Qui est pour le désordre ?
Par
Christian Fremaux avocat honoraire.
C’est devenu
paradoxal tant on entend tout et son contraire par ces pré-débats présidentiels.
Les repères politiques classiques volent en éclats. Au-delà de l’étiquette
affichée on ne sait plus bien qui est vraiment de gauche ou ailleurs et qui est
à droite puisque chaque candidat déroule son catalogue de mesures et qu’elles
sont souvent semblables avec des nuances dans la méthode ou les effets. Comme
au patinage artistique il y a des figures imposées pour causes budgétaires
et citoyennes et des figures libres où l’imagination est au pouvoir. Le citoyen
sceptique notera et décidera du vainqueur.
Une
proposition fait cependant l’unanimité : il faut augmenter le Smic entre
1400 euros et 1500 euros selon la majorité des candidats voire plus
s’il faut faire payer les riches notamment les employeurs. On attend de
savoir comment c’est possible avec les sous de qui puisque l’Etat ne peut obliger
les patrons à payer et qu’il doit commencer par ses fonctionnaires. Il y
a aussi des divergences connues. Pendant le débat animé par M. Hanouna, M. Zemmour
a parlé de grand remplacement et M. Mélenchon a évoqué la créolisation. Puis
ils se sont insultés. Bravo à tous les deux en matière d’exemplarité, de modération
et d’éducation eux qui veulent rassembler les français et apaiser les esprits.
Un autre
sujet sensible est abordé curieusement : vivre en paix partout et pour
tous. On parle de sécurité et justice. Dès qu’un candidat dénonce la
délinquance qui grandit et pourrit la vie des braves gens, demande des
sanctions fermes pour l’exemple et que les coupables exécutent leurs peines même
de courte durée et indemnisent les victimes c’est l’indignation de prétendus tolérants
et bien -pensants. Ils vivent souvent hors des quartiers concernés et n’ont
jamais subi aucun préjudice personnel mais ils sont bruyamment outrés que l’on
ne fasse pas confiance à l’individu. Si on ajoute que l’on souhaite que la
justice soit moins laxiste et tienne moins compte de fumeuses excuses
sociologiques, sociales ou raciales, on passe ipso facto dans le camp des
méchants. Mais la société a évolué et le comportement des individus portés
à la violence aussi en se justifiant par leurs libertés. Il va falloir
adapter notre législation et notre philosophie de l’humain à l’état réel de la
société et des conduites individuelles quelles qu’en soient les raisons. L’autorité
n’est pas un gros mot y compris dans la sphère privée et les familles. Le
sentiment d’insécurité est un leurre. L’insécurité est. Les bons sentiments
peuvent tromper.
Dès
l’instant où l’on réclame non de l’idéologie mais du bon sens on s’expose
à être catalogué au moins comme fasciste, comme partisan d’une gouvernance
sans cœur, de vouloir un Etat Léviathan, d’être liberticide en attaquant les
libertés fondamentales. On est taxé d’être extrémiste de droite naturellement puisque
l’extrême gauche est morale de droit et dans le camp de la générosité. On
est du parti « de l’ordre » donc de la contrainte, de la force même
légitime ce qui contrarie ceux qui doivent obéir, les « pauvres » ou
forcément des dominés. Comme si l’électeur qui est d’abord un citoyen ne comprenait
rien et votait bêtement. Il approuve d’ailleurs majoritairement les restrictions
collectives. JJ. Rousseau écartait les faits quand ils ne collaient pas avec
ses affirmations et raisonnements.
Par
opposition y aurait-il donc un parti du « désordre » le camp du bien,
qui serait composé par les libertaires, tous ceux qui sont contre quelque
chose, qui combattent l’Etat qui pourtant leur garantit leurs libertés, qui
n’acceptent la loi que si elle les arrange, qui ne voient aucune
limite aux libertés individuelles et aux demandes des minorités, heurteraient-elles
le plus grand nombre et seraient-elles contraires à l’intérêt général et
qui décrètent qu’ils savent, qu’ils ont raison ?
La question
est de savoir où mettre le curseur entre les nécessités de l’ordre public qui
protège et le respect des libertés de toute nature. Il ne s’agit pas de
sacrifier les droits au profit de devoirs et d’affaiblir les principes
universels de la république. Nous sommes dans un état de droit avec des
élections à tout niveau politique comme professionnel, des comités
citoyens pour tout problème, des recours possibles contre toute décision publique,
un conseil constitutionnel et de nombreux tribunaux même si ceux- ci ont
quelque peu perdu la confiance des justiciables pour diverses considérations. Notre
démocratie fonctionne même si on peut encore y améliorer la participation
citoyenne. Rien ne laisse présager et nos institutions sont solides à cet égard
que l’on se dirige vers un régime sanitaire ou autre totalitaire. Certes l’état
d’urgence et les lois votés après les attentats de 2015 ont été plus ou moins intégrés
dans le droit commun. Certes encore en raison du virus des mesures exceptionnelles
ont été prises dans notre arsenal juridique. Il faudra les démanteler dès
la fin de l’épidémie.
Mais ces circonstances conjoncturelles ne
caractérisent pas la volonté de nos politiques quelques soient leurs camps d’en
venir à un gouvernement à poigne pour ne pas écrire réactionnaire ou
autoritaire voire dictatorial selon les adeptes du grand soir. Qui y
aurait intérêt ? Pas le peuple évidemment même s’il est actuellement
excédé. Avec son bulletin de vote le citoyen recherche la tranquillité y
compris d’esprit. La chienlit ne la favorise pas. La souveraineté populaire a
besoin de stabilité et de débats publics sereins.
Le parti de
l’ordre a existé en 1848 sous la 2ème république avec Adolphe Thiers,
Odilon Barrot, Alexis de Tocqueville. Leur slogan était « ordre,
propriété, religion » et ils voulaient le retour de la monarchie. Ils ont été
battus puis ont disparu politiquement. Personne ne mène plus ces combats
car la société de 2022 a d’autres préoccupations. Il est donc ridicule
d’insulter un adversaire en l’accusant d’être un candidat d’ordre ce qui
sous-entend qu’il est dangereux. N’est pas « Big Brother » qui veut. A rebours tout candidat qui ne se préoccuperait
pas de ce sujet régalien ou qui serait dans le déni ou avec des explications alambiquées
serait défaillant au-delà des autres difficultés urgentes à traiter et résoudre.