mercredi 10 novembre 2021

Et si Sisyphe était heureux?

 

                       

                         Et si Sisyphe était heureux ?

         Par Christian Fremaux avocat honoraire.

 Si on écoute les beaux parleurs, on ne sait plus où l’on habite, avec qui et ce qu’il faut faire. Je prends un exemple limité.  Deux tendances aussi néfastes l’une que l’autre co-habitent et leurs défenseurs ajoutent à la confusion du débat public. Dans les deux cas on prône l’immobilisme, et il n’est même pas moins 5 mais minuit (docteur Schweitzer !).  

 D’un côté les «collapsologues » les plus radicaux qui prédisent la fin de l’histoire civilisationnelle, de la planète et donc des humains avec leurs défauts, estiment que tout est joué et que quoique l’on fasse c’est trop tard. Il faut attendre le désastre et la disparition de l’humanité, ou tout détruire maintenant de l’organisation sociale aux institutions pour que renaisse une humanité meilleure et plus éclairée et que l’homme devienne bon dans une nature abondante. L’homme aurait creusé lui -même sa tombe. Même en interdisant aux vaches d’émettre du méthane, d’exiger pour l’homme qu’il ne mange plus de viande mais de l’herbe et de rendre impossible de venir en voiture roulant au diesel au centre des villes, on ne pourra pas juguler la pollution qui  tue ni le réchauffement climatique et les ressources naturelles sont épuisées. C’est fort dans le discours. La pythie adolescente Greta Thunberg qui on le sait a une expérience inouïe de la vie, énonce dans sa langue harmonieuse que je ne comprends pas que c’est de la responsabilité des générations adultes au pouvoir si les futures n’auront pas la vie de leurs grands- parents et parents. Mais qui vont quand même laisser une société qui produit des ressources et des améliorations pour l’ensemble. On a pourtant connu pire dans le passé. On a essayé de force tous les .ismes, le fascisme, le nazisme, le marxisme et le communisme et aussi le maoïsme, outre les totalitarismes sous versions multiples ce qui n’était évidemment pas mieux. On lit sur le visage gracile de la « jeanne d’arc » de la nature la fureur qui l’anime, contre le capitalisme et le mondialisme et le populisme, avec la haine contre ceux qui ne pensent pas comme elle. Elle détient la connaissance, elle est venue, elle a vu et s’est étouffée de rage. On sait qu’il y 50 nuances de vert plus ou moins punitif : mais elle incarne le vert-rouge écarlate qui conduit à la mort. J’ai peur car on ne pourrait plus rien faire sauf subir la fin.

 Personnellement je ne me sens pas  responsable de mes grands-parents qui ont survécu aux deux guerres mondiales, ni de mes parents qui ont essayé après 1945 de rebâtir une France unie dans la décolonisation ,  généreuse avec celui qui venait d’ailleurs, solidaire entre les citoyens avec de grands desseins  nationaux , qui portait une parole universelle et une démocratie avec une république qui fonctionnait , des institutions solides  ,et qui a plutôt réussi malgré des imperfections inhérentes à toute société dont nulle n’est parfaite .Je ne les accable pas, et ne  reproche pas à la génération qui m’a précédé de n’avoir pas fait suffisamment .Je me regarde dans la glace et j’assume.

 Je ne m’estime pas comptable ce que qui se passera à l’horizon 2030/2050 voire 2100 !-qui sait d’ailleurs où on en sera ?- car je fais confiance à l’Homme et pas à  la providence comme aurait écrit Voltaire, pour s’adapter, trouver  les solutions techniques et humaines pour continuer l’aventure de l’humanité  dont personne au passage ne définit son contenu. Je crois que la vie est un risque depuis toujours, qu’il ne faut pas l’ignorer mais le prendre à bras le corps pour trouver des réponses. J’aurai fait ce que j’ai pu avec mes moyens ; j’aurai participé à mon niveau notamment en matière civique ; je laisserai une situation la plus saine possible même si elle n’est pas parfaite, et la génération qui me suit devra faire mieux que moi et rendre des comptes à ses enfants. Je ne peux avoir une responsabilité éternelle. Je ne me repends pas ; je n’avoue rien ; je suis ce que j’étais en souhaitant faire plaisir à ceux que j’aime et leur donner les outils pour réussir.  Je ne suis pas un coupable putatif.  Je n’ai sacrifié ni les jeunes présents ni leurs successeurs.  Je redonne ce que j’ai  reçu avec des intérêts, et je transmets tout sauf mes erreurs. 

 La globalisation est passée par là, certains croyant que le progrès- mantra ou panacée – règle tous les problèmes et est infini : on voit bien qu’il peut être aussi un leurre. Les peuples ont évolué et les besoins aussi. La nature est ce qu’elle est, il faut la protéger mais pas la sanctuariser. Elle a une force vitale qui complète celles de l’homme qui pense.  

 Ma génération de baby-boomers a globalement profité d’une situation favorable et mai 68 a fait changer de paradigme pour le bon et le moins bon dont on paie encore les conséquences sur certains sujets aujourd’hui. L’individu est devenu roi, il n’a plus de devoirs, et ce qu’il croit est la vérité.  L’Etat s’est racorni dans ses prérogatives mais doit être présent et efficace quand on l’appelle au secours la crise sanitaire nous le démontre. Il ne dirige plus mais distribue des droits, n’a plus de visions à long terme et flotte au milieu des injonctions contradictoires. L’autorité est un gros mot mais vide de sens : on ne punit plus on éduque, on ne fait plus respecter l’ordre public et la loi qui ne sont compris qu’au service de celui qui les revendique pour lui. Les fonctions régaliennes ont été reléguées au magasin des accessoires car il ne faut faire de la peine à personne, et dire non est devenu impossible pour chaque revendication, minoritaire en particulier. Dont acte. Les défaitistes ou déclinologues ont de la matière pour alimenter leur pessimisme. L’immobilisme conduit à la perte et détruit la confiance.

 De l’autre côté et les remarques sont plus rapides restent ceux que l’on qualifie péjorativement de « conservateurs », ceux qui pensent que malgré tout avant c’était au moins aussi bien, plus apaisé, plus uni, et qui ramènent tout à l’identité du peuple valeur certes fondamentale, et qui sont partisans d’un repli dans le cadre national, la nation étant la structure essentielle ce que je crois. Ils ont cru à la science et à la raison qui domine l’émotion et l’empathie. Je partage avec eux le rejet du wokisme, de l’écriture inclusive, de la racialisation, de l’intersectionnalité, de la repentance et j’en passe en paraphrasant la formule de Clémenceau à propos de la révolution française : la France est un bloc avec son histoire, ses défauts et ses qualités, et elle demeure un modèle universel comme grande puissance qui doit retrouver son vrai rang. Encore faut-il aussi convaincre ceux de l’intérieur qui contestent les valeurs républicaines, l’art de vivre à la française, ses traditions et qui souhaitent plus se séparer de la collectivité ou imposer leurs croyances que de former une union dans la diversité. Il n’est pas ringard ou illégitime de vouloir rester ce que nous sommes. On ne demande pas au pouvoir de faire notre bonheur malgré nous : on lui demande de consolider ce qui a fait ses preuves, et de réformer ce qui a besoin de l’être. Personne ne détient la clef de l’avenir et on ne peut donner de leçons à ceux qui hésitent. Il faut donc continuer sans rien renier voire revenir en arrière.  Lesdits conservateurs sont donc comme les collapsologues mais pour des raisons diamétralement opposées, plutôt adeptes de l’immobilisme.   

Au-delà des propositions techniques concrètes qui vont fleurir dans la campagne présidentielle, il va falloir choisir notre modèle de vie pour les années qui viennent. Il ne faut annoncer ni drame ni statu quo. Malgré les contingences Il faut agir à la recherche du meilleur que l’on appelle bonheur comme Saint- Just en son temps y aspirait.  La critique doit s’accompagner de faits précis et de solutions faisables.  L’apocalypse et la déconstruction ou le sur-place mènent à la ruine. Il faut trouver la voie médiane et travailler tous continuellement et être optimiste. Comme l’a clamé Albert Camus  imaginons Sisyphe heureux lorsqu’il remonte inlassablement son rocher        

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