samedi 3 décembre 2022

J’ai mal

 

                                                      J’ai mal

                Par Christian FREMAUX avocat honoraire

On a le devoir d’être heureux. Malgré les vicissitudes du quotidien car il y a pire ailleurs et pour d’autres. C’est la période de Noël -si on peut encore employer ce terme sans heurter la laïcité ou la conscience de chacun- où on doit se calmer, réfléchir, prendre des bonnes résolutions et aborder l’année nouvelle avec un autre esprit, celui de tolérance, de raison, et d’unité de la nation. Tout en conservant ses libertés y compris spirituelles qui doivent cependant se fondre dans les valeurs républicaines ou être pour le moins compatibles. Il n’est pas utile de brûler des voitures.

J’ai mal car la guerre de tranchées désormais en Ukraine va se geler. Les ukrainiens souffrent dans leur chair et nous subissons des effets secondaires matériels. Notre petit confort va être touché. Il y a de l’eau dans le gaz cher, l’électricité peut manquer alors que nous avions un parc nucléaire envié dans le monde que nos dirigeants ont démantelé par idéologie et pour faire plaisir à des minorités bruyantes. C’est pourquoi la pythie Greta Thunberg est muette. 

J’ai mal car la violence quotidienne empire. Regarder ou entendre les informations notamment en continu est un calvaire. Et je ne suis pas sur les réseaux sociaux où parait-il la polémique brutale, les menaces de mort, la mise au poteau sont banales. Dire qu’il y a un sentiment d’insécurité est un déni de réalité. On s’aperçoit de la sauvagerie parfois gratuite de jeunes que l’on dit mineurs - donc délinquants potentiels sans vraies craintes d’ordre pénal - pour qui l’autre est un ennemi sur un territoire qui ne lui appartient pas. Ou d’individus plus âgés de toute confession ou origine et niveau social qui passent à l’acte barbare et définitif. On se demande comment c’est possible malgré notre éducation nationale, nos encadrants, les aides de toutes natures, les droits de l’homme qui remplacent la morale et qui permettent à certains de confondre droits et devoirs. Jules Ferry a été gommé par les adeptes prétendument éclairés du wokisme et de la déconstruction. On s’inquiète pour soi, pour sa femme, sa fille, son petit enfant puisque la vie tient à un fil, une mauvaise rencontre, un regard, une pulsion. Les violences intrafamiliales ne cessent de progresser. J’ajoute la violence dans les relations humaines dans tous les milieux professionnels pour tout et presque rien, sans oublier les débats indignes de nos députés à l’assemblée nationale où l’invective, les injures sont monnaie courante. Ils ne sont pas loin d’en venir aux mains. On doit trancher les oreilles et la queue de la corrida parlementaire. Et l’exemplarité bordel !

J’ai mal car je suis sommé de pleurer sur la misère de ceux qui prennent des bateaux en payant fort cher des passeurs crapuleux, qu’il faut secourir en mer. J’ai déjà donné puisque j’ai compati à l’époque pour les boat-people, et par mes impôts je subventionne des ONG qui font le contraire de ce que je souhaite croyant avoir le monopole du cœur. Mais sans avoir de mandat du peuple ni aucune responsabilité d’élus, de représentants légitimes ni de comptes à rendre. Et si on n’approuve pas sous peine de passer pour un raciste pour le moins d’extrême droite accusation que l’on porte quand on ne sait pas quoi dire. Je n’aime pas, et je bénéficie de la présomption d’innocence. On ne maitrise plus rien.

J’ai mal car la planète agoniserait et je continue à rouler dans ma campagne avec mon vieux véhicule d’occasion alimenté au diesel. Je n’ai pas encore obéi aux injonctions gouvernementales en m’endettant pour acheter une voiture électrique neuve livrée dans plusieurs mois. A condition qu’il y ait de l’électricité. Et que les forçats qui travaillent pour extraire le lithium ne se mettent pas en grève à l’image de nos travailleurs. Comme d’habitude pour les fêtes et vacances pour les modestes contrôleurs Sncf qui ont un travail pénible selon eux ou d’autres maltraités des services publics. Ou comme les malheureux exploités de Total Energie. Le dialogue social est spécial dans notre démocratie.

J’ai mal de ne pas partager le postulat des biens pensants donneurs de leçons qui croient que l’homme et la femme sont naturellement bons et que le mauvais ne provient que de la société, des provocations des riches, de l’inégalité structurelle et maintenue volontairement, avec l’Etat totalitaire. Tout ceci devrait se discuter objectivement. La désobéissance civile n’est pas ma tasse de thé. Ni la civique : il faut aller voter. La rue mène à des impasses. 

J’ai mal qu’il n’y ait plus de justice efficace et rapide dont j’ai été et reste un auxiliaire depuis près d’un demi-siècle. Elle ne peut être rendue par soi-même ce n’est pas la vengeance. Je ne partage pas la harangue du magistrat Oswald Baudot qui en 1968 a écrit pour les futurs juges « soyez partiaux : examinez où sont le fort et le faible qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant et sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron… ». La justice doit être équanime et il y a l’équité s’il faut corriger les effets injustes des textes légaux. Suum cuique jus. Je préfère plutôt ce que disait le père de Lacordaire : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Mais je suis pour les libertés dans un état de droit. Encore faut-il des tribunaux performants donc équipés et des magistrats respectés qui appliquent la loi votée sans l’interpréter selon leurs propres convictions. La justice n’est pas devenue un pouvoir à la Montesquieu. L’Etat est encore fondamental. Et défend la collectivité. 

J’ai mal d’avoir mal et de vivre dans un climat anxiogène où l’on se regarde en chien de faïence. Et où il faut se méfier de tout et tous. Le sens de la responsabilité s’érode. La fraternité est un vain mot. On pense d’abord à soi. Nos valeurs républicaines ne sont plus consensuelles et leur universalisme est remis en cause.

J’ai mal car on nous bassine que les pauvres souffrent tandis que les riches s’enrichissent. On doit renforcer la redistribution. L’affirmation est surtout un slogan. Les politiques qui le profèrent n’ont pas à le justifier ni à se l’appliquer. Je m’interroge : suis-je riche ? malgré l’inflation et ma retraite à partir de 65 ans qui est le résultat de dizaines d’années de travail avec plus de 35 heures par semaine ?

J’ai mal mais je suis toujours vivant et optimiste. Je m’en contente et espère que tout ira mieux en 2023. Je dois participer à ce renouveau. On a le devoir d’être heureux.   

8 commentaires:

  1. J’ai mal aussi mais je ne suis pas optimiste cher confrère

    RépondreSupprimer
  2. Mon cher Christian comment ne pas te répondre en connaissant depuis plus de 30 ans ta valeur humaine et professionnelle dans plusieurs continents et que pour qui!! que justice n’est pas qu’un mot mais un engagement à vie amitiés teddy

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. merci cher teddy amitiés et porte toi bien. .C.

      Supprimer
  3. Mon cher Christian
    Merci de tant vanter quelle que soit la situation cet espoir mère d’une liberté créatrice. Tant qu’elle existe, elle l’autorise. Au delà, tout mon respect pour un discours ciselé récusant toute démogagie.

    RépondreSupprimer
  4. Voilà une maladie partagée mon cher Christian.
    Bravo pour cette superbe description des symptômes.
    A quand un docteur Miracle..

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le miracle est comme l'horizon qui recule quand on l'approche.Mais qui sait? CF.

      Supprimer