Et si Sisyphe était heureux ?
Par Christian Fremaux avocat
honoraire.
Si on écoute les beaux parleurs, on ne sait
plus où l’on habite, avec qui et ce qu’il faut faire. Je prends un
exemple limité. Deux tendances aussi
néfastes l’une que l’autre co-habitent et leurs défenseurs ajoutent à la
confusion du débat public. Dans les deux cas on prône l’immobilisme, et il
n’est même pas moins 5 mais minuit (docteur Schweitzer !).
D’un côté les «collapsologues » les
plus radicaux qui prédisent la fin de l’histoire civilisationnelle, de la
planète et donc des humains avec leurs défauts, estiment que tout est joué et
que quoique l’on fasse c’est trop tard. Il faut attendre le désastre et la
disparition de l’humanité, ou tout détruire maintenant de l’organisation sociale
aux institutions pour que renaisse une humanité meilleure et plus éclairée et
que l’homme devienne bon dans une nature abondante. L’homme aurait creusé lui
-même sa tombe. Même en interdisant aux vaches d’émettre du méthane, d’exiger
pour l’homme qu’il ne mange plus de viande mais de l’herbe et de rendre impossible
de venir en voiture roulant au diesel au centre des villes, on ne pourra pas
juguler la pollution qui tue ni le
réchauffement climatique et les ressources naturelles sont épuisées. C’est fort
dans le discours. La pythie adolescente Greta Thunberg qui on le sait a une expérience
inouïe de la vie, énonce dans sa langue harmonieuse que je ne comprends pas que
c’est de la responsabilité des générations adultes au pouvoir si les futures
n’auront pas la vie de leurs grands- parents et parents. Mais qui vont quand même
laisser une société qui produit des ressources et des améliorations pour
l’ensemble. On a pourtant connu pire dans le passé. On a essayé de force tous
les .ismes, le fascisme, le nazisme, le marxisme et le communisme et aussi le
maoïsme, outre les totalitarismes sous versions multiples ce qui n’était
évidemment pas mieux. On lit sur le visage gracile de la « jeanne d’arc » de
la nature la fureur qui l’anime, contre le capitalisme et le mondialisme et le
populisme, avec la haine contre ceux qui ne pensent pas comme elle. Elle détient
la connaissance, elle est venue, elle a vu et s’est étouffée de rage. On sait
qu’il y 50 nuances de vert plus ou moins punitif : mais elle incarne le
vert-rouge écarlate qui conduit à la mort. J’ai peur car on ne pourrait plus
rien faire sauf subir la fin.
Personnellement
je ne me sens pas responsable de mes
grands-parents qui ont survécu aux deux guerres mondiales, ni de mes parents
qui ont essayé après 1945 de rebâtir une France unie dans la décolonisation , généreuse avec celui qui venait d’ailleurs,
solidaire entre les citoyens avec de grands desseins nationaux , qui portait une parole
universelle et une démocratie avec une république qui fonctionnait , des
institutions solides ,et qui a plutôt
réussi malgré des imperfections inhérentes à toute société dont nulle n’est
parfaite .Je ne les accable pas, et ne reproche pas à la génération qui m’a
précédé de n’avoir pas fait suffisamment .Je me regarde dans la glace et j’assume.
Je ne m’estime pas comptable ce que qui se
passera à l’horizon 2030/2050 voire 2100 !-qui sait d’ailleurs où on en
sera ?- car je fais confiance à l’Homme et pas à la providence
comme aurait écrit Voltaire, pour s’adapter, trouver les solutions techniques et humaines pour
continuer l’aventure de l’humanité dont
personne au passage ne définit son contenu. Je crois que la vie est un risque
depuis toujours, qu’il ne faut pas l’ignorer mais le prendre à bras le
corps pour trouver des réponses. J’aurai fait ce que j’ai pu avec mes
moyens ; j’aurai participé à mon niveau notamment en matière
civique ; je laisserai une situation la plus saine possible même si
elle n’est pas parfaite, et la génération qui me suit devra faire mieux que moi
et rendre des comptes à ses enfants. Je ne peux avoir une responsabilité
éternelle. Je ne me repends pas ; je n’avoue rien ; je suis ce que
j’étais en souhaitant faire plaisir à ceux que j’aime et leur donner les outils
pour réussir. Je ne suis pas un coupable putatif. Je n’ai sacrifié ni les jeunes présents ni
leurs successeurs. Je redonne ce que
j’ai reçu avec des intérêts, et je
transmets tout sauf mes erreurs.
La globalisation est passée par là, certains
croyant que le progrès- mantra ou panacée – règle tous les problèmes et
est infini : on voit bien qu’il peut être aussi un leurre. Les
peuples ont évolué et les besoins aussi. La nature est ce qu’elle est,
il faut la protéger mais pas la sanctuariser. Elle a une force vitale
qui complète celles de l’homme qui pense.
Ma génération de baby-boomers a globalement
profité d’une situation favorable et mai 68 a fait changer de paradigme pour le
bon et le moins bon dont on paie encore les conséquences sur certains sujets
aujourd’hui. L’individu est devenu roi, il n’a plus de devoirs, et ce
qu’il croit est la vérité. L’Etat
s’est racorni dans ses prérogatives mais doit être présent et efficace quand on
l’appelle au secours la crise sanitaire nous le démontre. Il ne dirige plus
mais distribue des droits, n’a plus de visions à long terme et flotte au
milieu des injonctions contradictoires. L’autorité est un gros mot mais vide de
sens : on ne punit plus on éduque, on ne fait plus respecter l’ordre
public et la loi qui ne sont compris qu’au service de celui qui les revendique
pour lui. Les fonctions régaliennes ont été reléguées au magasin des accessoires
car il ne faut faire de la peine à personne, et dire non est devenu impossible
pour chaque revendication, minoritaire en particulier. Dont acte. Les
défaitistes ou déclinologues ont de la matière pour alimenter leur pessimisme. L’immobilisme
conduit à la perte et détruit la confiance.
De l’autre côté et les remarques sont plus
rapides restent ceux que l’on qualifie péjorativement de « conservateurs »,
ceux qui pensent que malgré tout avant c’était au moins aussi bien, plus
apaisé, plus uni, et qui ramènent tout à l’identité du peuple valeur certes fondamentale,
et qui sont partisans d’un repli dans le cadre national, la nation étant la
structure essentielle ce que je crois. Ils ont cru à la science et à la
raison qui domine l’émotion et l’empathie. Je partage avec eux le rejet du
wokisme, de l’écriture inclusive, de la racialisation, de l’intersectionnalité,
de la repentance et j’en passe en paraphrasant la formule de Clémenceau à
propos de la révolution française : la France est un bloc avec son histoire,
ses défauts et ses qualités, et elle demeure un modèle universel comme grande
puissance qui doit retrouver son vrai rang. Encore faut-il aussi convaincre
ceux de l’intérieur qui contestent les valeurs républicaines, l’art de vivre
à la française, ses traditions et qui souhaitent plus se séparer de la
collectivité ou imposer leurs croyances que de former une union dans la
diversité. Il n’est pas ringard ou illégitime de vouloir rester ce que nous
sommes. On ne demande pas au pouvoir de faire notre bonheur malgré nous :
on lui demande de consolider ce qui a fait ses preuves, et de réformer ce qui a
besoin de l’être. Personne ne détient la clef de l’avenir et on ne peut donner
de leçons à ceux qui hésitent. Il faut donc continuer sans rien renier
voire revenir en arrière. Lesdits
conservateurs sont donc comme les collapsologues mais pour des raisons
diamétralement opposées, plutôt adeptes de l’immobilisme.
Au-delà des
propositions techniques concrètes qui vont fleurir dans la campagne
présidentielle, il va falloir choisir notre modèle de vie pour les années qui
viennent. Il ne faut annoncer ni drame ni statu quo. Malgré les contingences Il faut
agir à la recherche du meilleur que l’on appelle bonheur comme Saint- Just en
son temps y aspirait. La critique doit s’accompagner de faits précis et
de solutions faisables. L’apocalypse et
la déconstruction ou le sur-place mènent à la ruine. Il faut trouver la
voie médiane et travailler tous continuellement et être optimiste. Comme l’a
clamé Albert Camus imaginons Sisyphe
heureux lorsqu’il remonte inlassablement son rocher
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