Fraternité et/ou solidarité
Par
Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local.
Chacun
connait la devise de la république liberté, égalité, fraternité qui est un
idéal commun(article 2 de la constitution). Celle de la 5 ème république qui nous régit
depuis 1958 renvoie à la déclaration des droits
de l’homme et du citoyen de 1789, c’est-à-dire à l’exercice de droits
individuels mais en même temps au respect de devoirs collectifs comme membre
d’une nation. Notre société actuelle a tendance à ne voir que la partie
avantages personnels, privilèges divers, satisfaction de toute minorité sur
tout sujet y compris ceux qui concernent l’homme (ou la femme je fais attention
à ne pas les oublier) en général, l’humanisme, le transhumanisme… sans s’apercevoir
qu’une majorité qui ne demande rien , puisse être choquée ou que l’on considère que ceux qui ne sont pas forcément
progressistes sont d’affreux conservateurs voire réactionnaires (quand on ne
les taxe pas d’être fascistes) et qu’il convient de les vilipender. C’est comme
cela que l’on fait le lit du populisme ! mais ce n’est pas mon sujet aujourd’hui .
La liberté
c’est le pouvoir d’agir ou de décider sans contrainte, de n’être soumis à aucun
maître, de n’avoir à demander la permission à aucune autorité. Cela va très
bien au teint du français fier d’être gaulois non réfractaire aux changements
mais prudent et de bon sens. Nos libertés individuelles sont protégées par
l’autorité judiciaire et l’état de droit
conforte nos libertés publiques. .
L’égalité qui est l’absence de toute différence de
grandeur ou de qualité, est définie par la déclaration de l’homme et du citoyen
en son article 1 : tous les hommes naissent égaux en dignité et droits … On est cependant réaliste : on sait qu’il
y en a de « plus égaux » que d’autres, que certains ont des avantages
et des passe droits (on l’a vu dans l’affaire dite Benalla le collaborateur
désormais licencié de notre président ) et que l’égalité est plutôt un combat
qu’un long fleuve tranquille. Par exemple sans être naturellement
exhaustif, les femmes qui se battent
pour l’égalité salariale, ou des jeunes des quartiers partis à la dérive qui
voudraient avoir une égalité des chances, ou les retraités du privé qui souhaiteraient avoir les mêmes conditions de
retraite que ceux du public…Avec l’égalité on y associe le terme d’équité ce
qui démontre qu’il faut nuancer et que tout n’est pas parfait.
La
fraternité c’est le lien moral qui
existe dans une fratrie, une famille et plus largement entre les humains qui
participent à un même idéal, qui se respectent dans leur diversité, qui sont tolérants mais
qui partagent les mêmes valeurs,
et qui tissent un destin
collectif affectif de paix et de
compréhension. La fraternité c’est un sentiment qui dépasse l’égo, qui
rassemble. C’est toujours l’article 1 de la déclaration des droits de
l’homme : « …tous les êtres humains…sont doués de raison et de
conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Le professeur
Albert Jacquard l’a définie ainsi en
1997 : « la fraternité a pour résultat de diminuer les inégalités
tout en préservant ce qui est précieux dans la différence » .L’actualité à
propos des migrants a mis en lumière la notion de fraternité. Peut -elle
s’opposer à la loi, peut- elle
contrebalancer le délit de solidarité ? L’émotion est -elle supérieure à la raison ?. Le
conseil constitutionnel s’est prononcé le 6 juillet dernier en faisant entrer
la fraternité dans le bloc de constitutionnalité. Expliquons à partir du cas
concret.
M.Cédric
Herrou est agriculteur dans la vallée de la Roya par où passent de nombreux
migrants (ou clandestins) qui veulent s’installer en France ou poursuivre leur
chemin. M.Herrou a un grand cœur, et il considère que le devoir de tout homme
est d’aider celui qui est dans le besoin et la souffrance, et qu’il doit agir
dans le cadre de la solidarité qui est pour lui l’application du principe de
fraternité, serait- il en infraction avec la loi. C’est le cas car existe une
infraction punie par la loi qui est le délit de solidarité, notamment
prévu par l’article L.622-1 du code de
l’entrée , du séjour des étrangers et du droit d’asile de 1945. Notons que la
loi a évolué depuis la sortie de la
guerre pour atténuer progressivement les conditions du délit et les
pouvoirs publics ont pris la mesure du
phénomène migratoire qui s’amplifie, de la nécessité de préserver la dignité et
l’honneur de ceux qui tentent leurs chances, mais aussi de protéger les
citoyens collectivement , de faire en sorte que notre pays ne soit pas débordé
et que l’aide humanitaire n’entraine
pas des tensions et des difficultés
internes. Chacun connait le débat je n’y insiste pas. Il sera réglé peut être en partie lors des élections
européennes de 2019 où il faudra départager les mondialistes tournés vers
l’accueil, et les nationalistes avec qui
on annexe les populistes ce qui n’est pourtant pas de même nature, qui pensent
qu’il ne faut pas s’ouvrir à tous vents mais qu’il faut réguler et faire des
choix pour conserver notre
identité. C’est aussi un conflit de droit et de légitimité entre ceux qui
privilégient l’homme ou la femme et les enfants quoiqu’il arrive donc l’émotion, et ceux qui ont la
responsabilité de maintenir la cohésion sociale , qui respectent la loi avec discernement bien
sûr et qui se réfèrent à la raison. Comme pour n’importe quel sujet puisque la société est judiciarisée
(comme pour le droit d’expression ou
d’humour-peut -on parler de tout ?) ce sont les tribunaux judiciaires qui
sont chargés de condamner ou non. On critique le pouvoir des juges, mais on les
charge de faire l’arbitre sur ce qu’il y a de plus difficile et conflictuel
dans notre société et de prendre les responsabilités à notre place ! C’est
un paradoxe de plus dans la confusion ambiante.
C’est en
réalité un débat philosophique sur les valeurs, entre la loi qui doit poser un
principe général, qui protège les libertés et définit l’intérêt collectif, et
la solidarité qui ressortit plus de la
conscience individuelle même si l’Etat l’organise au bénéfice des plus démunis
d’entre nous.
M.Herrou avait
été poursuivi et condamné par la cour
d’appel d’Aix-en-provence à 4 mois de prison avec sursis pour avoir transporté environ 200 migrants de la frontière italienne à son
domicile, et d’y avoir créé un centre d’accueil .Ce n’est plus de la compassion
, c’est de l’amour en gros, un quasi métier mais je ne veux pas être cynique ou
condescendant dans une affaire humaine avant tout. Chacun a les ambitions et
l’opinion qu’il veut ! Devant la cour de cassation son excellent avocat Me spinosi avait déposé une question prioritaire de
constitutionnalité (Q.P.C) qui consiste à interroger avant toute décision finale le conseil constitutionnel sur la validité
d’une disposition légale, fut -elle très
ancienne. Selon M.Herrou et son avocat la loi qui existait sur le délit de solidarité bien
qu’aménagée en 1990 et surtout en 2012, était encore floue car elle ne distinguait pas assez
suffisamment l’assistance rémunérée, le trafic des passeurs, et l’assistance désintéressée celle des
indignés, des militants, des engagés…C’était donc le procès émotion contre
raison. Le conseil constitutionnel a donné raison aux demandeurs par décision du 6 juillet 2018 en estimant que la loi ne
conciliait pas suffisamment le principe de fraternité et la sauvegarde de
l’ordre public, malgré l’existence de diverses
exemptions comme la simple aide
juridique, ou des prestations d’ hébergement,
ou des soins médicaux visant à préserver la dignité ou l’intégrité
physique de l’étranger en situation irrégulière , sans aucune contrepartie.
M.Herrou doit donc avoir les moyens de sa générosité ? Le conseil
constitutionnel a considéré qu’il en découlait « la liberté d’aider autrui
dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur
le territoire national ».Ce raisonnement qui détache un droit de tout
fondement légal va-t-il s’appliquer à
d’autres situations ?
On a crié que le délit de solidarité
n’existait plus en fait après cette victoire judiciaire et que
les libertés fondamentales avaient gagnées ,que le législateur devait
s’exécuter immédiatement et supprimer l’infraction. Mais ce
n’est pas entièrement le cas, car
personne ne détient la vérité tout seul fût- il compris par les sages du conseil
constitutionnel, et le législateur essaie de contenter aussi ceux qui ne sont
pas d’accord avec des initiatives personnelles, la loi devant refléter
l’intérêt général. Les parlementaires ont
donc réfléchi pendant les débats en cours et ont intégré le principe fraternité
qui a une portée juridique mais à leur façon.
Dans la loi
votée le 1er août dernier dite « asile et -immigration »
les représentants du peuple n’ont pas aboli le délit de solidarité, qui peut
donc toujours être invoqué par les pouvoirs publics et entrainer des
condamnations. On a voulu éviter un « appel d’air » en laissant à
chacun le droit d’agir selon sa conscience , d’aider et d’accueillir n’importe
quel individu clandestin ,migrant pour
des raisons qui ne lui permettent pas d’avoir le statut de réfugié. La nouvelle
loi a vidé le texte applicable précédemment
de sa substance et permet désormais des gestes forts car elle
exonère « toute personne physique ou morale lorsque l’acte reproché
n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte, et a consisté à
fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux ou
toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire ». On va
donc juger au cas par cas et les condamnations seront plus difficiles.
Attendons la jurisprudence, mais surtout
constatons les conséquences : les migrants ainsi admis sur le
territoire , pourraient considérer être entrés
« régulièrement » dans le pays, et revendiquer des aides
officielles ? Les plus émus s’en féliciteront. Les autres rechigneront. L’empathie pour l‘être humain peut donc se
concilier avec la rigueur de la loi. Dont
acte c’est un progrès, mais le conseil constitutionnel s’est substitué au
législateur donc au peuple français. C’est son droit et l’avenir dira s’il a
bien fait.
Le principe
de fraternité est devenu constitutionnel, comme celui de la continuité de
l’Etat et du service public ; ou le respect de la dignité humaine ;
ou la liberté d’entreprendre ; ou le respect de la vie privée. Les futures
lois devront en tenir compte, comme les tribunaux chargés d’examiner telle ou
telle poursuite. Ce n’est plus le cas « humanité contre Etat » qu’il faut juger. C’est
désormais l’Etat qui a comme exigence consubstantielle celle de respecter
l’homme d’où qu’il vienne, quelque soit sa situation de droit, mais en
conservant le devoir de protéger nos libertés et intérêts vitaux et j’ajoute
nos modes de vie et nos valeurs. Mais c’est une appréciation personnelle. Pour
l’instant je me réjouis que la fraternité soit devenue une valeur
incontournable, que nos rappeurs les plus haineux et violents, que les
terroristes individuels qui jouent du couteau contre un passant, et tous les délinquants petits et grands respecteront, je n’en doute
pas. En 1978 est sorti un film intitulé « et la tendresse
bordel ! ». Désormais on s’ écriera : « et la
fraternité au nom de la loi » !
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