lundi 17 septembre 2018

Tomber de charybde en scylla ou le droit enjeu de pouvoir.


Tomber de charybde en scylla ou le droit enjeu de pouvoir.
Par Christian Fremaux avocat honoraire et élu local.
Le feuilleton  benallesque   -  du nom de M.Benalla ancien garde du corps  ou organisateur des voyages  de M. Macron  - continue de plus belle alors que la justice est saisie, et devient inquiétant pour les institutions et notre état de droit,  à savoir qui décide de l’appliquer et comment. Tout justiciable potentiel que chacun d’entre nous est , s’interroge pour savoir pourquoi  on s’empoigne au plus haut niveau de ceux qui sont élus  ou nommés pour gouverner et faire respecter la loi. A partir du fait divers d’un quidam (M.Benalla) qui par les faveurs du prince s’est cru tout permis  et a participé à une interpellation musclée de deux manifestants ou badauds  du 1er Mai qui insultaient les CRS et leur avaient jeté des bouteilles ! l’indignation feinte ou supposée  a entrainé  une plongée brutale sur la présidence de la république ,ses méthodes et pratiques : comment un jeunot de 26 ans peut il se retrouver à ce niveau, bien payé, protégeant le président et ayant divers avantages matériels ? Comment la sécurité du président de la république fonctionne- t -elle ? Y a-t-il eu des dysfonctionnements ou des abus ? Ces questions sont légitimes mais à force de polémiques on peut aboutir à une embrouille majeure qu’il convient d’expliquer puisque les institutions sont en jeu.
M.Benella a été mis en examen, avec son ami du parti Lrem, et des juges d’instruction vont lui poser toutes les questions utiles. On aurait dû s’en tenir là et laisser faire les magistrats, sans les influencer ou vouloir leur mettre la pression. La justice œuvre en secret,  ou plutôt discrètement tant la violation du secret de l‘instruction  est devenue un sport national, car les médias veulent tout savoir immédiatement, à chaud pour faire leur commentaire voire juger par elles mêmes, ce qui est une déviation de l’état de droit chacun devant bénéficier de la présomption d’innocence et avoir droit à un procès contradictoire et équitable avec le respect des droits de la défense. Mais ceci c’est pour la théorie qui concerne toujours soi, pas celui que l’on veut accabler et dont on a besoin pour faire le buzz ou de la politique politicienne, ou pour rassurer le bon peuple. Un match de boxe a donc commencé et chacun espère le K .0. de l’adversaire. D’un côté Mme Belloubet garde des sceaux et du droit mais aussi  ministre donc membre de l’exécutif nommé par la volonté de M.Macron président de la république, qui rappelle que le principe de séparation des pouvoirs interdit au parlement d’empiéter sur le domaine judiciaire et qui tente ainsi de protéger le travail des juges d’instruction saisis, et en même temps de faire en sorte que l’on n’enquête pas sur  la présidence de la république et que l’on vise M.Macron.  Elle a raison sur ces principes.
 De l’autre côté du ring, on trouve M.Philippe Bas président de la commission des lois au sénat qui veut faire mieux  que la commission des lois de l’assemblée nationale qui s’est sabordée, et montrer que les sénateurs ont le sens de l’intérêt général, sont sérieux et restent dans leur  rôle de contrôle de l’exécutif, respectent  les règles et usages , ne reçoivent d’ordres ou recommandations de personne, et sont déterminés à faire apparaitre la vérité sans dépasser leurs prérogatives. Il a raison aussi sur ces principes.  
Mais si tout le monde a raison comment allons nous pouvoir conclure ? Qui va avoir tort au final, sauf M.Benalla bien sûr ?
La séparation des pouvoirs est une règle d’organisation des pouvoirs publics  élaborée  par Montesquieu  dans son ouvrage sur l’esprit des lois  en 1748 ,norme qui a inspiré la  constitution française de 1791 et celle des Etats unis d’Amériques (checks et balances ou contre pouvoirs).Il s’agit de se protéger contre la puissance d’un pouvoir qui conduit au despotisme. Il écrit au chapitre IV : « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser… pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Il distingue trois pouvoirs : l’exécutif, le législatif, et le judiciaire .Revenons à l’actualité.
Dans la constitution de la Vème république votée en 1958 et qui est en cours, il y a deux pouvoirs : l’exécutif (le président de la république élu depuis 1962 par le suffrage universel et le gouvernement avec les ministres qu’il désigne) ; et le législatif  (le parlement avec les députés et les sénateurs.) Les juges ne forment pas un pouvoir : ils sont une simple autorité judiciaire, ce qui explique pourquoi la classe politique les prend de haut. On n’est pas comme aux USA par exemple où la cour suprême formée de juges nommés à vie, donc indépendants, donne des leçons et des injonctions, ou fixe les règles à ne pas dépasser et peut ordonner une enquête sur quiconque, fût ce le président élu du pays. Où comme dans certains pays qui ont un état de droit tel que les juges sont tout puissants. Notre démocratie est libérale mais pour l’instant on demande aux juges de rester où ils sont , de ne pas empiéter sur le domaine politique, même s’il leur est permis de faire leur métier  et par exemple de modifier en pratique  le cours d’une élection présidentielle (je pense à F. Fillon qui a renoncé en 2017 et  qui n’est pas encore jugé !).Dans notre état de droit il y a un débat récurrent qui oppose deux légitimités : celle des élus qui  ont tendance à penser que seuls leurs électeurs peuvent les juger, bien qu’ils fassent entièrement confiance à la justice de leur pays ; et celle des juges qui considèrent que tout le monde, élu ou non, puissant ou misérable est égal devant la loi, et qu’ils ont donc le droit d’enquêter, de poursuivre, puis de condamner ou de relaxer ceux qui sont passés entre leurs fourches caudines.
Dans l’affaire dite Benalla on assiste actuellement à un conflit entre l’exécutif qui ne souhaite pas que l’on aille plus loin dans l’enquête du sénat et qu’on laisse la justice faire son travail, et le législatif représenté par les sénateurs (surtout l’opposition ) qui veut continuer à investiguer pour connaitre la réalité des faits, tout en respectant la justice sans aborder son dossier. On fait donc de la dentelle et non pas du découpage de gros.  C’est plutôt inédit comme  dispute  institutionnelle et c’est surtout subtil en droit.  ! Je ne crois
pas que le citoyen moyen, non sorti de l’e.n.a ou non juriste professionnel comprenne quelque chose .Il a  simplement le sentiment que l’on dérape et que l’on veut noyer le poisson. Le droit est au centre du pouvoir et peut servir aux uns à faire chuter les autres. C’est malsain dans une démocratie.
On est témoin d’initiatives curieuses : M.Macron a téléphoné à M.Larcher président du sénat. On ne connait pas la teneur de la conversation qui aurait porté sur le respect des principes  constitutionnels et la non immixtion des sénateurs dans le fonctionnement de l’Elysée ? Si c’est vrai , étonnant non ? ce besoin du président de faire la leçon aux grands élus des communes de France comme s’ils ne connaissaient pas les limites de leurs pouvoirs . Mme  Belloubet de son côté, en sa qualité de ministre je l’ai dit plus haut, s’est transformée en conseil juridique  de fait de M.Benalla - qui a un excellent avocat par ailleurs - en rappelant aux sénateurs qu’ils devaient laisser les juges accomplir leurs missions, et que M.Benalla ne pourrait pas  répondre à toutes leurs questions. Ce qui a incité ce dernier  d’abord à ne pas vouloir se rendre à la convocation de la commission d’enquête puis de changer d’avis, car il  risquait une sanction pour refus de déférer. Devant un juge on peut se taire et mentir c’est la loi. Devant des parlementaires on doit dire la « vérité » en prêtant serment  sous peine d’être parjure et d’être poursuivi.  M.Benalla devra faire son choix, sachant que l’on peut dire la vérité partout tout simplement. 
Les sénateurs Lerm ont alors décidé de boycotter leur propre commission d’enquête : c’est la débandade.
 On peut conclure de toutes ces péripéties que le pouvoir politique ne s’est pas grandi -toutes tendances confondues – dans la gestion de cette crise qui est devenue institutionnelle et qui va laisser des traces. La réforme constitutionnelle qui était en cours d’examen en juillet au moment où l’affaire Benalla a éclaté doit revenir en débats dans les semaines ou les mois qui viennent, si elle revient ? .Cette réforme était -est- indispensable pour améliorer le fonctionnement de notre démocratie en donnant les moyens aux citoyens de donner leur avis entre deux élections,   pour être plus participatifs , pour rendre le parlement plus performant dans ses missions de contrôle et de propositions… en confortant les institutions de la Vème république qui sont solides et permettent de résister aux crises, même au plus haut niveau.  Vouloir instituer une VI ème république n’a pas de sens car tout repose toujours sur  l’action des hommes et des femmes, par le respect de l’intérêt général et le retour vers le futur n’améliorerait rien.  
Le droit ne doit jamais être une variable d’ajustement ni un enjeu de pouvoir sauf à le discréditer  et rendre encore plus méfiants les citoyens qui  ont un amour mitigé de la justice et des magistrats en général  (je pense aux magistrats dits « rouges » ou partisans ce qui est une infime minorité). On devrait profiter des polémiques pour rendre justice aux juges et leur conférer le pouvoir institutionnel que l’on ne veut pas leur accorder de peur que ce soit eux qui aient le vrai pouvoir. On peut trouver des solutions pour que ce ne soit pas le cas mais on ne peut être balloté selon les opinions politiques qui fluctuent dans l’interprétation du droit selon leurs intérêts.  Notre démocratie se caractérise par un  état de droit qui ne peut fonctionner qu’avec une justice forte et indépendante, donc des arbitres impartiaux qui appliquent les lois votées au nom de la majorité du peuple français, et qui garantissent les droits  individuels et la protection des libertés publiques. Et si M.Benalla bénéficiait d’un non- lieu au-delà de l’aspect moral de son comportement ?.
La réforme constitutionnelle qui a été renvoyée peut être aux calendes grecques prévoyait la suppression de la cour de justice de la république  ce qui signifiait que les ministres seraient devenus des  justiciables comme les autres. On doit avoir confiance dans les juges qui peuvent se tromper bien sûr, car ils n’ont pas le monopole de la vérité, mais qui tranchent  objectivement les litiges. On a le droit de maudire son juge, mais on ne peut lui faire un procès d’intention.
Si la réforme de la justice et la clarification des rapports entre les pouvoirs pouvaient résulter de l’affaire Benalla, on devrait le remercier .Quel paradoxe ,comme quoi  avant de crier au scandale d’Etat il faut  tourner sa langue 7 fois dans sa bouche.
Christianfremaux .blogspot.fr.  


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