jeudi 25 février 2016

LA JUSTICE PÉNALE FAIT-ELLE L'ELECTION ?

La justice pénale fait-elle l’élection ?
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local.
On dit que les juges excèdent leurs missions et se mêlent de politique quand c’est un ami qui est concerné ou le candidat que l’on soutient qui est mis en cause. Est-ce vrai ? On dénonce alors un gouvernement des juges dont la légitimité est contestée et on fait prévaloir la supériorité du suffrage universel : est-ce bien raisonnable ? On est à quelques mois de l’élection présidentielle de 2017 et tout semble s’accélérer en particulier les mises en examen soit d’une  personnalité de premier plan soit de collaborateurs proches de certains candidats ; certains bénéficient du statut de témoin assisté (notion de procédure pénale  qui permet d’avoir accès au dossier et un avocat) ce qui ne veut pas dire innocence comme on peut le penser, et s’en revendiquer à tort. Tout ceci sous l’œil impitoyable des médias qui cherchent le scoop, insistent sur la mine déconfite des intéressés même si tous estiment être sereins, n’avoir rien fait de reprochable et avoir pleine confiance dans la justice de leur pays, en la maudissant in petto.
Chacun connait pourtant le principe de la présomption d’innocence à savoir que tant qu’un tribunal n’a pas prononcé définitivement la culpabilité d’une personne poursuivie,  on doit être considéré comme innocent c’est-à-dire de n’avoir pas commis d’acte délictueux. On revendique ce principe pour soi, pour son camp, mais on l’ignore pour l’adversaire, pire on le bafoue allégrement et le tribunal des incompétents, ceux qui ne connaissent pas le dossier mais qui ont glané des rumeurs, des bouts d’enquête,  celui de l’opinion,  se transforme en juge  d’un jour et prononce par avance le  verdict qu’il souhaite. Ces manipulations influencent-elles l’électeur, celui qui voit le spectacle et va se déterminer bien sûr selon ses convictions et les programmes proposés, mais aussi sur la personnalité des candidats ? La morale domine-t-elle l’éventuelle décision des juges ?Aucun membre des partis principaux (P.S ;Les républicains ; le front national ) n’est à l’abri d’une « affaire » passée ou à venir. Il est donc contre-productif et par ailleurs inexact de dénoncer un « gouvernement des juges » car pour que le procureur de la république ouvre une enquête préliminaire ou que des juges d’instruction instruisent à charge et à décharge (le non-lieu existe et certains en ont déjà bénéficié) , encore faut-il qu’il y ait une plainte, et des victimes, ou que des éléments matériels avérés laissent présumer qu’il peut y avoir infraction.
Le temps judiciaire est long et se heurte au temps politique qui est court, génère des temps forts, de l’émotion, de la polémique, de la concurrence, et est enfermé dans des échéances impératives et des délais légaux ( la précampagne et la campagne avec ses meetings et ses débats ; le financement ; les sondages) qui se terminent par le vote.
Des soupçonneux s’étonnent que l’on semble s’acharner sur tel ou tel et que les juges d’instruction redoublent d’ardeur au fur et à mesure que la compétition électorale avance. Ce sont des méchantes langues car on ne peut pas s’imaginer -sinon on n’est plus dans un état de droit - que des juges membres de l’autorité judiciaire veulent s’immiscer dans le choix qui conduit à exercer le pouvoir exécutif ! Certes les quelques magistrats qui ont construit-pour rire selon eux et à titre privé-le mur des cons ne peuvent être taxés d’objectivité à toute épreuve, mais ils sont une minorité. On ne peut pas, on ne doit pas, tout en n’étant pas naïf, suspecter les juges en général : ce serait attenter aux institutions qui ont confié à la magistrature la protection des libertés individuelles. Les juges ont le droit d’avoir des convictions y compris partisanes, ils sont aussi citoyens. Ce qui leur est demandé est d’appliquer la loi, votée par les parlementaires, de façon équitable, objective et de mesurer les conséquences de leurs décisions. Je ne doute pas que c’est le cas. Ce n’est pas de leur faute si des infractions sont commises, si des plaintes sont déposées, si des soupçons pèsent sur des puissants, d’ailleurs conseillés par des avocats compétents et de talent. Dans le duel judiciaire l’accusation peut mordre la poussière, on l’a vu et c’est tant mieux : c’est la caractéristique d’une démocratie  et d’une justice indépendante. Quand son champion est blanchi, on adore brusquement les juges !
Personne n’aime devoir passer à la question, être suspecté et ne pas être cru sur parole. Surtout si l’on exerce ou on a exercé des fonctions très importantes. Des médias aiment bien les jeux du cirque et ont besoin d’aveu en direct ou de filmer les affres de l’individu que l’on présente comme quasi coupable, c’est plus vendeur. Le journaliste professionnel et digne de ce nom, recoupe ses sources et les faits, ne s’en tient pas à l’apparence  et prend des précautions dans son information, a de la retenue dans ses propos  et attend la décision finale des juges pour conclure. Il doit agir sous le prisme de la responsabilité. Souvent ce qui est écrit dans le journal ou diffusé à la télévision est pris pour argent comptant, comme la vérité. Mais ce n’est souvent que celle du moment, partielle voire partiale. Personne n’est au-dessus des lois, ni au-dessous d’ailleurs. Les juges non plus qui ne demandent rien sauf de pouvoir exercer leurs difficiles fonctions en toute sérénité et avec les moyens que le budget actuel de la justice - scandaleusement trop bas - leur donne. Si les juges devenaient un pouvoir judiciaire il faudrait s’interroger sur leur légitimité et leurs responsabilités. C’est un autre débat .Et relativisons. On a vu des élus condamnés reprendre leurs activités et se faire réélire : laissons le citoyen décider entre morale et politique.
Il faudra bien qu’un jour, sans passion, nous débattions de la place de la justice en général dans notre société ; du caractère inquisitoire (avec juge d’instruction) ou accusatoire (comme dans les pays anglo-saxons où le procureur doit faire la preuve de ses accusations) de notre justice pénale. En attendant suivons les péripéties qui concernent le monde politique et réfléchissons par nous mêmes.

Comme l’hirondelle  la justice ne fera pas le printemps en mai 2017. Mais elle peut couvrir d’un manteau d’hiver divers postulants à la présidence de la république, ce qui les entravera dans leurs envolées pour nous convaincre.

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