L’émotion glisse,
la raison convainc.
Par Christian Fremaux avocat
honoraire.
Les
scandales d’ordre sexuel en mélangeant viols et agressions voire tentatives ou
dragues poussées se succèdent dans tous les milieux professionnels du cinéma
bien sûr qui a donné le coup d’envoi -si je peux m’exprimer ainsi- en passant
par la littérature, le sport individuel ou collectif, les professions libérales
où il y a des collaboratrices (le barreau n’est malheureusement pas exempt) et
tous les domaines qui vont se révéler à la stupeur générale bientôt du moins je
le crains. Il y a un flot ininterrompu
de polémiques, on accuse ouvertement et par
tribunes publiques mais le citoyen de base n’est pas plus informé et a du mal à
se faire une opinion claire. Trop de scandale tue la réalité objective et à
force de s’indigner on fatigue. L’émotion ne dure que le temps de l’effet
d’annonce et des discussions des prétendus experts qui donnent leurs avis personnels
sans connaître d’ailleurs le fond du dossier et si les faits dénoncés sont
avérés.
Peu importe puisqu’il
est demandé de faire une confiance aveugle à la victime qui s’estime comme
telle sinon on apparait comme sans cœur et on est accusé de soutenir le
bourreau désigné. La vague de dégagisme qui inonde le monde politique s’étend à
tout et à tous. Ainsi la ministre des sports somme le président de la
fédération des sports de glace de démissionner à la suite des révélations de la
célèbre patineuse Sarah Abitbol et il doit s’exécuter sur l’instant. On
s’étonne que ledit présumé coupable ose résister, dire qu’il a commis des
erreurs et pas des fautes- affirmation unilatérale qui doit être vérifiée-
qu’il y a aussi la responsabilité de la tutelle donc le ministère et le
ministre de l’époque qui peut être n’ont pas été parfaits et réactifs -à voir -
mais rien n’y fait. Le président de la fédération est forcément un salaud qui
savait et qui doit être écarté en urgence par décence, pour la morale, pour
répondre à l’émotion de la victime et de l’opinion publique, en attendant que
l’enquête qui débute désigne le ou les vrais coupables. Le coupable certain
c’est évidemment l’entraineur celui qui a abusé d’une jeune fille de 15 ans
grâce à son emprise sur une sportive qui voulait gagner et « acceptait
» tous les sacrifices y compris intimes grâce au fait qu’il se sentait tout
puissant et avait le destin d’une enfant entre ses mains, et qui a profité de
sa position dominante sans que l’entourage de sa protégée parents ou autorités
osent s’immiscer et interdire ce qui n’aurait jamais dû arriver.
Mais si le sort judiciaire du prédateur est
réglé à terme (il a admis des relations « inappropriées ») à la
condition que la prescription en droit ne joue pas, son avenir intéresse moins
semble- t- il : ce que l’on veut avec raison c’est démonter le système de copinage,
de cooptation, de protections, de silence organisé et la toute-puissance des
élus d’une fédération dont le président est le symbole et qui peut se permettre
de dire zut à la ministre. Je ne défends
évidemment pas ce président que je ne connais pas, qui est assez grand pour le
faire par lui- même : il doit savoir manœuvrer, se rattraper, connaitre
les figures imposées et le programme libre du patinage artistique qui est
un sport de glisse. Je ne sais pas si ce président résistera à la pression
qui va peut- être aussi venir en interne, de ses amis et affidés de la fédération,
les grands élus des clubs qui l’ont porté au pouvoir et qui ne doivent pas aimer
cette publicité malencontreuse et dommageable avec une image dégradée de leur
sport, ni un conflit ouvert avec la ministre. Mais le destin de ce président
est secondaire sauf pour lui. Ce qui m’intéresse ou m’intrigue dans cet épisode
odieux c’est la dénonciation des dizaines d’années plus tard d’une victime qui
n’a plus supporté de se taire : je la plains et il est normal qu’elle
règle ses comptes avec celui qui lui a gâché sa vie. Le droit ne sera peut- être
pas en phase avec ce qu’elle recherche, mais le scandale qu’elle a déclenché
lui donnera au moins consolation et réhabilitation pour elle- même. Cependant la
justice ne se rend pas au nom de l’émotion et il faut faire attention à ne
pas tout confondre. On le voit avec le film « j’accuse » de Roman
Polanski : son film est formidable tant sur le plan technique, que par
l’angle d’approche de Dreyfus, et le jeu des acteurs mérite d’être récompensé.
Ces derniers doivent -ils être les victimes collatérales de la mauvaise
réputation réelle ou supposée personnelle que traine le metteur en scène ?
C’est mon illustre confrère Me Moro- Giafferi qui a eu cette exclamation
célèbre alors qu’il plaidait devant la cour d’assises :
« chassez l’opinion publique du prétoire, cette trainée qui tire le juge
par la manche ».
Dans la
volonté de vouloir expliquer, et de flatter le public ou toute victime j’ai
même entendu et vu à la télévision (sur BFM le soir tard sauf erreur) une
psychologue professionnelle dire que « la France avait des tendances
pédophiles » : Yves Calvi le journaliste qui animait le débat en est
resté estomaqué. Moi aussi. L’auto- flagellation ne rime à rien.
Il faut
garder la mesure dans les dossiers qui mettent en cause des individus
connus ou non et même si on veut en faire des affaires de principe, pour
modifier les comportements, les rendre plus vertueux et donner l’exemple. Puisque
nous sommes dans un état de droit - bien que certains qui n’ont pas peur d’exagérer
ou de délirer soutiennent que notre démocratie actuelle serait arbitraire voir
dictatoriale (qu’ils aillent voir ailleurs comment cela se passe) - rappelons
que la présomption d’innocence est un principe intangible et qu’il ne
faut pas condamner avant le jugement, quand les juges ont examiné publiquement
tous les faits et les preuves après un débat contradictoire. Ce qui vaut pour
n’importe quel justiciable vaut aussi pour un prétendu puissant !
Le tribunal médiatique n’a aucune
légitimité, et pour ceux qui ont de la mémoire ou qui connaissent
l’histoire rappelons-nous du tribunal révolutionnaire en 1792-1794 sous la
terreur où les avocats n’étaient pas admis et où les juges devaient choisir-sans
preuves- en quelques minutes entre l’acquittement-très rare- et la mort par la
guillotine- prononcée de façon massive. Ou encore les tribunaux populaires
pendant le maoïsme (avec l’auto-critique) et le communisme, sans compter les périodes
de guerre et les exécutions sans procès en raison de la race. On m’objectera à juste titre que mon argument
est excessif et que ce n’est plus l’époque : mais à petite échelle on s’en
rapproche en désignant à la vindicte populaire tel ou tel pour des faits
non établis formellement et on peut démolir la réputation de quiconque en un
clin d’œil ne serait- ce que par les réseaux sociaux où l’on peut tout
dire avec impunité.
Voyez comme
on flotte avec le cas d’une jeune fille de 16 ans Mila qui a exprimé de façon excessive
et vulgaire sa vision de l’islam (mais son cas serait- il différent si elle
avait critiqué l’islam avec élégance et retenue ?) et qui est menacée de mort,
interdite d’école, cas qui entraine des prises de position contradictoires de nos
grandes âmes rapides à s’indigner en général, et un silence prudent de nos
féministes patentées. Et pourtant c’est extrêmement grave : comment en
France en 2020 dans une république laïque qui se veut un modèle peut-on
craindre pour sa vie pour s’être exprimé sur une religion ? Et la
tolérance bordel !
Enfin souvenons- nous de la parole de 1991
devenue collector au moment de la très grave affaire collective dite du sang
contaminé (1980-1990) de Mme Georgina Dufoix ministre : « je
suis responsable mais pas coupable ». La cour de justice de la république en
2006 l’a déclarée coupable, mais dispensée de peine. Sic transit gloria mundi. Si
l’on veut qu’un scandale provisoire par nature soit utile, il faut que la raison
l’emporte pour que l’on puisse tirer les leçons qui s’imposent. A défaut la subjectivité
brouillera le message, et il ne me parait pas nécessaire d’en rajouter à ce qui
est douloureux.
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