Un pays d’où l’on revient.
Par Christian Fremaux avocat honoraire et élu
local.
Je reviens
de nulle part .
Il faut
pourtant prendre un vol d’Air Ethiopian qui dure 7h30 la nuit à partir de Roissy
Charles-de-gaulle, puis arrivé au très petit matin à Addis-Abeba capitale de
l’Ethiopie remonter dans un avion qui
nous transporte quelques centaines de kilomètres plus loin en une heure de vol
jusqu’à un territoire indépendant qui part de Djibouti avec
une frontière commune avec l’Ethiopie au sud, puis qui longe sur 750 kilomètres le golfe d’Aden et
les débuts de l’océan indien .La façade maritime dans cette région menacée
et en conflit de tout côté est donc
importante. On se situe par 8° et 11’30 de latitude, et par 42°45’ et 49° de
longitude, en tendant vers l’équateur. Nous sommes en plein dans la corne de l’Afrique,
celle de l’est. En face c’est le Yémen, Oman et les émirats arabes avec Dubaï qui investit, et le poids lourd l’Arabie
Saoudite. C’est dire si la région est stratégique et combien les puissances
régionales comme certaines plus lointaines s’intéressent au pays, à ses ports,
à son emplacement , à ses ressources naturelles qui émergent, à sa place
dans la région et à ses ambitions légitimes comme pour tout peuple, dans un
contexte diplomatique difficile résultant de ce que les anciens pays
colonisateurs ont laissé comme tracés et comme nécessités organisationnelles et
administratives en général , avec l’Union Africaine qui se hâte lentement dans
l’examen des revendications de puissance
publique et étatique et le différend désormais ancien et récurrent qui concerne la Somalie celle qui a
pour capitale Mogadiscio.
Ce pays
couvre environ 137.000 kilomètres carrés, a une population de près de 4
millions de citoyens donc plus nombreuse que dans certains pays voisins du
continent connus et reconnus , souvent agriculteurs, éleveurs de chèvres et de
bestiaux divers qui vivent dans un rude
désert de pierres . Sa capitale Hargeisa a environ 1 million d’habitants, où les
constructions nouvelles en dur qu’il a fallu édifier - car en raison de la
guerre 90% de la ville avaient été ravagés outre les pertes humaines dramatiques -, côtoient des habitats anciens plus précaires faits de bric et de
broc. Les routes bétonnées ou en bon état sont rares -on y voit des carcasses
de voitures ou de matériel abandonnées – mais ce sont plutôt des chemins ou pistes même en ville en
terre qui dominent, et à la saison sèche c’est la poussière qui vole, qui recouvre tout
, personnes, animaux, arbres, maisons , mosquées, outils, matériaux et qui se mélange avec les détritus plastique qui jonchent tout, tous et partout et colorent l’environnement. Les
écologistes donneurs de leçons en occident
ont du pain sur la planche !. Les petits commerces de toute nature
florissent . La nourriture est à base de riz et de pâtes (importées), de
viandes diverses (nos végans s’étrangleraient de rage) , et de fruits. On boit
de l’eau minérale en abondance jamais le moindre alcool croyance oblige -bien
qu’une eau de robinet potable existe -, et le soir l’éclairage public est fort.
Malgré l’agitation globale car il y a
beaucoup de monde dans les rues, des femmes qui portent le voile ou la burka, les enfants
des écoles qui vont et viennent, les hommes qui s’affairent, les chèvres sans trop bêler voire les dromadaires faméliques et
déblatérants qui circulent librement
, le calme relatif surprend , et je
n’écris pas l’ordre règne à Hargeisa car j’ai vu peu de policiers dans la rue mais je suis peut être naïf ou inattentif , avec une circulation intense de grosses voitures 4/4 en très bon
état de fabrication japonaise . Bref à
Hargeisa on vit comme partout ailleurs, le plus paisiblement possible (la
délinquance est marginale selon les autorités ?) avec un niveau de vie
adapté aux possibilités financières même s’il est naturellement insuffisant (
le pays ne reçoit aucune aide internationale) et que certains restent sur le bas- côté dans
la pauvreté. On y entend chanter le muezzin régulièrement , mais on ne voit pas
les fidèles prier dans la rue, et le
soleil se couche vers 18 heures du moins quand j’y étais avec une nuit très
noire qui s’installe….
J’avais été
invité comme connaisseur de l’ordre public international notamment, des organisations
internationales, et de ce que l’on appelle un Etat, à participer les 11 et 12
octobre 2018 à Hargeisa, à une conférence cruciale pour le pays qui
s’intitulait : « achievements and challenges ahead 27 years later ».J’ai
passé près d’une semaine sur place en bougeant. 27 ans après la proclamation unilatérale de
leur indépendance en 1991, les autorités
voulaient démontrer à la communauté internationale que leur pays a atteint un niveau de démocratie et de
fonctionnement qui lui permet d’être reconnu comme un autre Etat , même si tout
n’est pas parfait, mais quel Etat peut se vanter de n’avoir pas de points
faibles dans sa pratique quotidienne, ses valeurs, et en comparaison d’autres
Etats. On peut toujours faire mieux. M.joel
Broquet grand spécialiste des diasporas africaines en France (qui jouent un
grand rôle dans notre propre démocratie par exemple dans les banlieues) et président
du partenariat eurafricain qui était aussi à l’origine de la mission , était le
deuxième délégué qui venait de France. Nous avions été mandatés pour observer et donner nos avis par le représentant
du pays en France M.Ismael Ali Hassan : on ne peut dire ambassadeur car il
ne peut présenter des lettres de créance officielles de son pays qui n’est pas
-encore -formellement un Etat mais il exerce des fonctions similaires et gère aussi la diaspora de ce coin spécifique de l’Afrique . Participaient à ce colloque des délégués venant d’Afrique,
d’Asie, d’Europe et du reste du monde. C’est dire le sérieux du
constat et des propositions. Il y eut deux jours pendant lesquels des
personnalités du pays expliquèrent les politiques publiques, les réussites
comme les échecs, les défis à relever, les demandes d’aide et de coopération.
Chacun put apporter sa pierre à la construction de solutions réalistes pour
améliorer la situation, critiquer cependant des initiatives ne paraissant pas
pertinentes , en attendant que le pays devienne un Etat de fait établi comme de
droit classique aux yeux de la
communauté internationale, dans la paix et surtout le rapprochement avec les
frères de la Somalie voisine. Nous avons
eu l’honneur mon collègue et moi d’être reçus par le président de la république
du pays, accompagné de son ministre des affaires étrangères qui avait organisé
la conférence, et de discuter plusieurs heures en visitant avec de nombreux
ministres et parlementaires , dont des députés venant de Djibouti parlant…
français.
Il faut
connaitre l’histoire de ce pays pour comprendre
ce qu’il veut obtenir depuis sa
naissance il y a 27 ans.
Historiquement
la Somalie dont le territoire s’étend principalement le long de l’océan indien en
partant de l’extrême est de la corne de l’Afrique, jusqu’aux frontières avec le
Kenya et l’Ethiopie du sud vient du protectorat britannique sur la partie nord-
ouest (celle où j’étais) et du
protectorat italien pour le reste avec sa capitale Mogadiscio , bien connue
pour diverses raisons parfois mauvaises et reconnue par la communauté internationale.
C’est une république fédérale. En 1960
la Somalie gagna son indépendance sur le plan extérieur, mais sur le plan
interne des conflits subsistèrent. La guerre civile éclata entre frères qui
conduisit à une séparation de fait entre le pays à partir de 1991 et la Somalie
« officielle » avec des
tentatives pour essayer de trouver une solution diplomatique et pacifique après
une guerre violente qui fut dévastatrice
en hommes et infrastructures. Le 18 Mai 1991 fut actée l’existence de deux
entités distinctes, dotées chacune d’un territoire délimité, de pouvoirs
politiques, d’habitants, avec en commun l’islam comme religion. Le pays d’où je
viens mit en place une gouvernance, et créa progressivement un proto -Etat.
Je n’insiste
pas sur les difficultés que rencontre la Somalie de Mogadiscio, qui eut des
gouvernements erratiques, voir plus d’Etat, subit la pression islamique des
shebabs liés à Al- qaida, le terrorisme et la piraterie maritime… Les
Nations-Unies durent envoyer des casques bleus entre 1992 et 1995 : ce fut la mise en pratique d’un droit
d’ingérence humanitaire d’ailleurs non prévu par les textes, mais
il fallait préserver l’essentiel, y compris pour la communauté
internationale car cette Somalie bénéficiait et cela continue d’un siège à
l’ONU, et également à l’organisation de
l’union africaine et à la ligue arabe notamment. En 2018 le pays connait
toujours une crise sécuritaire très grave. Le quai d’Orsay déconseille d’y
aller…
Depuis 1991
à Hargeisa- où j’étais -le pays est réel, visible, tangible, mais il
n’existe pas en droit international puisque on ne lui reconnait pas le
statut d’Etat. D’où ses espoirs pour l’être en montrant qu’il en remplit
les conditions.
C’est la
convention de Montevidéo de 1933 sur les
droits et les devoirs des Etats qui a fixé 4 critères pour caractériser un Etat souverain. Il faut :
*être peuplé
en permanence ;
*contrôler
un territoire défini ;
*être doté
d’un gouvernement ;
*être apte à
entretenir des relations étatiques.
Le pays d’où
je reviens entretient déjà des relations commerciales avec de nombreux Etats ou leurs
entreprises. C’est bien mais pas suffisant. Il prouve qu’il répond en outre aux
4 critères :
1-il y a
régulièrement des élections .Le président actuel est M.Musa Bihi Abdi élu pour 4 ans au
scrutin majoritaire unilatéral à deux tours, mandat renouvelable une fois. Les
observateurs internationaux n’ont formulé aucune remarque négative sur son
élection. Le régime est présidentiel avec un vice-président et sans 1er
ministre. Les 82 députés sont aussi élus, et il y a une chambre des anciens
(une sorte de sénat ou chambre des lords) qui sont nommés. Des élections
locales ont lieu. Il y a trois partis politiques officiels ;
2-Il y a une
constitution officielle votée en 2000 qui allie la charia et les droits de
l’homme, ce qui est compatible selon les
interlocuteurs rencontrés qui n’ignorent pas que l’on doute du respect effectif des droits de l’homme. Ils répondent
que cela s’apprend comme la démocratie et qu’il faut un haut niveau de vie
économique et culturelle pour que l’on accepte certaines valeurs et
pratiques ; leur droit s’appuie certes sur la charia mais aussi sur les
coutumes, la loi du parlement, que le système judiciaire applique. La presse y
est libre.
3- le pays
est peuplé en permanence dans les villes
et villages, et il y a des nomades. On y parle d’abord le somali, puis l’arabe,
et enfin l’anglais ou l’italien. Il y aurait 7-8% de francophones. Il y a un budget (les impôts rentrent bien m’a-t-on
affirmé ?) ,une monnaie bien que l’opérateur Télésom ait créé un service
de monnaie virtuelle (ziad) via le téléphone portable pour suppléer la
faiblesse du secteur bancaire. Chacun respecte la religion d’Etat qui est
l’islam toute autre religion étant interdite . Enfin on développe les
richesses culturelles notamment avec le
magnifique site archéologique de Las-geel
fouillé par les spécialistes de l’université de Montpellier III ;
4- le
territoire est bien délimité et suit les
frontières de l’ex-protectorat, protégé
par une armée organisée et bien équipée
en raison des menaces diverses. Il y a un différend larvé avec le
Puntland au nord-est qui revendique sa place, mais c’est un statu quo. Le
principal port Berbera qui est proche de
Djibouti joue un rôle grandissant. Il a une base navale et aérienne qui a été concédée depuis février 2017 aux
Emirats arabes unis pour 25 ans. Dubaï y a mobilisé des fonds importants pour
prolonger le quai de plusieurs centaines de mètres. L’Ethiopie a pris un accord pour un accès.
Le pays
entretient des relations étatiques, y
compris avec la Somalie même si dans ce cas on avance peu, on fait plutôt du
surplace !.
Les
autorités estiment que leur pays qui est une démocratie selon elles, doit
devenir un Etat et entrer dans le concert des nations. Elles ne sous -estiment
pas les difficultés qui sont juridiques, diplomatiques , humaines et
comprennent que les intérêts des autres ne coïncident pas avec les leurs, que la Somalie rechigne et
que la communauté internationale en
particulier l’union africaine ne veut pas provoquer un appel d’air en faisant
droit à leurs revendications. Mais elles pensent que l’on ne peut ignorer
durablement un peuple qui a les mêmes droits humains que les autres, qui ne doit pas être
pénalisé par des prétextes de droit ou politiques au sens des puissances
souveraines, et que l’histoire va dans leur sens. Les conditions de la
naissance de ce pays peuvent être discutées, mais il y a des précédents
similaires dans le monde, et ce pays ne cherche pas à s’étendre par la force,
ou priver ses voisins d’un bout de territoire. Il a repris ce qui existait…
Je n’ai pas
à donner de conseils car je n’ai aucune légitimité et je ne représente que moi.
Je suis venu dans ce pays, j’ai vu, j’ai été convaincu qu’il y avait une
gouvernance, une puissance publique, les attributs d’un Etat, même si je ne
connais pas le dessous des cartes, et
que je sais que la vie internationale
n’est pas un long fleuve tranquille, que les enjeux sont stratégiques et
qu’il faut être réaliste. Mais rappelons
nous la formule classique « ils ne savaient pas que c’était impossible, ils l’ont donc fait ».
Quand un
individu appelle au secours on l’aide sans arrière- pensée. Quand un peuple est
uni et veut vivre ensemble avec un
destin commun cela devient une nation de fait et on l’encourage. Quand la nation de fait veut devenir un Etat en droit reconnu par la communauté internationale on ne
peut pas prendre le risque de la marginaliser ce qui est un échec et un danger
pour tout le monde car on peut la jeter dans l’inconnu où tout est
possible.
Si le commerce
ne suffit pas,- car on ne peut tout privatiser-, si les accords bilatéraux ne peuvent
rien, si la diplomatie ne trouve pas un compromis, restent la justice internationale et le droit.
Ce justiciable pourra ainsi réussir à s’imposer. Il devra respecter ses droits
et devoirs, rendre des comptes, s’intégrer sur le plan régional et
international ce qui est toujours un progrès pour l’humanité, donc un grand
bond en avant pour la démocratie.
Ce pays
c’est le Somaliland.
Je suis de
retour à paris. Je reviens de nulle part.
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