mardi 23 janvier 2024

Réarmement civique

 

                                                     Réarmement civique

                       Par Christian Fremaux avocat honoraire

Le président de la république a annoncé un grand réarmement civique. Je ne sais pas exactement de quoi il s’agit mais notre talentueux premier ministre va nous l’expliquer concrètement en dévoilant sa feuille de route. J’avoue que le duo exécutif jeune et sémillant a du talent pour s’exprimer. C’est cela le début du civisme : que tout le monde comprenne. Ce n’est pas de la morale, c’est la justification de la cité. Pour l’action il faut attendre le détail. Ce débat est existentiel. 

Des humanistes détestent le mot de réarmement qui est connoté guerrier. On frôlerait l’affrontement entre les êtres. C’est donc à proscrire. Selon nos indignés professionnels on devrait rester en l’état, convaincre par l’empathie qu’il faut apprendre aux enfants. C’est vrai mais il suffit de voir les cours d’école et ce qui se passe dans nos beaux établissements d’éducation à l’intérieur ou autour ! Des professeurs y ont perdu la vie. Et ils ne peuvent plus éduquer librement c’est -à -dire transmettre des savoirs puisque certains contestent le fond de l’enseignement. Pourquoi, il faudrait le savoir précisément ? Le citoyen n’est pas qu’un être spirituel. Il faut donc faire plus, éduquer à l’intérêt général de l’enfant à l’adulte. La collectivité a aussi le droit de vivre en paix. Il faut corriger les manques donc réarmer. 

Quant aux jeunes qui sont oisifs faute d’école mais eux armés souvent, il faudrait comprendre leur colère et les émeutes contre tout ce qui est public ? J’avoue que l’hypothèse du président ne m’a pas convaincu. Personnellement je suis pour le désarmement des voyous jeunes comme vieux ! Je vais devoir rectifier ma pensée comme on le faisait chez Mao pour les nostalgiques ou actuellement avec la nouvelle vague de ceux et celles qui dénoncent, pétitionnent et demandent exclusions et démissions à tout bout de champ quel que soit le sujet. Ce sont de curieux démocrates qui devraient apprendre le civisme et la contradiction en sachant que la vérité n’est pas univoque. Jusqu’à ce que le boomerang qu’ils ont lancé leur revienne en pleine face. Il y a des armes à double tranchant lancés par des Torquemada.

 Cessons de nous flageller car d’autres pays sont moins regardants que nous même si la France pays des principes universels doit garder son aura. Et sa première place au moins dans ce domaine un brin éthéré. La compassion n’est pas encore érigée en principe constitutionnel et n’est qu’un devoir personnel. Seule la fraternité l’est par la grâce des juges du conseil constitutionnel en 2018 et pas par une délibération de l’assemblée nationale. Certes on est tous des êtres humains d’où que l’on vienne. Mais peut-on tout partager ou donner sans contreparties ? voire se sacrifier ?  Qui veut mourir actuellement pour des idées qui le dépassent ou pour soutenir par exemple la démocratie chez d’autres, ou combattre toute forme d’agression ? Le civisme a-t-il des limites ? Et à quoi sert -il ?

On sait réarmer, nos canons Caesar sont très demandés ! Mais il s’agit pour la nation non pas de se diviser ou de se confronter de l’intérieur en imposant des comportements. C’est de surmonter les épreuves à partir de valeurs communes qui font consensus. Se réarmer veut dire que l’on n’a plus d’arguments convaincants ou plus assez.

Le président a évoqué un réarmement des esprits. Celui des valeurs républicaines, celles qu’on apprenait jadis à l’école publique qui se confondaient avec la phrase journalière de morale élémentaire et qui permettaient à l’enfant de se structurer mentalement, de savoir en gros où était le bien et le mal, qui l’aidait à définir son attitude auprès de ses parents d’abord et ensuite des autres et des institutions. Et de connaitre ses obligations dans l’intérêt public. L’enfant puis l’adolescent savait qu’il y avait des autorités et un ordre républicain qui assurent les libertés donc la vie en société. Il devenait un adulte responsable, l’acceptait puisqu’il réfléchissait et doutait en faisant sa propre opinion. Il accédait ainsi au rang de citoyen avec ses devoirs. Il n’est pas question de revenir en arrière, le bon sens suffira.

 Je n’adhère pas au postulat que le « progressisme » sans borne n’apporte que des avantages et assure un avenir heureux. Si tel était le cas on n’aurait pas à devoir se réarmer, c’est à dire à consolider nos moyens de défense, et contre quelle attaque ? On s’est désarmé tout seul !  Ne pas dénommer précisément les choses ajoute au malheur du monde a écrit Albert Camus. L’homme/la femme a besoin de repères- même discutables- de points d’appui, solides et d’armes morales ou d’outils pour agir. Et de respecter des règles non écrites et la loi, la désobéissance sauvage pour une cause prétendument juste n’étant pas une option. Le civisme n’est pas l’autorisation débridée de suivre son bon plaisir.  

Mais pour quoi faire, au bénéfice de qui et comment ? Principalement il ne s’agit pas d’éradiquer le paupérisme ou mettre fin à la délinquance, ou d’instaurer de force l’égalité et l’absence de discrimination avec des libertés individuelles et collectives sans limites. Il faut préparer le terrain et fixer des buts. On évoque des droits et des devoirs tout simplement qui font parties de l’ensemble que l’on détient en copropriété. L’objectif devrait être de pacifier les relations sociales, entre majorité et minorités ou communautés ; de donner un nouvel élan à notre démocratie et que les citoyens mieux instruits y compris dans ce qui est du domaine immatériel ( à ne pas confondre avec la religion) ou philosophique prennent leurs responsabilités en étant plus éclairés sur les enjeux, aillent aux urnes (car l’abstention est un fléau qui menace toute décision publique),  et discutent raisonnablement avec l’autre qui n’est qu’un contradicteur et pas un ennemi. Un peuple a besoin d’un cadre pour vivre en sécurité, et pouvoir discuter âprement s’il le faut mais dans l’intérêt commun. L’application des droits de l’homme qui sont notre socle est remise en question. La laïcité devient une interdiction ce qui est un contre-sens majeur. Notre triptyque liberté égalité fraternité est discuté.

 Notre modèle démocratique - le pire de tous à l’exception de tous les autres - n’est plus accepté car il manque de souffle et ne fait pas suffisamment participer les citoyens qui veulent être les acteurs de leurs destins. Les individus ne sont plus en phase avec les élites auto-proclamées et mondialisées ou fédératives de l’Europe. Et qui décident à leurs places. Le réarmement civique fera progresser mais ne réglera pas tout. Il fera connaitre les réalités et les mettra en perspective. C’est un moyen pas la solution. Pas une fin en soi ou la panacée. On a besoin d’une démocratie qui a du sens, juste et forte.  Reste à trouver les professeurs ou formateurs et le programme que chacun approuve. L’Etat ne peut pas tout. Ce n’est qu’un début continuons le combat.   

dimanche 14 janvier 2024

La justice internationale un simple coup de com. ?

 

               La justice internationale un simple coup de com. ?

                Par Christian Fremaux avocat honoraire

Le désir de justice est irrépressible et la lutte contre l’injustice sous toutes ses formes est impérative. Sinon pourquoi l’honnête homme qui s’empêche comme l’a écrit A. Camus et qui respecte les règles et son prochain, se décarcasserait -il ? Le devoir nous grandit car il nous force à nous élever au -dessus de nos certitudes et à douter ce qui conduit à la tolérance qui n’est pas incompatible avec la fermeté. Ou à une autorité républicaine réfléchie qui rétablit l’ordre des choses. 

La justice est une vertu cardinale immatérielle et en même temps une organisation pratique dirigée par des hommes et des femmes avec leurs qualités et défauts, avec leurs convictions subjectives. Ils ont l’obligation de se dépasser dans un intérêt supérieur, celui de la collectivité à travers la loi débattue publiquement, fixant les principes et ayant pour vocation de réguler la vie en société. Ceux et celles qui s’en exonèrent ou désobéissent au prétexte qu’ils ont la vérité ou que la cause qu’ils défendent est juste, prennent le risque de disloquer l’ensemble. En démocratie seul le débat est acceptable, pas le coup de force. Les minorités ne doivent rien imposer, et la majorité ne doit pas abuser de son pouvoir, comme Alexis de Tocqueville l’avait fait remarquer.

En temps de guerre les grands principes prennent du plomb dans l’aile. On discute pour savoir qui est l’agresseur qui est l’agressé, même si les faits sont aveuglants. Chaque camp invoque la légitime défense. On comptabilise macabrement les victimes qui n’y sont pour rien. Alors que leurs dirigeants ont pris la décision d’utiliser les armes pour une raison qu’ils estiment légitime, mais que l’on discutera à vie. Le terrorisme frappe à l’aveugle ou sur des cibles choisies : il n’a ni adresse ni numéro de téléphone ni de visage et ce n’est pas une nation égale à une autre. En effet les démocraties ont des responsables identifiés qui doivent rendre des comptes en priorité à leurs peuples. Nous sommes dans des guerres souvent asymétriques et la justice doit y retrouver ses ouailles et ses justiciables.  Mais elle doit faire du droit.

La communauté internationale s’est dotée de deux cours de justice principales qu’il ne faut pas confondre. Les médias parfois s’emmêlent.  

La cour internationale de justice [C.I.J.] a été créée en 1945.Elle siège à La Haye et est composée de 15 juges. Sa compétence concerne essentiellement les conflits entre Etats par exemple pour des problèmes d’espaces terrestres ou maritimes et de frontières. Au début de la guerre Russie-Ukraine, celle- ci avait demandé à la cour d’ordonner à la Russie de cesser de continuer ses actions et de revenir aux frontières existantes. La cour a pris une décision en ce sens que M. Poutine a ignorée. La C.I.J. ne dispose d’aucun moyen coercitif pour faire respecter ses jugements, c’est le problème.

L’Afrique du Sud qui a vaincu l’apartheid vient de saisir la C.I.J. à propos du conflit Israël-Hamas. Elle considère que l’Etat hébreu a pour objectif le génocide des palestiniens et qu’il poursuit une politique d’apartheid. L’Afrique du Sud qui n’est pas partie prenante directement aux combats s’appuie sur la convention pour la répression du crime génocidaire qui est prévue à l’article 30 du statut de la cour et à l’article IX de la convention. Elle souhaite qu’un cessez- le -feu soit ordonné. Israël a comparu pour donner des explications. Mais le Hamas est naturellement aux abonnés absents. Toute décision de cette cour ne peut donc qu’avoir une portée médiatique, symbolique. On ne va pas juger qui est le bon et qui est le truand. Sans compter qu’on ne sait pas qui est la brute, chacun accusant l’autre.  

Par ailleurs a été créée par le traité de Rome de 1998 la Cour Pénale Internationale [C.P.I.] qui siège aussi à La Haye. L’Etat intéressé doit signer le traité puis le faire ratifier par ses instances parlementaires. Ni Israël, ni les USA ni la Russie n’ont fait ratifier le traité. Sans commentaires sur ce qui se passe actuellement.  

On se rappelle le procès de Nuremberg en 1946 qui a condamné des dignitaires nazis. L’évolution du monde a été telle qu’il a fallu envisager de faire des procès publics aux dirigeants politiques, militaires, administratifs ou autres pour qu’ils ne se retranchent plus derrière des ordres reçus ou des idéologies mortifères et ne seraient ainsi pas responsables personnellement de leurs actes. La C.P.I a pour compétences  l’examen des crimes d’agression et de guerre ; les crimes contre l’humanité ; les génocides. Elle juge l’individu pas son Etat ou son groupement qui est impersonnel. A condition de pouvoir l’arrêter s’il ne comparait pas volontairement. On n’est pas près d’avoir l’extradition d’un chef terroriste ! Reconnu coupable l’individu est soumis à une peine de prison. Puis libéré il peut retourner dans son pays. La justice internationale comme les justices internes, n’est pas parfaite. Mais elle existe. Continuons le combat pour lui donner de la force et de la reconnaissance. L’impunité ne peut passer. On a créé aussi des tribunaux internationaux ad hoc pour des conflits internes comme au Cambodge ou au Rwanda. Les massacres ne peuvent être impunis.  

Le droit international celui de la guerre ou humanitaire reflète un rapport de forces. Les pays dits du sud global remettent en cause les valeurs des droits de l’homme ou des républiques réelles et la domination occidentale sur le monde qui selon eux n’aurait que trop duré. Cela se discute mais surtout se négocie. La justice internationale est une caisse de résonance, une justice médiatique avec tous ses défauts. On veut mobiliser les consciences des opinions publiques pour qu’on n’oublie pas les victimes quelles qu’elles soient, que parfois des dirigeants sont enclins à sacrifier jusqu’au dernier pour avoir raison, pour être un héros quand ils se regardent dans le miroir. Mais elle ne peut arrêter une guerre ni contraindre à un cessez-le feu. C’est sa limite en droit puisqu’elle ne fait pas de morale et ne donne pas de leçons. Elle est la préparation de la diplomatie et/ou son complément qui doit aboutir à une paix durable si personne ne perd la face. L’Histoire nous l’a appris.   

Respecter le droit public international est la caractéristique d’une démocratie. L’ignorer est le signe des dictatures ou des régimes pour le moins autoritaires. La justice internationale ne peut être simplement de la communication.

L’être humain dans sa diversité qui subit l’idéologie des uns et des autres mérite une meilleure considération car il est le seul combat qui vaille. La justice doit l’aider.