Le
sentiment d’insécurité : bis repetita.
par
christian fremaux avocat honoraire.
Je me
souviens. En 1989 M.Pierre Joxe était ministre de l’intérieur et les problèmes
d’insécurité avaient explosé. On discutait déjà du sexe des anges ce qui a
perdu Byzance, pour savoir si ce qu’on appelait les faits divers à l’époque
étaient surestimés, si c’était une réalité ou un simple sentiment c’est-à-dire
une appréciation subjective souvent exagérée et ne reposant sur aucune
certitude. A l’image de l’Ihedn (institut national des hautes études de défense
nationale) qui existait depuis des années et qui permettait à des experts militaires
comme civils de la défense nationale de réfléchir sur les menaces, d’analyser
avec tous les moyens de l’Etat, de proposer des solutions aux pouvoirs publics,
et de pouvoir réagir vite s’il le fallait, M.Joxe créa l’Ihesi institut des hautes études de la sécurité intérieure (
à vocation nationale) et il y ajouta l’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ondrp)
comme outil statistique, que M.Alain Bauer pilota avec maestria. Connaissant le
mot de Churchill : « je ne crois pas aux statistiques sauf celles que
j’ai moi -même falsifiées ».
La première
promotion eut lieu en 1990 : après sélection nationale sur dossier puis
entretien individuel elle regroupait une centaine d’auditeurs admis parmi la
haute fonction publique, les hauts gradés de la gendarmerie et de la police
nationale, le corps préfectoral… enfin tous ceux qui concouraient à la sécurité
publique, avec des magistrats, quelques parlementaires et des membres de la
société civile. C’est le ministre de l’intérieur qui validait les candidats
choisis par arrêté publié au journal officiel. Comme avocat je fus retenu dans la 2ème
promotion de 1991. Un des intérêts majeurs de cet institut est
qu’il mettait en contact des responsables publics comme privés qui auparavant
ne se parlaient pas, ignoraient l’état d’esprit et les contraintes des autres,
leurs fonctionnements, et permettait ainsi de nouer un dialogue positif
permettant d’agir concrètement avec plus d’efficacité.
Tout en continuant à exercer leurs activités
professionnelles, les auditeurs recevaient une formation pluridisciplinaire au
plus haut niveau, participaient à des groupes de travail et rendaient des
rapports circonstanciés et documentés, faisaient des visites sur site ( je me
rappelle avoir passé quelques jours dans la vallée de la Sambre, avec toutes
ses friches industrielles ,le chômage, la délinquance…) et se déplaçaient à
l’étranger pour comparer. L’institut avait de nombreux chercheurs de toutes
disciplines, s’intéressaient aux matières liées à la délinquance, au
terrorisme, aux menaces nouvelles qui émergeaient, organisait des colloques aux
thèmes pointus, faisait venir les responsables en fonction de la sécurité et de
la magistrature pour qu’ils parlent de leurs expériences de terrain, et
alimentait les pouvoirs publics de ses conclusions.
Le sentiment d’insécurité fut disséqué, vérifié,
étudié scientifiquement. Je peux citer entre autres multiples études, le
travail de M. Sébastien Roché qui continue à faire autorité.
L’Ondrp
outre ses analyses des infractions en général catégories par catégories, avait
commencé à faire aussi des enquêtes de victimation qui consistent à demander
aux victimes quelles infractions elles ont subi, dans quelles circonstances, avec
quels impacts matériels ou psychologiques et un rapport volumineux était rendu
au ministre solennellement chaque année.
Alain Bauer est devenu professeur de criminologie et est un expert
mondialement connu, invité dans les médias et ayant l’oreille de nos
gouvernants.
L’Ihesi prit
une dimension considérable au fil des années, se transforma en Inhes (institut
national des hautes études de sécurité) puis ajouta le J pour justice car on
avait pris conscience que sécurité et justice étaient liées. L’institut devenu
établissement public administratif fut placé sous l’égide du 1 er ministre pour
en faire un outil transversal interministériel. IL est encore l’Inhesj institut
national des hautes études de sécurité et justice. J’écris encore car M.Edouard
Philippe premier ministre a décidé fin 2019 de le supprimer comme d’autres organismes publics ayant moins
de cent personnes , pour de bonnes raisons selon lui
mais je pense essentiellement budgétaires car la sécurité et la justice
restent en pointe de l’actualité. Il serait désastreux de se priver d’un tel
outil de gestion des crises, du management de la sécurité, de l’étude de la
violence et de la délinquance, des menaces terroristes et sanitaires, de la
cybercriminalité, de la protection des entreprises et des données personnelles,
de l’immixtion des réseaux sociaux … Bref on a besoin d’un tel institut.
J’ai fait ce
rappel historique pour montrer qu’on dispose déjà de nombreux rapports, que
l’on a circonscrit les problèmes, et que désormais on sait que l’on ne pourra jamais
empêcher un crime et que l’homme commette le mal, ni des violences y compris
dans la famille ce qui est désolant puisque on croit y découvrir l’amour et la
bienveillance. Et si on déplore la délinquance, les incivilités, le manque absolu
de respect et de civisme, l’émergence de difficultés qui ressurgissent avec des
idéologies ou des religions radicales, on a des solutions à condition
qu’il y ait une volonté politique qui s’appuie sur un consensus citoyen et
sur les valeurs de la république. C’est bien de s’indigner ; c’est bon de
ne vouloir stigmatiser personne. Je suis pour l’humanisme mais à la condition
que les coupables y mettent du leur, que la société se ressaisisse, que les
citoyens qui dérapent tentent de « s’empêcher » comme le disait le
père d’Albert Camus, que le civisme refleurisse, et que l’on soit tous d’accord
pour faire gagner tout le monde dans la société apaisée et réunie sans
séparatisme et sans vouloir imposer des règles ou des coutumes qui ne
correspondent ni à notre identité ni à notre corpus de droit ou de valeurs
universelles. Ce qui n’enlève rien aux
débats publics, aux contestations, aux réclamations pour plus de partage ou de
redistribution. Mais la sécurité et la justice ne doivent pas permettre des
polémiques et l’accusation de laxisme ou au contraire de tout répressif donc de
mesures liberticides, n’a pas lieu d’être. Il faut trouver le bon
équilibre, celui qui protège, celui qui rassure.
L’ Ihedn a sauvé son existence tout en devant se
restructurer : je m’en réjouis comme ancien auditeur. L’Inhesj est repris
à partir de janvier 2021 par le ministère de l’intérieur, sans qu’on n’en
connaisse encore exactement les modalités pratiques en détail et les
compétences en matière de formation que conserve le ministère de la justice. Mais
la sécurité ou l’insécurité comme on veut font de nouveau parler d’elles avec
vigueur. C’est un retour vers le futur.
Cet été 2020
fut terrible en matière de délits et crimes, sans compter les incivilités, le
non- port du masque et les attaques très graves contre les représentants de la
puissance publique devenus des cibles qu’ils soient maires, policiers et
gendarmes, pompiers, médecins en y ajoutant conducteurs de bus … Je ne peux tout
décrire M. l’ancien avocat général Philippe Bilger ayant rappelé avec talent et
modération sur son blog en disant qui faisait quoi où et quand. On a donc les
informations. La crise de l’autorité a pris une ampleur inégalée. Des jeunes -ou
des moins jeunes-que l’on ne définit pas mais que l’on reconnaitra se sont distingués
en matière de violence extrême et de provocation ou de batailles rangées avec
armes de guerre sur fond de trafics naturellement et pas pour réclamer du travail ;
des récidivistes ont agi, dont un odieusement sur une jeune fille qu’il a
violée et tuée. Le procès de l' attentat contre Charlie hebdo s’est
ouvert avec la souffrance enfouie des victimes, ce qui a mis l’accent sur les
dangers réels et potentiels et révélé que la menace terroriste était toujours présente.
Par ailleurs on sait que des territoires sont en danger, perdus pour l’état de droit
comme l’a signalé M.Benssousan en 2002 et ce que M.Ch.Guilluy a confirmé.
L’universitaire Gilles Kepel a dit pourquoi. Donc l’habitant lambda qui y habite s’inquiète
car il vit les désordres. Ce n’est pas un simple sentiment.
M.Darmanin ministre de l’intérieur incarne le
glaive de l’Etat et les devoirs collectifs. Il est dans le réel quotidien. Il a parlé d’ensauvagement de la société ce qui
est un cran bien au- dessus des sauvageons de M.Chevènement et peut égaler les
racailles de M.Sarkozy. Le ministre de la justice Me Dupond-Moretti ténor du
barreau soucieux des droits individuels et conscient à juste titre que la société
n’a pas besoin d’être encore plus électrisée a contesté cette appréciation en disant
que l’insécurité était plutôt de l’ordre du fantasme, que la France n’était pas
à feu et à sang (il a raison sur ce plan heureusement) et que tout fait criminel,
délictueux ou autre serait puni au plus vite. On s’en réjouit si on donne aux magistrats
les moyens de se prononcer peu après les faits prouvés par les forces de l’ordre.
Plus il y a de greffiers et de juges mieux c’est : on a la justice que l’on
se paie. Elle participe à effacer au moins le sentiment d’impunité.
Mais un fantasme qui s’appuie sur des faits
avérés est- ce encore un fantasme qui relève de l’imaginaire et de l’inconscient ?
Et serait-ce le cas on doit combattre aussi ledit fantasme qui crée des
polémiques et de l’incertitude voire de la peur irraisonnée. C’est un devoir du
gouvernement tout entier, et aussi des citoyens puisque la sécurité est
l’affaire de tous, avec désormais l’appui de la sécurité privée et des polices
municipales, voire l’intelligence artificielle en matière de technologie. On ne
rêve plus d’une société parfaite : on doit agir.
Il ne faut
pas avoir peur des mots. Peu importe
celui qui les emploie, leur origine n’est pas en cause. Ne pas nommer précisément
c’est se condamner aux malentendus et à l’erreur. Jean-jacques Rousseau voulait
écarter les faits qui ne correspondaient pas à sa pensée philosophique et
contrariaient son argumentation pure ! L’individu de base, père de famille
qui travaille, paie impôts et taxes, élève ses enfants selon ses valeurs
familiales, use parfois de mots durs un brin excessifs. Il n’habite pas Saint
-germain-des prés et n’a pas lu Michel Foucault. Il ne disserte pas sur la prison
et la nécessaire punition. Il n’a pas l’impression qu’il encourage le
désordre ou la chienlit ou la casse ou qu’il développe l’instinct de rébellion
ou de désobéissance. Il a plutôt le sentiment qu’il sécurise ceux qu’il
aime.
On a donc entendu revenir le vieux débat qui
date de 1989 et qui paraissait être clos sur le sentiment d’insécurité. C’est
désormais la notion de sécurité globale qui s’est imposée avec des causes
protéiformes. Le sentiment d’insécurité est une vieille lune. Naturellement ce n’est pas la sémantique qui
compte, mais les actes pris par les pouvoirs publics pour ralentir ou plutôt
stopper la montée de la violence et les infractions qui sont commises à toute
occasion y compris pour de prétendus bons motifs ou surtout de moins bons voire
de prétextes fumeux il faut l’admettre : ainsi quand le PSG perd on
casse les champs Elysées. S’il gagne aussi car on est content ou pas assez
quoiqu’il arrive et il faut se défouler après le confinement.
Il faut cesser aussi de faire passer l’émotion
avant toute raison et vérification contradictoire des faits. Le sentiment de
faiblesse résulte de ce qu’on inflige un rappel à la loi pour l’agression d’un
élu par exemple. Le sentiment d’insécurité vient du fait que ceux qui n’ont été
victimes de rien (ou pas encore pour les plus pessimistes) voient ce qu’il est
arrivé aux victimes réelles et en sont solidaires. On a la justice que l’on se
choisit. Il appartient à nos parlementaires de voter des lois et des punitions
à la hauteur de l’ambiance et des risques de 2020 et du comportement de
certains dont des mineurs qui ne veulent pas se plier à la règle commune avec
l’influence ce qui se passe à l’extérieur sur des théâtres de guerre ou de
division raciale. Il n’y a pas de présomption
ou de sentiment de culpabilité en matière d’insécurité. Il y a des coupables
avérés ou non. On a le droit d’être sentimental ou empathique qui est de la
grandeur de l’humain, et de croire que le responsable c’est toujours l’autre.
Mais on a le devoir d’être réaliste. Dura lex sed lex, sinon il faut changer la
loi.
Aux politiques de choisir et de prendre leurs
responsabilités. Le citoyen ne veut pas arbitrer entre le laxisme et le tout
répressif avec la tolérance zéro comme à New-York. Il veut simplement des
résultats, que les ministres s’accordent. La sécurité exige des certitudes et
pas des discussions sans fin. Que nos deux excellents ministres se parlent et
trouvent des solutions qui satisfassent le citoyen, puisqu’après tout les
politiques sont nommés pour servir le peuple et pas leur égo.
C’est
difficile d’être citoyen cela s’apprend, de ne pas jalouser celui qui a réussi,
et c’est facile de rejeter l’autre qui serait la source de son échec. On souhaite n’obéir qu’à son instinct et son plaisir,
d’être en marge tout en se réclamant de ce qui l’arrange. Chacun a son échelle
de ce qui est grave ou non, de celui qui doit faire l’objet d’une sanction ou
non. Le sentiment d’insécurité n’existe
pas pour une victime. Alors cessons de discuter pour rien, de perdre son temps.
Les ministres de l’intérieur et de la justice sont dans leurs rôles avec leurs
tempéraments personnels. Ce qui compte pour les administrés c’est que la
sécurité réelle, potentielle ou virtuelle existe en pratique ; que la
violence soit éradiquée autant qu’il soit possible ; que les coupables reconnus
subissent une peine qu’ils vont exécuter, pour préparer leur réinsertion bien
sûr ; et que la république protège tous les citoyens.
Pour
trancher cette querelle de vocabulaire qui cache une approche différenciée de
fond et des problématiques, des décisions jusqu’à l’enfermement pour les cas
les plus graves, et des mesures pour les autres, on ne va pas créer une
commission bidule ou un institut : il existe déjà ! Il est à l’école
militaire à paris. Les deux ministres bras -dessus bras -dessous n’ont plus
qu’à l’interroger, car il n’est pas utile de réinventer l’eau tiède. C’est mon
sentiment que je partage.
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