suis scié comme on dit chez les menuisiers ou scotché selon les jeunes à la suite du procès de M.Sarkozy, de son avocat et d’un présumé complice un haut magistrat de la cour de cassation pas moins,  à la suite des réquisitions du parquet national financier PNF  existant depuis 2013 pour lutter contre la grande délinquance, prononcées à leur encontre : 4 ans dont 2 de prison  ferme pour chacun  en y ajoutant 5 ans d’interdiction professionnelle pour l’avocat ce qui signifie sa mort professionnelle. Je vous prie de croire en ma modeste expérience d’avocat plaidant depuis des décennies. Pour condamner quelqu’un à 4 ans dont 2 de prison ferme il faut quasi un crime voire un délit aggravé constitué avec une ou des victimes, des préjudices établis, des preuves irréfutables, et un délinquant qui a un passé déjà très chargé. Pour comparaison les premiers terroristes avérés jugés avec une législation moins répressive à l’époque -qui seront libérés prochainement – ont eu des peines de quelques années fermes.  Avec le passage au ministère de la justice de Mme Taubira les juges ont été enclins à la modération.  On se rappelle que M.Fillon  – avec l’enquête la plus rapide de France  pendant la campagne présidentielle de 2017 déjà du parquet financier national- a été condamné à 5 ans de prison  dont 2 de prison ferme outre de considérables dommages-intérêts sur constitution de partie civile de l’assemblée nationale.  Il prépare son appel car il s’estime innocent et veut que les juges correctionnels prennent une veste - si j’ose persifler - devant la cour d’appel.

                                                       Un rapport ?

Quel est le rapport entre M.Fillon et M.Sarkozy en leur qualité de justiciables naturellement , même si le jugement  que l’on ne peut prédire  car les juges  peuvent surprendre, sera rendu en mars 2021 pour l’ancien chef de l’Etat - garant à l’époque des institutions dont celle de la justice ? Ce sont les 2 ans fermes et pourquoi ? Parce que les procureurs appliquent le « en même temps » prévu par le code pénal qui consiste pour faire plaisir à l’opinion publique à réclamer de la prison ferme contre des puissants contemporains ou anciens ou supposés tels, et de savoir qu’en réalité la loi applicable aux faits reprochés aux prévenus qui datent de quelques années, n’entraine pas à 2 ans et au-dessous une incarcération. La loi obligeait à une mesure alternative comme un travail d’intérêt général, le port d’un bracelet électronique, les jours amende, un stage de citoyenneté, la surveillance électronique… Imagine-t-on le général de Gaulle porter à sa retraite politique un bracelet électronique ou travailler pour une association d’anciens dealers ou repentis de toute nature ou ramasser des feuilles mortes au fin fond d’une commune obscure ?

 La loi du 23 mars 2019 a revu ces dispositions pour les durcir notamment pour abaisser le seuil des 2 ans à 1 an. A partir de cette peine l’incarcération est effective. Attention donc pour les futurs politiques qui risquent la prison depuis le 24 mars 2020. Encore faut -il que l’intendance suive c’est à dire qu’il y ait des places de prison. Et sachant que les juges sont encouragés à aménager les peines par des mesures alternatives.

           « Selon que vous serez puissant ou misérable » (Jean de la Fontaine).   

Je ne me prononce pas sur le fond des dossiers que je n’ai évidemment pas lu comme les journalistes sauf s’ils bénéficient de la violation du secret de l’instruction ou professionnel, mais qui sont couverts par le principe de droit de la protection de leurs sources. Et chaque partie divulgue ce qui peut lui servir tant pour l’accusation que pour la défense, ne soyons pas naïfs. M.Fillon a des avocats de talent et j’espère qu’il sera relaxé. Mais j’admets que l’on peut être indigné par ce qui est reproché aux politiques et que l’on souhaite au nom de l’égalité devant la loi qu’ils soient jugés comme n’importe quel justiciable,et que les peines soient plus sévères car ayant eu tout ils doivent donner l’exemple.

                       Ne pas être impartial ça fait du bien !

 Je vais désormais être partial car le dossier de M.Paul Bismuth alias N.Sarkozy  ou  le contraire m’a choqué. Il repose sur une enquête préliminaire « secrète »   du parquet financier national pendant des années où les plus célèbres avocats pénalistes- dont Me Dupond-Moretti actuel garde des sceaux- gravitant autour de l’avocat de M.Sarkozy ont été écoutés pour savoir qui était une taupe auprès de la cour de cassation ! (Sic). Personne n’a été identifié, des hauts magistrats ont été interrogés pour un résultat nul en violant de mon point de vue tout ce qui est la base de la justice pénale : des enquêtes contradictoires, le respect absolu du secret professionnel de l’avocat ; des écoutes réglementées et contrôlées ; la preuve par l’accusation que les faits sont établis et constituent des infractions ; la présomption d’innocence… Je connais bien l’avocat historique de M.Sarkozy : nous avons débuté presque ensemble et nous nous sommes croisés dans des affaires. Il était au cabinet du très grand pénaliste Me J.L. Pelletier et j’étais collaborateur auprès de l’illustre Me J.L. Tixier-Vignancour. Il a un grand talent outre une expérience professionnelle exemplaire. Il s’est contenté de défendre un client qui était son ami ce n’est pas interdit et qui a eu la malchance- pour des juges- d’être un président de la république qui a quelque peu bousculé les magistrats. Je crois comme l’a dit aussi M.Sarkozy à l’audience en la justice de mon pays qui est le symbole de l’Etat de droit et qui remplit une fonction  indispensable pour trancher les litiges et pour punir ceux qui le méritent. La sanction n’est pas pour moi un gros mot. L’indulgence non plus quand elle est justifiée. Relaxer ou acquitter n’est pas un désaveu : c’est la simple prise d’acte que les infractions ne sont pas constituées ou qu’il y a un doute qui doit toujours profiter à celui qui est accusé. Le légal doit être juste et la qualité d’ancien chef de l’Etat n’est pas une circonstance aggravante. La justice qui ne se confond pas avec la morale ou l’analyse du comportement des autres que l’on n’aime pas -moi je n’aurai pas fait cela- doit être impitoyable mais seulement avec ceux qui sont des délinquants avérés, des menaces pour l’ordre public, des dangers pour la population. Elle doit aussi être exemplaire et ne pas dresser des murs qui lui ont fait honte.

                                       Ce que les juges ne font pas.

 Les procureurs ont dit à l’audience que la justice n’est pas la vengeance. Bravo on y croit mais parfois on s’interroge. Elle n’est pas là non plus pour couvrir les erreurs ou les initiatives curieuses de collègues.  On l’espère et on sait surtout que la responsabilité individuelle des magistrats ne peut être engagée sauf faute lourde, et c’est l’Etat qui assume. Pourtant le pendant de l’indépendance revendiquée à juste titre et à haute voix en demandant l’intervention du président de la république quand il y a un fait divers qui pose problèmes (par exemple un détenu libéré qui récidive) devrait être la responsabilité personnelle.  Qui ne répond pas de ses actes à notre période : qui bénéficie de l’impunité ? Personne. Pour ma part au lieu de la discussion sans fin sur l’indépendance non discutée pour les magistrats du siège mais contestée pour ceux du parquet avec la Cour Européenne des droits de l’homme à Strasbourg, et un homme ou une femme ayant leurs qualités et leurs défauts, je préfère les termes d’impartialité et d’objectivité. Et je fais confiance dans le lien juges-avocats qui reste à conforter. 

 Au-delà de la ligne téléphonique ouverte par au plus usurpation d’identité, mais il n’y a pas de plainte et tout ceci est petit, je ne me prononce pas sur ce qui est principalement reproché au fond à M.Sarkozy et ses co-prévenus à savoir un pacte de corruption. Je retiens des commentaires extérieurs au tribunal qu’il n’est pas prouvé, que le magistrat n’a pas été nommé à Monaco, que l’avocat est resté avocat, et que M.Sarkozy n’a bénéficié de rien judiciairement parlant ?   Le tribunal se prononcera et il sera d’autant plus indépendant qu’il ne suivra pas les réquisitions.

Mais je demande aux procureurs de la république en général qui me représentent puisqu’ils portent l’accusation au nom du peuple français donc de moi simple citoyen, de ne pas vouloir satisfaire l’opinion publique ou une minorité agissante en frappant fort, très ou trop fort pour marquer les esprits et montrer qu’ils n’ont peur de personne.  Ils se discréditent et vont obtenir l’effet inverse de ce qu’ils recherchent.  

La justice ne peut être à géométrie variable. C’est sa grandeur.  

jeudi 10 décembre 2020

Vous avez dit indépendance?

 

                    Vous avez dit indépendance ?

                Par christian fremaux avocat honoraire.

Dès qu’une émotion submerge les esprits et actuellement c’est le cas pour tout sujet avant même de savoir si les faits sont réels car on se fie à ce qui est montré et parfois déformé ou partiel sans connaitre ce qui s’est passé avant l’extrait choisi et pourquoi, on crie au scandale, et les médias font de l’information continue avec des prétendus experts qui n’étaient pas sur place mais qui expliquent ce qu’ils ne savent pas n’ayant pas accès au dossier d’ailleurs pas encore constitué. Cela n’empêche personne d’exiger des sanctions immédiates ou une enquête dans telles ou telles conditions, et de contester tout et son contraire. Le tribunal médiatique siège jours et nuits, sans avocats mais avec des procureurs et la reconstitution se fait en direct en studio avec décors et sans faits contradictoirement débattus. Le scoop vaut jugement. La bonne conscience et l’empathie sont raison et il est réclamé la création de n’importe quoi qui serait indépendant. Indépendant de quoi et de qui c’est la question.

 Ainsi dans l’arrestation musclée et filmée choquante a priori à la seule vue des images du producteur Michel Zecler dont le juge pénal est déjà saisi ! ( au passage notons que  les ardents défenseurs de la vie privée ne critiquent pas  les caméras de vidéoprotection quand elles vont dans le bon sens c’est -à -dire contre ce qui est l’autorité) , on s’indigne que l’IGPN l’inspection générale de la police nationale composée d’officiers de police judiciaire notamment soit chargée de l’enquête, car on la soupçonne d’office de partialité et de complaisance envers les fonctionnaires de police qui pensent le contraire au vu des nombreuses sanctions prononcées contre eux, et on demande à sa place de créer ce qui serait une autorité ou commission administrative indépendante composée de personnalités neutres, de magistrats, peut- être d’avocats ?, de quelques policiers mais ce n’est pas sûr et de citoyens surtout, comme si le fait d’être un simple quidam était un gage de compétences et de bon sens, sans rien connaitre au métier considéré, au maintien de l’ordre, et à la sureté en général. On veut des personnes honnêtes dans tous les sens du terme, non partisanes, transparentes pour tout ce qui les concerne, sans passé discutable, sans aucun conflit d’intérêts, et qu’ils soient savants. Bonjour aux candidats qui cochent toutes les cases. On cherche les oiseaux rares voire inexistants car les hommes comme les femmes ont leurs qualités et défauts. Et s’ils rendent une décision d’exonération alors que l’on attend une confirmation de la culpabilité que se passera- t -il ? C’est vrai que l’on a bien tiré au sort 150 individus venant de nulle part pour la convention citoyenne sur le climat et que le président de la république avait dit qu’il reprendrait leurs conclusions- sauf 3 -sans filtre. II a changé d’avis et est maintenant empêtré : l’exécutif ne sait plus comment sortir du piège qu’il a construit innocemment pour être transparent et participatif.

Après des décennies de barreau je crois savoir ce qu’est être indépendant, surtout dans cette période de confinement où on aide à juste titre les salariés et les entreprises, mais où les professions libérales doivent se débrouiller et continuer à se battre quasiment seules. Pour avoir la joie de ne rendre de comptes à personne on a l’indépendance qui est la rançon de la liberté et de la responsabilité personnelle. On assume le bon comme le mauvais à savoir ses erreurs ou ses fautes. Qu’en est -il pour une commission administrative indépendante, quelles légitimité et liberté a-t-elle dans ses rapports à l’Etat ? et que fait -on si ses conclusions sont contestables ?

  G.Clémenceau disait que lorsque on veut enterrer un problème on nomme une commission. Le général de Gaulle parlait de machin pour des institutions internationales comme l’Onu et était pour la suppression des comités dits Théodule peu utiles à ses yeux et qui devaient servir à compléter voire démembrer la politique publique. Rien n ‘y a fait la technostructure renaissant toujours de ses cendres comme le phénix. 

 Le terme autorité administrative indépendante (AAI) a été utilisé pour la première fois par la loi du 6 janvier 1978 avec la création de la CNIL commission nationale informatique et libertés. Ce terme a été consacré le 26 juillet 1984 par la jurisprudence du conseil constitutionnel. La loi du 20 janvier 2017 a fixé une liste - un peu à la Prévert - de 25 autorités ou commissions  administratives indépendantes ( comme  CSA pour l’audiovisuel ;  AMF pour les marchés financiers  ; AFLD contre le dopage ; Autorité de la concurrence ; CADA pour l’accès aux documents administratifs ; HATVP pour la transparence de la vie publique…).Selon le Conseil d’Etat ce sont des organismes administratifs qui agissent au nom de l’Etat et disposent d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité de l’Etat. Bien sûr ils ont une organisation, un siège social, des collaborateurs et un budget. Pour garantir leur indépendance on les a placés sous la protection du parlement  qui garde lui, ses systèmes internes d’enquête bien connus.

Les AAI sont contestées car elles sont nombreuses malgré des regroupements comme avec la création du Défenseur des droits (M. Jacques Toubon a été nommé en 2014 et vient de quitter ses fonctions) qui a absorbé divers domaines comme celui du médiateur de la république et qui est prévu à l’article 71-1 de la Constitution. Il veille au respect des libertés. Il peut intervenir en matière de déontologie des forces de l’ordre. Faut-il donc inventer une nouvelle commission administrative indépendante à la place de l’IGPN entre autres en appliquant le principe de la destruction créatrice de Schumpeter ? Je ne crois pas. Les députés Dosière et Vanneste avaient rendu un rapport en 2010 conseillant de rationaliser les commissions pour qu’il y en ait moins.

 Les AAI sont aussi décriées car on pense qu’elles participent à un démembrement de l’Etat qui perd ainsi de son pouvoir régalien alors qu’il parait nécessaire au contraire qu’il renforce son autorité. On peut en effet s’interroger sur le fait de confier à une structure administrative ex-nihilo dédiée un pouvoir d’actions et de sanctions - sous le contrôle du juge - ou de formuler un avis voire de prendre place à un procès en accompagnant telle victime ou supposée avoir cette qualité souvent dans des affaires très sensibles qui sont discutées,  donc à des entités sui generis qui ne détiennent aucune légitimité démocratique ni électorale ni technique incontestable et qui ne tiennent leurs prérogatives que d’une nomination du seigneur de l’instant. Bien sûr les personnes choisies ne sont pas en cause. La méthode est paradoxale alors que pour la justice on discute à longueur de temps surtout quand des personnalités politiques de 1er plan -c’est l’actualité-ou connues répondent de leurs actes comme tout citoyen ni au -dessus ni au -dessous des lois. La justice est une autorité -et non un pouvoir- dans la Constitution de 1958 approuvée formellement par le peuple.  Aucun gouvernement de gauche comme de droite ou d’ailleurs n’a jamais voulu changer cette disposition, même si on estime que dans l’Etat de droit les magistrats doivent jouer un rôle essentiel. De là à en faire un pouvoir, soyons prudents pense-t-on ! Les juges du siège sont indépendants. Ils appliquent la loi et décident en conscience qu’on le déplore ou l’approuve. Il y a débat pour les membres du parquet, actuellement pour ceux du parquet national financier eux qui portent l’accusation pour la société. Les procureurs ne sont pas considérés par la Cour Européenne des droits de l’homme de Strasbourg comme des juges indépendants puisqu’ils dépendent du ministre de la justice qui lui fait partie du pouvoir exécutif. Et on se pose des questions sur l’indépendance ou plutôt sur l’impartialité et l’objectivité car chaque citoyen donc chaque juge, procureur, avocat, ou membre d’une AAI a le droit d’avoir des convictions et faire des choix politiques.

Croire qu’en créant une commission administrative l’indépendance suivra et qu’il n’y aura pas de contradictions ou d’indignations du peuple ou des minorités qui veulent avoir raison et poursuivent d’autres buts que celui de l’objectivité, est une erreur et pour le moins de la naïveté ou de la démagogie. En outre en général les personnalités fortes n’arrivent pas là où on les attend et ne concluent pas forcément dans le sens souhaité.  Je me méfie de la France des auto-proclamés experts ou sachants, des grands témoins voire désormais de quidams de tout genre et de toute confession pour ne pas discriminer, qui représenteraient l’innocence incarnée, le bon sens presque la vérité, et qui ont l’opportunité de choisir ce qu’ils veulent puisqu’ils n’ont aucune responsabilité personnelle de droit. Ils peuvent se tromper avec panache en invoquant les grands principes. Ressaisissons-nous et remettons chacun à sa place en étant pragmatique.  

Laissons les inspections de contrôle qui existent jouer leurs rôles puisque de toutes façons la justice peut être saisie par celui ou celle qui n’est pas d’accord, et que l’ambiance actuelle où tout doit être transparent jusqu’à l’intime ce que je regrette, permet de tout savoir. L’indépendance est l’état de quelqu’un qui n’est tributaire de personne sur le plan matériel, moral, intellectuel, ni de l’opinion ni de l’Etat même si celui-ci l’a nommé. Il doit passer au -dessus de ses propres inclinations pour trouver l’intérêt général.  Quel défi. C’est la plus difficile des missions.  L’indépendance n’est pas un cadeau surprise, même à Noël.    

vendredi 13 novembre 2020

L'Etat n'est-il qu'un tigre de papier?

 

                L’Etat n’est -il qu’un tigre de papier ?

                  par Christian Fremaux avocat honoraire. 

La société Bridgestone avait annoncé il y a quelques semaines qu’elle allait fermer son usine de Béthune ce qui entrainait le licenciement de centaines de salariés. Ce fut un tollé. Conformément à leur vocation et à leurs habitudes les syndicats hurlèrent au scandale – à juste titre je l’avoue car le fabricant japonais de pneus bas de gamme avait touché des aides et des subventions pour s’installer sur place- et les politiques régionaux et locaux montèrent au créneau. On allait voir ce qu’on allait voir ! Les noms d’oiseau volèrent.  Le gouvernement dépêcha un ministre qui assura qu’on ne laisserait pas faire, que Bridgestone devrait en passer par les fourches caudines de l’exécutif, et annonça comme un succès phénoménal que dans les semaines qui venaient on allait trouver une solution pour limiter la casse sociale et contraindre l’entreprise à reconvertir le site, ne serait- ce qu’en fonction de notre législation. On fut soulagé. Mais fatalitas, la sentence vient de tomber : Bridgestone persiste et signe, la fermeture aura lieu. La ministre déléguée à l’industrie a déclaré « que nous avions travaillé à un plan qui réduit le surcoût de l’usine. Bridgestone a fermé la porte. Pour nous cette décision n’est pas responsable ».  Groupe mondialisé 1, Etat et région comme commune, 0. Paroles verbales et morale humaine contre décision financière autoritaire et lointaine.  Il n’y a plus pour ceux qui restent qu’à trouver un repreneur.

 L’Etat n’a eu aucun pouvoir réel alors qu’on attendait tout de lui. Ce n’est pas la première fois. Quand il était premier ministre M.Jospin avait  dit que «  l’Etat ne peut pas tout ».  Il a payé politiquement très cher d’énoncer cette vérité, car on a cru que c’était du cynisme, un aveu d’impuissance qui se confondait avec le manque de volonté d’agir. On a vu qu’avec ses salariés les fonctionnaires, l’Etat patron ou actionnaire n’est pas performant.

Avec la 2ème vague du covid l’Etat - je veux dire le pouvoir exécutif approuvé par la majorité parlementaire - a décidé de reconfiner, en faisant par lui -même la distinction de ce qui était essentiel et de ce qui ne l’était pas. Ceux qui ne peuvent plus travailler et sont en souffrance lui en veulent d’une décision autocratique parfois incohérente prise dans la confidentialité d’un conseil de défense, qui va entrainer des conséquences personnelles, familiales, financières et économiques graves pour préserver voire sauver la santé de millions de personnes. Gouverner c’est choisir en se trompant parfois, mais il faut être modeste car s’il est facile de critiquer il l’est moins de proposer des solutions qui font plaisir et sont efficaces ou qui ne nuisent pas à certains. L’Etat est là encore mis en cause pour son impuissance supposée ou son inefficacité.

Il en est de même pour pratiquement chaque domaine et je cite celui fondamental de la sécurité : il y a encore des attentats qui nous révulsent, de la violence pour tout et partout, un climat anxiogène général.  Le cri fameux « que fait la police ? » se traduit par l’Etat est nul ou inexistant.

 Avec la crise sanitaire inédite pour les spécialistes comme pour les malades potentiels, l’Etat prend des mesures qui égratignent quelque peu nos libertés pour tenter de réduire les effets du virus que personne ne peut éradiquer, et qui sont peut- être selon les méchants plus du domaine du principe de précaution pour ceux qui décident. En effet la Cour de justice de la république est saisie ainsi que le parquet de paris et nos décideurs qui voudraient bien miraculeusement que la crise disparaisse savent que la justice peut les rattraper. On aura des responsables et coupables mais l’ennemi invisible sera toujours là.

L’Etat c’est-à-dire nous pour qui on gouverne, la haute administration qui incarne la bureaucratie ; les services publics souvent tatillons avec le particulier ; nos institutions de la Constitution de la 5 ème République telles que voulues par le général de Gaulle et qui sont contestées par certains qui veulent plus de participation à la prise de décision , de dialogue, de réactivité, enfin tout ce qui constitue notre état de droit avec nos valeurs éthiques, de civilisation et de vivre-ensemble qui fondent notre démocratie, sont -ils suffisants ? L’Etat peut-il plus s’il ne peut tout ? et faut-il en changer mais au profit de quoi ?  Comme il y a 67 millions de sélectionneurs pour l’équipe de France de foot., peut-il y avoir 67 millions d’avis autorisés pour répondre à la question ? On ne va pas tirer à pile ou face, ou au sort comme pour la convention citoyenne sur le climat pour résoudre les difficultés et définir du jour au lendemain un Etat qui fait consensus et qui résout ce qui ne va pas. Le verbe des auto-proclamés experts que l’on entend à longueur de journée et qui fatigue, ne remplace pas les actes même s’ils sont maladroits ou pas aussi efficaces qu’on l’espère.

Dans les années 1980-90 celles de M. Reagan et de Mme Thatcher et aussi avec l’arrivée au pouvoir de M. Mitterrand qui ne remit pas en cause la constitution de 1958 qu’il avait combattue, il y eut un débat sur l’Etat à l’époque providence. On réfléchissait à un Etat réduit à ses fonctions régaliennes, en donnant aux collectivités locales avec la décentralisation, aux entreprises, aux initiatives de toute nature, plus de libertés. M.Guy Sorman écrivit un best- seller : « l’Etat minimum ».  La mondialisation s’étendait. Mais la réalité s’imposa, les crises furent nombreuses et on revint progressivement  vers une conception classique – pour les français- de l’Etat tel  qu’il avait été construit au sortir de la 2ème guerre mondiale : un parapluie, un bouclier, un garant des grands principes, un dispensateur de droits, le recours suprême ,puis au fil des années celui qui garantissait les libertés individuelles et des avantages, qui redistribuait,  qui combattait les injustices réelles ou supposées,  qui créait de la richesse pour tous dans l’égalité et surtout qui réglait toutes crises et menaces. On lui demande donc tout et quand il ne fait pas, certains le trainent en justice et des juridictions le condamnent ou lui donnent des injonctions ( par exemple pour  les rodéos en motos qui continuent ou parce qu’il n’applique pas assez vite la transition énergétique). On l’aime, on le veut, on le sollicite mais on le tient pour faiblard, peut mieux faire comme on dit à l’école. Le léviathan est devenu un homme comme un autre ! même si l’individu ne s’interroge pas sur son propre comportement (ex. les règles respectées difficilement pour le confinement) et si le civisme n’est plus une vertu cardinale.

Si rien n’est parfait en France on devrait cependant être content. On voit ce qu’il en est quand l’Etat se confond avec Dieu, ou qu’il n’y a plus d’Etat ; ou quand l’Etat est dispersé entre les clans, les communautés, les tribus. Si l’Etat est totalitaire c’est big brother, et si l’Etat est issu d’une caricature de démocratie, gare aux libertés.   On exige désormais un Etat fort surtout dans les fonctions régaliennes, avec une protection externe comme interne et en même temps un Etat bienveillant, gardien des libertés, progressiste -sans définir le contenu du progressisme- et qui crée la prospérité. Donc qui a résolu la quadrature du cercle.  Les canards sauvages n’ont jamais été les enfants du bon dieu, et pour que l’Etat donne ce que l’on veut de lui il faut y mettre du sien, de la responsabilité et de la tolérance, et comme dans l’auberge espagnole venir avec ses qualités, ses devoirs, sa raison. L’Etat n’est pas un tigre de papier mais pour en faire le roi des animaux qui maintient l’ordre et le droit il faut le nourrir sainement et lui donner de l’espace. Ce sera l’un des enjeux de l’élection présidentielle de 2022 : se protéger en restant libre.        

  

mercredi 21 octobre 2020

L'état de droit est-il incompatible avec la fermeté?

 

           L’état de droit est-il incompatible avec la fermeté ?

              Par Christian Fremaux avocat honoraire.

Plus jamais cela, c’est inadmissible, intolérable, inouï… Il n’y a plus assez de qualificatif et on manque de vocabulaire pour s’indigner quand un fait divers nous touche au plus profond de notre être, au plus fort de nos convictions et que nous sommes de tout cœur avec la ou les victimes comme ce professeur qui a été décapité pour avoir fait son travail et avoir suivi le programme de l’éducation nationale. Et alors même que nous sommes dans le procès de ceux qui ont permis les attentats contre Charlie Hebdo : la justice ne sert -elle à rien  même pas d’intimidation puisque  un terroriste s’est servi  il y a quelques semaines d’un couteau de boucher pour attaquer ce qu’il croyait être des journalistes, et qu’un autre dans l’escalade de l’ ignominie s’est déplacé spécialement de très loin pour venir froidement trancher la tête d’un professeur qu’il ne connaissait pas,  sans rien savoir de la réalité  de son cours, un enseignant  de ceux qui transmettent les connaissances qui ouvrent les esprits et qui nous apprennent à devenir des adultes responsables. Et tout ceci au nom de leur dieu !  au prétexte d’un prétendu blasphème sans même craindre d’être arrêté et d’être condamné à vie? La justice française : même pas peur !

Désormais il ne se passe pas un jour sans qu’un évènement- au-delà du fait divers criminel- nous perturbe qu’il soit seulement relativement mineur et porte atteinte à notre savoir vivre ensemble dans la laïcité avec la volonté de fracturer le pacte républicain (avec le voile comme affichage, dans les cantines, la non- mixité, l’impossibilité de parler de certains sujets à l’école…)   ou qu’il s’agisse d’un assassinat  de sang- froid, prémédité ,organisé et revendiqué qui nous sidère et nous prouve que  le mal ou la barbarie sont  arrivés chez nous qui nous croyions quelque peu protégés par nos lois, nos traditions, nos valeurs, notre fraternité,  notre conscience de l’homme tourné vers le bien et notre civilisation. France toujours mère des armes, des arts et des lois, terre de l’humanisme, de Voltaire, de Hugo, des droits de l’homme et du citoyen, mais on veut nous démontrer que d’un seul coup nous avons tout faux.

L’improbable peut donc survenir même si l’on est persuadé que la France est une démocratie généreuse qui accueille, intègre, regroupe dans la tolérance, accepte aussi ce qu’elle n’aime pas, cherche à convaincre du bienfait de ses choix de vie, mais n’imagine pas que la haine puisse surgir pour des motifs personnels que l’on estime infondés et hors de notre réflexion et de nos coutumes. Et l’on continue les marches blanches où se côtoient gens de cœur et  compassionnels sincères,  avec ceux qui récupèrent et croient profiter de l’occasion pour développer leur commerce électoral,  sans compter  ceux  qui  toute honte bue  sont aussi complices  intellectuellement des actes par leurs silences, leurs petits accommodements,  ou leurs explications  alambiquées souvent au nom des libertés, de l’inégalité et des contraintes sociales de ceux qui seraient victimes de la société, ou  du fourre-tout « pas d’amalgame »pour éviter de nommer ce qui ne  va pas et par qui, voire du racisme  et d’une phobie que l’on imagine chez les autres .On fait  des grands discours, on s’épanche dans les médias sans proposer la moindre solution concrète,  on dit que cela ne doit pas recommencer, et on épuise les salives et les larmes puis on rentre bonnement chez soi… jusqu’à ce qu’une dernière atrocité nous fige dans la stupeur. Là on reste  en réalité muet sous un flot de paroles , car comment caractériser et dénoncer l’horreur puisqu’il ne faut stigmatiser personne, ne pas provoquer en réaction  de la violence si on est  virulent pour critiquer ? Mais on ne peut se coucher dès qu’un ressentiment ou une objection se manifestent !  Comment protéger tout à chacun qui ne demande rien et qui n’a jamais provoqué quiconque et qui s’auto- censure pour ne pas en rajouter, comment écarter tous les dangers qui menacent tout citoyen, tout innocent qui est à la merci de n’importe qui, d’un mineur qui a dû être manipulé, d’un adulte forcément perturbé, d’un parent d’élève d’un clan, d’un groupe, d’un Etat, … comment faire pour arrêter cette escalade sanglante qui n’en finit plus ?

A chaque fois que des responsables politiques aux affaires essaient de trouver  une mesure qui va naturellement dans le sens de plus de sévérité ou de protection collective on entend toujours les mêmes qui crient au respect des libertés publiques et individuelles,  récusent par avance  des  lois qui seraient  liberticides, affirment qu’il ne faut pas cerner telle ou telle composante de notre société qui doit généreusement s’ouvrir à tous les malheureux et persécutés,  et qui prétendent que l’état de  droit s’oppose à des décisions préventives ou à des contraintes plus fortes. Et que les tribunaux annuleront tout texte qui ne respecterait pas ce que les pères fondateurs de 1789 n’ont d’ailleurs jamais écrit, mais que la jurisprudence qui n’est pas coulée dans le marbre permet de considérer comme anticonstitutionnel ou illégal. Qu’en savent-ils, allons-nous à vie refuser de rendre les coups et surtout de se prémunir contre les agressions ce qui serait de la lâcheté et la preuve de notre faiblesse ? Est-ce bien le cas ? La sécurité exclut- elle ipso facto la liberté ou des restrictions ciblées sur certains ? N’avons-nous pas le droit d’écarter ceux qui nous attaquent ?  Ne peut-on innover ?

 Comme il n’est pas utile d’hurler avec les loups ou les justes indignés ce qui n’apporte rien abordons le sujet par un biais fondamental : le droit.  Dans une guerre- car on nous l’a déclarée que l’on le veuille ou non- ne peut-on pas prendre des mesures drastiques tout en conservant un fonctionnement démocratique avec les libertés publiques sous le contrôle de nos magistrats tant judiciaires qu’administratifs ? Faut -il continuer à se disputer sur le sexe des anges, à couper les grands principes en 4, à considérer que les droits de l’homme sont compris comme nous par les autres, à penser qu’affirmer la laïcité qui est une liberté de croire ou de ne pas croire et non une interdiction sera suffisant si on l’explique mieux à ceux qui la rejettent et ne veulent pas la comprendre ou l’admettre y compris  par la discrétion dans l’espace public car la neutralité de l’Etat n’est pas le seul critère ? Faut-il fermer les yeux et de ne pas s’inquiéter des exigences de minorités qui sont des avancées incessantes dans le moindre détail de la vie quotidienne ce qui nous déstabilise ?

 On écrit état de droit avec un petit e car l’Etat est le léviathan qui n’est pas le maître. Mais on lit souvent Etat de droit avec un grand E. Il nous gouverne avec sa haute administration - le pouvoir profond - de très grande qualité qui reste quand les politiques changent, mais n’a pas de droits personnels en matière de sûreté et de valeurs notamment. L’Etat est soumis aux règles de droit comme un individu. C’est le contraire du pouvoir arbitraire mais il ne lui est pas interdit d’être fort. L’Etat de droit a été défini par le juriste autrichien Hans Kelsen au début du 20 ème siècle : c’est « un Etat dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance se trouve limitée ». L’Etat est au service du peuple qui peut exiger et obtenir ce qu’il souhaite et vouloir vivre dans la civilisation qu’il a choisie, sans s’en faire imposer une autre. L’Etat a aussi le devoir de protéger les citoyens donc de faire voter des législations en ce sens. Il doit essayer de précéder les difficultés et ne pas réagir insuffisamment alors que les risques sont connus.  Le principe constitutionnel de précaution doit être étendu à d’autres domaines que l’environnement ou la santé : une vie humaine paisible immédiate ne vaut-elle pas au moins autant que le sort lointain de la planète ou l’absence recherchée de maladies même si tout est lié et qu’il faut s’en occuper conjointement ? La priorité est d’abord la tranquillité qui permet d’envisager plus sereinement l’avenir.

 Les élites qui doutent ou celles qui le sont de façon auto- proclamées sans aucune légitimité, les adeptes de la bien- pensance et de l’émotion qui ne s’assimilent pas au progrès et ne détiennent pas la vérité n’ont pas à interdire au nom de ce qu’elles pensent ou qu’elles croient bon, et à crier à titre préventif que ce n’est pas possible. Sinon baissons les bras et ne nous lamentons plus.

L’état de droit dont les conditions sont des élections libres, la séparation des pouvoirs ,la hiérarchie des normes,  l’égalité devant la loi, le respect des droits fondamentaux de l’individu, la laïcité qui est une spécificité française,  une justice indépendante l’ensemble formant  avec ses valeurs  qui viennent de loin avec raison et justifications ce qui est la démocratie dans une république,  permet de prendre des dispositions légales puissantes qui préservent les libertés du plus grand nombre et de prévenir les actes les plus odieux. Il motive le refus des revendications les plus incompatibles avec notre art de vivre. Il donne du réconfort et de l’espoir aux citoyens qui veulent vivre en paix et savent de quoi sera fait le futur. C’est rassurant. Comme d’habitude on criera au fascisme ou au  totalitarisme rampant car on n’a pas peur des mots en isme qui ne correspondent en rien à notre époque en France. On aime se donner des frissons et des excuses pour ne rien faire. Pas de vagues sauf la 2ème du covid !

 Mais chacun constate que nos ennemis utilisent nos armes légales et notre état de droit pour les retourner contre nous.  Soyons courageux dans notre propre intérêt. Ne renonçons pas sans combattre, essayons l’union et faisons-nous confiance. Prenons les mesures coercitives qui s’imposent, une loi pouvant toujours être annulée dans l’avenir par une autre si les conditions ont changé sans pour autant créer un état d’urgence ou d’exception sans oublier de s’appuyer sur la morale et le bon sens ce qui fait largement défaut à ceux qui voient l’abandon des libertés en tout et le pire à nos portes intérieures. Nos éminents juristes du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation sous l’œil attentif des sages du conseil constitutionnel savent faire d’autant plus qu’ils n’ont pas à se substituer aux politiques.  L'autorité n’exclut ni l’empathie ni la lucidité ni l’audace nécessaire.

 Il faut savoir ce que l’on veut et sortir de ce cercle vicieux. Je l’avoue : je préfère viser et perturber quelques individus et groupements sous le contrôle des tribunaux, que de laisser des millions de citoyens aux prises des périls qui sont avérés.  La fermeté d’ailleurs toute relative par rapport à d’autres pays ou démocraties moins scrupuleux est compatible avec l’état ou l’Etat de droit.  Reprenons le slogan de mai 68 : « soyons réalistes demandons l’impossible » et surtout agissons.  

jeudi 15 octobre 2020

avocats et magistrats même combat?

 

                Avocats et magistrats même combat ?

                    Par Christian Fremaux  avocat honoraire.

La justice a toujours été au centre des débats et il semble qu’il y ait des malentendus persistants entre avocats et magistrats. Dans un état de droit comme en France l’Etat pour lui-même n’a pas de droits spécifiques sauf en matière de protections de toute nature en cas de menaces très graves sur la collectivité et la nation et de situations d’urgence, mais il doit mettre en œuvre des mesures - validées par le parlement - pour garantir que chacun dans sa vie quotidienne puisse exercer ses libertés.  La justice doit tenir une place essentielle pour réguler et trancher les conflits, punir ceux qui méritent de l’être, et conforter nos institutions qui font fonctionner nos services publics dans le respect de la Constitution.  Car il faut bien qu’un système non partisan respectant les grands principes et évidemment la volonté du peuple à travers les parlementaires élus qui fabriquent les lois, tranche les difficultés personnelles et collectives et quand il n’y a pas de réponses certaines ou précises venant d’un texte ou de décisions précédentes, innove dans tel ou tel sens pour tenir compte de l’évolution de la société et parfois  pour répondre à des demandes inédites ou clivantes de minorités qui estiment que c’est le progrès. Chacun a d’ailleurs son idée sur le terme progrès, qui n’est pas forcément de dire oui à tout et tous, et n’est pas la panacée pour résoudre tous les problèmes et réconcilier les uns avec les autres.

 On ne peut imaginer un pays sans justice ou sans ordre public, sinon ce serait la loi du plus fort et l’anéantissement de la démocratie réelle qui déjà est contestée pour de multiples (bonnes ou mauvaises) raisons. On la critique mais on ne dit pas par quoi la remplacer ! On voit aussi ce qu’il en est dans beaucoup de pays où la justice est soit aux ordres d’un clan soit inexistante, et où les conflits se règlent les armes à la main. On constate aussi que dans de grandes démocraties la bataille pour des juges ou la justice est forte : par exemple on assiste en ce moment aux USA à un débat viril et intense entre les démocrates et les républicains pour la nomination d’un(e) juge qui siègera à vie à la cour suprême ! M.Trump a désigné sa candidate, et le sénat doit approuver son nom. Joe Biden proteste mais le président actuel est dans son droit : rien n’interdit constitutionnellement aux USA de nommer un juge alors qu’il y a campagne électorale et que M.Trump ne sera peut- être plus président après le 3 novembre.  La justice est donc souvent au centre de la politique ce dont il faut se réjouir car c’est le signe que nous sommes dans un régime de libertés, de poids et de contre -poids, de pouvoirs et de contre-pouvoirs.

La France n’est pas épargnée par ce débat récurrent. Certains pensent qu’un petit nombre de juges sont plus militants que neutres. D’autres affirment que le parquet (les procureurs) sont parfois sensibles au pouvoir politique dont ils dépendent à travers le garde des sceaux ministre de la justice.  Il faut se rappeler que dans notre pays la constitution de 1958 parle de l’autorité judiciaire – et non du pouvoir comme pour le gouvernement l’exécutif ou le parlement le législatif-. C’est le signe de vouloir cantonner les juges dans leur domaine de compétences pour qu’ils ne s’immiscent pas au-delà et qu’on n’aboutisse pas au « gouvernement » des juges, avec l’aide de la déclaration des droits de l’homme et de la cour européenne qui se trouve à Strasbourg, ce que des soupçonneux pensent déjà. 

La nomination de Me Dupond-Moretti avocat comme ministre de la justice a cristallisé de vieilles rancœurs. Le ministre fort de son expérience pénale qui l’a conduit à plaider surtout devant les cours d’assises  de France et de Navarre et qui  a beaucoup fréquenté les magistrats, a des idées précises notamment sur la séparation du parquet – la magistrature debout- et du siège- la magistrature assise- ; sur le secret professionnel et la vie privée ; sur une justice de proximité qui doit avoir des réponses rapides ce que veut le justiciable ; et sur la formation des magistrats pour essayer de les sortir de leur « tour d’ivoire ». Les magistrats n’ont évidemment pas le sentiment d’être entre soi, considèrent qu’ils participent à la vie sociale et qu’ils connaissent les problèmes des citoyens dont ils ne sont pas déconnectés. Le débat est aussi de savoir qui défend l’intérêt général : les magistrats en ont-ils le monopole ou par exemple les avocats qui sont des auxiliaires de justice participent-ils à leur manière à cette exigence nationale ?  Personnellement comme avocat honoraire ma réponse est oui. Je n’ai jamais eu l’impression de trahir la société en défendant un individu même s’il me payait.   Il n’y a pas une vérité. L’avocat défend avant tout son client comme vient de le rappeler l’illustre avocat pénaliste Me Hervé Temime dans son dernier livre « secret défense ». Mais il contribue aussi à trouver une vérité qui peut être relative car c’est celle de celui qu’il assiste. Les juges en prononçant leurs jugements et arrêts fixent la vérité judiciaire (qui est souvent un compromis entre des thèses contradictoires) à un moment mais elle n’est pas définitive et gravée dans le marbre. On voit qu’avec les progrès de la science certains condamnés sont innocentés ensuite, et que des décisions rendues dans d’autres sujets sont remises en cause.

Le ministre de la justice a mis le feu aux poudres en permettant, même si ce n’est pas lui qui a signé, des poursuites contre trois magistrats du parquet national financier, ce parquet qui a fait mettre en examen M.Fillon pendant la campagne présidentielle de 2017. Il n’était pas interdit de prendre une telle décision, mais était-elle opportune ? : chacun a jugé à l’époque.  La vie apporte parfois des retours de bâton inattendus. Personne y compris des membres du parquet n’est à l’abri d’être à son tour poursuivi et de devoir répondre de possibles fautes professionnelles ou déontologiques. L’avocat connait cela de près et la présomption d’innocence existe. Mais des magistrats furieux et quelque peu corporatistes viennent de déposer plainte contre M.Dupond-Moretti devant la cour de justice de la république qui juge les ministres (cour que M.Macron a voulu supprimer dès son arrivée mais il n’a pas trouvé une majorité au congrès pour ce faire),pour conflits d’intérêt ( alors que le ministre a été victime de l’étude discrétionnaire et secrète de ses fadettes quand il était avocat), et pour dénigrement des magistrats. Des syndicats de magistrats ne veulent pas le rencontrer ne serait- ce que pour parler des dossiers urgents qui intéressent les justiciables : cela me choque ! Comment convaincre un petit jeune ensuite d’être tolérant et civilisé ? L’exemple doit venir d’en haut.

Ce que les magistrats ne semblent pas pardonner au ministre c’est d’avoir nommé une avocate- ancienne vice-bâtonnière du barreau de paris- à la tête de l’école de la magistrature qui n’est pourtant pas une « chasse » réservée aux magistrats puisque la justice n’appartient à personne : ni aux magistrats ni aux avocats. Elle est rendue au nom du peuple français dans sa diversité. Le garde des sceaux pense qu’une formation commune avocats -magistrats serait une bonne chose. Il est en effet toujours préférable de connaitre l’autre pour éviter les clichés, les malentendus et peut-être parfois des reproches délétères. Chacun aura ensuite son rôle à jouer et se drapera dans son indépendance farouche, ses règles supérieures, sa conscience, le droit au secret pour les avocats qui titille fortement des magistrats qui sont pour la transparence … chez les autres. 
En matière de justice avocats et magistrats mènent en réalité tous le même combat : faire que les droits individuels s’exercent en même temps que les devoirs collectifs soient préservés. Une nation ne vit pas que de l’individualisme de ses membres. La solidarité s’impose par le respect de la loi même si elle ne nous plait pas ou des recommandations publiques qui sont prises dans notre intérêt quoiqu’on en pense malgré des restrictions à nos libertés ce que je regrette comme tout le monde. La crise contre l’autorité en général n’arrange rien : qu’en serait-il en cas de laisser faire - laisser aller. Les libertés sans frein ont -elles jamais arrêté une pandémie ou des terroristes ?  Il faut aussi conforter et faire vivre les valeurs républicaines qui fondent la possibilité de vivre ensemble et la certitude d’appartenir à une union de destins qui dépasse nos intérêts matériels ou philosophiques voire religieux.

La justice ne distingue pas et ne fait pas de particularismes. Elle n’est pas un tribunal médiatique. La justice n’est considérée que si elle est sereine, objective, ce qui n’empêche pas les affrontements sur les idées du bien et du mal, de la nécessité, de la sévérité ou de la compréhension, de l’opportunité ou non. Elle applique la loi qui est générale et impersonnelle après avoir entendu les avocats et leurs interprétations des faits et des textes qui reflètent l’avis de leurs clients dans leurs approches de ce qui est leurs vérités tant en matière pénale que surtout civile qui concerne la majorité des procès. Avocats et magistrats qui se doivent une confiance réciproque sont tel Janus les deux faces du même homme. Ils sont complémentaires et poursuivent le même objectif : celui de la vérité de l’homme par définition imparfait qui comme l’horizon recule au fur et à mesure que l’on avance.   

mercredi 30 septembre 2020

Ordre illégal et désobéissance civile à l’aune de l’ennemi invisible.

 

      Ordre illégal et désobéissance civile à l’aune de

                 l’ennemi invisible.

                 Par Christian Fremaux avocat honoraire.

 

On assiste depuis quelques jours à une fronde de certains élus de tous bords (à Marseille notamment), de professionnels qui souffrent comme les propriétaires de bars et restaurants, et de particuliers contre les mesures de précaution prises par le gouvernement pour lutter contre l’extension du covid-19 et pour éviter un reconfinement généralisé. Qui peut être contre ?  L’autorité-ou ce qu’il en reste- est mise en cause, ce qui est peu nouveau, et on ne veut pas respecter la loi ou les contraintes générales. Cela pose le principe du rapport à la loi. L’individu pour des raisons propres ou des intérêts personnels peut-il s’exonérer en toute bonne foi de ce qui soude le collectif mais qui ne lui plait pas à lui personnellement ?  L’Etat est-il devenu un adversaire ? Seuls les droits individuels comptent- ils ?  Je crains que les lignes qui suivent sur les théories ou les doctrines de la désobéissance en général -invoquée pour justifier les refus de se soumettre- soient d’actualité. Ce qui met en danger le pacte républicain déjà menacé dans sa cohésion. Surtout si des intellectuels ou des responsables politiques appellent à ne pas faire ce qui est demandé d’autant plus il faut l’avouer que parfois on ne voit aucune cohérence dans les décisions de l’Etat voire des contradictions internes, et surtout malheureusement avec peu de succès.

 

Dans cette période de pandémie beaucoup plus confuse que par le passé où ne planaient pas de risques pour la santé mais des menaces identifiées, s’y sont ajoutées l’anxiété et la peur car il y a des inconnues de toutes natures importantes à court et moyen terme. Même si les réactions ou revendications parfois brutales de diverses catégories sociales comme celles des individus durent depuis très longtemps on l’a vécu ces derniers mois, on a pris la mauvaise habitude par manque de courage pour ne pas faire de vagues donc à tort, de constater que certains ne respectent rien dans le courant ordinaire de la vie. Ce n’est donc pas faire un procès d’intention à quiconque de déplorer que pour toute décision publique il y a un refus de l’autorité, une répugnance à appliquer la loi, à considérer que toute disposition impérative voire toute simple recommandation, toute instruction générale sont inacceptables et abusives, à ne tolérer aucune contrainte quelconque et à croire qu’en désobéissant on est dans le camp du bien.  

Cette rébellion ou pour ne pas exagérer cette propension à discuter, protester, pinailler, douter, dire tout et son contraire, se retrouvent dans tous les domaines et chacun d’entre nous doit l’affronter : par exemple  dans la famille avec les enfants ; à l’école où les parents viennent agresser les enseignants ;  dans l’entreprise où la moindre remarque est considérée comme du harcèlement moral et de la discrimination ; en justice où les jugements rendus font polémiques ; et bien sûr dans la sphère publique quand les politiques votent des lois à la suite d’un processus démocratique. A peine élu, le responsable n’est plus légitime et il est soupçonné de prendre des mesures dangereuses voire régressives pour les droits acquis, de limiter les libertés individuelles et publiques au nom d’un objectif non avoué, et de prendre des décisions que l’on ne peut accepter.  Car seule l’opinion publique a raison, c’est -à- dire une infime partie de la minorité qui prétend savoir de source sûre et avec certitudes pour tout, ce qu’il faut faire.  Avec la crise sanitaire des sommets sont atteints avec les prétendus experts et les spécialistes du bavardage qui conduit au néant, qui réinventent le passé et avaient tout prévu.

Je ne sais pas si le « nouveau monde » voulu au moment de l’élection présidentielle mais désormais différent que l’on nous promet pour après la crise changera cet état d’esprit ou si les habitudes de l’ancien monde ressusciteront. J’espère que les vieux démons ne resurgiront pas.  Notre monde actuel est devenu un mode d’empêcher de gouverner en rond, sans avoir la moindre responsabilité et je pense à des médias en particulier, sans répondre de ses actes si on se trompe, au prétexte que la démocratie est une vérification permanente par le peuple ou ceux qui prétendent l’incarner, et qu’il est normal de s’opposer ou de dire non y compris par la violence. C’est de la vigilance active voire activiste dans le cadre d’un régime représentatif. Ce n’est pas ma conception de la gouvernance qui doit être évidemment contrôlée par les instances institutionnelles et l’application de la constitution, au nom du peuple qui n’appartient à personne même pas aux beaux esprits se disant plus éclairés que d’autres, mais comme je suis un senior qui a failli être confiné à vie, je dois être un has been. Je l’assume.

 

On a bien vu cette tendance avec les violations des mesures concernant le confinement, les millions de contrôles, les centaines de milliers d’infractions, les PV dressés et les renvois devant les tribunaux. Avec le déconfinement on constate encore plus de protestations et d’indignations sur les mesures du plan global de redressement comme on dit au tribunal de commerce pour faire repartir les activités et donc la croissance, pour déterminer qui fera les efforts, qui paiera la note finale, malgré l’explosion de la dette publique qu’il faudra un jour rembourser nous ou les générations futures que l’on veut préserver ? Chacun aura sa bonne idée. Celle qui vise surtout les autres. 

 Malgré les milliards du plan de relance venu de l’union européenne et un pognon de dingue qui est injecté, va-t-on aller sournoisement vers la solution facile de l’ancien monde d’un impôt dit du coronavirus, plutôt que d’innover et d’imaginer d’autres solutions qui toutes, soyons réalistes, demanderont des efforts.  Surtout que le processus innovant lié au déconfinement - reconfinement ciblé sera progressif et que des commerces risquent de souffrir plus tard que d’autres ce que je déplore pour les entreprises les plus fragiles mais bonnes pour le moral comme les bistrots restaurants et hôtels, marchés et spectacles. Le rétropédalage est aussi un moyen d’avancer si je peux dire, et de n’être pas contre -productif. Revenons à mon approche un brin partiale je l’avoue sur l’autorité mot qui fait geindre, et son non- respect. 

 Je voudrai me tromper et croire qu’il va y avoir un consensus, un défi commun, et un enthousiasme à tous relever les manches. Mais on assite à une vague de refus plus ou moins motivés, plus ou moins dans l’intérêt général, qui va renforcer l’esprit de désobéissance qui nous anime. Et la détestation de recevoir des ordres même élaborés démocratiquement. Guignol rosse le gendarme sous les applaudissements.  C’est le sujet de ces lignes. 

 

N’en faire que selon ses désirs est devenu un sport national, une manière de vivre et d’être, de se croire rebelles -sans risques d’ailleurs- de s’en prendre aux pouvoirs publics tout en profitant des avantages et en négligeant que l’Etat ce n’est pas moi comme le disait Louis XIV mais nous, tous les citoyens. Refuser d’obéir, de se soumettre à la loi, c’est considérer que la liberté individuelle est un principe supérieur à toute autre considération, en particulier si elle nous concerne. L’intérêt général devient secondaire.

On doit se rappeler ce que prêchait le père Henri Lacordaire (1802-1861), membre de l’Académie française et homme politique : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Examinons cependant deux concepts : l’ordre illégal et la désobéissance civile.

La 1ère catégorie de désobéissance consiste pour un militaire surtout (un fonctionnaire aussi) à ne pas exécuter un ordre qui lui parait illégal. C’est la théorie des « baïonnettes intelligentes ». L’article 122-4 du code pénal précise que « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime sauf si cet acte est manifestement illégal ». La difficulté en justice est de savoir comment on interprète le « manifestement illégal » : un ordre exagéré, mal conçu, ambigu, mal formulé… ne correspondent pas forcément à la définition, ni celui qui est contraire à sa conscience. J’ai plaidé jadis quelques dossiers de ce genre quand le tribunal aux forces armées existait encore. Ce fut toujours difficile en faits, en sémantique, en morale, donc en droit. Je donne l’exemple atypique et ancien des gendarmes qui sur ordre du préfet ont mis le feu à des paillottes sur une plage corse. Ils ont été condamnés. Mais cette théorie veut dire aussi que désobéir à l’autorité est admis par la loi dans des conditions très strictes cela va de soi.

Dans le cadre de la crise du coronavirus, des mesures qui restreignent les libertés individuelles pour un temps déterminé avaient été votées dans le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire, et le confinement a été ordonné. On a déconfiné mais on peut retourner à cet état ancien selon les endroits. La menace plane, la peur rôde.  L’ordre public est légal. Les pseudos résistants à son application qui inventent des prétextes aussi farfelus que dérisoires pour circuler librement, se réunir entre copains ou famille, continuer à vivre insouciants sont dangereux pour eux -mêmes, leurs proches, et tous ceux qu’ils croisent. Cela me permet d’aborder un autre aspect de la désobéissance.

 

La 2ème catégorie de désobéissance concerne ceux qui sont persuadés de détenir la vérité, par exemple sur le réchauffement climatique ou l’environnement en général, avec la décroissance nécessaire, et qui dénoncent la main nocive de l’homme partout notamment avec les méfaits de la finance. Ils occupent des terres, ils se battent pour que tel projet soit abandonné. Ils savent tout en matière de virus et ne croient pas les spécialistes …Ils n’ont pas tout faux, mais ils n’apportent aucune vraie solution. Avoir des intuitions ou des certitudes non vérifiées et validées (voir la polémique actuelle sur les médicaments ou le vaccin) ne garantissent pas des résultats heureux. Et le pouvoir ne peut prévoir des politiques publiques sur des hypothèses. Tout chef d’entreprise le sait. On ne joue pas à la roulette russe avec la santé, ou l’économie. Comme on a les modèles et les penseurs que l’on mérite, je cite mon maître du bon sens Coluche qui définissait le capitalisme « comme l’exploitation de l’homme par l’homme, et le syndicalisme par le contraire ».

Les militants qui désobéissent en se disant pacifiques mais en n’hésitant pas à faire le coup de poing avec les forces de l’ordre, utilisent le concept de désobéissance civile pour se justifier. Elle a été décrite en 1849 par le philosophe, naturaliste et poète né en 1817 à Concord (usa) Henry David Thoreau.  En juillet 1846 il avait refusé de payer un impôt à l’Etat américain pour protester contre l’esclavage dans le sud du pays et la guerre au Mexique. Il ne va passer qu’une nuit en prison car sa tante va payer sa caution. Furieux il décide de théoriser son action sans oublier « le discours de la servitude volontaire ou le contr’un » d’Estienne de la Boétie (1530-1563) qui est une remise en cause de la légitimité des gouvernants à propos d’une révolte antifiscale - déjà - en Guyenne en 1548. Ce texte de La Boétie traduit le désarroi d’une partie de la population souvent cultivée devant la réalité de l’absolutisme. La question est : « pourquoi obéit-on ? ».

 

Avec la désobéissance civile on refuse de se soumettre à une loi ou une mesure qui nous paraissent injustes. On s’interroge : « le légal est-il juste ? » alors que l’on est en république et que l’absolutisme n’existe plus et sauf à penser que l’Etat est totalitaire.  On en appelle à la conscience personnelle, aux valeurs qui nous motivent, à la définition du bien et du mal, à l’intérêt collectif outre à l’impuissance des Etats face à des firmes mondialisées.

On connait les désobéisseurs collectifs (les anti-zadistes) qui défendent une cause et les quasi- professionnels proches des mouvements anarchistes, nihilistes ou anticapitalistes. On a pu vérifier que la violence était un moyen d’action fréquent. Dans une démocratie c’est intolérable.

 Il y a aussi des désobéisseurs individuels qui font passer l’humain avant tout comme récemment M. Cédric Herroux agriculteur installé près de la frontière franco-italienne qui aidait les migrants illégaux.  Son cas a fait progresser le droit. La cour de cassation par le biais d’une QPC a interrogé le conseil constitutionnel qui a jugé que le principe de la fraternité à but humanitaire bien sûr, faisait désormais partie de notre bloc constitutionnel comme la liberté et l’égalité de notre devise [décision du 6 juillet 2018].

Une société moderne complexe par définition qui ne sait pas répondre immédiatement à ce qui n’est jamais arrivé et est imprévisible, ou qui envisage les meilleures décisions pour l’avenir par des réformes, ne peut bien fonctionner qu’avec l’acceptation par le plus grand nombre des lois et règles votées démocratiquement. C’est de la responsabilité de chacun. Certes il n’est pas interdit d’avoir une confiance raisonnée envers nos décideurs et de conserver l’esprit critique, car nul n’est parfait et on peut se tromper. Mais la désobéissance pour avoir raison ou par principe ne peut mener qu’au désordre civique, à l’incapacité d’agir, à la chienlit aurait dit le général de gaulle. La vérité est protéiforme et seule la légitimité démocratique par l’élection permet de progresser. La désobéissance conduit à l’impasse exceptés quelques exemples historiques.