Vous avez dit indépendance ?
Par christian fremaux avocat honoraire.
Dès qu’une
émotion submerge les esprits et actuellement c’est le cas pour tout sujet avant
même de savoir si les faits sont réels car on se fie à ce qui est montré et
parfois déformé ou partiel sans connaitre ce qui s’est passé avant l’extrait
choisi et pourquoi, on crie au scandale, et les médias font de l’information
continue avec des prétendus experts qui n’étaient pas sur place mais qui
expliquent ce qu’ils ne savent pas n’ayant pas accès au dossier d’ailleurs pas
encore constitué. Cela n’empêche personne d’exiger des sanctions immédiates ou
une enquête dans telles ou telles conditions, et de contester tout et son
contraire. Le tribunal médiatique siège jours et nuits, sans avocats mais avec
des procureurs et la reconstitution se fait en direct en studio avec décors et
sans faits contradictoirement débattus. Le scoop vaut jugement. La bonne
conscience et l’empathie sont raison et il est réclamé la création de
n’importe quoi qui serait indépendant. Indépendant de quoi et de qui c’est la question.
Ainsi dans l’arrestation musclée et filmée
choquante a priori à la seule vue des images du producteur Michel Zecler dont
le juge pénal est déjà saisi ! ( au passage notons que les ardents défenseurs de la vie privée ne
critiquent pas les caméras de
vidéoprotection quand elles vont dans le bon sens c’est -à -dire contre ce qui
est l’autorité) , on s’indigne que l’IGPN l’inspection générale de la police
nationale composée d’officiers de police judiciaire notamment soit chargée de
l’enquête, car on la soupçonne d’office de partialité et de complaisance envers
les fonctionnaires de police qui pensent le contraire au vu des nombreuses
sanctions prononcées contre eux, et on demande à sa place de créer ce qui serait
une autorité ou commission administrative indépendante composée de
personnalités neutres, de magistrats, peut- être d’avocats ?, de quelques
policiers mais ce n’est pas sûr et de citoyens surtout, comme si le fait d’être
un simple quidam était un gage de compétences et de bon sens, sans rien
connaitre au métier considéré, au maintien de l’ordre, et à la sureté en
général. On veut des personnes honnêtes dans tous les sens du terme, non partisanes,
transparentes pour tout ce qui les concerne, sans passé discutable, sans aucun
conflit d’intérêts, et qu’ils soient savants. Bonjour aux candidats qui cochent
toutes les cases. On cherche les oiseaux rares voire inexistants car les hommes
comme les femmes ont leurs qualités et défauts. Et s’ils rendent une décision
d’exonération alors que l’on attend une confirmation de la culpabilité que se
passera- t -il ? C’est vrai que l’on a bien tiré au sort 150 individus venant
de nulle part pour la convention citoyenne sur le climat et que le président de
la république avait dit qu’il reprendrait leurs conclusions- sauf 3 -sans
filtre. II a changé d’avis et est maintenant empêtré : l’exécutif ne sait plus
comment sortir du piège qu’il a construit innocemment pour être
transparent et participatif.
Après des
décennies de barreau je crois savoir ce qu’est être indépendant, surtout dans
cette période de confinement où on aide à juste titre les salariés et les
entreprises, mais où les professions libérales doivent se débrouiller et continuer
à se battre quasiment seules. Pour avoir la joie de ne rendre de comptes à
personne on a l’indépendance qui est la rançon de la liberté et de la
responsabilité personnelle. On assume le bon comme le mauvais à savoir ses
erreurs ou ses fautes. Qu’en est -il pour une commission administrative indépendante,
quelles légitimité et liberté a-t-elle dans ses rapports à l’Etat ? et que
fait -on si ses conclusions sont contestables ?
G.Clémenceau
disait que lorsque on veut enterrer un problème on nomme une commission. Le
général de Gaulle parlait de machin pour des institutions internationales comme
l’Onu et était pour la suppression des comités dits Théodule peu utiles à ses
yeux et qui devaient servir à compléter voire démembrer la politique publique.
Rien n ‘y a fait la technostructure renaissant toujours de ses cendres comme le
phénix.
Le terme autorité administrative indépendante
(AAI) a été utilisé pour la première fois par la loi du 6 janvier 1978
avec la création de la CNIL commission nationale informatique et libertés. Ce
terme a été consacré le 26 juillet 1984 par la jurisprudence du conseil
constitutionnel. La loi du 20 janvier 2017 a fixé une liste - un peu à la
Prévert - de 25 autorités ou commissions administratives indépendantes ( comme CSA pour l’audiovisuel ; AMF pour les marchés financiers ;
AFLD contre le dopage ; Autorité de la concurrence ; CADA pour
l’accès aux documents administratifs ; HATVP pour la transparence de la
vie publique…).Selon le Conseil d’Etat ce sont des organismes administratifs
qui agissent au nom de l’Etat et disposent d’un réel pouvoir, sans pour autant
relever de l’autorité de l’Etat. Bien sûr ils ont une organisation, un siège social,
des collaborateurs et un budget. Pour garantir leur indépendance on les a
placés sous la protection du parlement
qui garde lui, ses systèmes internes d’enquête bien connus.
Les AAI sont
contestées car elles sont nombreuses malgré des regroupements comme avec la
création du Défenseur des droits (M. Jacques Toubon a été nommé en 2014 et
vient de quitter ses fonctions) qui a absorbé divers domaines comme celui du médiateur
de la république et qui est prévu à l’article 71-1 de la Constitution. Il
veille au respect des libertés. Il peut intervenir en matière de
déontologie des forces de l’ordre. Faut-il donc inventer une nouvelle
commission administrative indépendante à la place de l’IGPN entre autres en
appliquant le principe de la destruction créatrice de Schumpeter ? Je ne
crois pas. Les députés Dosière et Vanneste avaient rendu un rapport en 2010
conseillant de rationaliser les commissions pour qu’il y en ait moins.
Les AAI sont aussi décriées car on pense
qu’elles participent à un démembrement de l’Etat qui perd ainsi de son pouvoir
régalien alors qu’il parait nécessaire au contraire qu’il renforce son
autorité. On peut en effet s’interroger sur le fait de confier à une structure administrative
ex-nihilo dédiée un pouvoir d’actions et de sanctions - sous le contrôle du
juge - ou de formuler un avis voire de prendre place à un procès en
accompagnant telle victime ou supposée avoir cette qualité souvent dans des
affaires très sensibles qui sont discutées, donc à des entités sui generis qui ne
détiennent aucune légitimité démocratique ni électorale ni technique
incontestable et qui ne tiennent leurs prérogatives que d’une nomination du
seigneur de l’instant. Bien sûr les personnes choisies ne sont pas en cause. La
méthode est paradoxale alors que pour la justice on discute à longueur de temps
surtout quand des personnalités politiques de 1er plan -c’est
l’actualité-ou connues répondent de leurs actes comme tout citoyen ni au
-dessus ni au -dessous des lois. La justice est une autorité -et non un
pouvoir- dans la Constitution de 1958 approuvée formellement par
le peuple. Aucun gouvernement de gauche comme de droite ou
d’ailleurs n’a jamais voulu changer cette disposition, même si on estime que
dans l’Etat de droit les magistrats doivent jouer un rôle essentiel. De là à en
faire un pouvoir, soyons prudents pense-t-on ! Les juges du siège sont
indépendants. Ils appliquent la loi et décident en conscience qu’on le déplore
ou l’approuve. Il y a débat pour les membres du parquet, actuellement pour ceux
du parquet national financier eux qui portent l’accusation pour la société. Les
procureurs ne sont pas considérés par la Cour Européenne des droits de l’homme
de Strasbourg comme des juges indépendants puisqu’ils dépendent du ministre de
la justice qui lui fait partie du pouvoir exécutif. Et on se pose des questions
sur l’indépendance ou plutôt sur l’impartialité et l’objectivité car chaque
citoyen donc chaque juge, procureur, avocat, ou membre d’une AAI a le droit
d’avoir des convictions et faire des choix politiques.
Croire qu’en
créant une commission administrative l’indépendance suivra et qu’il n’y aura
pas de contradictions ou d’indignations du peuple ou des minorités qui veulent
avoir raison et poursuivent d’autres buts que celui de l’objectivité, est une erreur
et pour le moins de la naïveté ou de la démagogie. En outre en général les
personnalités fortes n’arrivent pas là où on les attend et ne concluent pas
forcément dans le sens souhaité. Je me
méfie de la France des auto-proclamés experts ou sachants, des grands témoins
voire désormais de quidams de tout genre et de toute confession pour ne pas
discriminer, qui représenteraient l’innocence incarnée, le bon sens presque la
vérité, et qui ont l’opportunité de choisir ce qu’ils veulent puisqu’ils n’ont
aucune responsabilité personnelle de droit. Ils peuvent se tromper avec panache
en invoquant les grands principes. Ressaisissons-nous et remettons chacun à sa
place en étant pragmatique.
Laissons les
inspections de contrôle qui existent jouer leurs rôles puisque de toutes façons
la justice peut être saisie par celui ou celle qui n’est pas d’accord, et que
l’ambiance actuelle où tout doit être transparent jusqu’à l’intime ce que je
regrette, permet de tout savoir. L’indépendance est l’état de quelqu’un qui
n’est tributaire de personne sur le plan matériel, moral, intellectuel, ni
de l’opinion ni de l’Etat même si celui-ci l’a nommé. Il doit passer au -dessus
de ses propres inclinations pour trouver l’intérêt général. Quel défi. C’est la plus difficile des
missions. L’indépendance n’est pas un cadeau
surprise, même à Noël.
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