vendredi 7 février 2020

l'émotion glisse, la raison convainc.


                         L’émotion glisse, la raison convainc.
                                    Par Christian Fremaux avocat honoraire.
Les scandales d’ordre sexuel en mélangeant viols et agressions voire tentatives ou dragues poussées se succèdent dans tous les milieux professionnels du cinéma bien sûr qui a donné le coup d’envoi -si je peux m’exprimer ainsi- en passant par la littérature, le sport individuel ou collectif, les professions libérales où il y a des collaboratrices (le barreau n’est malheureusement pas exempt) et tous les domaines qui vont se révéler à la stupeur générale bientôt du moins je le crains.  Il y a un flot ininterrompu de polémiques, on accuse  ouvertement et par tribunes publiques mais le citoyen de base n’est pas plus informé et a du mal à se faire une opinion claire. Trop de scandale tue la réalité objective et à force de s’indigner on fatigue. L’émotion ne dure que le temps de l’effet d’annonce et des discussions des prétendus experts qui donnent leurs avis personnels sans connaître d’ailleurs le fond du dossier et si les faits dénoncés sont avérés.
Peu importe puisqu’il est demandé de faire une confiance aveugle à la victime qui s’estime comme telle sinon on apparait comme sans cœur et on est accusé de soutenir le bourreau désigné. La vague de dégagisme qui inonde le monde politique s’étend à tout et à tous. Ainsi la ministre des sports somme le président de la fédération des sports de glace de démissionner à la suite des révélations de la célèbre patineuse Sarah Abitbol et il doit s’exécuter sur l’instant. On s’étonne que ledit présumé coupable ose résister, dire qu’il a commis des erreurs et pas des fautes- affirmation unilatérale qui doit être vérifiée- qu’il y a aussi la responsabilité de la tutelle donc le ministère et le ministre de l’époque qui peut être n’ont pas été parfaits et réactifs -à voir - mais rien n’y fait. Le président de la fédération est forcément un salaud qui savait et qui doit être écarté en urgence par décence, pour la morale, pour répondre à l’émotion de la victime et de l’opinion publique, en attendant que l’enquête qui débute désigne le ou les vrais coupables. Le coupable certain c’est évidemment l’entraineur celui qui a abusé d’une jeune fille de 15 ans grâce à son emprise sur une sportive qui voulait gagner et « acceptait » tous les sacrifices y compris intimes grâce au fait qu’il se sentait tout puissant et avait le destin d’une enfant entre ses mains, et qui a profité de sa position dominante sans que l’entourage de sa protégée parents ou autorités osent s’immiscer et interdire ce qui n’aurait jamais dû arriver.
 Mais si le sort judiciaire du prédateur est réglé à terme (il a admis des relations « inappropriées ») à la condition que la prescription en droit ne joue pas, son avenir intéresse moins semble- t- il : ce que l’on veut avec raison c’est démonter le système de copinage, de cooptation, de protections, de silence organisé et la toute-puissance des élus d’une fédération dont le président est le symbole et qui peut se permettre de dire zut à la ministre.  Je ne défends évidemment pas ce président que je ne connais pas, qui est assez grand pour le faire par lui- même : il doit savoir manœuvrer, se rattraper, connaitre les figures imposées et le programme libre du patinage artistique qui est un sport de glisse. Je ne sais pas si ce président résistera à la pression qui va peut- être aussi venir en interne, de ses amis et affidés de la fédération, les grands élus des clubs qui l’ont porté au pouvoir et qui ne doivent pas aimer cette publicité malencontreuse et dommageable avec une image dégradée de leur sport, ni un conflit ouvert avec la ministre. Mais le destin de ce président est secondaire sauf pour lui. Ce qui m’intéresse ou m’intrigue dans cet épisode odieux c’est la dénonciation des dizaines d’années plus tard d’une victime qui n’a plus supporté de se taire : je la plains et il est normal qu’elle règle ses comptes avec celui qui lui a gâché sa vie. Le droit ne sera peut- être pas en phase avec ce qu’elle recherche, mais le scandale qu’elle a déclenché lui donnera au moins consolation et réhabilitation pour elle- même. Cependant la justice ne se rend pas au nom de l’émotion et il faut faire attention à ne pas tout confondre. On le voit avec le film « j’accuse » de Roman Polanski : son film est formidable tant sur le plan technique, que par l’angle d’approche de Dreyfus, et le jeu des acteurs mérite d’être récompensé. Ces derniers doivent -ils être les victimes collatérales de la mauvaise réputation réelle ou supposée personnelle que traine le metteur en scène ? C’est mon illustre confrère Me Moro- Giafferi qui a eu cette exclamation célèbre alors qu’il plaidait devant la cour d’assises : « chassez l’opinion publique du prétoire, cette trainée qui tire le juge par la manche ».
Dans la volonté de vouloir expliquer, et de flatter le public ou toute victime j’ai même entendu et vu à la télévision (sur BFM le soir tard sauf erreur) une psychologue professionnelle dire que « la France avait des tendances pédophiles » : Yves Calvi le journaliste qui animait le débat en est resté estomaqué. Moi aussi. L’auto- flagellation ne rime à rien.
Il faut garder la mesure dans les dossiers qui mettent en cause des individus connus ou non et même si on veut en faire des affaires de principe, pour modifier les comportements, les rendre plus vertueux et donner l’exemple. Puisque nous sommes dans un état de droit - bien que certains qui n’ont pas peur d’exagérer ou de délirer soutiennent que notre démocratie actuelle serait arbitraire voir dictatoriale (qu’ils aillent voir ailleurs comment cela se passe) - rappelons que la présomption d’innocence est un principe intangible et qu’il ne faut pas condamner avant le jugement, quand les juges ont examiné publiquement tous les faits et les preuves après un débat contradictoire. Ce qui vaut pour n’importe quel justiciable vaut aussi pour un prétendu puissant !
 Le tribunal médiatique n’a aucune légitimité, et pour ceux qui ont de la mémoire ou qui connaissent l’histoire rappelons-nous du tribunal révolutionnaire en 1792-1794 sous la terreur où les avocats n’étaient pas admis et où les juges devaient choisir-sans preuves- en quelques minutes entre l’acquittement-très rare- et la mort par la guillotine- prononcée de façon massive. Ou encore les tribunaux populaires pendant le maoïsme (avec l’auto-critique) et le communisme, sans compter les périodes de guerre et les exécutions sans procès en raison de la race.  On m’objectera à juste titre que mon argument est excessif et que ce n’est plus l’époque : mais à petite échelle on s’en rapproche en désignant à la vindicte populaire tel ou tel pour des faits non établis formellement et on peut démolir la réputation de quiconque en un clin d’œil ne serait- ce que par les réseaux sociaux où l’on peut tout dire avec impunité.
  Voyez comme on flotte avec le cas d’une jeune fille de 16 ans Mila qui a exprimé de façon excessive et vulgaire sa vision de l’islam (mais son cas serait- il différent si elle avait critiqué l’islam avec élégance et retenue ?) et qui est menacée de mort, interdite d’école, cas qui entraine des prises de position contradictoires de nos grandes âmes rapides à s’indigner en général, et un silence prudent de nos féministes patentées. Et pourtant c’est extrêmement grave : comment en France en 2020 dans une république laïque qui se veut un modèle peut-on craindre pour sa vie pour s’être exprimé sur une religion ? Et la tolérance bordel !
 Enfin souvenons- nous de la parole de 1991 devenue collector au moment de la très grave affaire collective dite du sang contaminé (1980-1990) de Mme Georgina Dufoix ministre : « je suis responsable mais pas coupable ». La cour de justice de la république en 2006 l’a déclarée coupable, mais dispensée de peine. Sic transit gloria mundi. Si l’on veut qu’un scandale provisoire par nature soit utile, il faut que la raison l’emporte pour que l’on puisse tirer les leçons qui  s’imposent. A défaut la subjectivité brouillera le message, et il ne me parait pas nécessaire d’en rajouter à ce qui est douloureux.  

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