jeudi 15 octobre 2020

avocats et magistrats même combat?

 

                Avocats et magistrats même combat ?

                    Par Christian Fremaux  avocat honoraire.

La justice a toujours été au centre des débats et il semble qu’il y ait des malentendus persistants entre avocats et magistrats. Dans un état de droit comme en France l’Etat pour lui-même n’a pas de droits spécifiques sauf en matière de protections de toute nature en cas de menaces très graves sur la collectivité et la nation et de situations d’urgence, mais il doit mettre en œuvre des mesures - validées par le parlement - pour garantir que chacun dans sa vie quotidienne puisse exercer ses libertés.  La justice doit tenir une place essentielle pour réguler et trancher les conflits, punir ceux qui méritent de l’être, et conforter nos institutions qui font fonctionner nos services publics dans le respect de la Constitution.  Car il faut bien qu’un système non partisan respectant les grands principes et évidemment la volonté du peuple à travers les parlementaires élus qui fabriquent les lois, tranche les difficultés personnelles et collectives et quand il n’y a pas de réponses certaines ou précises venant d’un texte ou de décisions précédentes, innove dans tel ou tel sens pour tenir compte de l’évolution de la société et parfois  pour répondre à des demandes inédites ou clivantes de minorités qui estiment que c’est le progrès. Chacun a d’ailleurs son idée sur le terme progrès, qui n’est pas forcément de dire oui à tout et tous, et n’est pas la panacée pour résoudre tous les problèmes et réconcilier les uns avec les autres.

 On ne peut imaginer un pays sans justice ou sans ordre public, sinon ce serait la loi du plus fort et l’anéantissement de la démocratie réelle qui déjà est contestée pour de multiples (bonnes ou mauvaises) raisons. On la critique mais on ne dit pas par quoi la remplacer ! On voit aussi ce qu’il en est dans beaucoup de pays où la justice est soit aux ordres d’un clan soit inexistante, et où les conflits se règlent les armes à la main. On constate aussi que dans de grandes démocraties la bataille pour des juges ou la justice est forte : par exemple on assiste en ce moment aux USA à un débat viril et intense entre les démocrates et les républicains pour la nomination d’un(e) juge qui siègera à vie à la cour suprême ! M.Trump a désigné sa candidate, et le sénat doit approuver son nom. Joe Biden proteste mais le président actuel est dans son droit : rien n’interdit constitutionnellement aux USA de nommer un juge alors qu’il y a campagne électorale et que M.Trump ne sera peut- être plus président après le 3 novembre.  La justice est donc souvent au centre de la politique ce dont il faut se réjouir car c’est le signe que nous sommes dans un régime de libertés, de poids et de contre -poids, de pouvoirs et de contre-pouvoirs.

La France n’est pas épargnée par ce débat récurrent. Certains pensent qu’un petit nombre de juges sont plus militants que neutres. D’autres affirment que le parquet (les procureurs) sont parfois sensibles au pouvoir politique dont ils dépendent à travers le garde des sceaux ministre de la justice.  Il faut se rappeler que dans notre pays la constitution de 1958 parle de l’autorité judiciaire – et non du pouvoir comme pour le gouvernement l’exécutif ou le parlement le législatif-. C’est le signe de vouloir cantonner les juges dans leur domaine de compétences pour qu’ils ne s’immiscent pas au-delà et qu’on n’aboutisse pas au « gouvernement » des juges, avec l’aide de la déclaration des droits de l’homme et de la cour européenne qui se trouve à Strasbourg, ce que des soupçonneux pensent déjà. 

La nomination de Me Dupond-Moretti avocat comme ministre de la justice a cristallisé de vieilles rancœurs. Le ministre fort de son expérience pénale qui l’a conduit à plaider surtout devant les cours d’assises  de France et de Navarre et qui  a beaucoup fréquenté les magistrats, a des idées précises notamment sur la séparation du parquet – la magistrature debout- et du siège- la magistrature assise- ; sur le secret professionnel et la vie privée ; sur une justice de proximité qui doit avoir des réponses rapides ce que veut le justiciable ; et sur la formation des magistrats pour essayer de les sortir de leur « tour d’ivoire ». Les magistrats n’ont évidemment pas le sentiment d’être entre soi, considèrent qu’ils participent à la vie sociale et qu’ils connaissent les problèmes des citoyens dont ils ne sont pas déconnectés. Le débat est aussi de savoir qui défend l’intérêt général : les magistrats en ont-ils le monopole ou par exemple les avocats qui sont des auxiliaires de justice participent-ils à leur manière à cette exigence nationale ?  Personnellement comme avocat honoraire ma réponse est oui. Je n’ai jamais eu l’impression de trahir la société en défendant un individu même s’il me payait.   Il n’y a pas une vérité. L’avocat défend avant tout son client comme vient de le rappeler l’illustre avocat pénaliste Me Hervé Temime dans son dernier livre « secret défense ». Mais il contribue aussi à trouver une vérité qui peut être relative car c’est celle de celui qu’il assiste. Les juges en prononçant leurs jugements et arrêts fixent la vérité judiciaire (qui est souvent un compromis entre des thèses contradictoires) à un moment mais elle n’est pas définitive et gravée dans le marbre. On voit qu’avec les progrès de la science certains condamnés sont innocentés ensuite, et que des décisions rendues dans d’autres sujets sont remises en cause.

Le ministre de la justice a mis le feu aux poudres en permettant, même si ce n’est pas lui qui a signé, des poursuites contre trois magistrats du parquet national financier, ce parquet qui a fait mettre en examen M.Fillon pendant la campagne présidentielle de 2017. Il n’était pas interdit de prendre une telle décision, mais était-elle opportune ? : chacun a jugé à l’époque.  La vie apporte parfois des retours de bâton inattendus. Personne y compris des membres du parquet n’est à l’abri d’être à son tour poursuivi et de devoir répondre de possibles fautes professionnelles ou déontologiques. L’avocat connait cela de près et la présomption d’innocence existe. Mais des magistrats furieux et quelque peu corporatistes viennent de déposer plainte contre M.Dupond-Moretti devant la cour de justice de la république qui juge les ministres (cour que M.Macron a voulu supprimer dès son arrivée mais il n’a pas trouvé une majorité au congrès pour ce faire),pour conflits d’intérêt ( alors que le ministre a été victime de l’étude discrétionnaire et secrète de ses fadettes quand il était avocat), et pour dénigrement des magistrats. Des syndicats de magistrats ne veulent pas le rencontrer ne serait- ce que pour parler des dossiers urgents qui intéressent les justiciables : cela me choque ! Comment convaincre un petit jeune ensuite d’être tolérant et civilisé ? L’exemple doit venir d’en haut.

Ce que les magistrats ne semblent pas pardonner au ministre c’est d’avoir nommé une avocate- ancienne vice-bâtonnière du barreau de paris- à la tête de l’école de la magistrature qui n’est pourtant pas une « chasse » réservée aux magistrats puisque la justice n’appartient à personne : ni aux magistrats ni aux avocats. Elle est rendue au nom du peuple français dans sa diversité. Le garde des sceaux pense qu’une formation commune avocats -magistrats serait une bonne chose. Il est en effet toujours préférable de connaitre l’autre pour éviter les clichés, les malentendus et peut-être parfois des reproches délétères. Chacun aura ensuite son rôle à jouer et se drapera dans son indépendance farouche, ses règles supérieures, sa conscience, le droit au secret pour les avocats qui titille fortement des magistrats qui sont pour la transparence … chez les autres. 
En matière de justice avocats et magistrats mènent en réalité tous le même combat : faire que les droits individuels s’exercent en même temps que les devoirs collectifs soient préservés. Une nation ne vit pas que de l’individualisme de ses membres. La solidarité s’impose par le respect de la loi même si elle ne nous plait pas ou des recommandations publiques qui sont prises dans notre intérêt quoiqu’on en pense malgré des restrictions à nos libertés ce que je regrette comme tout le monde. La crise contre l’autorité en général n’arrange rien : qu’en serait-il en cas de laisser faire - laisser aller. Les libertés sans frein ont -elles jamais arrêté une pandémie ou des terroristes ?  Il faut aussi conforter et faire vivre les valeurs républicaines qui fondent la possibilité de vivre ensemble et la certitude d’appartenir à une union de destins qui dépasse nos intérêts matériels ou philosophiques voire religieux.

La justice ne distingue pas et ne fait pas de particularismes. Elle n’est pas un tribunal médiatique. La justice n’est considérée que si elle est sereine, objective, ce qui n’empêche pas les affrontements sur les idées du bien et du mal, de la nécessité, de la sévérité ou de la compréhension, de l’opportunité ou non. Elle applique la loi qui est générale et impersonnelle après avoir entendu les avocats et leurs interprétations des faits et des textes qui reflètent l’avis de leurs clients dans leurs approches de ce qui est leurs vérités tant en matière pénale que surtout civile qui concerne la majorité des procès. Avocats et magistrats qui se doivent une confiance réciproque sont tel Janus les deux faces du même homme. Ils sont complémentaires et poursuivent le même objectif : celui de la vérité de l’homme par définition imparfait qui comme l’horizon recule au fur et à mesure que l’on avance.   

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