samedi 12 mars 2016

LA LIBERTÉ DU JUGE PRUD'HOMAL

La liberté du juge prud’homal
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et juge prud’homal
A propos  des manifestations contre le projet de loi réformant le droit du travail, même pas encore examiné officiellement  au conseil des ministres ,et qui sera soumis -s’il n’est pas retiré  par prudence pour ne pas déplaire aux uns et aux autres - aux parlementaires qui pourront le modifier (c’est ce que l’on appelle la démocratie et le respect  des pouvoirs du parlement mais cela semble n’intéresser personne puisqu'on préfère écouter le bruit de la rue et les réseaux sociaux qui n’ont aucune légitimité)- on entend n’importe quels arguments plus ou moins farfelus et surtout on comprend que faire une réforme en France relève du parcours d’obstacles et que finalement les français sont globalement conservateurs et étatistes : l’ETAT doit tout leur garantir, y compris l’échec, et faire payer les autres et pas soi sachant que plus d’un français sur deux ne paient pas l’impôt. Nos voisins sont interloqués, par exemple l’Italie après la réforme de M.RENZI , voire les allemands -peuple sûr de soi et dominateur en Europe -pour paraphraser le général de GAULLE si je peux me le permettre !! qui ont une autre conception des rapports dans l’entreprise. Je ne rappelle  que pour information –car la mondialisation existe même si on la déplore – l’exemple de ce qui se passe dans les pays anglo-saxons avec des règles « souples », qui ne sont pas une référence pour nous gaulois, en matière de marché du travail. Et je suis d’accord : essayons de choisir le mieux disant. Enfin on assiste à un débat politiquement surréaliste : le gouvernement P.S est conspué par ses propres troupes qui défilent la rose à la main, tandis que l’opposition se tait et n’ose pas approuver la réforme de peur qu’elle soit torpillée, tandis que le MEDEF ou la CGPME  nuancent…Pour ceux qui comme moi avaient 20 ans en mai 68- mais n’étaient pas révolutionnaires car il fallait avoir son diplôme et quitter le giron familial pour trouver un travail quel qu’il soit, même précaire , au plus vite- il est rafraîchissant d’entendre de nouveau M.COHN-BENDIT s’insurger ,lui qui a fait une très belle carrière de donneur de leçons et de député européen, comme quoi la révolution mène à tout à condition d’évoluer, et de constater que la jeunesse se croit maîtresse de la rue  avec quelques bataillons de l’UNEF (qui représentent un très petit pourcentage d’étudiants et qui a du mal à gérer sa propre structure) et qui continue à être l’antichambre du parti socialiste, qui transforme ensuite les apparatchiks en  élus locaux, puis  députés voire ministres des années plus tard.  Mais on ne leur propose pas un vrai métier ! Sous le soleil rien de nouveau, sauf que sous les pavés il n’y a plus la plage.
On voit aussi les lycéens –les 15-18 ans – être reçus par le premier ministre (toutes mes félicitations à M.VALLS pour son  ouverture et volonté de dialogue) pour exiger des emplois garantis-alors que la plupart ne savent pas encore, et c’est normal, quel métier ils vont choisir- le maintien des 35 heures qui seraient un acquis social ? et pas de licenciements (c’est une vieille idée de ..M.Bernard TAPIE ) ou alors avec des indemnités très importantes outre des indemnisations chômage conséquentes. Le patron ne compte pas, il est forcément exploiteur et est surtout un tiroir caisse. «  Les jeunes » ne se demandent pas qui va payer puisque l’impôt leur est encore inconnu et heureusement. Curieusement on n’entend pas lesdits jeunes  affirmer qu’ils vont créer des entreprises donc de l’emploi, sauf les fameuses start-up qui sont  le symbole  du risque extrême.
On a fait depuis des décennies de la France une terre conservatrice et frileuse, le principe de précaution inscrit dans la Constitution , s’appliquant à toutes les activités de la société. On encourage ni  l’innovation ni l’audace : on n’accepte pas l’échec créateur  qui permet de rebondir, en étant aidé. La loi dite EL KHOMRI porte de nombreuses dispositions pour faire évoluer le marché du travail, favoriser les accords dans l’entreprise les salariés sachant ce qu’ils veulent et ce qu’ils refusent , sans pour autant écarter les syndicats qui sont nécessaires, et en valorisant les acquis de la jurisprudence pour donner un cadre juridique plus certain aux salariés et aux patrons qui connaitront la règle du jeu avant tout conflit. C’est responsabiliser tout le monde.
Essayons de comprendre  par un point précis du projet ,qui embrasse  cependant de multiples sujets.
Prenons le cas des licenciements qui cristallisent la discussion : les syndicats hurlent contre le plafonnement des indemnités en cas de licenciement individuel pour faute. Peut-on admettre que parfois un salarié fait mal son travail ou commet une faute qui oblige le patron à le licencier ? . Si la réponse est non par principe il est inutile de discuter. Mais de mon expérience de conseiller prud’homme , je sais que cela existe aussi. Le débat porte sur la liberté d’appréciation du juge qui la perdrait en étant obligé de respecter un barème ,et que donc tous les préjudices du salarié qui est victime d’un licenciement abusif ou sans cause réelle et sérieuse ne seraient pas indemnisés. C’est un faux débat. Le juge prud’homal(qui est  par devoir et déontologie objectif ,qu’il soit du collège employeur ou salarié) qui connait l’entreprise sait évaluer les préjudices qu’il doit distinguer et motiver dans son jugement. Sinon il sera désavoué par les magistrats professionnels de la cour d’appel, sachant que la plupart des décisions rendues par les conseils de prud’homme sont confirmées par les cours d’appel .Le barème avait déjà été prévu dans la loi MACRON de 2015 sans que personne ne s’offusque. Le conseil constitutionnel avait retoqué ce point précis car il y avait  un défaut d’égalité entre les salariés  qui travaillaient dans une entreprise de plus de 11 salariés avec deux ans d’ancienneté au moins , et ceux qui travaillaient dans une entreprise de moins de 11 salariés. Désormais seule l’ancienneté comptera : c’est un  progrès. Le juge prud’homal est  dans l’état des textes existants aussi tenu parfois d’accorder au moins 6 mois de salaire à titre d’indemnité alors même qu’il aurait voulu accorder moins. Mais DURA LEX SED LEX. Bien sûr personne ne s’indigne qu’il n’y ait pas de plafond d’indemnisation sauf les petits patrons qui redoutent une condamnation et donc ont peur pour l’avenir de leur entreprise.
Le projet du gouvernement essaie de revenir sur ces injustices -théoriques ou réelles- ou sur ces  incohérences , des deux côtés car dans l’entreprise  si les droits des salariés doivent être protégés, ceux des employeurs existent aussi. C’est eux qui créent de l’emploi et il ne faut pas s’en méfier par principe .Il faut sortir de l’affrontement permanent du 19 ème siècle et aborder le 21 ème siècle avec des idées neuves. L’employeur se détermine en fonction de son carnet de commandes : il embauche dans le besoin  et il ne licencie pas un salarié pour le plaisir -car les relations humaines  et le sens des responsabilités et la portée de ses actes cela existe encore –surtout pour ensuite affronter le conseil de prud’homme. On ne licenciera donc pas plus facilement avec la loi EL KHOMRI : on n’a pas touché à la procédure  très stricte ; l’employeur devra toujours motiver le licenciement. Il paiera les indemnités tirées de la convention collective. Et les juges prud’homaux arbitreront pour indemniser en plus, ou non.
Mais pourquoi critiquer un plafonnement des éventuelles indemnisations que devra respecter le juge ? En matière pénale  , délits et crimes  ,donc ce qui nuit à la société en général et à des victimes en particulier, le juge a un «  plancher  » : il peut relaxer ou acquitter et un « plafond » ,des «  barèmes » en matière de sanctions financières, de peines de prison…outre sa jurisprudence ou celle de la cour de cassation. Le juge est libre et conserve son plein pouvoir d’appréciation. On ne comprend pas pourquoi il n’en serait pas de même pour le juge prud’homal qui statue en droit ET en équité .II faut lui faire confiance. Espérons que nous n’aurons pas à dire :  le nouveau code du travail - malgré les principes posés par les éminents professeurs BADINTER et LYON-CAEN a priori peu suspects de partialité-est foutu, car les jeunes ne l’ont pas lu tout en défilant dans la rue, et les syndicats l’ont mal interprété, ce qui n’est pas étonnant quand on sait que la ministre de l’éducation nationale que je caricature, considère que l’orthographe -qui est la base de la lecture- ne compte plus et que peut -être dans l’avenir on passera le baccalauréat, s’il n’est pas donné d’office, en rédigeant des tweets. En attendant  si ce projet de modification du code du travail n’est pas voté, les salariés subiront la situation actuelle, qui n’est guère encourageante. Soyons réalistes demandons l’impossible lisait on sur les barricades du quartier latin. Mais le progrès n’est pas forcément lié à la défense de principes éculés et dire non , c’est aussi régresser.