L’émotion, le droit et la politique.
Par Christian Fremaux avocat honoraire.
L’indignation
spontanée ou réfléchie met à mal des évidences et une société ne peut se
permettre d’être à la merci de groupes de pressions, défendraient-ils des
causes justes. La vérité n’est pas univoque et parfois elle se nourrit
d’injonctions divergentes. Abordons le dossier de M. Abad nouveau ministre assis
sur un siège éjectable qui n’a profité de la joie d’avoir atteint son graal gouvernemental
que pendant quelques heures avant de redescendre de l’échelle plus vite qu’il
n’y était monté. La roche tarpéienne est toujours proche du capitole. Pourtant
son parcours avait été passé au tamis comme tout ministre.
Il faut
tremper sa plume au moins 7 fois dans son encrier si l’on veut parler d’un
sujet grave qui concerne les femmes victimes déclarées surtout quand on est un
homme et qu’on ne veut pas changer de genre et ne pas passer pour un rétrograde
patriarcal et un conservateur l’ennemi honni du progressisme tous azimuts.
C’est la « tolérance » new- look. Heureusement la liberté
d’expression permet de faire connaitre ses opinions. Même celles qui déplaisent
à certaines car on ne peut nier des fondamentaux et s’en remettre à la
subjectivité. Il faut respecter les règles de droit et être prudent à tout
stade des accusations.
L’émotion le
droit et la politique s’excluent -ils ou forment-ils un trio improbable en
repassant le même film ? On a connu le même débat il y a quelques mois à peine
avec un ministre aux fonctions régaliennes que le président de la république a
reconduit en gardant son poste essentiel en matière de sécurité. Sauf erreur, car je commente comme beaucoup à
partir de rumeurs des médias sans avoir accès au dossier ledit ministre avait
été accusé d’agressions sexuelles sinon de viol(s) ? : il y avait eu un
classement sans suite - qui n’est ni un acquittement ni un début de culpabilité
- par le parquet (le procureur de la république) puis réouverture de l’enquête
judiciaire et il semble que le juge d’instruction penche vers un non-lieu ou
l’ait prononcé, sous réserve de recours ? Attendons que la justice décide
définitivement. En attendant bis
repetita avec M. Abad.
Le procureur
auto -proclamé médiatique à savoir l’organe de presse Mediapart a porté le fer
au nom de la transparence et l’absence d’impunité des puissants surtout
politiques qui abusent de leurs fonctions, en indiquant qu’une jeune fille
avait déposé plainte contre la nouvelle excellence pour des faits très
anciens d’agressions sexuelles et de viols qui avaient fait l’objet de deux
classements sans suite. Une potentielle autre victime se réserve pour une
action ? Naturellement ceux qui voient une manœuvre dans le tempo de la révélation - à
savoir la nomination de M. Abad comme ministre alors qu’il était déjà président
du groupe parlementaire LR depuis un certain temps - ne sont que des défenseurs
odieux de l’agresseur, car on savait aux plus hauts niveaux politiques et on
s’est tu. Seul Mediapart est de bonne foi puisqu’il est dans le camp du bien et
qu’il n’a aucune arrière -pensée politique. On le croit !
Désormais la
haute autorité pour la transparence de la vie publique devra ajouter une
enquête encore plus poussée sur la vie privée et notamment judiciaire des
personnalités sachant qu’en l’absence de condamnation formelle le doute ne rend
pas coupable. La juste libération de la parole des femmes blessées dans leurs
corps et leurs vies de tous les jours ne peut cependant être illimitée et entrainer
une présomption d’infractions abjectes avant toutes vérifications des faits et
un début de commencement de preuve. Le ressenti discuté dans le cadre de faits
vécus de façon contradictoire ne peut aboutir à du lynchage médiatique et
transformer des évènements intimes entre deux personnes adultes consentantes ou
non, en une vérité unilatérale. Rappelons les postulats car ils font
polémiques.
Le premier est
que certains estiment que les principes de droit doivent s’effacer devant
l’émotion qui aurait valeur probatoire. Et est imprescriptible. C’est un raisonnement dangereux. Les droits
de la défense protègent et la victime et celui qui doit répondre de ses actes.
On se rappelle la formule qui avait fait scandale à l’époque de M. Laignel
éminent membre du parti socialiste : « vous avez juridiquement tort parce que
vous êtes politiquement minoritaire ». Le fait d’être ministre de surcroit dans
une possible future majorité présidentielle donc supposé « puissant ou protégé »
est-il une circonstance aggravante ou une preuve sur titre contre soi ?
Le deuxième concerne le soupçon qui peut peser
sur tous ceux ou toutes celles qui détiennent un pouvoir : un chef d’entreprise ou un secrétaire général
de syndicat ; un patron de presse ou un rédacteur en chef ; un supérieur de
tout niveau ; un élu… la liste est sans fin outre la famille, le mari sinon
l’épouse…
Le troisième
est le plus important puisqu’il concerne la présomption d’innocence selon
l’article 6 de la C.E.D.H. Toute personne est réputée innocente tant qu’elle
n’a pas été reconnue coupable par un tribunal indépendant après des débats
contradictoires publics où chacun s’exprime et où les magistrats se prononcent
au vu des preuves fournies par les parties.
Il ne faut pas confondre les principes universels avec la morale ou la
volonté de faire un exemple même pour faire progresser un combat vital. Il ne
peut y avoir un ordre moral ou genré. Dans un procès il y a deux mécontents :
la victime putative ou reconnue qui estime que la justice n’a pas été rendue ou
avec faiblesse ; et l’accusé qui considère que le tribunal ne l’a pas compris ou
a fait de lui une victime expiatoire. Ou l’a blanchi avec raison. Mais
tardivement, le mal est fait.
Chacun fait
la même déclaration : « je fais confiance à la justice de mon pays ».
Laissons faire les juges et appliquons l’apostrophe célèbre de mon confrère
l’illustre Me Moro-Giafferi :« chassez l’opinion publique du prétoire,
cette intruse, cette trainée ». L’émotion
et le droit sont compatibles y compris dans le monde politique qui doit donner
l’exemple. Cette opposition ne peut mener qu’à une méfiance renforcée envers
les élites en général. La nature humaine restera ce qu’elle est. Chacun
agira avec sa conscience : les plaignantes, et le ministre
s’il estime spontanément utile de démissionner pour mieux préparer sa
défense selon l’hypocrisie consacrée. Ou si on lui demande gentiment de partir pour
reprendre ses chères études ce qui n'est pas l’application d’un principe de
précaution dévoyé. Soyons cynique : si M.Abad avait le bon goût d’être battu
aux législatives il ne pourrait plus être ministre. Ce qui satisferait
beaucoup de monde sauf l’intéressé qui se dit innocent.
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