La loi à l’assaut du virus.
par
christian Fremaux avocat honoraire.
Soyons
paradoxal et léger, on n’est pas à une élucubration près par ces temps
incertains où les scientifiques se disputent tandis que les politiques
naviguent à la godille plutôt bien de mon point de vue, ni à une information
qui n’a ni vraie queue ni tête comme le danger invisible, car le droit n’est
pas la préoccupation première des gens inquiets. Et pourtant !
Pour que le
virus disparaisse on doit stopper sa prorogation c’est-à-dire contraindre au
confinement. Il faut donc appliquer les principes légaux que l’on a modifié
dans beaucoup de domaines (comme par exemple pour les copropriétés en reportant
la tenue des Ag en rappelant que l’on n’efface pas le paiement des charges mais
que l’on peut les échelonner, ou en matière d’entreprises avec les diverses
déclarations légales, Ag, réunions des instances représentatives, gestion des sites
fermés, productions ralenties et chômage partiel…). Mais pour être spectaculaire on a surtout durci
le respect dû aux consignes gouvernementales liées au confinement par des
amendes fortes et de possibles peines de prison. La loi est donc devenue un
médicament qui participe à la guérison. CQFD.
Dans l’intérêt des malades qui s’ignorent on a
d’abord parié sur le sérieux des citoyens, leur civisme, et leur discipline spontanée
pour suivre les recommandations gouvernementales. On a été vite déçu, et il a
fallu que le parlement vote en urgence des lois qui permettent de sanctionner
ceux qui ne respectent rien, interprètent les textes et les conseils de
précaution, rédigent n’importe comment les attestations de déplacement
dérogatoires selon leurs bons vouloirs pour tourner l’obligation de rester chez
soi, ou refusent de les remplir car ils estiment qu’eux ne craignent pas même
une peccadille la mort ou la souffrance étant pour les autres , qu’ils ne
peuvent transmettre la maladie et ne tolèrent pas qu’on les prive de leurs
petits plaisirs. Il y a toujours des prétendus plus forts et égoïstes que
d’autres qui n’acceptent aucune contrainte même minime, défient tout le monde, mais
sont les premiers à demander de l’aide et de la solidarité s’ils sont atteints
dans leur intégrité ou ont besoin de quelque chose. C’est la nature humaine les
épreuves n’y changent rien. Je n’ai jamais partagé l’opinion belle mais
utopique de Rousseau qui pensait que l’homme est né bon et que la société le
pervertit. Je crois au contraire que si l’homme a des droits individuels qu’il
peut revendiquer et exercer effectivement quitte à les faire confirmer et
protéger par la justice, c’est parce que la société qui défend l’intérêt
général a aussi des droits collectifs et des valeurs égales à ceux de
l’individu, et est organisée pour faire respecter les devoirs qu’ils soient
personnels ou concernent l’ensemble des membres de la nation qui dépasse la
somme des intérêts particuliers. La république c’est un équilibre et la balance
ne penche pas d’un seul côté.
D’où notamment le rôle pénal des tribunaux qui
arbitrent entre les justifications subjectives forcément bonnes de ceux qui
sont poursuivis, et la loi qui reflète l’avis de la majorité des citoyens, qui est
objective et générale et qui a pour but de vérifier les comportements, de fixer
les limites du bien et du mal au sens commun du terme sans faire un cours de
philosophie ou de morale, et de peser les conséquences de toute nature en cas
d’infraction ou d’abus y compris de droits .Tout en individualisant la sanction
au cas par cas. Il ne s’agit pas de faire des exemples. Il convient de voir si
les principes posés par la loi – à tort ou à raison, de façon juste ou non- ont
été respectés ou pas, et de mesurer le préjudice subi par la victime qui peut
être la société tout entière.
Examinons sans
exhaustivité car tout évolue chaque jour, les principales dispositions de l’arsenal
juridique voté de façon supplémentaire à ce qui existe, puisque quand on est en guerre il faut des armes
pour l’exécutif et ses représentants, les préfets les magistrats et les forces de l’ordre, pour tenter de faire fonctionner le pays, pour ne pas
ajouter aux drames humains une catastrophe économique .Et aussi pour avertir voire faire peur à titre
préventif car le but n’est pas de faire du chiffre ou de remplir encore un peu
plus les prisons d’autant plus que l’on
essaie de les vider pour les détenus en
fins de peine ( ce qui ne plait pas à ceux qui les ont arrêtés ou jugés et aux
victimes on le comprend ) en raison… du confinement obligatoire qui peut
conduire à des contagions !
Il s’agit cependant de ne pas hésiter à réprimer
car en temps de guerre on ne peut se permettre d’être laxiste. J’ajoute qu’en
temps de paix non plus, car si on n’avait pas relâché plus ou moins
la pression sous des principes divers humanistes et prétendus tels ou
intellectuels, ou sociologiques ou culturels pour ne pas écrire cultuels, ou financiers
(on n’a pas de budget en rien, ni pour
construire des prisons modernes ou suivre et former tous ceux qui ont commis
des erreurs et que l’on doit réinsérer, ni pour mettre au niveau
l’hôpital public en asphyxie depuis des mois ), peut- être aurait -on plus
de civisme et de soutien à l’intérêt général. Mais c’est une autre histoire
comme aurait dit Rudyard kipling que l’on s’inventera plus tard quand on tirera
les leçons de la crise sanitaire qui remet en cause notre rapport au
monde, à nos territoires oubliés ou
méprisés (mais peuplés et vivants) qui produisent l’alimentation et protègent
la nature ; aux zones de non- droit ,
à notre solidarité nationale, à nos devoirs individuels, à la
mondialisation et à nos systèmes de production et industriels ; au sens du travail et du
respect des « petites mains » (que l’on applaudit à 20 heures)
au- delà du télé- travail, des
plateformes et de l’internet ; des prétendus progrès pour augmenter l’homme ou faire plaisir à des
minorités remuantes ; du choix de nos intérêts vitaux et du service public…
Nous sommes
donc conformément à l’article L.3131-1 du code de la santé publique dans un état d’urgence sanitaire (selon la loi du 3
avril 1955) pendant deux mois, délai prorogeable par une loi ultérieure. Les
mesures générales que le gouvernement a pu modifier concernent « les
libertés d’aller et venir, d’entreprendre, de se réunir, de fermeture
d’établissements, de réquisitions… elles doivent être strictement proportionnés
aux risques sanitaires encourus et appropriés aux circonstances de temps et de
lieu… ». Le juge administratif y compris en référé est compétent pour les juger.
La jurisprudence du Conseil d’Etat est ancienne : arrêt Heyriès du 28 juin 1918 avec la théorie
des circonstances exceptionnelles en période de guerre, et arrêt Dames Dol et
Laurent 28 février 1919.Il s’agit de respecter la légalité tout en
garantissant l’ordre public. Ce
juge sait être rapide puisque sur saisine de divers professionnels médicaux, il
a prononcé une ordonnance (un jugement) le dimanche 22 mars 2020 sur
l’interprétation du décret du 16 mars 2020 à propos des mesures de confinement
que certains jugeaient trop floues et trop laxistes. Le gouvernement a immédiatement
revu sa copie (sur le jogging et les marchés notamment) et en a profité pour prendre
des dispositions pénales car une obligation sans sanctions est un cautère sur
une jambe de bois.
Des milliers
d’infractions souvent volontaires ont en effet été constatées. Cela ne pouvait plus
durer ne serait -ce que par respect pour ceux qui obéissent et ceux qui se
battent en engageant leur propre vie dans les hôpitaux ou services de santé. Il
pouvait déjà en coûter 10.000 euros d’amende et 6 mois de prison si on violait
l’article L .3131-1 CSP et on pouvait en outre être poursuivi sur le
fondement de l’article 223-1 du code pénal pour mise en danger de la vie
d’autrui (15.000 euros d’amende et 1 an de prison). On y a ajouté une
incrimination spécifique pour les attestations bidons ou erronées de
déplacement voire leurs absences, avec des amendes de 135 euros majorées
ensuite et pouvant conduire à une amende maximale de 3750 euros pour les
récidivistes et 6 mois de prison. Les sanctions prononcées par les juges judiciaires
peuvent l’être par la procédure de comparution immédiate ou seront prononcées
avec le retour à la normale en temps de « paix » sanitaire. Je ne
doute pas qu’ils sauront faire la part des choses entre la solidarité qui
oblige en temps de « guerre » même sanitaire, et la complexité des
comportements. Les textes prévoient la possibilité de peines complémentaires
comme la suspension du permis de conduire et/ou comme un travail d’intérêt
général ou civique (faire un stage citoyen, repeindre les écoles, balayer les
services d’urgence, être ambulancier la nuit, construire des lieux d’accueil
pour les malades ou blessés graves, entretenir les tombes des morts pour la
France … et les magistrats ne manquent pas d’imagination).
Je n’évoque que pour information d’autres
possibilités légales qui sont facilitées. Ainsi les couvre-feux que chaque maire peut
décider de prononcer selon les circonstances locales sous le contrôle du préfet
représentant l’Etat ou prendre des décisions pratiques et naturellement
motivées qu’un danger spécifique grave et imminent justifie. Décentralisation et déconcentration font cause
commune. On redécouvre la place essentielle
des élus locaux qui ont des pouvoirs de police et qui avec leur deuxième casquette
sont l’autorité de l’Etat dans leur commune. Et même si le deuxième tour des
municipales pour les moyennes et grandes villes est pour plus tard dans des conditions
juridiques à définir. Mais 80% des mairies du territoire ont leur conseil municipal
élu : on doit s’en réjouir car les maires sont sur le terrain, sur la
ligne de front.
Enfin le
droit du travail a été aussi modifié par ordonnances (qui ne sont pas
contraires au code du travail actuel mais qui le complètent a déclaré la
ministre du travail) pour un délai de trois mois pour éviter les licenciements,
faciliter le travail à temps partiel ; maintenir et élargir les
indemnisations par pôle emploi avec de nouvelles catégories de bénéficiaires
comme les professions indépendantes ; avec le télétravail, ou autres
innovations. Les congés payés pourront
être imposés pour 6 jours par l’employeur comme la prise des rtt parfois
sans délai de prévenance ou réduit au minimum ; le droit de retrait sera
apprécié de façon souple, ainsi que d’autres dispositions qui nous apparaissent
des droits acquis quoiqu’il advienne. Les conseils de prud’hommes trancheront
plus tard.
La loi
combat donc aussi le virus. Quand tout sera revenu en ordre les tribunaux se
prononceront et la polémique démocratique reprendra. Espérons que l’on aura de
la mémoire !