vendredi 13 novembre 2020

L'Etat n'est-il qu'un tigre de papier?

 

                L’Etat n’est -il qu’un tigre de papier ?

                  par Christian Fremaux avocat honoraire. 

La société Bridgestone avait annoncé il y a quelques semaines qu’elle allait fermer son usine de Béthune ce qui entrainait le licenciement de centaines de salariés. Ce fut un tollé. Conformément à leur vocation et à leurs habitudes les syndicats hurlèrent au scandale – à juste titre je l’avoue car le fabricant japonais de pneus bas de gamme avait touché des aides et des subventions pour s’installer sur place- et les politiques régionaux et locaux montèrent au créneau. On allait voir ce qu’on allait voir ! Les noms d’oiseau volèrent.  Le gouvernement dépêcha un ministre qui assura qu’on ne laisserait pas faire, que Bridgestone devrait en passer par les fourches caudines de l’exécutif, et annonça comme un succès phénoménal que dans les semaines qui venaient on allait trouver une solution pour limiter la casse sociale et contraindre l’entreprise à reconvertir le site, ne serait- ce qu’en fonction de notre législation. On fut soulagé. Mais fatalitas, la sentence vient de tomber : Bridgestone persiste et signe, la fermeture aura lieu. La ministre déléguée à l’industrie a déclaré « que nous avions travaillé à un plan qui réduit le surcoût de l’usine. Bridgestone a fermé la porte. Pour nous cette décision n’est pas responsable ».  Groupe mondialisé 1, Etat et région comme commune, 0. Paroles verbales et morale humaine contre décision financière autoritaire et lointaine.  Il n’y a plus pour ceux qui restent qu’à trouver un repreneur.

 L’Etat n’a eu aucun pouvoir réel alors qu’on attendait tout de lui. Ce n’est pas la première fois. Quand il était premier ministre M.Jospin avait  dit que «  l’Etat ne peut pas tout ».  Il a payé politiquement très cher d’énoncer cette vérité, car on a cru que c’était du cynisme, un aveu d’impuissance qui se confondait avec le manque de volonté d’agir. On a vu qu’avec ses salariés les fonctionnaires, l’Etat patron ou actionnaire n’est pas performant.

Avec la 2ème vague du covid l’Etat - je veux dire le pouvoir exécutif approuvé par la majorité parlementaire - a décidé de reconfiner, en faisant par lui -même la distinction de ce qui était essentiel et de ce qui ne l’était pas. Ceux qui ne peuvent plus travailler et sont en souffrance lui en veulent d’une décision autocratique parfois incohérente prise dans la confidentialité d’un conseil de défense, qui va entrainer des conséquences personnelles, familiales, financières et économiques graves pour préserver voire sauver la santé de millions de personnes. Gouverner c’est choisir en se trompant parfois, mais il faut être modeste car s’il est facile de critiquer il l’est moins de proposer des solutions qui font plaisir et sont efficaces ou qui ne nuisent pas à certains. L’Etat est là encore mis en cause pour son impuissance supposée ou son inefficacité.

Il en est de même pour pratiquement chaque domaine et je cite celui fondamental de la sécurité : il y a encore des attentats qui nous révulsent, de la violence pour tout et partout, un climat anxiogène général.  Le cri fameux « que fait la police ? » se traduit par l’Etat est nul ou inexistant.

 Avec la crise sanitaire inédite pour les spécialistes comme pour les malades potentiels, l’Etat prend des mesures qui égratignent quelque peu nos libertés pour tenter de réduire les effets du virus que personne ne peut éradiquer, et qui sont peut- être selon les méchants plus du domaine du principe de précaution pour ceux qui décident. En effet la Cour de justice de la république est saisie ainsi que le parquet de paris et nos décideurs qui voudraient bien miraculeusement que la crise disparaisse savent que la justice peut les rattraper. On aura des responsables et coupables mais l’ennemi invisible sera toujours là.

L’Etat c’est-à-dire nous pour qui on gouverne, la haute administration qui incarne la bureaucratie ; les services publics souvent tatillons avec le particulier ; nos institutions de la Constitution de la 5 ème République telles que voulues par le général de Gaulle et qui sont contestées par certains qui veulent plus de participation à la prise de décision , de dialogue, de réactivité, enfin tout ce qui constitue notre état de droit avec nos valeurs éthiques, de civilisation et de vivre-ensemble qui fondent notre démocratie, sont -ils suffisants ? L’Etat peut-il plus s’il ne peut tout ? et faut-il en changer mais au profit de quoi ?  Comme il y a 67 millions de sélectionneurs pour l’équipe de France de foot., peut-il y avoir 67 millions d’avis autorisés pour répondre à la question ? On ne va pas tirer à pile ou face, ou au sort comme pour la convention citoyenne sur le climat pour résoudre les difficultés et définir du jour au lendemain un Etat qui fait consensus et qui résout ce qui ne va pas. Le verbe des auto-proclamés experts que l’on entend à longueur de journée et qui fatigue, ne remplace pas les actes même s’ils sont maladroits ou pas aussi efficaces qu’on l’espère.

Dans les années 1980-90 celles de M. Reagan et de Mme Thatcher et aussi avec l’arrivée au pouvoir de M. Mitterrand qui ne remit pas en cause la constitution de 1958 qu’il avait combattue, il y eut un débat sur l’Etat à l’époque providence. On réfléchissait à un Etat réduit à ses fonctions régaliennes, en donnant aux collectivités locales avec la décentralisation, aux entreprises, aux initiatives de toute nature, plus de libertés. M.Guy Sorman écrivit un best- seller : « l’Etat minimum ».  La mondialisation s’étendait. Mais la réalité s’imposa, les crises furent nombreuses et on revint progressivement  vers une conception classique – pour les français- de l’Etat tel  qu’il avait été construit au sortir de la 2ème guerre mondiale : un parapluie, un bouclier, un garant des grands principes, un dispensateur de droits, le recours suprême ,puis au fil des années celui qui garantissait les libertés individuelles et des avantages, qui redistribuait,  qui combattait les injustices réelles ou supposées,  qui créait de la richesse pour tous dans l’égalité et surtout qui réglait toutes crises et menaces. On lui demande donc tout et quand il ne fait pas, certains le trainent en justice et des juridictions le condamnent ou lui donnent des injonctions ( par exemple pour  les rodéos en motos qui continuent ou parce qu’il n’applique pas assez vite la transition énergétique). On l’aime, on le veut, on le sollicite mais on le tient pour faiblard, peut mieux faire comme on dit à l’école. Le léviathan est devenu un homme comme un autre ! même si l’individu ne s’interroge pas sur son propre comportement (ex. les règles respectées difficilement pour le confinement) et si le civisme n’est plus une vertu cardinale.

Si rien n’est parfait en France on devrait cependant être content. On voit ce qu’il en est quand l’Etat se confond avec Dieu, ou qu’il n’y a plus d’Etat ; ou quand l’Etat est dispersé entre les clans, les communautés, les tribus. Si l’Etat est totalitaire c’est big brother, et si l’Etat est issu d’une caricature de démocratie, gare aux libertés.   On exige désormais un Etat fort surtout dans les fonctions régaliennes, avec une protection externe comme interne et en même temps un Etat bienveillant, gardien des libertés, progressiste -sans définir le contenu du progressisme- et qui crée la prospérité. Donc qui a résolu la quadrature du cercle.  Les canards sauvages n’ont jamais été les enfants du bon dieu, et pour que l’Etat donne ce que l’on veut de lui il faut y mettre du sien, de la responsabilité et de la tolérance, et comme dans l’auberge espagnole venir avec ses qualités, ses devoirs, sa raison. L’Etat n’est pas un tigre de papier mais pour en faire le roi des animaux qui maintient l’ordre et le droit il faut le nourrir sainement et lui donner de l’espace. Ce sera l’un des enjeux de l’élection présidentielle de 2022 : se protéger en restant libre.        

  

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