Tomber de charybde en scylla ou le
droit enjeu de pouvoir.
Par
Christian Fremaux avocat honoraire et élu local.
Le
feuilleton benallesque - du
nom de M.Benalla ancien garde du corps
ou organisateur des voyages de M.
Macron - continue de plus belle alors
que la justice est saisie, et devient inquiétant pour les institutions et notre
état de droit, à savoir qui décide de
l’appliquer et comment. Tout justiciable potentiel que chacun d’entre nous est
, s’interroge pour savoir pourquoi on
s’empoigne au plus haut niveau de ceux qui sont élus ou nommés pour gouverner et faire respecter la
loi. A partir du fait divers d’un quidam (M.Benalla) qui par les faveurs du prince
s’est cru tout permis et a participé à
une interpellation musclée de deux manifestants ou badauds du 1er Mai qui insultaient les CRS
et leur avaient jeté des bouteilles ! l’indignation feinte ou
supposée a entrainé une plongée brutale sur la présidence de la
république ,ses méthodes et pratiques : comment un jeunot de 26 ans peut
il se retrouver à ce niveau, bien payé, protégeant le président et ayant divers
avantages matériels ? Comment la sécurité du président de la république
fonctionne- t -elle ? Y a-t-il eu des dysfonctionnements ou des
abus ? Ces questions sont légitimes mais à force de polémiques on peut
aboutir à une embrouille majeure qu’il convient d’expliquer puisque les
institutions sont en jeu.
M.Benella a
été mis en examen, avec son ami du parti Lrem, et des juges d’instruction vont
lui poser toutes les questions utiles. On aurait dû s’en tenir là et laisser
faire les magistrats, sans les influencer ou vouloir leur mettre la pression. La
justice œuvre en secret, ou plutôt
discrètement tant la violation du secret de l‘instruction est devenue un sport national, car les médias
veulent tout savoir immédiatement, à chaud pour faire leur commentaire voire
juger par elles mêmes, ce qui est une déviation de l’état de droit chacun
devant bénéficier de la présomption d’innocence et avoir droit à un procès
contradictoire et équitable avec le respect des droits de la défense. Mais ceci
c’est pour la théorie qui concerne toujours soi, pas celui que l’on veut
accabler et dont on a besoin pour faire le buzz ou de la politique
politicienne, ou pour rassurer le bon peuple. Un match de boxe a donc commencé
et chacun espère le K .0. de l’adversaire. D’un côté Mme Belloubet garde
des sceaux et du droit mais aussi
ministre donc membre de l’exécutif nommé par la volonté de M.Macron
président de la république, qui rappelle que le principe de séparation des
pouvoirs interdit au parlement d’empiéter sur le domaine judiciaire et qui
tente ainsi de protéger le travail des juges d’instruction saisis, et en même temps
de faire en sorte que l’on n’enquête pas sur
la présidence de la république et que l’on vise M.Macron. Elle a raison sur ces principes.
De l’autre côté du ring, on trouve M.Philippe
Bas président de la commission des lois au sénat qui veut faire mieux que la commission des lois de l’assemblée
nationale qui s’est sabordée, et montrer que les sénateurs ont le sens de
l’intérêt général, sont sérieux et restent dans leur rôle de contrôle de l’exécutif, respectent les règles et usages , ne reçoivent d’ordres
ou recommandations de personne, et sont déterminés à faire apparaitre la vérité
sans dépasser leurs prérogatives. Il a raison aussi sur ces principes.
Mais si tout
le monde a raison comment allons nous pouvoir conclure ? Qui va avoir tort
au final, sauf M.Benalla bien sûr ?
La
séparation des pouvoirs est une règle d’organisation des pouvoirs publics élaborée par Montesquieu dans son ouvrage sur l’esprit des lois en 1748 ,norme qui a inspiré la constitution française de 1791 et celle des
Etats unis d’Amériques (checks et balances ou contre pouvoirs).Il s’agit de se
protéger contre la puissance d’un pouvoir qui conduit au despotisme. Il écrit au
chapitre IV : « c’est une expérience éternelle que tout homme
qui a du pouvoir est porté à en abuser… pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir
il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
Il distingue trois pouvoirs : l’exécutif, le législatif, et le judiciaire
.Revenons à l’actualité.
Dans la
constitution de la Vème république votée en 1958 et qui est en cours, il y a
deux pouvoirs : l’exécutif (le président de la république élu depuis 1962
par le suffrage universel et le gouvernement avec les ministres qu’il désigne) ;
et le législatif (le parlement avec les
députés et les sénateurs.) Les juges ne forment pas un pouvoir : ils sont
une simple autorité judiciaire, ce qui explique pourquoi la classe politique
les prend de haut. On n’est pas comme aux USA par exemple où la cour suprême
formée de juges nommés à vie, donc indépendants, donne des leçons et des
injonctions, ou fixe les règles à ne pas dépasser et peut ordonner une
enquête sur quiconque, fût ce le président élu du pays. Où comme dans certains
pays qui ont un état de droit tel que les juges sont tout puissants. Notre
démocratie est libérale mais pour l’instant on demande aux juges de rester où
ils sont , de ne pas empiéter sur le domaine politique, même s’il leur est
permis de faire leur métier et par
exemple de modifier en pratique le cours
d’une élection présidentielle (je pense à F. Fillon qui a renoncé en 2017
et qui n’est pas encore
jugé !).Dans notre état de droit il y a un débat récurrent qui oppose deux
légitimités : celle des élus qui
ont tendance à penser que seuls leurs électeurs peuvent les juger, bien
qu’ils fassent entièrement confiance à la justice de leur pays ; et celle
des juges qui considèrent que tout le monde, élu ou non, puissant ou misérable
est égal devant la loi, et qu’ils ont donc le droit d’enquêter, de poursuivre,
puis de condamner ou de relaxer ceux qui sont passés entre leurs fourches
caudines.
Dans
l’affaire dite Benalla on assiste actuellement à un conflit entre l’exécutif
qui ne souhaite pas que l’on aille plus loin dans l’enquête du sénat et qu’on
laisse la justice faire son travail, et le législatif représenté par les
sénateurs (surtout l’opposition ) qui veut continuer à investiguer pour
connaitre la réalité des faits, tout en respectant la justice sans aborder son
dossier. On fait donc de la dentelle et non pas du découpage de gros. C’est plutôt inédit comme dispute
institutionnelle et c’est surtout subtil en droit. ! Je ne crois
pas que le
citoyen moyen, non sorti de l’e.n.a ou non juriste professionnel comprenne
quelque chose .Il a simplement le
sentiment que l’on dérape et que l’on veut noyer le poisson. Le droit est au
centre du pouvoir et peut servir aux uns à faire chuter les autres. C’est
malsain dans une démocratie.
On est
témoin d’initiatives curieuses : M.Macron a téléphoné à M.Larcher
président du sénat. On ne connait pas la teneur de la conversation qui aurait
porté sur le respect des principes constitutionnels
et la non immixtion des sénateurs dans le fonctionnement de l’Elysée ? Si
c’est vrai , étonnant non ? ce besoin du président de faire la leçon aux
grands élus des communes de France comme s’ils ne connaissaient pas les limites
de leurs pouvoirs . Mme Belloubet
de son côté, en sa qualité de ministre je l’ai dit plus haut, s’est transformée
en conseil juridique de fait de M.Benalla
- qui a un excellent avocat par ailleurs - en rappelant aux sénateurs qu’ils devaient
laisser les juges accomplir leurs missions, et que M.Benalla ne pourrait pas répondre à toutes leurs questions. Ce qui a
incité ce dernier d’abord à ne pas vouloir
se rendre à la convocation de la commission d’enquête puis de changer d’avis,
car il risquait une sanction pour refus de déférer. Devant un juge on
peut se taire et mentir c’est la loi. Devant des parlementaires on doit dire la
« vérité » en prêtant serment
sous peine d’être parjure et d’être poursuivi. M.Benalla devra faire son choix, sachant que
l’on peut dire la vérité partout tout simplement.
Les
sénateurs Lerm ont alors décidé de boycotter leur propre commission
d’enquête : c’est la débandade.
On peut conclure de toutes ces péripéties que
le pouvoir politique ne s’est pas grandi -toutes tendances confondues – dans la
gestion de cette crise qui est devenue institutionnelle et qui va laisser des
traces. La réforme constitutionnelle qui était en cours d’examen en juillet au
moment où l’affaire Benalla a éclaté doit revenir en débats dans les semaines ou
les mois qui viennent, si elle revient ? .Cette réforme était -est-
indispensable pour améliorer le fonctionnement de notre démocratie en donnant les
moyens aux citoyens de donner leur avis entre deux élections, pour
être plus participatifs , pour rendre le parlement plus performant dans ses
missions de contrôle et de propositions… en confortant les institutions de la
Vème république qui sont solides et permettent de résister aux crises, même au
plus haut niveau. Vouloir instituer une
VI ème république n’a pas de sens car tout repose toujours sur l’action des hommes et des femmes, par le
respect de l’intérêt général et le retour vers le futur n’améliorerait rien.
Le droit ne
doit jamais être une variable d’ajustement ni un enjeu de pouvoir sauf à le
discréditer et rendre encore plus
méfiants les citoyens qui ont un amour
mitigé de la justice et des magistrats en général (je pense aux magistrats dits
« rouges » ou partisans ce qui est une infime minorité). On devrait
profiter des polémiques pour rendre justice aux juges et leur conférer le
pouvoir institutionnel que l’on ne veut pas leur accorder de peur que ce soit
eux qui aient le vrai pouvoir. On peut trouver des solutions pour que ce ne
soit pas le cas mais on ne peut être balloté selon les opinions politiques qui
fluctuent dans l’interprétation du droit selon leurs intérêts. Notre démocratie se caractérise par un état de droit qui ne peut fonctionner qu’avec
une justice forte et indépendante, donc des arbitres impartiaux qui appliquent les
lois votées au nom de la majorité du peuple français, et qui garantissent les
droits individuels et la protection des libertés
publiques. Et si M.Benalla bénéficiait d’un non- lieu au-delà de l’aspect moral
de son comportement ?.
La réforme
constitutionnelle qui a été renvoyée peut être aux calendes grecques prévoyait
la suppression de la cour de justice de la république ce qui signifiait que les ministres seraient
devenus des justiciables comme les
autres. On doit avoir confiance dans les juges qui peuvent se tromper bien sûr,
car ils n’ont pas le monopole de la vérité, mais qui tranchent objectivement les litiges. On a le droit de
maudire son juge, mais on ne peut lui faire un procès d’intention.
Si la
réforme de la justice et la clarification des rapports entre les pouvoirs
pouvaient résulter de l’affaire Benalla, on devrait le remercier .Quel paradoxe
,comme quoi avant de crier au scandale
d’Etat il faut tourner sa langue 7 fois
dans sa bouche.
Christianfremaux
.blogspot.fr.
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