La
justice pénale fait-elle l’élection ?
Par Christian
FREMAUX avocat honoraire et élu local.
On dit que les juges excèdent leurs missions et se mêlent
de politique quand c’est un ami qui est concerné ou le candidat que l’on
soutient qui est mis en cause. Est-ce vrai ? On dénonce alors un
gouvernement des juges dont la légitimité est contestée et on fait prévaloir la
supériorité du suffrage universel : est-ce bien raisonnable ? On est
à quelques mois de l’élection présidentielle de 2017 et tout semble s’accélérer
en particulier les mises en examen soit d’une personnalité de premier plan soit de
collaborateurs proches de certains candidats ; certains bénéficient du
statut de témoin assisté (notion de procédure pénale qui permet d’avoir accès au dossier et un
avocat) ce qui ne veut pas dire innocence comme on peut le penser, et s’en
revendiquer à tort. Tout ceci sous l’œil impitoyable des médias qui cherchent
le scoop, insistent sur la mine déconfite des intéressés même si tous estiment
être sereins, n’avoir rien fait de reprochable et avoir pleine confiance dans
la justice de leur pays, en la maudissant in petto.
Chacun connait pourtant le principe de la présomption
d’innocence à savoir que tant qu’un tribunal n’a pas prononcé définitivement la
culpabilité d’une personne poursuivie,
on doit être considéré comme innocent c’est-à-dire de n’avoir pas commis
d’acte délictueux. On revendique ce principe pour soi, pour son camp, mais on
l’ignore pour l’adversaire, pire on le bafoue allégrement et le tribunal des
incompétents, ceux qui ne connaissent pas le dossier mais qui ont glané des
rumeurs, des bouts d’enquête, celui de
l’opinion, se transforme en juge d’un jour et prononce par avance le verdict qu’il souhaite. Ces manipulations
influencent-elles l’électeur, celui qui voit le spectacle et va se déterminer
bien sûr selon ses convictions et les programmes proposés, mais aussi sur la
personnalité des candidats ? La morale domine-t-elle l’éventuelle décision
des juges ?Aucun membre des partis principaux (P.S ;Les
républicains ; le front national ) n’est à l’abri d’une
« affaire » passée ou à venir. Il est donc contre-productif et par
ailleurs inexact de dénoncer un « gouvernement des juges » car pour
que le procureur de la république ouvre une enquête préliminaire ou que des
juges d’instruction instruisent à charge et à décharge (le non-lieu existe et
certains en ont déjà bénéficié) , encore faut-il qu’il y ait une plainte, et
des victimes, ou que des éléments matériels avérés laissent présumer qu’il peut
y avoir infraction.
Le temps judiciaire est long et se heurte au temps
politique qui est court, génère des temps forts, de l’émotion, de la polémique,
de la concurrence, et est enfermé dans des échéances impératives et des délais
légaux ( la précampagne et la campagne avec ses meetings et ses débats ;
le financement ; les sondages) qui se terminent par le vote.
Des soupçonneux s’étonnent que l’on semble s’acharner sur
tel ou tel et que les juges d’instruction redoublent d’ardeur au fur et à
mesure que la compétition électorale avance. Ce sont des méchantes langues car
on ne peut pas s’imaginer -sinon on n’est plus dans un état de droit - que des
juges membres de l’autorité judiciaire veulent s’immiscer dans le choix qui
conduit à exercer le pouvoir exécutif ! Certes les quelques magistrats qui
ont construit-pour rire selon eux et à titre privé-le mur des cons ne peuvent
être taxés d’objectivité à toute épreuve, mais ils sont une minorité. On ne
peut pas, on ne doit pas, tout en n’étant pas naïf, suspecter les juges en
général : ce serait attenter aux institutions qui ont confié à la
magistrature la protection des libertés individuelles. Les juges ont le droit
d’avoir des convictions y compris partisanes, ils sont aussi citoyens. Ce qui
leur est demandé est d’appliquer la loi, votée par les parlementaires, de façon
équitable, objective et de mesurer les conséquences de leurs décisions. Je ne
doute pas que c’est le cas. Ce n’est pas de leur faute si des infractions sont
commises, si des plaintes sont déposées, si des soupçons pèsent sur des
puissants, d’ailleurs conseillés par des avocats compétents et de talent. Dans
le duel judiciaire l’accusation peut mordre la poussière, on l’a vu et c’est
tant mieux : c’est la caractéristique d’une démocratie et d’une justice indépendante. Quand son
champion est blanchi, on adore brusquement les juges !
Personne n’aime devoir passer à la question, être
suspecté et ne pas être cru sur parole. Surtout si l’on exerce ou on a exercé
des fonctions très importantes. Des médias aiment bien les jeux du cirque et
ont besoin d’aveu en direct ou de filmer les affres de l’individu que l’on
présente comme quasi coupable, c’est plus vendeur. Le journaliste professionnel
et digne de ce nom, recoupe ses sources et les faits, ne s’en tient pas à l’apparence et prend des précautions dans son
information, a de la retenue dans ses propos
et attend la décision finale des juges pour conclure. Il doit agir sous
le prisme de la responsabilité. Souvent ce qui est écrit dans le journal ou
diffusé à la télévision est pris pour argent comptant, comme la vérité. Mais ce
n’est souvent que celle du moment, partielle voire partiale. Personne n’est
au-dessus des lois, ni au-dessous d’ailleurs. Les juges non plus qui ne
demandent rien sauf de pouvoir exercer leurs difficiles fonctions en toute
sérénité et avec les moyens que le budget actuel de la justice - scandaleusement
trop bas - leur donne. Si les juges devenaient un pouvoir judiciaire il
faudrait s’interroger sur leur légitimité et leurs responsabilités. C’est un
autre débat .Et relativisons. On a vu des élus condamnés reprendre leurs
activités et se faire réélire : laissons le citoyen décider entre morale
et politique.
Il faudra bien qu’un jour, sans passion, nous débattions
de la place de la justice en général dans notre société ; du caractère inquisitoire (avec juge d’instruction) ou accusatoire (comme dans les pays
anglo-saxons où le procureur doit faire la preuve de ses accusations) de notre
justice pénale. En attendant suivons les péripéties qui concernent le monde
politique et réfléchissons par nous mêmes.
Comme l’hirondelle
la justice ne fera pas le printemps en mai 2017. Mais elle peut couvrir
d’un manteau d’hiver divers postulants à la présidence de la république, ce qui
les entravera dans leurs envolées pour nous convaincre.
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