jeudi 2 juin 2022

Abus de droit, sécurité et responsabilités.

 

                Abus de droit, sécurité et responsabilités.

                     Par Christian FREMAUX avocat honoraire.

On a assisté avec stupéfaction aux débordements brutaux qui ont accompagné samedi 28 mai 2022 la finale de la ligue des champions de football entre Liverpool et le Real Madrid au stade de France.  La France a été sifflée et a pris un carton rouge pour la sécurité publique. Son image a pâli. Il va falloir se rattraper pour l’organisation des prochains grands évènements. L’U.E.F.A. avait choisi en catastrophe Paris pour cette confrontation à la place de Saint- Pétersbourg la Russie étant en guerre, et par précaution justement parce que la France a une réputation de savoir- faire en matière de protection des populations et de maintien de l’ordre : il va falloir le réviser et confirmer. La France est en paix y compris dans les compétitions sportives. Elle est championne toute catégorie des libertés et des droits de l’homme/de la femme. Et désormais concourt dans le camp de la violence tous azimuts pour tout sujet, sur tous les terrains, dans les quartiers et les communes de l’hexagone. C’est le problème de fond.  

L’éminent spécialiste de la sécurité et de la criminologie le professeur Alain Bauer a décrit les grains de sable qui s’étaient accumulés au point de devenir une plage. Elle a été inondée. Le ministre a désigné un peu vite les présumés coupables à savoir surtout les supporters anglais avec la fausse billetterie. On polémique sur les chiffres et on se demande qui ment ? En voyant les images il semble que les responsabilités soient partagées entre l’organisateur la fédération ; le consortium du stade ; Liverpool avec ses billets papiers ; la sécurité publique avec les moyens déployés dont les gaz lacrymogènes ; et l’intervention volontaire bien que non désirée de voyous de toute nature. A propos de ces derniers il ne faut pas en dénier la réalité avec l’insécurité régnante un peu partout sur le territoire. L’occasion fait le larron.    

Admettons- le a minima :  il y a eu un problème d’ordre public aux causes multiples qu’il va falloir analyser à froid pour qu’il ne se reproduise plus. Heureusement il n’y a eu ni blessés graves ni morts, que des frustrés, des volés, et des déçus. Ce qui est déjà beaucoup. Mais l’Etat doit toujours tendre vers le mieux. Laissons prospérer les enquêtes avant de désigner des responsables privés et publics par manque d’anticipation et de réactions (in)appropriées, les forces de l’ordre répondant aux consignes et  à l’action en direct. N’oublions pas de condamner les délinquants reconnus et jugés coupables.   

Mais il y a des limites à la décence qu’il ne faut pas franchir. Parmi les grains de sable qui ont conduit au désordre il y a eu la grève dans le RER B qui a obligé les spectateurs étrangers donc un peu perdus et irrités à venir par le RER D ce qui avec les retards et la configuration des lieux a tout changé en matière d’entrée dans le stade. La grève n’est évidemment pas le fait majeur mais elle a facilité le désordre. Je n’ai pas aimé le communiqué cynique du mardi 31 mai de la CGT qui a considéré que son mouvement du samedi était une « réussite » et qu’elle allait le renouveler pour concrétiser le rapport de forces. Je n’ignore pas la valeur constitutionnelle et symbolique du droit de grève. Celle-ci s’exerce dans le cadre des lois qui la réglementent notamment pour les nécessités de l’ordre public. Sous le contrôle du juge.

Il s’est agi d’un abus de droit car les grévistes des deux entreprises Ratp et Sncf qui exploitent le réseau ne pouvaient méconnaître le fait que si le RER ne fonctionnait pas comme d’habitude il y aurait des conséquences qui n’ont rien à voir avec des revendications sociales. Les usagers ou clients ne sont pas des otages. Vieux débat. Il y a eu la prise volontaire d’un risque énorme en perturbant les acheminements de la foule ce qui fait partie de la sécurité globale à laquelle tout le monde doit coopérer sans s’exonérer pour préserver ou obtenir des avantages corporatifs. La sécurité est l’affaire de tous et est trop sérieuse pour ne la laisser qu’aux professionnels ou à l’Etat ce qui est facile. Le citoyen responsable dans tous ses états doit s’y consacrer. La Cgt aussi.

L’abus de droit est une notion juridique notamment associée à la morale qui permet de sanctionner tout usage d’un bénéfice légal qui dépasse les bornes de ce qui est raisonnable. Par exemple dans le domaine fiscal ; ou le mariage blanc ; ou une clause abusive dans un contrat.  Cicéron dans De Officiis constatait :« l’application excessive du droit conduit à l’injustice ». Il faut savoir user de ses droits avec modération. On ne comprend désormais que les droits individuels. La notion de devoirs qui fondaient la nation a disparu. Tout est prétendument liberticide notamment les lois discutées et votées par nos parlementaires en matière de défense collective, terrorisme ou santé confondus.

J’espère que les élus de juin 2022 seront des législateurs courageux pour concilier droits et devoirs, pour trouver l’équilibre entre les libertés et les restrictions aux fins de protections. On a besoin d’armes légales et d’autorité. Que veut-on face aux menaces ?  La société idéale devrait- elle être sans aucune contrainte dans un état de droit toujours irréprochable quelles que soient les circonstances ; conduisant au bonheur à travers des débats sans fin avec les citoyens tous égaux. Est-ce possible ? Qui décidera au bout ?  L’utopie a conduit Thomas More à perdre sa tête plus vite que la mise en application de ses idées réformatrices en théorie.

En attendant on s’en remettra aux juges qui se prononcent sur les responsabilités. Ils le font en conscience en l’état du droit national et européen qui parfois empêche.Et des valeurs républicaines. Mais chacun sait qu’en démocratie celui qui a le pouvoir c’est le peuple souverain représenté par ses élus et non pas par des autorités diverses. Qui veut des actes.   

M. Jean-Éric Schoettl ancien conseiller d’Etat et secrétaire général du Conseil Constitutionnel a consacré toute sa vie à la défense du droit. Il écrit dans « la Démocratie au péril des prétoires. De l’Etat de droit au gouvernement des juges [éd.le débat] » : « L’Etat de droit ne veut entendre que les raisons d’Antigone et récuse celles de Créon ». « L’absolutisme droits-de-l’hommiste bloque l’intérêt général. L’Etat de droit est devenu fondamentaliste. Le contrôle des différents juges est devenu dogmatique et pointilleux ». M.Schoettl prône le retour des autorités politiques. Encore faut- il qu’elles le veuillent ou le puissent. Le mauvais exemple du foot.  va-t-il conduire à une prise de conscience générale ?.

Quant au match Liverpool-Real Madrid il n’y a eu aucun abus de qualité. Il fut morne. Si un club français avait joué tout aurait changé, parvis inclus. La fête ne se serait pas transformée en défaite. Je galéje bien sûr ! France 0 - Fiasco 1.

 

1 commentaire:

  1. Bien vu, un régal à lire vos commentaires de l’actualité, comme d’habitude, merci maître Frémaux.

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