lundi 21 septembre 2020

L’Etat et/ou la justice sont- ils les serviteurs des particuliers ?

 

L’Etat et/ou la justice sont- ils les serviteurs des particuliers ?

Par Christian Fremaux avocat honoraire.

Les années passent et se ressemblent. Désormais le pire succède au pire mais il faut agir, l’Etat est attendu.  Par moment on s’interroge et on se demande où est l’intérêt général, qui le défend, et on voudrait savoir si l’Etat est au service des particuliers/citoyens et électeurs ou s’il a une mission plus globale ?  On se rappelle l’apostrophe énervée d’un gilet jaune à M. Macron venu discuter : « vous êtes mon serviteur ! » ce qui résume l’état d’esprit ambiant et le peu de considération que l’on a envers les autorités publiques, même si on peut comprendre le désarroi de certains et leur précarité. Il en est de même en matière de justice : celle-ci doit-elle avoir pour mission principale de préserver les intérêts supérieurs de la nation, conforter les valeurs républicaines et traditionnelles du droit positif ou doit- elle faire droit uniquement à des demandes particulières puisqu’elle doit répondre aux questions qui lui sont posées quitte à remettre en cause la cohésion morale ou de conscience en créant la polémique ? En un mot à quoi sert l’Etat sous toutes ses formes : pour qui gouverne-t-il ?

 M. Jospin premier ministre avait dit que l’Etat ne peut pas tout. Il a trainé cette vérité comme un boulet car on lui a reproché de ne vouloir rien faire. Il y a quelques années assez récentes on disait que l’Etat devait être minimum, qu’il fallait revoir son périmètre pour le réduire aux fonctions régaliennes et ainsi diminuer drastiquement les dépenses publiques. Il y avait plus ou moins consensus sur cette nécessité. Mais la crise de 2008 puis celle du covid-19 notamment couplée à la crise de la sécurité (ou de l’insécurité selon les sensibilités), à l’économie qui rame, à l’anxiété qui fait douter et la demande des citoyens ont tout remis en cause.

Le même reproche d’impuissance de l’Etat à trouver des solutions concrètes et rapides revient avec les dépôts de bilan liés (ou non) à la crise sanitaire. Comment va-t-il les empêcher ? M. Tapie ministre voulait une loi qui interdise les licenciements : est-ce envisageable ?  L’Etat conseillé par des éminents et très nombreux experts épidémiologistes n’arrive pas à faire disparaitre le virus - à l’impossible invisible nul n’est tenu - ou à trouver des bonnes mesures sans confinement généralisé. On le critique sévèrement et on engage des poursuites pénales contre les ministres. On a déjà saisi les juridictions pour dénoncer les insuffisances du gouvernement en matière de lutte contre le réchauffement climatique. 

Quand la société Bridgestone annonce qu’elle fermera en 2021 son usine de Béthune qui est la moins rentable du groupe selon la direction, on se tourne illico vers l’Etat. L’émotion est à son comble ce qui est légitime pour les salariés qui perdent leur travail, et les politiques emploient les qualificatifs les plus durs voire les insultes pour dénoncer des dirigeants de l’usine sans cœur et profiteurs d’argent public sans contrepartie avérée.  Le gouvernement s’écrie qu’il « fera tout » pour sauver les emplois, sans dire quoi, comment, selon quel coût et quand. On le sait bien : en matière industrielle privée l’Etat ne peut que gesticuler et aider : il ne dirige et ne décide pas, et quand il est actionnaire d’une entreprise il n’est pas compétent pour gérer.  Les travailleurs et leurs syndicats ne l’ignorent malheureusement pas : faute d’une perspective industrielle ou d’une reconversion réelle en concertation avec ceux qui font tourner la boutique le site risque de disparaitre. L’indignation médiatique a payé provisoirement : les ministres concernés sont allés sur place et un accord de méthode permettra pendant 5 mois de négocier. Mais la direction de Bridgestone n’a pas renoncé. Les pouvoirs publics n’ont pas gagné.

 L’Etat n’est ni magicien ni doté de pouvoirs de coercition contre des dirigeants d’entreprise. On se rappelle un candidat devenu président de la république perché sur le toit d’une camionnette qui avait dit qu’avec lui élu, le site ne fermerait pas. C’était ArcelorMittal à Florange en 2012. On avait promis une loi. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient disait Raymond Barre. On peut citer d’autres exemples, mais je ne veux pas faire perdre le moral à quiconque car il faut être volontariste.  La conclusion navrante est que toujours en 2020 l’Etat ne peut sauver tous les emplois et donc les particuliers et je le regrette profondément. Il doit travailler en amont et en permanence en ayant des politiques plus préventives. On ne fera croire à personne que la situation de Bridgestone n’était pas connue : je crois qu’un accord de compétitivité a été proposé aux syndicats début 2020 qui a été refusé certainement pour des bonnes raisons. C’était à ce moment qu’il fallait agir. Et il semble évident qu’il faut donner aux autorités décentralisées régions comme départements, plus de moyens en matière économique voire sociale, pour trouver des solutions locales. L’Etat a la charge de l’intérêt général mais il n’est pas interdit qu’il en confie aussi la responsabilité aux élus de terrain avec l’aide des services déconcentrés que le préfet dirige.  L’intérêt général se nourrit de la cohésion sociale, des intérêts des particuliers, et de l’humain avant peut être de la finance et l’équilibre d’une société à vocation mondiale. Une nation doit avoir un Etat fort et respecté : mais il doit faire la preuve de son efficacité au profit de tous les citoyens.  

En matière de justice le débat est récurrent sur le « pouvoir » des juges (notamment en matière pénale mais ce n’est qu’une petite partie des contentieux) et pour savoir si une décision ne fait pas droit à un particulier s’il s’agit ou non d’une décision liberticide ? Les juges ont- ils une obligation de résultats ou ont- ils - ce que j’espère et crois - une libre appréciation même si elle n’est pas favorable ? Peut- on faire de la peine à un justiciable qui mène un combat que l’Etat n’a pas abordé ?  Cela éviterait de revenir à l’éternel débat sur l’indépendance des juges ! Je cite un cas d’espèce tiré de l’actualité qui m’a ouvert des abîmes de réflexion, mais je ne suis qu’un vieux conservateur.  Je résume au mieux les faits et je m’excuse de mes raccourcis.

Un monsieur a eu deux enfants avec sa femme. Puis étant transgenre il est devenu lui-même femme ce qui a été transcrit à l’état civil conformément à une loi de 2016. Toujours marié il avait eu avec sa femme un troisième enfant en 2014 car il n’avait rien perdu de ses attributs virils. Il a voulu aller encore plus loin et que pour l’état civil de son dernier enfant l’administration l’inscrive comme mère. Il y a eu conflit d’où la saisine des juridictions.   La cour d’appel de Montpellier a quasi fait droit à sa demande en lui conférant un statut inédit : celui de « parent biologique ». La cour de cassation a été saisie et par arrêt du 16 septembre 2020 elle a cassé l’arrêt de Montpellier en renvoyant le dossier devant une autre cour d’appel, en considérant que la filiation pouvait être reconnue par la voie de l’adoption, et que dans l’intérêt supérieur de l’enfant on ne pouvait accéder à la demande. Elle a donc refusé le statut de mère à un homme devenu femme.

L’avocat du monsieur/dame et l’association qui soutenait son combat ont crié à une « violation des droits et libertés essentiels » et que la cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg serait saisie au plus vite. Je ne me prononce pas sur le fond humain de ce dossier et je respecte les motivations profondes du demandeur mais je m’interroge sur l’aspect égalité humaine du jeune enfant surtout pour son avenir et ce qu’il pensera quand il sera adulte :  l’enfant n’a -t -il pas droit à avoir un père et une mère comme ses ainés, et non pas deux mères , sujet vaste par ailleurs avec des projets législatifs en cours sauf erreur ?  Plus sérieusement juridiquement ce procès pose la question des droits de la société puisque on peut tenter de remettre en cause les fondements en droit de la filiation et de l’état civil. Les droits individuels ont -ils vocation à être illimités seraient -ils en contradiction avec les tendances lourdes de la société et de la majorité silencieuse.  La cour de cassation semble avoir voulu dire que la vie privée ne peut pas prendre le dessus sur le droit existant qui concerne tout le monde.   

  La question est :  l’Etat à travers sa justice rendue au nom du peuple français peut- il faire droit à toutes les demandes quand la loi est muette, avec des requêtes infiniment rares comme spécifiques pour satisfaire l’envie irrépressible et de bonne foi d’un individu ? On sait que des militants plaident pour la disparition des termes père et mère ; veulent dégenrer les cours d’école, imposer l’écriture inclusive et se réservent d’autres nouveautés qu’ils estiment progressistes.

 L’Etat pouvoir exécutif par ses décisions propres ou à travers la justice – « simple » autorité judiciaire- doit- il être un distributeur automatique de droits nouveaux ou un justicier (masqué évidemment) si la morale ne coïncide pas avec le droit ou des besoins pragmatiques comme le maintien de l’emploi ? Doit-il confier le soin aux juges dans leur indépendance de créer des règles en évitant ainsi des débats publics dans des domaines délicats qui engagent l’avenir comme par exemple la bioéthique qui touche à la morale personnelle, à la conscience de chacun, et qui peut bouleverser notre société ? « Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante » a écrit Montesquieu. La justice n’est pas un laboratoire d’idées ou un substitut au peuple qui ne s’est pas exprimé sur un sujet donné.

Et l’Etat peut de moins en moins d’où l’urgence de le réformer en profondeur, de ne lui confier que ce qui est vital, qu’il garantisse l’état de droit et le fonctionnement des institutions, et assure la redistribution pour ne pas oublier les plus faibles. On doit pouvoir avoir confiance et faire participer la société civile à l’intérêt général qui n’est pas le monopole exclusif de l’Etat.  Celui-ci a le devoir de garder les intérêts collectifs supérieurs de la nation et de ne pas s’aventurer sur des chemins sinueux qui conduisent à l’inconnu. Il n’est le serviteur de personne, il doit rester le maître même si certain(e)s trouvent cette appellation connotée y compris… pour les avocats ! On progresse !

Cessons de demander tout à l’Etat ou à la justice qui d’ailleurs « rend des arrêts et non des services » comme le déclarait jadis le 1er président de la cour d’appel de paris et pair de France Antoine-jean Séguier.  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire