jeudi 10 décembre 2020

Vous avez dit indépendance?

 

                    Vous avez dit indépendance ?

                Par christian fremaux avocat honoraire.

Dès qu’une émotion submerge les esprits et actuellement c’est le cas pour tout sujet avant même de savoir si les faits sont réels car on se fie à ce qui est montré et parfois déformé ou partiel sans connaitre ce qui s’est passé avant l’extrait choisi et pourquoi, on crie au scandale, et les médias font de l’information continue avec des prétendus experts qui n’étaient pas sur place mais qui expliquent ce qu’ils ne savent pas n’ayant pas accès au dossier d’ailleurs pas encore constitué. Cela n’empêche personne d’exiger des sanctions immédiates ou une enquête dans telles ou telles conditions, et de contester tout et son contraire. Le tribunal médiatique siège jours et nuits, sans avocats mais avec des procureurs et la reconstitution se fait en direct en studio avec décors et sans faits contradictoirement débattus. Le scoop vaut jugement. La bonne conscience et l’empathie sont raison et il est réclamé la création de n’importe quoi qui serait indépendant. Indépendant de quoi et de qui c’est la question.

 Ainsi dans l’arrestation musclée et filmée choquante a priori à la seule vue des images du producteur Michel Zecler dont le juge pénal est déjà saisi ! ( au passage notons que  les ardents défenseurs de la vie privée ne critiquent pas  les caméras de vidéoprotection quand elles vont dans le bon sens c’est -à -dire contre ce qui est l’autorité) , on s’indigne que l’IGPN l’inspection générale de la police nationale composée d’officiers de police judiciaire notamment soit chargée de l’enquête, car on la soupçonne d’office de partialité et de complaisance envers les fonctionnaires de police qui pensent le contraire au vu des nombreuses sanctions prononcées contre eux, et on demande à sa place de créer ce qui serait une autorité ou commission administrative indépendante composée de personnalités neutres, de magistrats, peut- être d’avocats ?, de quelques policiers mais ce n’est pas sûr et de citoyens surtout, comme si le fait d’être un simple quidam était un gage de compétences et de bon sens, sans rien connaitre au métier considéré, au maintien de l’ordre, et à la sureté en général. On veut des personnes honnêtes dans tous les sens du terme, non partisanes, transparentes pour tout ce qui les concerne, sans passé discutable, sans aucun conflit d’intérêts, et qu’ils soient savants. Bonjour aux candidats qui cochent toutes les cases. On cherche les oiseaux rares voire inexistants car les hommes comme les femmes ont leurs qualités et défauts. Et s’ils rendent une décision d’exonération alors que l’on attend une confirmation de la culpabilité que se passera- t -il ? C’est vrai que l’on a bien tiré au sort 150 individus venant de nulle part pour la convention citoyenne sur le climat et que le président de la république avait dit qu’il reprendrait leurs conclusions- sauf 3 -sans filtre. II a changé d’avis et est maintenant empêtré : l’exécutif ne sait plus comment sortir du piège qu’il a construit innocemment pour être transparent et participatif.

Après des décennies de barreau je crois savoir ce qu’est être indépendant, surtout dans cette période de confinement où on aide à juste titre les salariés et les entreprises, mais où les professions libérales doivent se débrouiller et continuer à se battre quasiment seules. Pour avoir la joie de ne rendre de comptes à personne on a l’indépendance qui est la rançon de la liberté et de la responsabilité personnelle. On assume le bon comme le mauvais à savoir ses erreurs ou ses fautes. Qu’en est -il pour une commission administrative indépendante, quelles légitimité et liberté a-t-elle dans ses rapports à l’Etat ? et que fait -on si ses conclusions sont contestables ?

  G.Clémenceau disait que lorsque on veut enterrer un problème on nomme une commission. Le général de Gaulle parlait de machin pour des institutions internationales comme l’Onu et était pour la suppression des comités dits Théodule peu utiles à ses yeux et qui devaient servir à compléter voire démembrer la politique publique. Rien n ‘y a fait la technostructure renaissant toujours de ses cendres comme le phénix. 

 Le terme autorité administrative indépendante (AAI) a été utilisé pour la première fois par la loi du 6 janvier 1978 avec la création de la CNIL commission nationale informatique et libertés. Ce terme a été consacré le 26 juillet 1984 par la jurisprudence du conseil constitutionnel. La loi du 20 janvier 2017 a fixé une liste - un peu à la Prévert - de 25 autorités ou commissions  administratives indépendantes ( comme  CSA pour l’audiovisuel ;  AMF pour les marchés financiers  ; AFLD contre le dopage ; Autorité de la concurrence ; CADA pour l’accès aux documents administratifs ; HATVP pour la transparence de la vie publique…).Selon le Conseil d’Etat ce sont des organismes administratifs qui agissent au nom de l’Etat et disposent d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité de l’Etat. Bien sûr ils ont une organisation, un siège social, des collaborateurs et un budget. Pour garantir leur indépendance on les a placés sous la protection du parlement  qui garde lui, ses systèmes internes d’enquête bien connus.

Les AAI sont contestées car elles sont nombreuses malgré des regroupements comme avec la création du Défenseur des droits (M. Jacques Toubon a été nommé en 2014 et vient de quitter ses fonctions) qui a absorbé divers domaines comme celui du médiateur de la république et qui est prévu à l’article 71-1 de la Constitution. Il veille au respect des libertés. Il peut intervenir en matière de déontologie des forces de l’ordre. Faut-il donc inventer une nouvelle commission administrative indépendante à la place de l’IGPN entre autres en appliquant le principe de la destruction créatrice de Schumpeter ? Je ne crois pas. Les députés Dosière et Vanneste avaient rendu un rapport en 2010 conseillant de rationaliser les commissions pour qu’il y en ait moins.

 Les AAI sont aussi décriées car on pense qu’elles participent à un démembrement de l’Etat qui perd ainsi de son pouvoir régalien alors qu’il parait nécessaire au contraire qu’il renforce son autorité. On peut en effet s’interroger sur le fait de confier à une structure administrative ex-nihilo dédiée un pouvoir d’actions et de sanctions - sous le contrôle du juge - ou de formuler un avis voire de prendre place à un procès en accompagnant telle victime ou supposée avoir cette qualité souvent dans des affaires très sensibles qui sont discutées,  donc à des entités sui generis qui ne détiennent aucune légitimité démocratique ni électorale ni technique incontestable et qui ne tiennent leurs prérogatives que d’une nomination du seigneur de l’instant. Bien sûr les personnes choisies ne sont pas en cause. La méthode est paradoxale alors que pour la justice on discute à longueur de temps surtout quand des personnalités politiques de 1er plan -c’est l’actualité-ou connues répondent de leurs actes comme tout citoyen ni au -dessus ni au -dessous des lois. La justice est une autorité -et non un pouvoir- dans la Constitution de 1958 approuvée formellement par le peuple.  Aucun gouvernement de gauche comme de droite ou d’ailleurs n’a jamais voulu changer cette disposition, même si on estime que dans l’Etat de droit les magistrats doivent jouer un rôle essentiel. De là à en faire un pouvoir, soyons prudents pense-t-on ! Les juges du siège sont indépendants. Ils appliquent la loi et décident en conscience qu’on le déplore ou l’approuve. Il y a débat pour les membres du parquet, actuellement pour ceux du parquet national financier eux qui portent l’accusation pour la société. Les procureurs ne sont pas considérés par la Cour Européenne des droits de l’homme de Strasbourg comme des juges indépendants puisqu’ils dépendent du ministre de la justice qui lui fait partie du pouvoir exécutif. Et on se pose des questions sur l’indépendance ou plutôt sur l’impartialité et l’objectivité car chaque citoyen donc chaque juge, procureur, avocat, ou membre d’une AAI a le droit d’avoir des convictions et faire des choix politiques.

Croire qu’en créant une commission administrative l’indépendance suivra et qu’il n’y aura pas de contradictions ou d’indignations du peuple ou des minorités qui veulent avoir raison et poursuivent d’autres buts que celui de l’objectivité, est une erreur et pour le moins de la naïveté ou de la démagogie. En outre en général les personnalités fortes n’arrivent pas là où on les attend et ne concluent pas forcément dans le sens souhaité.  Je me méfie de la France des auto-proclamés experts ou sachants, des grands témoins voire désormais de quidams de tout genre et de toute confession pour ne pas discriminer, qui représenteraient l’innocence incarnée, le bon sens presque la vérité, et qui ont l’opportunité de choisir ce qu’ils veulent puisqu’ils n’ont aucune responsabilité personnelle de droit. Ils peuvent se tromper avec panache en invoquant les grands principes. Ressaisissons-nous et remettons chacun à sa place en étant pragmatique.  

Laissons les inspections de contrôle qui existent jouer leurs rôles puisque de toutes façons la justice peut être saisie par celui ou celle qui n’est pas d’accord, et que l’ambiance actuelle où tout doit être transparent jusqu’à l’intime ce que je regrette, permet de tout savoir. L’indépendance est l’état de quelqu’un qui n’est tributaire de personne sur le plan matériel, moral, intellectuel, ni de l’opinion ni de l’Etat même si celui-ci l’a nommé. Il doit passer au -dessus de ses propres inclinations pour trouver l’intérêt général.  Quel défi. C’est la plus difficile des missions.  L’indépendance n’est pas un cadeau surprise, même à Noël.    

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