Attaquer
l’Etat en justice est-ce bien raisonnable ?
Par Christian Fremaux avocat
honoraire.
Dans les Misérables
Victor Hugo fait dire à Gavroche qui se meurt : « je suis tombé par terre c’est
la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau c’est la faute à Rousseau ».
Désormais tout est de la faute lourde de l’Etat et plus personne ne veut en
outre assumer les conséquences de ses actes. On n’a que des droits pas des
devoirs, et il fait trouver un responsable, pas forcément un bouc-émissaire quoique
c’est plus facile, mais celui ou celle dont l’erreur, l’action ou l’inaction
ont conduit à un désastre avéré ou prévisible. Attaquer l’Etat est la dernière
tendance furieuse d’autant plus qu’avec lui on ne risque rien, ce n’est pas lui
qui va déposer plainte en dénonciation calomnieuse ou demander des dommages
-intérêts si la procédure est abusive. Et les médias aiment bien que l’on
assigne le plus puissant bien qu’anonyme de la société.
L’impunité
ou l’impuissance ne sont plus tolérées
qu’il s’agisse de faits graves dans les guerres par exemple (nos militaires
sont aussi dans le collimateur) ou dans les affrontements sociaux ( on dénonce
les violences policières pas celles des manifestants) ou que l’on critique les conséquences de
situations qui ne sont pas gérées avec des résultats (la violence) ou
insuffisamment (le climat), ou de décisions qui n’ont pas un effet immédiat (la
transition écologique) , ou de manquements individuels quelles que soient les
bonnes ou mauvaises raisons invoquées. La justice est sommée de se prononcer entre
des injonctions contradictoires. On demande aux juges de trancher toutes les
difficultés de la société alors que la justice est très controversée par
ailleurs : comprenne qui pourra.
La formule ancienne de « responsable mais
pas coupable » est haïe car il faut forcément que quelqu’un ou le représentant
d’un symbole assume, vienne demander pardon ou fasse acte de repentance, et à
défaut l’Etat reste l’interlocuteur tout désigné. Le silence ou l’inertie de
tout dirigeant sont pires qu’un crime c’est une faute. On exige la transparence
et on veut décréter un monde de vertu, ce qui historiquement parlant peut
conduire à des dérives autoritaires on le sait. On veut créer avec l’aide
involontaire ou orientée des réseaux sociaux, des tribunaux et de la morale ambiante
une société parfaite donc ouverte, sans racisme, sans discrimination, sans
genre, sans passé colonial ou autre, sans méchanceté institutionnelle ou
personnelle, où tout le monde doit être beau et bon, gentil et fraternel, aimer
la nature et les animaux, ce qui relève de l’utopie mais c’est l’air du temps. On
n’hésite plus à saisir la justice quand on estime unilatéralement que rien
n’avance ou que c’est lent : l’Etat est l’ultime adversaire.
La faute
lourde ou grave ou inexcusable on la connait en droit du travail : les
conseils de prud’homme notamment en jugent quotidiennement. On peut trainer
l’Etat devant la justice administrative pour divers motifs de droit. La
jurisprudence est établie depuis longtemps. Ce contentieux est très important
dans tous les domaines et les particuliers n’hésitent plus à contester telle
décision du maire et de la commune et des élus en général, du préfet, du
président de département ou de région, de l’Etat, de l’hôpital, du professeur
qui brimerait l’enfant, de l’école où se passent des évènements graves, dans la
fonction publique… et de tous les services publics. Car nous sommes un peuple
formidable et sûr de lui : chacun d’entre nous sait ce qu’il faut faire,
ce que les responsables doivent prendre comme décisions, et s’ils ne le font
pas en négligeant la vox populi ils sont responsables. Si de surcroit ils
répondent non à une demande individuelle c’est le procès assuré car l’individu
ne peut qu’avoir raison : le doute, celui qui prouverait qu’il a tort ne
l’effleure même pas.
Pour s’en prendre à l’Etat directement on peut
aller aussi devant les tribunaux judiciaires mais uniquement en cas de faute
lourde.
L’actualité
va illustrer mes propos par quelques exemples que j’ai choisis arbitrairement
et qui ne sont pas exhaustifs car il y en a beaucoup pour tous sujets
secondaires comme importants certains étant dramatiques ce qui ne se discute
pas et on partage la douleur de ceux qui subissent.
Examinons encore
le tribunal administratif où l’on juge la faute de service et la faute
personnelle détachable du service. Quatre ONG-dont une est dirigée par Mme Duflos
l’ancienne excellente dirigeante et ministre des verts- ont saisi la justice
administrative d’un recours contre l’Etat en matière de réchauffement
climatique pour dénoncer son manque de réactivité malgré les engagements internationaux
pris, peu important le coût social et financier. Cette procédure est dénommée modestement
« l’affaire du siècle » comme si c’était la seule priorité et qu’il
fallait tout abandonner pour se consacrer au climat et faire droit à ce que
pensent des militants.
Dans le cas récent
de la petite fille prénommée Vanille placée dans une famille, tuée par sa mère
qui était en proie à des troubles psychiatriques sévères et qui néanmoins a
bénéficié du droit de prendre librement sa fille deux jours, qui va-t-on incriminer,
quel service public défaillant?
Examinons
ensuite le tribunal judiciaire l’ex-TGi depuis le 1er janvier 2020. Selon le code
de l’organisation judiciaire le déni de justice (par exemple des délais trop
longs pour juger) avec la faute lourde sont les deux cas d’ouverture d’une
action en responsabilité contre l’Etat. La cour de cassation a précisé la
notion de faute lourde par arrêt du 23 février 2001 : « c’est toute
déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant
l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est
investi ». La définition est extensive la justice proprement dite n’étant
pas seule en cause, tous les services de l’Etat étant concernés. L’Etat qui a un avocat est défendu et représenté
par l’agent du trésor car la procédure se termine généralement par une éventuelle
condamnation à des dommages -intérêts. Donnons des exemples : la sœur
d’une victime de féminicide a attaqué l’Etat pour faute lourde. Elle estime que la police saisie n’est pas
intervenue assez vite et que le contrôle judiciaire imposé par un juge à
l’assassin n’était pas assez sévère. On a aussi Mediapart qui a assigné l’Etat
pour faute lourde après la tentative de perquisition dans ses locaux. On a
parfois les contrôles d’identité discriminatoires et systématiques de jeunes
par des policiers…Les juges apprécient au cas par cas s’il y a faute lourde ou
non.
L’Etat peut
aussi être poursuivi par une juridiction internationale. La cour européenne des
droits de l’homme qui dépend du conseil de l’Europe et siège à Strasbourg vient
d’accepter la requête de parents qui ont vu leur jeune fille partir en Syrie, y
avoir des enfants, être blessée, être retenue au Kurdistan et contestent le
fait que l’Etat français refuse de les rapatrier notamment celle que l’Etat
considère être une djihadiste. Le Conseil d’Etat en 2019 a jugé que c’était une
prérogative diplomatique de la France de dire oui ou non et pas une obligation
de juridiction. On en discute y compris au sein du gouvernement.
On voit donc
que l’Etat est le responsable de tout et son contraire en dernier ressort, et
que la responsabilité personnelle de l’individu ne compte plus. Or l’Etat c’est
nous c’est l’ensemble des citoyens qui paient leurs impôts, votent, sont pacifiques
et tolérants, ont besoin de travail, de sécurité et de calme, avec le
renforcement de leurs valeurs républicaines et qui font ce qu’ils peuvent pour
résoudre collectivement les problèmes qui sont posés à la société. On entend
les cris de rage et de désespoir mais à vouloir faire condamner l’Etat -sauf
préjudices avérés et fautes incontestables- c’est se tirer une balle dans le
pied. La justice existe pour réguler la vie en société, pas pour moraliser et
faire que l’émotion et la bonne conscience dirigent la raison.
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