lundi 22 octobre 2018

Un pays d’où l’on revient


                    Un pays d’où l’on revient.
           Par Christian Fremaux avocat honoraire et élu local.

Je reviens de nulle part .
Il faut pourtant prendre un vol d’Air Ethiopian qui dure 7h30 la nuit à partir de Roissy Charles-de-gaulle, puis arrivé au très petit matin à Addis-Abeba capitale de l’Ethiopie remonter dans un avion  qui nous transporte quelques centaines de kilomètres plus loin en une heure de vol jusqu’à un territoire indépendant qui  part de Djibouti   avec  une frontière commune  avec  l’Ethiopie au sud,  puis  qui longe sur 750 kilomètres le golfe d’Aden et les débuts de l’océan indien .La façade maritime dans cette région menacée et en conflit  de tout côté est donc importante. On se situe par 8° et 11’30 de latitude, et par 42°45’ et 49° de longitude, en tendant vers l’équateur. Nous sommes en plein dans la corne de l’Afrique, celle de l’est. En face c’est le Yémen, Oman et les émirats arabes avec Dubaï  qui investit, et le poids lourd l’Arabie Saoudite. C’est dire si la région est stratégique et combien les puissances régionales comme certaines plus lointaines s’intéressent au pays, à ses ports, à son emplacement , à ses ressources naturelles qui émergent, à sa place dans la région et à ses ambitions légitimes comme pour tout peuple, dans un contexte diplomatique difficile résultant de ce que les anciens pays colonisateurs ont laissé comme tracés et comme nécessités organisationnelles et administratives en général , avec l’Union Africaine qui se hâte lentement dans l’examen des revendications  de puissance publique et étatique et le différend désormais ancien et  récurrent qui concerne la Somalie celle qui a pour capitale Mogadiscio.
Ce pays couvre environ 137.000 kilomètres carrés, a une population de près de 4 millions de citoyens  donc plus  nombreuse que dans certains pays voisins du continent connus et reconnus , souvent agriculteurs, éleveurs de chèvres et de bestiaux divers qui vivent  dans un rude désert de pierres . Sa capitale Hargeisa a environ 1 million d’habitants, où les constructions nouvelles en dur qu’il a fallu édifier - car en raison de la guerre 90% de la ville avaient été ravagés  outre les pertes humaines dramatiques -,  côtoient des habitats  anciens plus précaires faits de bric et de broc. Les routes bétonnées ou en bon état sont rares -on y voit des carcasses de voitures ou de matériel abandonnées – mais ce sont  plutôt des chemins ou pistes même en ville en terre qui dominent, et à la saison sèche  c’est la poussière qui vole, qui recouvre tout , personnes, animaux, arbres, maisons , mosquées, outils, matériaux et  qui se mélange avec les détritus  plastique qui jonchent tout, tous  et partout et colorent l’environnement. Les écologistes donneurs de leçons en occident  ont du pain sur la planche !. Les petits commerces de toute nature florissent . La nourriture est à base de riz et de pâtes (importées), de viandes diverses (nos végans s’étrangleraient de rage) , et de fruits. On boit de l’eau minérale en abondance jamais le moindre alcool croyance oblige -bien qu’une eau de robinet potable existe -, et le soir l’éclairage public est fort. Malgré l’agitation  globale car il y a beaucoup de monde dans les rues, des femmes  qui portent le voile ou la burka, les enfants des écoles qui vont et viennent, les hommes qui s’affairent, les chèvres  sans trop bêler  voire les dromadaires faméliques et déblatérants  qui circulent librement ,  le calme relatif surprend , et je n’écris pas l’ordre règne à Hargeisa car j’ai vu peu de policiers dans la rue  mais je suis peut être naïf ou inattentif , avec  une circulation  intense de grosses voitures 4/4 en très bon état  de fabrication japonaise . Bref à Hargeisa on vit comme partout ailleurs, le plus paisiblement possible (la délinquance est marginale selon les autorités ?) avec un niveau de vie adapté aux possibilités financières même s’il est naturellement  insuffisant (  le pays ne reçoit aucune aide internationale)  et que certains restent sur le bas- côté dans la pauvreté. On y entend chanter le muezzin régulièrement , mais on ne voit pas les fidèles prier dans la rue,  et le soleil se couche vers 18 heures du moins quand j’y étais avec une nuit très noire qui s’installe….
J’avais été invité comme connaisseur de l’ordre public international notamment, des organisations internationales, et de ce que l’on appelle un Etat, à participer les 11 et 12 octobre 2018 à Hargeisa, à une conférence cruciale pour le pays qui s’intitulait : « achievements and challenges ahead 27 years later ».J’ai passé près d’une semaine sur place en bougeant.  27 ans après la proclamation unilatérale de leur indépendance en 1991,  les autorités voulaient démontrer à la communauté internationale que leur  pays a atteint un niveau de démocratie et de fonctionnement qui lui permet d’être reconnu comme un autre Etat , même si tout n’est pas parfait, mais quel Etat peut se vanter de n’avoir pas de points faibles dans sa pratique quotidienne, ses valeurs, et en comparaison d’autres Etats. On peut toujours faire mieux.  M.joel Broquet grand spécialiste des diasporas africaines en France (qui jouent un grand rôle dans notre propre démocratie par exemple dans les banlieues)  et  président du partenariat eurafricain qui était aussi à l’origine de la mission , était le deuxième délégué qui venait de France.   Nous avions été  mandatés  pour observer et donner nos avis par le représentant du pays en France M.Ismael Ali Hassan : on ne peut dire ambassadeur car il ne peut présenter des lettres de créance officielles de son pays qui n’est pas -encore  -formellement un Etat mais il  exerce des fonctions similaires et gère aussi  la diaspora de ce coin  spécifique de l’Afrique . Participaient  à ce colloque des délégués venant d’Afrique, d’Asie,  d’Europe et du  reste du monde. C’est dire le sérieux du constat et des propositions. Il y eut deux jours pendant lesquels des personnalités du pays expliquèrent les politiques publiques, les réussites comme les échecs, les défis à relever, les demandes d’aide et de coopération. Chacun put apporter sa pierre à la construction de solutions réalistes pour améliorer la situation, critiquer cependant des initiatives ne paraissant pas pertinentes , en attendant que le pays devienne un Etat de fait établi comme de droit  classique aux yeux de la communauté internationale, dans la paix et surtout le rapprochement avec les frères de la Somalie voisine.  Nous avons eu l’honneur mon collègue et moi d’être reçus par le président de la république du pays, accompagné de son ministre des affaires étrangères qui avait organisé la conférence, et de discuter plusieurs heures en visitant avec de nombreux ministres et parlementaires , dont des députés venant de Djibouti parlant… français.
Il faut connaitre l’histoire de ce pays pour comprendre   ce qu’il veut obtenir depuis sa naissance il y a 27 ans.
Historiquement la Somalie dont le territoire s’étend  principalement le long de l’océan indien en partant de l’extrême est de la corne de l’Afrique, jusqu’aux frontières avec le Kenya et l’Ethiopie  du sud vient  du protectorat britannique sur la partie nord- ouest  (celle où j’étais) et du protectorat  italien pour le reste  avec sa capitale Mogadiscio , bien connue pour diverses raisons parfois mauvaises et reconnue par la communauté internationale. C’est une république fédérale.  En 1960 la Somalie gagna son indépendance sur le plan extérieur, mais sur le plan interne des conflits subsistèrent. La guerre civile éclata entre frères qui conduisit à une séparation de fait entre le pays à partir de 1991 et la Somalie « officielle » avec  des tentatives pour essayer de trouver une solution diplomatique et pacifique après une guerre violente  qui fut dévastatrice en hommes et infrastructures. Le 18 Mai 1991 fut actée l’existence de deux entités distinctes, dotées chacune d’un territoire délimité, de pouvoirs politiques, d’habitants, avec en commun l’islam comme religion. Le pays d’où je viens mit en place une gouvernance, et créa progressivement   un proto -Etat.
Je n’insiste pas sur les difficultés que rencontre la Somalie de Mogadiscio, qui eut des gouvernements erratiques, voir plus d’Etat, subit la pression islamique des shebabs liés à Al- qaida, le terrorisme et la piraterie maritime… Les Nations-Unies durent envoyer des casques bleus entre 1992 et 1995 :  ce fut la mise en pratique d’un droit d’ingérence humanitaire d’ailleurs non prévu par les textes, mais il fallait préserver l’essentiel, y compris pour la communauté internationale car cette Somalie bénéficiait et cela continue d’un siège à l’ONU,  et également à l’organisation de l’union africaine et à la ligue arabe notamment. En 2018 le pays connait toujours une crise sécuritaire très grave. Le quai d’Orsay déconseille d’y aller…
Depuis 1991 à Hargeisa- où j’étais -le pays est réel, visible, tangible,  mais il  n’existe pas en droit international puisque on ne lui reconnait pas le statut d’Etat. D’où ses espoirs pour l’être en montrant qu’il en remplit les conditions.
C’est la convention de Montevidéo de 1933  sur les droits et les devoirs des Etats qui a fixé 4 critères pour caractériser  un Etat  souverain. Il faut :
*être peuplé en permanence ;
*contrôler un territoire défini ;
*être doté d’un gouvernement ;
*être apte à entretenir des relations étatiques.
Le pays d’où je reviens entretient déjà des relations  commerciales avec de nombreux Etats ou leurs entreprises. C’est bien mais pas suffisant. Il prouve qu’il répond en outre aux 4 critères :
1-il y a régulièrement des élections .Le président actuel  est M.Musa Bihi Abdi élu pour 4 ans au scrutin majoritaire unilatéral à deux tours, mandat renouvelable une fois. Les observateurs internationaux n’ont formulé aucune remarque négative sur son élection. Le régime est présidentiel avec un vice-président et sans 1er ministre. Les 82 députés sont aussi élus, et il y a une chambre des anciens (une sorte de sénat ou chambre des lords) qui sont nommés. Des élections locales ont lieu. Il y a trois partis politiques officiels ;
2-Il y a une constitution officielle votée en 2000 qui allie la charia et les droits de l’homme, ce qui est  compatible selon les interlocuteurs rencontrés qui n’ignorent pas que l’on doute du respect  effectif des droits de l’homme. Ils répondent que cela s’apprend comme la démocratie et qu’il faut un haut niveau de vie économique et culturelle pour que l’on accepte certaines valeurs et pratiques ; leur droit s’appuie certes sur la charia mais aussi sur les coutumes, la loi du parlement, que le système judiciaire applique. La presse y est libre.
3- le pays est peuplé en permanence  dans les villes et villages, et il y a des nomades. On y parle d’abord le somali, puis l’arabe, et enfin l’anglais ou l’italien. Il y aurait 7-8% de francophones.  Il y a  un budget (les impôts rentrent bien m’a-t-on affirmé ?) ,une monnaie bien que l’opérateur Télésom ait créé un service de monnaie virtuelle (ziad) via le téléphone portable pour suppléer la faiblesse du secteur bancaire. Chacun respecte la religion d’Etat qui est l’islam toute autre religion étant interdite . Enfin on développe les richesses culturelles notamment  avec le magnifique site archéologique de Las-geel  fouillé par les spécialistes de l’université de Montpellier III ;
4- le territoire est bien délimité  et suit les frontières de l’ex-protectorat,  protégé par une armée organisée et bien équipée  en raison des menaces diverses. Il y a un différend larvé avec le Puntland au nord-est qui revendique sa place, mais c’est un statu quo. Le principal port Berbera  qui est proche de Djibouti joue un rôle grandissant. Il a une base navale et aérienne  qui a été concédée depuis février 2017 aux Emirats arabes unis pour 25 ans. Dubaï y a mobilisé des fonds importants pour prolonger le quai de plusieurs centaines de mètres.  L’Ethiopie a pris un accord pour un accès.
Le pays entretient  des relations étatiques, y compris avec la Somalie même si dans ce cas on avance peu, on fait plutôt du surplace !.
Les autorités estiment que leur pays qui est une démocratie selon elles, doit devenir un Etat et entrer dans le concert des nations. Elles ne sous -estiment pas les difficultés qui sont juridiques, diplomatiques , humaines et comprennent que les intérêts des autres ne  coïncident  pas avec les leurs, que la Somalie rechigne et  que la communauté internationale en particulier l’union africaine ne veut pas provoquer un appel d’air en faisant droit à leurs revendications. Mais elles pensent que l’on ne peut ignorer durablement  un peuple  qui a les mêmes droits  humains que les autres, qui ne doit pas être pénalisé par des prétextes de droit ou politiques au sens des puissances souveraines, et que l’histoire va dans leur sens. Les conditions de la naissance de ce pays peuvent être discutées, mais il y a des précédents similaires dans le monde, et ce pays ne cherche pas à s’étendre par la force, ou priver ses voisins d’un bout de territoire. Il a repris ce qui existait…

Je n’ai pas à donner de conseils car je n’ai aucune légitimité et je ne représente que moi. Je suis venu dans ce pays, j’ai vu, j’ai été convaincu qu’il y avait une gouvernance, une puissance publique, les attributs d’un Etat, même si je ne connais pas le dessous des cartes,  et que je sais que la vie internationale  n’est pas un long fleuve tranquille, que les enjeux sont stratégiques et qu’il faut être réaliste. Mais  rappelons nous la formule classique « ils ne savaient pas que c’était  impossible, ils l’ont donc fait ».
Quand un individu appelle au secours on l’aide sans arrière- pensée. Quand un peuple est uni et veut vivre ensemble  avec un destin commun cela devient une nation de fait  et on l’encourage. Quand la nation de fait  veut devenir un Etat en droit  reconnu par la communauté internationale on ne peut pas prendre le risque de la marginaliser ce qui est un échec  et un danger  pour tout le monde car on peut la jeter dans l’inconnu où tout est possible.
Si le commerce ne suffit pas,- car on ne peut tout privatiser-, si les accords bilatéraux ne peuvent rien, si la diplomatie ne trouve pas un compromis,  restent la justice internationale et le droit. Ce justiciable pourra ainsi réussir à s’imposer. Il devra respecter ses droits et devoirs, rendre des comptes, s’intégrer sur le plan régional et international ce qui est toujours un progrès pour l’humanité, donc un grand bond en avant pour la démocratie.
Ce pays c’est le Somaliland. 
Je suis de retour à paris. Je reviens de nulle part.  







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