vendredi 4 septembre 2020

le sentiment d'insécurité:bis repetita.


Le sentiment d’insécurité : bis repetita.
par christian fremaux avocat honoraire.

Je me souviens. En 1989 M.Pierre Joxe était ministre de l’intérieur et les problèmes d’insécurité avaient explosé. On discutait déjà du sexe des anges ce qui a perdu Byzance, pour savoir si ce qu’on appelait les faits divers à l’époque étaient surestimés, si c’était une réalité ou un simple sentiment c’est-à-dire une appréciation subjective souvent exagérée et ne reposant sur aucune certitude. A l’image de l’Ihedn (institut national des hautes études de défense nationale) qui existait depuis des années et qui permettait à des experts militaires comme civils de la défense nationale de réfléchir sur les menaces, d’analyser avec tous les moyens de l’Etat, de proposer des solutions aux pouvoirs publics, et de pouvoir réagir vite s’il le fallait, M.Joxe créa l’Ihesi institut  des hautes études de la sécurité intérieure ( à vocation nationale) et il y ajouta l’observatoire national  de la délinquance et des réponses pénales (ondrp) comme outil statistique, que M.Alain Bauer pilota avec maestria. Connaissant le mot de Churchill : « je ne crois pas aux statistiques sauf celles que j’ai moi -même falsifiées ».
La première promotion eut lieu en 1990 : après sélection nationale sur dossier puis entretien individuel elle regroupait une centaine d’auditeurs admis parmi la haute fonction publique, les hauts gradés de la gendarmerie et de la police nationale, le corps préfectoral… enfin tous ceux qui concouraient à la sécurité publique, avec des magistrats, quelques parlementaires et des membres de la société civile. C’est le ministre de l’intérieur qui validait les candidats choisis par arrêté publié au journal officiel.  Comme avocat je fus retenu dans la 2ème promotion de 1991. Un des intérêts majeurs de cet institut est qu’il mettait en contact des responsables publics comme privés qui auparavant ne se parlaient pas, ignoraient l’état d’esprit et les contraintes des autres, leurs fonctionnements, et permettait ainsi de nouer un dialogue positif permettant d’agir concrètement avec plus d’efficacité.
 Tout en continuant à exercer leurs activités professionnelles, les auditeurs recevaient une formation pluridisciplinaire au plus haut niveau, participaient à des groupes de travail et rendaient des rapports circonstanciés et documentés, faisaient des visites sur site ( je me rappelle avoir passé quelques jours dans la vallée de la Sambre, avec toutes ses friches industrielles ,le chômage, la délinquance…) et se déplaçaient à l’étranger pour comparer. L’institut avait de nombreux chercheurs de toutes disciplines, s’intéressaient aux matières liées à la délinquance, au terrorisme, aux menaces nouvelles qui émergeaient, organisait des colloques aux thèmes pointus, faisait venir les responsables en fonction de la sécurité et de la magistrature pour qu’ils parlent de leurs expériences de terrain, et alimentait les pouvoirs publics de ses conclusions.
 Le sentiment d’insécurité fut disséqué, vérifié, étudié scientifiquement. Je peux citer entre autres multiples études, le travail de M. Sébastien Roché qui continue à faire autorité.
L’Ondrp outre ses analyses des infractions en général catégories par catégories, avait commencé à faire aussi des enquêtes de victimation qui consistent à demander aux victimes quelles infractions elles ont subi, dans quelles circonstances, avec quels impacts matériels ou psychologiques et un rapport volumineux était rendu au ministre solennellement chaque année.  Alain Bauer est devenu professeur de criminologie et est un expert mondialement connu, invité dans les médias et ayant l’oreille de nos gouvernants.
L’Ihesi prit une dimension considérable au fil des années, se transforma en Inhes (institut national des hautes études de sécurité) puis ajouta le J pour justice car on avait pris conscience que sécurité et justice étaient liées. L’institut devenu établissement public administratif fut placé sous l’égide du 1 er ministre pour en faire un outil transversal interministériel. IL est encore l’Inhesj institut national des hautes études de sécurité et justice. J’écris encore car M.Edouard Philippe premier ministre a décidé fin 2019 de le supprimer  comme d’autres organismes publics ayant moins de cent personnes , pour de bonnes raisons  selon lui  mais je pense essentiellement budgétaires car la sécurité et la justice restent en pointe de l’actualité. Il serait désastreux de se priver d’un tel outil de gestion des crises, du management de la sécurité, de l’étude de la violence et de la délinquance, des menaces terroristes et sanitaires, de la cybercriminalité, de la protection des entreprises et des données personnelles, de l’immixtion des réseaux sociaux … Bref on a besoin d’un tel institut.
J’ai fait ce rappel historique pour montrer qu’on dispose déjà de nombreux rapports, que l’on a circonscrit les problèmes, et que désormais on sait que l’on ne pourra jamais empêcher un crime et que l’homme commette le mal, ni des violences y compris dans la famille ce qui est désolant puisque on croit y découvrir l’amour et la bienveillance. Et si on déplore la délinquance, les incivilités, le manque absolu de respect et de civisme, l’émergence de difficultés qui ressurgissent avec des idéologies ou des religions radicales, on a des solutions à condition qu’il y ait une volonté politique qui s’appuie sur un consensus citoyen et sur les valeurs de la république. C’est bien de s’indigner ; c’est bon de ne vouloir stigmatiser personne. Je suis pour l’humanisme mais à la condition que les coupables y mettent du leur, que la société se ressaisisse, que les citoyens qui dérapent tentent de « s’empêcher » comme le disait le père d’Albert Camus, que le civisme refleurisse, et que l’on soit tous d’accord pour faire gagner tout le monde dans la société apaisée et réunie sans séparatisme et sans vouloir imposer des règles ou des coutumes qui ne correspondent ni à notre identité ni à notre corpus de droit ou de valeurs universelles.  Ce qui n’enlève rien aux débats publics, aux contestations, aux réclamations pour plus de partage ou de redistribution. Mais la sécurité et la justice ne doivent pas permettre des polémiques et l’accusation de laxisme ou au contraire de tout répressif donc de mesures liberticides, n’a pas lieu d’être. Il faut trouver le bon équilibre, celui qui protège, celui qui rassure.    
L’ Ihedn  a sauvé son existence tout en devant se restructurer : je m’en réjouis comme ancien auditeur. L’Inhesj est repris à partir de janvier 2021 par le ministère de l’intérieur, sans qu’on n’en connaisse encore exactement les modalités pratiques en détail et les compétences en matière de formation que conserve le ministère de la justice. Mais la sécurité ou l’insécurité comme on veut font de nouveau parler d’elles avec vigueur.  C’est un retour vers le futur.  
Cet été 2020 fut terrible en matière de délits et crimes, sans compter les incivilités, le non- port du masque et les attaques très graves contre les représentants de la puissance publique devenus des cibles qu’ils soient maires, policiers et gendarmes, pompiers, médecins en y ajoutant conducteurs de bus … Je ne peux tout décrire M. l’ancien avocat général Philippe Bilger ayant rappelé avec talent et modération sur son blog en disant qui faisait quoi où et quand. On a donc les informations. La crise de l’autorité a pris une ampleur inégalée. Des jeunes -ou des moins jeunes-que l’on ne définit pas mais que l’on reconnaitra se sont distingués en matière de violence extrême et de provocation ou de batailles rangées avec armes de guerre sur fond de trafics naturellement et pas pour réclamer du travail ; des récidivistes ont agi, dont un odieusement sur une jeune fille qu’il a violée et tuée. Le procès de l' attentat contre Charlie hebdo  s’est ouvert avec la souffrance enfouie des victimes, ce qui a mis l’accent sur les dangers réels et potentiels et révélé que la menace terroriste était toujours présente. Par ailleurs on sait que des territoires sont en danger, perdus pour l’état de droit comme l’a signalé M.Benssousan en 2002 et  ce que M.Ch.Guilluy a confirmé. L’universitaire Gilles Kepel a dit pourquoi.  Donc l’habitant lambda qui y habite s’inquiète car il vit les désordres. Ce n’est pas un simple sentiment.
 M.Darmanin ministre de l’intérieur incarne le glaive de l’Etat et les devoirs collectifs. Il est dans le réel quotidien. Il  a parlé d’ensauvagement de la société ce qui est un cran bien au- dessus des sauvageons de M.Chevènement et peut égaler les racailles de M.Sarkozy. Le ministre de la justice Me Dupond-Moretti ténor du barreau soucieux des droits individuels et conscient à juste titre que la société n’a pas besoin d’être encore plus électrisée a contesté cette appréciation en disant que l’insécurité était plutôt de l’ordre du fantasme, que la France n’était pas à feu et à sang (il a raison sur ce plan heureusement) et que tout fait criminel, délictueux ou autre serait puni au plus vite. On s’en réjouit si on donne aux magistrats les moyens de se prononcer peu après les faits prouvés par les forces de l’ordre. Plus il y a de greffiers et de juges mieux c’est : on a la justice que l’on se paie. Elle participe à effacer au moins le sentiment d’impunité.
 Mais un fantasme qui s’appuie sur des faits avérés est- ce encore un fantasme qui relève de l’imaginaire et de l’inconscient ? Et serait-ce le cas on doit combattre aussi ledit fantasme qui crée des polémiques et de l’incertitude voire de la peur irraisonnée. C’est un devoir du gouvernement tout entier, et aussi des citoyens puisque la sécurité est l’affaire de tous, avec désormais l’appui de la sécurité privée et des polices municipales, voire l’intelligence artificielle en matière de technologie. On ne rêve plus d’une société parfaite : on doit agir.   
Il ne faut pas avoir peur des mots.  Peu importe celui qui les emploie, leur origine n’est pas en cause. Ne pas nommer précisément c’est se condamner aux malentendus et à l’erreur. Jean-jacques Rousseau voulait écarter les faits qui ne correspondaient pas à sa pensée philosophique et contrariaient son argumentation pure ! L’individu de base, père de famille qui travaille, paie impôts et taxes, élève ses enfants selon ses valeurs familiales, use parfois de mots durs un brin excessifs. Il n’habite pas Saint -germain-des prés et n’a pas lu Michel Foucault. Il ne disserte pas sur la prison et la nécessaire punition. Il n’a pas l’impression qu’il encourage le désordre ou la chienlit ou la casse ou qu’il développe l’instinct de rébellion ou de désobéissance. Il a plutôt le sentiment qu’il sécurise ceux qu’il aime. 
 On a donc entendu revenir le vieux débat qui date de 1989 et qui paraissait être clos sur le sentiment d’insécurité. C’est désormais la notion de sécurité globale qui s’est imposée avec des causes protéiformes. Le sentiment d’insécurité est une vieille lune.  Naturellement ce n’est pas la sémantique qui compte, mais les actes pris par les pouvoirs publics pour ralentir ou plutôt stopper la montée de la violence et les infractions qui sont commises à toute occasion y compris pour de prétendus bons motifs ou surtout de moins bons voire de prétextes fumeux il faut l’admettre : ainsi quand le PSG perd on casse les champs Elysées. S’il gagne aussi car on est content ou pas assez quoiqu’il arrive et il faut se défouler après le confinement.
 Il faut cesser aussi de faire passer l’émotion avant toute raison et vérification contradictoire des faits. Le sentiment de faiblesse résulte de ce qu’on inflige un rappel à la loi pour l’agression d’un élu par exemple. Le sentiment d’insécurité vient du fait que ceux qui n’ont été victimes de rien (ou pas encore pour les plus pessimistes) voient ce qu’il est arrivé aux victimes réelles et en sont solidaires. On a la justice que l’on se choisit. Il appartient à nos parlementaires de voter des lois et des punitions à la hauteur de l’ambiance et des risques de 2020 et du comportement de certains dont des mineurs qui ne veulent pas se plier à la règle commune avec l’influence ce qui se passe à l’extérieur sur des théâtres de guerre ou de division raciale.  Il n’y a pas de présomption ou de sentiment de culpabilité en matière d’insécurité. Il y a des coupables avérés ou non. On a le droit d’être sentimental ou empathique qui est de la grandeur de l’humain, et de croire que le responsable c’est toujours l’autre. Mais on a le devoir d’être réaliste. Dura lex sed lex, sinon il faut changer la loi.
 Aux politiques de choisir et de prendre leurs responsabilités. Le citoyen ne veut pas arbitrer entre le laxisme et le tout répressif avec la tolérance zéro comme à New-York. Il veut simplement des résultats, que les ministres s’accordent. La sécurité exige des certitudes et pas des discussions sans fin. Que nos deux excellents ministres se parlent et trouvent des solutions qui satisfassent le citoyen, puisqu’après tout les politiques sont nommés pour servir le peuple et pas leur égo. 
C’est difficile d’être citoyen cela s’apprend, de ne pas jalouser celui qui a réussi, et c’est facile de rejeter l’autre qui serait la source de son échec.  On souhaite n’obéir qu’à son instinct et son plaisir, d’être en marge tout en se réclamant de ce qui l’arrange. Chacun a son échelle de ce qui est grave ou non, de celui qui doit faire l’objet d’une sanction ou non.  Le sentiment d’insécurité n’existe pas pour une victime. Alors cessons de discuter pour rien, de perdre son temps. Les ministres de l’intérieur et de la justice sont dans leurs rôles avec leurs tempéraments personnels. Ce qui compte pour les administrés c’est que la sécurité réelle, potentielle ou virtuelle existe en pratique ; que la violence soit éradiquée autant qu’il soit possible ; que les coupables reconnus subissent une peine qu’ils vont exécuter, pour préparer leur réinsertion bien sûr ; et que la république protège tous les citoyens.
Pour trancher cette querelle de vocabulaire qui cache une approche différenciée de fond et des problématiques, des décisions jusqu’à l’enfermement pour les cas les plus graves, et des mesures pour les autres, on ne va pas créer une commission bidule ou un institut : il existe déjà ! Il est à l’école militaire à paris. Les deux ministres bras -dessus bras -dessous n’ont plus qu’à l’interroger, car il n’est pas utile de réinventer l’eau tiède. C’est mon sentiment que je partage.

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