mardi 21 juin 2022

Le gagnant est le parti de l’abstention.

 

                  Le gagnant est le parti de l’abstention.

                       Par Christian Fremaux avocat honoraire.

 Alors qu’on aspire au repos et à la concorde on s’écharpe ferme et bruyamment après le résultat des élections législatives de juin 2022 puisqu’il n’y a pas de majorité absolue et que l’assemblée va devoir fonctionner de façon inédite. Ce qui revient à accroitre l’importance du parlement face à ce que certains dénonçaient comme un régime présidentiel à la merci de l’élu suprême du suffrage universel qui décide seul de tout. Et désormais réfléchit, suppute, doit trancher pour les 5 ans à venir. La séquence des élections est terminée mais le psychodrame continue alors qu’il faut passer aux choses sérieuses : réformer, faire gagner le plus grand nombre, donner les moyens à l’Etat. Je ne doute pas que des majorités d’idées ou autres se concrétiseront car l’homme/ la femme est ce qu’il est et parfois son intérêt personnel va avec celui de la France. Au détriment de son parti.  Le soir des élections il n’y a que des quasis vainqueurs ou des non battus et chacun se fige dans sa position d’avoir apporté la vérité et être le sauveur. Mais cette fois -ci il y a eu des oubliés : ceux qui n’ont pas participé et qui ont selon les méchants les résultats qu’ils méritent ou ce dont ils ne voulaient pas. Mais si en réalité les abstentionnistes avaient gagné en imposant par leur carence une situation nouvelle qui va obliger les élus à agir autrement, à coopérer au- delà des polémiques politiciennes dont on se lasse ce qui peut expliquer la désaffection des urnes ?

Les abstentionnistes ont été de redoutables tacticiens. Ils ont donné sans l’exprimer une leçon à M. Macron et à ses godillots et ont fait en sorte que les votants éparpillent leurs suffrages pour que personne ne puisse dire : c’est grâce à moi que tout ira bien ! C’est très fort.  Naturellement chacun va partir en vacances avec la promesse que la rentrée notamment sociale sera chaude. Mais depuis le réchauffement climatique avec la canicule qui n’a tari aucune salive c’est brûlant désormais toute l’année pour tout sujet y compris ceux qui déterminent le futur et qui prennent des années avant de produire des effets. A condition que les députés soient efficaces et ne se marquent pas à la culotte comme au foot. Comme des Raminagrobis qui ne dorment que d’un œil les syndicats et les multiples minorités vont se réveiller croyant que leur heure est enfin arrivée puisque le peuple ou la partie prétendument la plus éclairée est au parlement. L’immobilisme et l’abstention risquent de triompher dans la rue. Défiler doit être moins fatigant que d’aller voter et une pancarte qui revendique est plus facile à fabriquer qu’un bulletin à glisser dans l’urne surtout quand on n’aime personne. Et que l’on applique sans le savoir la politique de l’ancien président du conseil M. Henri Queuille : « il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout ».

Qui est responsable de l ’abstention ? La réponse est complexe mais il y a des évidences.

*En priorité ceux qui ne sont pas allés aux urnes pour des raisons personnelles et d’égoïsme comme la pêche ou le barbecue voire la sieste ou l’indifférence pour le pays et les autres citoyens.  Certains se sentent exclus et non entendus à tort ou à raison et ils l’ont fait exprès pour lancer un message négatif. Ils ont cru que l’abstention est un acte positif qui peut faire bouger l’élite dirigeante et médiatique, des présumés privilégiés qui arbitrent dans un entre soi.  Et pour tous ceux qui crient aux extrêmes, aux dangers, et qui ne cessent de jeter les uns contre les autres.  

 La difficulté est de décrypter le message car la réprobation peut être contradictoire : on en a fait de trop pour des catégories sociales ou des minorités et pas assez pour d’autres majoritaires et qui respectent les règles. Par exemple la laïcité est trop ouverte pour les uns et une punition sinon une interdiction pour les autres… 1 français sur 2 soit 26 millions de citoyens potentiels ce qui est gigantesque ne se sent plus concerné par la vie publique.  Mais 2 sur 2 ont des exigences matérielles, sociales, identitaires avec des valeurs universelles républicaines.  Aucun parti politique, aucun leader auto-proclamé n’a reçu mandat du peuple pour transformer le pays en profondeur et lui faire prendre une direction et un mode de vie contraires à ses traditions, à sa grandeur, et ses intérêts.  La tolérance ne peut tout accepter dans l’espace public. Il va falloir poser très vite des règles drastiques du jeu collectif qui s’imposent à la multitude infinie des droits individuels et définir clairement des projets qui font consensus. Quitte à interroger par référendum ou autre moyen directement tous les français. Et ne pas les consulter à travers des comités Théodule avec des citoyens tirés au sort. Sinon pourquoi les parlementaires se décarcasseraient-ils ? Le vote permet de valider ou non. Peut- être que les 26 millions d’invisibles dans les bureaux de vote comprendront ce qu’on attend d’eux et retrouveront le goût de s’exprimer, liberté qui est recherchée dans la plupart des pays du monde. A défaut faute de combattants civiques notre démocratie sombrera. Et il faudra créer le vote obligatoire ce qui pose d’autres problèmes. L’inversion du calendrier électoral a aussi dérouté et on a cru que les jeux étaient faits. A revoir.    

*Puis viennent les professionnels de la politique dont certains en ont fait un métier mais qui ne sont pas encouragés à l’audace ou au courage, ni à la modération dans la dispute publique, ni à la réflexion objective. Certains poussent à la révolte, décrivent ce qu’ils voient avec des lunettes noires et dramatisent tout, comme si la France était le dernier des pays où règnent la misère généralisée, l’injustice, le racisme, la violence institutionnelle, le non -respect des femmes, des genres et des minorités qui sont accablées. Outre des lois liberticides…Des citoyens de bonne foi le croient surtout ceux qui ne bénéficient de rien et sont convaincus d’être des victimes, sans s’interroger sur ce qu’ils font et donnent ou comment ils pourraient plus être actifs.  Pourquoi dès lors aller voter puisque des politiques vous disent qu’il ne faut pas aggraver la casse sociale, qu’il ne faut pas faire confiance à d’autres qu’eux, qu’on les exploite et qu’ils servent de chair à canon ! Comme un enfant le citoyen adulte a besoin d’être motivé et être persuadé. Les politiques en place doivent donner l’espoir, pas décourager. Et tout faire pour éviter le slogan élection piège à électeur.

*Le choix du scrutin n’est pas indifférent entre celui qui est majoritaire à deux tours et en général amplifie la victoire des sortants sauf une crise de dégagisme, et la proportionnelle parée de toutes les vertus alors qu’il y a des effets secondaires en éparpillant les voix. On ne peut inventer un mode de scrutin qui donnera satisfaction à chacun des électeurs. Être dans l’opposition ne veut pas dire être inutile. Face à la majorité indispensable il suffit d’être constructif, d’amender les futures lois qui vont être votées, de contrôler l’action de l’exécutif, de travailler dans les commissions, d’être présent aux séances, de faire entendre sa voix tout en gardant ses convictions. Sans oublier de labourer le terrain pour être au contact des citoyens. Être élu se mérite. Le scrutin s’immisce faussement dans la croyance de l’électeur pour l’abstention même s’il n’est pas la cause principale. On a vu avec les élections de 2022 qu’avec le traditionnel scrutin majoritaire à deux tours trois blocs s’étaient créés. Les extrêmes ont été élus et se feront entendre. L’électeur qui  a voté est satisfait. L’abstentionniste paie sa carence et le fait qu’il est allé aux fraises qui sont de saison.

*Les autres responsables de l’abstention sont nos institutions que tout le monde veut réviser mais pas de la même manière et sans les affaiblir. Il faut un Etat fort chargé des fonctions régaliennes et favorisant par l’état de droit la libération de toutes les initiatives.  Le rôle du président de la république pourra être précisé puisque notre culture n’est pas celle d’un régime entièrement présidentiel. Nous aimons la concertation qui souvent conduit à des compromis acceptables par tous. Avec cependant un vrai chef pour lever toutes les contraintes dont celle de la bureaucratie. Un Etat garant, protecteur, déconcentré, et pas un Etat gérant tout et son contraire. Il faut que le pouvoir soit près du citoyen et la décentralisation doit être étendue. J’aimais bien le cumul député-élu local.  Le citoyen doit adhérer plus et qu’on lui donne souvent la parole. Le conseil économique, social et environnemental rénové et dépoussiéré parait être une bonne solution. On n’a pas besoin de créer un machin de plus. Les comités citoyens me paraissent une fausse bonne idée. En revanche pour satisfaire Montesquieu il est impératif de revaloriser le parlement pour qu’il ne soit pas une chambre d’enregistrement. Donc facilite l’abstention. Lui donner des moyens conséquents permettra aux parlementaires à l’image des élus du Capitole aux Usa d’avoir des pouvoirs étendus, ce qui me parait une bonne solution. Il faudra pour cela peut être réduire le nombre de parlementaires. J’y suis d’autant plus favorable que je ne suis pas député !  

*enfin le dernier responsable de l’abstention c’est moi qui ne vois le parlement que comme un guichet, un distributeur d’avantages et de droits dans mon intérêt peu important le bien commun et la fureur des autres qui ont forcément tort et ne défendent que leurs intérêts de classe. Je vote pour un député que si je suis sûr qu’il m’aidera. Et me donnera raison sous mille justifications que je ne soupçonnais pas. Sinon à quoi bon voter. L’abstention paie plus puisque je ne suis responsable de rien mais je peux critiquer. Et m’estimer perdant. Je veux des résultats sonnants et trébuchants. Un bulletin de vote se monnaye de fait. J’exagère à peine.

Imaginons une hypothèse folle. Et si l’abstention avait été pensée inconsciemment à leur insu de leur plein gré par les 26 millions qui ne se sont pas déplacés pour aboutir à l’éclatement que l’on voit et à la nécessité d’innover sachant que les votants sont des militants le plus souvent ou des intéressés « partiaux » ? Et si elle était un complot de citoyens déserteurs volontaires des urnes pour obliger les parlementaires et la classe politique à s’unir et agir ? Ce serait le hold-up du siècle puisque le civisme ne se décrète pas ? L’avenir nous le dira rapidement. En attendant le parti de l’abstention a gagné.   

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