vendredi 28 septembre 2018

Fraternité et/ou solidarité


                            Fraternité et/ou solidarité
             Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local.

Chacun connait la devise de la république liberté, égalité, fraternité qui est un idéal commun(article 2 de la constitution).  Celle de la 5 ème république qui nous régit depuis 1958 renvoie à la déclaration des droits  de l’homme et du citoyen de 1789, c’est-à-dire à l’exercice de droits individuels mais en même temps au respect de devoirs collectifs comme membre d’une nation. Notre société actuelle a tendance à ne voir que la partie avantages personnels, privilèges divers, satisfaction de toute minorité sur tout sujet y compris ceux qui concernent l’homme (ou la femme je fais attention à ne pas les oublier) en général, l’humanisme, le transhumanisme… sans s’apercevoir qu’une majorité qui ne demande rien , puisse être choquée ou que l’on  considère que ceux qui ne sont pas forcément progressistes sont d’affreux conservateurs voire réactionnaires (quand on ne les taxe pas d’être fascistes) et qu’il convient de les vilipender. C’est comme cela que l’on fait le lit du populisme !  mais ce n’est pas mon sujet aujourd’hui .
La liberté c’est le pouvoir d’agir ou de décider sans contrainte, de n’être soumis à aucun maître, de n’avoir à demander la permission à aucune autorité. Cela va très bien au teint du français fier d’être gaulois non réfractaire aux changements mais prudent et de bon sens. Nos libertés individuelles sont protégées par l’autorité judiciaire  et l’état de droit conforte nos libertés publiques. .
L’égalité  qui est l’absence de toute différence de grandeur ou de qualité, est définie par la déclaration de l’homme et du citoyen en son article 1 : tous les hommes naissent égaux en dignité et droits …  On est cependant réaliste : on sait qu’il y en a de « plus égaux » que d’autres, que certains ont des avantages et des passe droits (on l’a vu dans l’affaire dite Benalla le collaborateur désormais licencié de notre président ) et que l’égalité est plutôt un combat qu’un long fleuve tranquille. Par exemple sans être naturellement exhaustif,  les femmes qui se battent pour l’égalité salariale, ou des jeunes des quartiers partis à la dérive qui voudraient avoir une égalité des chances, ou les retraités du privé qui  souhaiteraient avoir les mêmes conditions de retraite que ceux du public…Avec l’égalité on y associe le terme d’équité ce qui démontre qu’il faut nuancer et que tout n’est pas parfait.
La fraternité c’est le lien  moral qui existe dans une fratrie, une famille et plus largement entre les humains qui participent à un même idéal, qui se respectent dans leur diversité,  qui sont tolérants  mais  qui partagent les mêmes valeurs,  et qui  tissent un destin collectif  affectif de paix et de compréhension. La fraternité c’est un sentiment qui dépasse l’égo, qui rassemble. C’est toujours l’article 1 de la déclaration des droits de l’homme : « …tous les êtres humains…sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans  un esprit de fraternité ». Le professeur Albert Jacquard  l’a définie ainsi en 1997 : « la fraternité a pour résultat de diminuer les inégalités tout en préservant ce qui est précieux dans la différence » .L’actualité à propos des migrants a mis en lumière la notion de fraternité. Peut -elle s’opposer à la loi,  peut- elle contrebalancer le délit de solidarité ? L’émotion  est -elle supérieure à la raison ?. Le conseil constitutionnel s’est prononcé le 6 juillet dernier en faisant entrer la fraternité dans le bloc de constitutionnalité. Expliquons à partir du cas concret.
M.Cédric Herrou est agriculteur dans la vallée de la Roya par où passent de nombreux migrants (ou clandestins) qui veulent s’installer en France ou poursuivre leur chemin. M.Herrou a un grand cœur, et il considère que le devoir de tout homme est d’aider celui qui est dans le besoin et la souffrance, et qu’il doit agir dans le cadre de la solidarité qui est pour lui l’application du principe de fraternité, serait- il en infraction avec la loi. C’est le cas car existe une infraction punie par la loi qui est le délit de solidarité, notamment prévu  par l’article L.622-1 du code de l’entrée , du séjour des étrangers et du droit d’asile de 1945. Notons que la loi a évolué  depuis la sortie de la guerre pour atténuer progressivement les conditions du délit  et  les pouvoirs publics ont pris la mesure  du phénomène migratoire qui s’amplifie, de la nécessité de préserver la dignité et l’honneur de ceux qui tentent leurs chances, mais aussi de protéger les citoyens collectivement , de faire en sorte que notre pays ne soit pas débordé et que l’aide humanitaire n’entraine  pas  des tensions et des difficultés internes. Chacun connait le débat je n’y insiste pas. Il sera réglé  peut être en partie lors des élections européennes de 2019 où il faudra départager les mondialistes tournés vers l’accueil,  et les nationalistes avec qui on annexe les populistes ce qui n’est pourtant pas de même nature, qui pensent qu’il ne faut pas s’ouvrir à tous vents mais qu’il faut réguler et faire des choix  pour conserver notre identité.   C’est aussi un conflit de  droit et de légitimité entre ceux qui privilégient l’homme ou la femme et les enfants  quoiqu’il arrive  donc l’émotion, et ceux qui ont la responsabilité de maintenir la cohésion sociale ,  qui respectent la loi avec discernement bien sûr et qui se réfèrent à la raison. Comme pour n’importe quel  sujet puisque la société est judiciarisée (comme pour le  droit d’expression ou d’humour-peut -on parler de tout ?) ce sont les tribunaux judiciaires qui sont chargés de condamner ou non. On critique le pouvoir des juges, mais on les charge de faire l’arbitre sur ce qu’il y a de plus difficile et conflictuel dans notre société et de prendre les responsabilités à notre place ! C’est un paradoxe de plus dans la confusion ambiante.  
C’est en réalité un débat philosophique sur les valeurs, entre la loi qui doit poser un principe général, qui protège les libertés et définit l’intérêt collectif, et la solidarité  qui ressortit plus de la conscience individuelle même si l’Etat l’organise au bénéfice des plus démunis d’entre nous.  
M.Herrou avait  été poursuivi et condamné par la cour d’appel d’Aix-en-provence à 4 mois de prison avec sursis pour avoir transporté  environ  200 migrants de la frontière italienne à son domicile, et d’y avoir créé un centre d’accueil .Ce n’est plus de la compassion , c’est de l’amour en gros, un quasi métier mais je ne veux pas être cynique ou condescendant dans une affaire humaine avant tout. Chacun a les ambitions et l’opinion qu’il veut ! Devant la cour de cassation son excellent  avocat Me spinosi avait  déposé une question prioritaire de constitutionnalité (Q.P.C) qui consiste à interroger avant toute décision  finale le conseil constitutionnel sur la validité d’une disposition  légale, fut -elle très ancienne. Selon M.Herrou et son avocat la loi  qui existait sur le délit de solidarité bien qu’aménagée en 1990 et surtout en 2012, était encore floue  car elle ne distinguait pas assez suffisamment l’assistance rémunérée, le trafic des passeurs,  et l’assistance désintéressée celle des indignés, des militants, des engagés…C’était donc le procès émotion contre raison. Le conseil constitutionnel a donné raison aux demandeurs par  décision  du 6 juillet 2018 en estimant que la loi ne conciliait pas suffisamment le principe de fraternité et la sauvegarde de l’ordre public, malgré  l’existence de diverses exemptions  comme la simple aide juridique, ou des prestations d’ hébergement,  ou des soins médicaux visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de l’étranger en situation irrégulière , sans aucune contrepartie. M.Herrou doit donc avoir les moyens de sa générosité ? Le conseil constitutionnel a considéré qu’il en découlait « la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ».Ce raisonnement qui détache un droit de tout fondement légal  va-t-il s’appliquer à d’autres situations ?
 On a crié que le délit de solidarité n’existait plus en fait après cette victoire judiciaire et   que les libertés fondamentales avaient gagnées ,que le législateur devait s’exécuter immédiatement et supprimer l’infraction.   Mais ce n’est pas entièrement  le cas, car personne ne détient la vérité tout seul  fût- il compris par les sages du conseil constitutionnel, et le législateur essaie de contenter aussi ceux qui ne sont pas d’accord avec des initiatives personnelles, la loi devant refléter l’intérêt général.  Les parlementaires ont donc réfléchi pendant les débats en cours et ont intégré le principe fraternité qui a une portée juridique mais à leur façon.
Dans la loi votée le 1er août dernier dite  «  asile et -immigration » les représentants du peuple n’ont pas aboli le délit de solidarité, qui peut donc toujours être invoqué par les pouvoirs publics et entrainer des condamnations. On a voulu éviter un « appel d’air » en laissant à chacun le droit d’agir selon sa conscience , d’aider et d’accueillir n’importe quel  individu clandestin ,migrant pour des raisons qui ne lui permettent pas d’avoir le statut de réfugié. La nouvelle loi a vidé le texte applicable  précédemment de sa substance et  permet  désormais des gestes forts car elle exonère «  toute personne physique ou morale lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte, et a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire ». On va donc juger au cas par cas et les condamnations seront plus difficiles. Attendons la jurisprudence, mais surtout  constatons les conséquences : les migrants ainsi admis sur le territoire , pourraient considérer être entrés  « régulièrement » dans le pays, et revendiquer des aides officielles ? Les plus émus s’en féliciteront. Les autres rechigneront.  L’empathie pour l‘être humain peut donc se concilier avec la rigueur de la loi.  Dont acte c’est un progrès, mais le conseil constitutionnel s’est substitué au législateur donc au peuple français. C’est son droit et l’avenir dira s’il a bien fait.  
Le principe de fraternité est devenu constitutionnel, comme celui de la continuité de l’Etat et du service public ; ou le respect de la dignité humaine ; ou la liberté d’entreprendre ; ou le respect de la vie privée. Les futures lois devront en tenir compte, comme les tribunaux chargés d’examiner telle ou telle poursuite. Ce n’est plus le cas « humanité  contre Etat » qu’il faut juger. C’est désormais l’Etat qui a comme exigence consubstantielle celle de respecter l’homme d’où qu’il vienne, quelque soit sa situation de droit, mais en conservant le devoir de protéger nos libertés et intérêts vitaux et j’ajoute nos modes de vie et nos valeurs. Mais c’est une appréciation personnelle. Pour l’instant je me réjouis que la fraternité soit devenue une valeur incontournable, que nos rappeurs les plus haineux et violents, que les terroristes individuels qui jouent du couteau contre un passant, et tous les délinquants  petits et grands respecteront, je n’en doute pas. En 1978 est sorti un film intitulé « et la tendresse bordel ! ». Désormais on s’ écriera : « et la fraternité au nom de la loi » !

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