Avocats et magistrats même combat ?
Par Christian
Fremaux avocat honoraire.
La justice a
toujours été au centre des débats et il semble qu’il y ait des malentendus
persistants entre avocats et magistrats. Dans un état de droit comme en France
l’Etat pour lui-même n’a pas de droits spécifiques sauf en matière de
protections de toute nature en cas de menaces très graves sur la collectivité
et la nation et de situations d’urgence, mais il doit mettre en œuvre des mesures
- validées par le parlement - pour garantir que chacun dans sa vie quotidienne
puisse exercer ses libertés. La justice
doit tenir une place essentielle pour réguler et trancher les conflits, punir
ceux qui méritent de l’être, et conforter nos institutions qui font fonctionner
nos services publics dans le respect de la Constitution. Car il faut bien qu’un système non partisan
respectant les grands principes et évidemment la volonté du peuple à travers
les parlementaires élus qui fabriquent les lois, tranche les difficultés
personnelles et collectives et quand il n’y a pas de réponses certaines ou
précises venant d’un texte ou de décisions précédentes, innove dans tel ou tel
sens pour tenir compte de l’évolution de la société et parfois pour répondre à des demandes inédites ou
clivantes de minorités qui estiment que c’est le progrès. Chacun a d’ailleurs
son idée sur le terme progrès, qui n’est pas forcément de dire oui à tout et
tous, et n’est pas la panacée pour résoudre tous les problèmes et réconcilier
les uns avec les autres.
On ne peut imaginer un pays sans justice ou
sans ordre public, sinon ce serait la loi du plus fort et l’anéantissement de la
démocratie réelle qui déjà est contestée pour de multiples (bonnes ou
mauvaises) raisons. On la critique mais on ne dit pas par quoi la
remplacer ! On voit aussi ce qu’il en est dans beaucoup de pays où la
justice est soit aux ordres d’un clan soit inexistante, et où les conflits se
règlent les armes à la main. On constate aussi que dans de grandes démocraties
la bataille pour des juges ou la justice est forte : par exemple on
assiste en ce moment aux USA à un débat viril et intense entre les démocrates
et les républicains pour la nomination d’un(e) juge qui siègera à vie à la cour
suprême ! M.Trump a désigné sa candidate, et le sénat doit approuver son nom. Joe
Biden proteste mais le président actuel est dans son droit : rien
n’interdit constitutionnellement aux USA de nommer un juge alors qu’il y a
campagne électorale et que M.Trump ne sera peut- être plus président après le 3
novembre. La justice est donc souvent au
centre de la politique ce dont il faut se réjouir car c’est le signe que
nous sommes dans un régime de libertés, de poids et de contre -poids, de
pouvoirs et de contre-pouvoirs.
La France
n’est pas épargnée par ce débat récurrent. Certains pensent qu’un petit nombre
de juges sont plus militants que neutres. D’autres affirment que le parquet
(les procureurs) sont parfois sensibles au pouvoir politique dont ils dépendent
à travers le garde des sceaux ministre de la justice. Il faut se rappeler que dans notre pays la
constitution de 1958 parle de l’autorité judiciaire – et non du pouvoir comme
pour le gouvernement l’exécutif ou le parlement le législatif-. C’est le signe
de vouloir cantonner les juges dans leur domaine de compétences pour qu’ils ne
s’immiscent pas au-delà et qu’on n’aboutisse pas au « gouvernement » des
juges, avec l’aide de la déclaration des droits de l’homme et de la cour
européenne qui se trouve à Strasbourg, ce que des soupçonneux pensent
déjà.
La
nomination de Me Dupond-Moretti avocat comme ministre de la justice a
cristallisé de vieilles rancœurs. Le ministre fort de son expérience pénale qui
l’a conduit à plaider surtout devant les cours d’assises de France et de Navarre et qui a beaucoup fréquenté les magistrats, a des
idées précises notamment sur la séparation du parquet – la magistrature debout-
et du siège- la magistrature assise- ; sur le secret professionnel et la
vie privée ; sur une justice de proximité qui doit avoir des réponses
rapides ce que veut le justiciable ; et sur la formation des magistrats
pour essayer de les sortir de leur « tour d’ivoire ». Les magistrats
n’ont évidemment pas le sentiment d’être entre soi, considèrent qu’ils
participent à la vie sociale et qu’ils connaissent les problèmes des citoyens
dont ils ne sont pas déconnectés. Le débat est aussi de savoir qui défend
l’intérêt général : les magistrats en ont-ils le monopole ou par exemple
les avocats qui sont des auxiliaires de justice participent-ils à leur manière
à cette exigence nationale ? Personnellement
comme avocat honoraire ma réponse est oui. Je n’ai jamais eu l’impression de
trahir la société en défendant un individu même s’il me payait. Il n’y
a pas une vérité. L’avocat défend avant tout son client comme vient de le
rappeler l’illustre avocat pénaliste Me Hervé Temime dans son dernier livre « secret
défense ». Mais il contribue aussi à trouver une vérité qui peut être
relative car c’est celle de celui qu’il assiste. Les juges en prononçant
leurs jugements et arrêts fixent la vérité judiciaire (qui est souvent un
compromis entre des thèses contradictoires) à un moment mais elle n’est pas
définitive et gravée dans le marbre. On voit qu’avec les progrès de la science certains
condamnés sont innocentés ensuite, et que des décisions rendues dans d’autres
sujets sont remises en cause.
Le ministre
de la justice a mis le feu aux poudres en permettant, même si ce n’est pas lui
qui a signé, des poursuites contre trois magistrats du parquet national financier,
ce parquet qui a fait mettre en examen M.Fillon pendant la campagne
présidentielle de 2017. Il n’était pas interdit de prendre une telle décision,
mais était-elle opportune ? : chacun a jugé à l’époque. La vie apporte parfois des retours de bâton
inattendus. Personne y compris des membres du parquet n’est à l’abri d’être à
son tour poursuivi et de devoir répondre de possibles fautes professionnelles
ou déontologiques. L’avocat connait cela de près et la présomption
d’innocence existe. Mais des magistrats furieux et quelque peu corporatistes viennent
de déposer plainte contre M.Dupond-Moretti devant la cour de justice de la
république qui juge les ministres (cour que M.Macron a voulu supprimer dès son
arrivée mais il n’a pas trouvé une majorité au congrès pour ce faire),pour
conflits d’intérêt ( alors que le ministre a été victime de l’étude discrétionnaire
et secrète de ses fadettes quand il était avocat), et pour dénigrement des
magistrats. Des syndicats de magistrats ne veulent pas le rencontrer ne serait-
ce que pour parler des dossiers urgents qui intéressent les justiciables :
cela me choque ! Comment convaincre un petit jeune ensuite d’être tolérant
et civilisé ? L’exemple doit venir d’en haut.
Ce que les
magistrats ne semblent pas pardonner au ministre c’est d’avoir nommé une
avocate- ancienne vice-bâtonnière du barreau de paris- à la tête de l’école de
la magistrature qui n’est pourtant pas une « chasse » réservée aux
magistrats puisque la justice n’appartient à personne : ni aux magistrats
ni aux avocats. Elle est rendue au nom du peuple français dans sa diversité. Le
garde des sceaux pense qu’une formation commune avocats -magistrats serait une
bonne chose. Il est en effet toujours préférable de connaitre l’autre pour
éviter les clichés, les malentendus et peut-être parfois des reproches
délétères. Chacun aura ensuite son rôle à jouer et se drapera dans son indépendance
farouche, ses règles supérieures, sa conscience, le droit au secret pour les
avocats qui titille fortement des magistrats qui sont pour la transparence … chez
les autres.
En matière de justice avocats et magistrats mènent en réalité tous le même combat :
faire que les droits individuels s’exercent en même temps que les devoirs
collectifs soient préservés. Une nation ne vit pas que de l’individualisme de
ses membres. La solidarité s’impose par le respect de la loi même si elle ne
nous plait pas ou des recommandations publiques qui sont prises dans notre
intérêt quoiqu’on en pense malgré des restrictions à nos libertés ce que je
regrette comme tout le monde. La crise contre l’autorité en général n’arrange
rien : qu’en serait-il en cas de laisser faire - laisser aller. Les
libertés sans frein ont -elles jamais arrêté une pandémie ou des terroristes
? Il faut aussi conforter et faire vivre
les valeurs républicaines qui fondent la possibilité de vivre ensemble et la certitude
d’appartenir à une union de destins qui dépasse nos intérêts matériels ou philosophiques
voire religieux.
La justice
ne distingue pas et ne fait pas de particularismes. Elle n’est pas un
tribunal médiatique. La justice n’est considérée que si elle est sereine,
objective, ce qui n’empêche pas les affrontements sur les idées du bien et du
mal, de la nécessité, de la sévérité ou de la compréhension, de l’opportunité
ou non. Elle applique la loi qui est générale et impersonnelle après avoir
entendu les avocats et leurs interprétations des faits et des textes qui
reflètent l’avis de leurs clients dans leurs approches de ce qui est leurs
vérités tant en matière pénale que surtout civile qui concerne la majorité des
procès. Avocats et magistrats qui se doivent une confiance réciproque sont tel
Janus les deux faces du même homme. Ils sont complémentaires et poursuivent le
même objectif : celui de la vérité de l’homme par définition imparfait qui
comme l’horizon recule au fur et à mesure que l’on avance.
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