Décrocheurs et désobéisseurs ou l’état de nécessité.
Par Christian Fremaux
avocat honoraire et élu local.
Tout ce qui est social ou se rapporte aux émotions est désormais revendiqué
comme prioritaire ou de valeur supérieure dans notre environnement
technocratique où les décisions tombent du haut ou viennent d’ailleurs
(l’Europe), société qui est devenue technologique et immatérielle où l’homme
-la femme semblent être une variable d’ajustement. On a besoin de sentiments,
de rapports plus humains, de générosité, d’entraide avec celui ou ceux qui sont
en difficulté, et l’on exige d’agir pour le climat. Nous sommes d’accord mais faut-il pour
autant ne pas respecter la loi, les symboles républicains et s’affranchir de
toutes contraintes légales démocratiquement votées ? Est- il légitime de désobéir
?
Madame Macron vient d’ouvrir à Clichy-sous- bois (93) une école où elle
enseigne au bénéfice de « décrocheurs » adultes ceux qui ne sont pas
restés à l’école, n’ont ni diplômes ni formation professionnelle et qui
galèrent en conséquence pour s’insérer et trouver du travail. Il faut féliciter
madame la femme du président de la république : les décrocheurs qu’elle
aide sont positifs. C’était nécessaire pour eux.
Mais il y a une autre catégorie de
décrocheurs qui sont dangereux car ils ont décidé de désobéir ce qui est un
mauvais exemple pour l’ensemble des citoyens et renforce l’individualisme qui
est une menace pour la cohésion sociale, et l’union qui est indispensable. On peut
avoir toutes les raisons que l’on veut, mais on doit aussi respecter ses devoirs,
les institutions, les lois, sinon c’est la porte ouverte à toutes les
aventures. Dans notre démocratie il y a des élections, des médias, des contre-
pouvoirs, un parlement, un conseil économique, social et environnemental, des
mairies, des associations, des groupes de pression, la liberté de manifester et
des débats permanents… qui permettent de
faire passer ses idées sans violence, voire contraindre le pouvoir exécutif à
agir. La force même mineure ou joyeuse n’est pas tolérable et une petite
minorité ne peut dicter sa loi.
On a ressorti un vieux concept qui est devenu une arme de revendication et
de chantage massif : la désobéissance qui n’est pas une nécessité.
La désobéissance civile combat l’autorité de la délibération publique.
Cette forme de résistance passive consiste à refuser d’obéir aux lois
délibérées et votées démocratiquement et à écarter les jugements d’ordre civil.
Des citoyens mus par des motivations éthiques ou prétendues telles (que la
majorité n’approuve pas de son côté ou ne connait pas) transgressent
délibérément de manière publique, pacifique dans l’intention – qui se
caractérise par de la violence en fin de compte - une loi en vigueur [lire John
Rawls 1971 théorie de la justice]. On se rappelle les campagnes de
désobéissance civile en Afrique du sud de 1949 à 1952, et de l’action aux USA
de Martin Luther King (1929-1968). La situation est- elle aussi critique en
France en 2019 même si le réchauffement climatique mérite qu’on agisse ?
On ajoute dans cette pratique au civisme la notion de « civilité »
entendue comme du savoir-vivre (ensemble).
La désobéissance civique qui est une notion quasi similaire se distingue
cependant de la civile car elle se heurte à la démocratie classique
représentative qui incarne la majorité du peuple. Des minorités agissantes
veulent avoir raison et déstabilisent les institutions. C’est le refus de vote,
le rejet de toutes directives publiques, de la loi… Sans avoir la moindre
légitimité, on fait passer son avis avant celui des autres et son intérêt
personnel avant l’intérêt général. On veut être aussi vigie auto-proclamée, un lanceur
d’alerte que d’ailleurs désormais la loi protège. Le cadre légal est abandonné.
Ce genre de désobéissance menace le système institutionnel et la confiance
envers ceux qui ont été élus pour gouverner. On revient à la loi du plus fort,
le faible n’est plus rien, l’élu est suspect, alors qu’il va de soi que tout
abus doit être puni et que le soupçon permanent ne fait pas avancer les choses.
Les « décrocheurs »se sont aussi ceux qui se rendent subrepticement
dans les mairies et sauf exception sans l’accord du maire dérobent (décrochent)
le portrait officiel du président de la république qui est le symbole de
l’autorité, de la solidarité et de la république. Ce peut être considéré comme drôle et potache
mais en réalité il s’agit d’un acte politique d’opposition, un geste militant
qui signifie beaucoup. D’où des poursuites judiciaires qui sont engagées contre
les auteurs identifiés, et une jurisprudence flottante. A Strasbourg le
tribunal correctionnel a relaxé trois militants, tandis qu’à Bourg -en- Bresse
des militants étaient condamnés à des amendes fermes ou avec sursis. Il va
falloir attendre que la cour de cassation se prononce pour avoir une ligne de
conduite cohérente et d’appréciation.
Le tribunal correctionnel de Lyon statuant par juge unique a prononcé une
décision de relaxe de deux décrocheurs le 16 septembre 2019 en se fondant sur
l’état de nécessité. Ce sont les motivations du tribunal, que j’ai lues dans la
presse qui m’ont « interpellées » car elles rappellent la
jurisprudence du « bon juge » Magnaud (1848-1926). Ce magistrat avait
acquitté le 4 mars 1898 louise Menard une jeune fille-mère qui avait dérobé du
pain chez un boulanger parce qu’elle n’avait rien mangé depuis deux jours. Le
bon juge avait évoqué l’état de nécessité, notion qui fut reconnue par le code
pénal seulement en 1994.Celui de Lyon a considérablement étendu la notion à
l’intérêt général versus avis personnel.
Le tribunal a en effet considéré de manière inédite que ce décrochage-qui
est une infraction avérée- est une « interpellation légitime »
du président ? et doit être interprété comme « le substitut
nécessaire du dialogue impraticable entre le président et le peuple » et
qu’inventer d’autres formes de participation des citoyens en dehors des élections
est recevable. Cela se discute comme le disait le regretté Jean-Luc Delarue !
Les gilets jaunes le répètent aussi, et la démocratie participative est mise en
avant : mais à quoi servent les instances représentatives des élus aux
syndicats ou autres si chaque citoyen a droit à être écouté voire reçu par le
président de la république, et en quoi y-a t- il un dialogue impraticable en
matière de réchauffement climatique et de transition énergétique déjà pris en
compte par le gouvernement ? Le magistrat est muet à ce sujet, il affirme et
c’est court.
Le tribunal de Lyon a jugé aussi que la réalité du dérèglement climatique
« affecte gravement l’avenir de l’humanité ». Dont acte. Et il en
déduit : « face au défaut du respect par l’Etat d’objectifs pouvant
être perçus comme minimaux dans un domaine vital, le mode d’expression des
citoyens en pays démocratique ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors
des échéances électorales mais doit inventer d’autres formes de participation
dans le cadre d’un devoir de vigilance critique ». Or la perception de
chacun est subjective et on peut se tromper de bonne foi. Quant à inventer
d’autres formes d’expression démocratiques, le concours Lépine est ouvert.
Nous sommes loin d’une motivation en droit et je me demande si le juge ne
s’est pas prononcé ultra petita dans son écriture qui est plus proche d’une
leçon de morale ou de bonne gouvernance que du droit positif. Le juge ne
serait- il pas aussi militant ? Personne
ne nie l’urgence à agir pour le climat, mais en quoi cela justifie t- il que
quelques citoyens s’exonèrent du cadre légal et court-circuitent les institutions
? On ne gouverne pas sous la menace ou le chantage. La majorité des français
est peut-être d’accord avec les précautions prises par le gouvernement surtout
pour ne pas pénaliser encore plus le monde rural.
Dans son jugement ledit juge lyonnais a dû reconnaitre qu’il y avait eu matériellement
vol, mais il l’a formulé autrement : le décrochage c’est « un
enlèvement sans autorisation » (sic) -comme la déesse Europe !-
commis de « façon manifestement pacifique avec un trouble à l’ordre
public très modéré » ce qui entraine un simple rappel à la loi. Il va
falloir lire attentivement ce jugement puisque d’autres décrocheurs vont
comparaitre devant des tribunaux correctionnels dans les semaines qui suivent.
Les conséquences ont été immédiates. Les militants poursuivis ont considéré
que le juge leur avait donné un permis de désobéissance puisqu’il avait compris
les objectifs de leurs missions auto-attribuées. Et c’est là le danger. Si
n’importe qui choisit un sujet qu’il estime fondamental et humaniste il serait
légitime à ne plus respecter la loi voire à commettre des infractions ou
déstabiliser telle ou telle institution. Dans ces conditions l’incivisme
paierait sous forme de désobéissance et le citoyen ordinaire celui qui suit les
règles quoiqu’il lui en coûte, paie ses taxes et impôts et va voter serait
marginalisé voir stipendié. On ne peut l’admettre. Les tribunaux doivent
appliquer la loi quitte à prononcer des condamnations minimes, ou dispenser de
peine quand un délit est acquis. L’état de nécessité ne peut être retenu pour
tout et rien.
L’individu n’est pas roi et le peuple qui a coupé la tête à Louis XVI
est le souverain dans sa majorité. Personne n’a le monopole du
peuple, ou de la vérité ou du bien. On participe tous. On ne peut avoir raison
sur tout et tout le temps. Pour les enfants désobéir est un vilain défaut, un
manque d’éducation. Pour les adultes individuellement ou en petit nombre
collectivement désobéir est mettre en danger la cohésion nationale et la
nation, et est péril mortel pour la démocratie. Quant à la violence même
« douce » elle est inacceptable sous toutes ses formes et quel qu’en
soit le motif. La fraternité, la tolérance, et le débat démocratique même
incisif doivent s’imposer.