Les
constitutions sont elles des chiffons de papier ?
Par Christian
Fremaux avocat honoraire et élu local.
Le nouveau
premier ministre anglais Mister Boris Johnson que l’on connaissait pour son
look atypique et son caractère surprenant n’a pas tardé à faire des siennes
alors que le brexit se rapproche, et que personne ne sait ce qui va se passer.
Les économistes sont en transe mais pas qu’eux. Les juristes s’y mettent. Alors
que l’Angleterre est l’exemple moderne de la démocratie née à Athènes et pensée
par Périclès dans l’antiquité, avec ses règles de droit, son sens du
débat, avec le parlement qui est la clef
de voûte des institutions, M.Johnson vient de décider seul de suspendre les
réunions dudit parlement pendant quelques semaines, ce qui lui permettra de
manœuvrer sans répondre aux objections de l’opposition politique voire à ses
adversaires conservateurs et d’ atteindre le 31 octobre date limite pour le
brexit avec un deal ou non avec l’union européenne. Coup de génie ou pas de
clerc l’avenir nous le dira. On crie au scandale, au quasi coup d’Etat ou pour
le moins à une grave dérive constitutionnelle et des anglais légalistes et
attachés à la démocratie ont saisi les tribunaux pour faire annuler le diktat
de Boris. Je ne crois pas que les magistrats anglais pourront annuler ladite
décision qui , si elle n’est pas formellement interdite peut être considérée
comme pratiquement autorisée. Mais soyons prudent dans le pronostic : les
juges qu’ils soient anglais ou français savent parfois surprendre et aller
au-delà de leurs missions. Personne ne juge les juges… Il n’y a pas de
constitution écrite en Angleterre. La nation du Commonwealth où le soleil ne se
couchait jamais, du Royaume-Uni, de Churchill qui a incarné le droit donc le
juste , le courage de défendre les libertés, et le sacrifice, a l’habeas corpus depuis 1679 qui protège
contre l’arbitraire et nous sommes dans le droit coutumier. Par exemple le
premier ministre peut décider de dissoudre la chambre des communes ou de présenter
la démission de son cabinet si sa politique est trop contestée. L’Angleterre
vit avec des lois, des usages constitutionnels, de la jurisprudence celle qui se
nourrit de précédents : c’est une « constitution non codifiée ».
M.Johnson s’est contenté si l’on peut dire
de saisir une opportunité qui repose sur un vide juridique semble- t- il
en suspendant jusque milieu octobre les réunions du parlement. La reine a
validé la demande sans faire le moindre commentaire puisque elle règne mais ne
gouverne pas. M.Johnson a joué un coup de poker menteur politique pour réfléchir
en paix à la sortie du brexit ce qui est
peu démocratique c’est certain voire un
peu autoritaire mais reposant… pour lui. Avait- il le droit de le faire ou non , that is the question. C’est l’absence de constitution écrite qui lui
a permis « d’innover ». En France ce genre de manœuvre ne pourrait
pas exister et MM. Macron et Philippe devraient se contenter de ronger leurs
freins car nous avons une constitution écrite qui jusqu’à présent nous a épargné
toute aventure ou des expériences malheureuses, et a garanti le fonctionnement du pays malgré les
crises de toute nature avec des règles du jeu précises sous le contrôle du conseil constitutionnel
notamment.
Une
constitution est un texte fondamental, supérieur à toutes les lois , fondateur du régime politique dans
lequel le peuple va vivre, qui fixe les principes juridiques écrits applicables, organise la
séparation des pouvoirs entre le pouvoir exécutif et le parlement,
l’indépendance de la justice ( simple autorité et non pouvoir dans notre constitution de la Vème république
du 4 octobre 1958 voulue par le général de Gaulle), détermine les modalités
électorales et essaie de fixer des
valeurs tout en répondant aux grands
défis qui émergent ( la décentralisation ou l’écologie) ,et ce qui est
immuable. L’article 1er de notre constitution stipule : « la France est une
république indivisible, laïque, démocratique et sociale… ».Son élaboration
répond à des consultations tout azimut. On peut créer une assemblée constituante
spécialement dédiée au sujet ou le gouvernement peut proposer un projet qui
sera ensuite soumis à l’approbation ou non du suffrage universel. La
constitution peut évoluer selon les nécessités, dans des conditions et une
procédure drastiques, mais il ne faut modifier le texte que d’une main tremblante car on sait ce qui fonctionne et doit être
amélioré, et il ne s’agit pas de suivre
une démarche expérimentale car l’inconnu
peut être dangereux. La raison doit l’emporter sur l’émotion ou la pression de
lobbys et de minorités.
Les
constitutions sont ce que la pratique du pouvoir en fait. En Russie ou en Chine la constitution est écrite et
contient à peu près en théorie tout ce
qui aurait plu à Montesquieu. Mais entre les droits formels et ceux que
l’on peut exercer dans la réalité, il y a un grand fossé. Les pays africains
apprennent la démocratie et font des efforts, et leurs constitutions en général
répondent aux canons « occidentaux » avec des spécificités locales.
Cela n’empêchent pas les dirigeants de triturer les textes pour se maintenir au
pouvoir pendant des années, tandis que l’opposition se prépare à gouverner
depuis la prison ou l’exil. Ils peuvent mieux faire. J’évoque pour mémoire les
pays théocratiques où la parole supposée de dieu se substitue au droit, ou
encore les endroits où le fusil ou la force barbare font office de texte
suprême .Et sous réserve des conflits armés où c’est la loi du plus fort qui
s’impose.
M.Johnson
espère tirer bénéfice de son tour de passe-passe constitutionnel. Mais parfois l’homme trop malin se plante. En
Italie M.Salvini qui se voyait déjà vainqueur dans les urnes et quasi premier
ministre, a négligé que la constitution italienne donnait le pouvoir de dissolution
au président de la république à condition qu’on ne trouve pas une autre majorité pour gouverner. L‘improbable a
eu lieu. Les ennemis jurés qu’étaient le mouvement 5 étoiles de M.Di Maio, et le
parti démocrate du revenant M. Renzi ont
trouvé une plate forme de gouvernement commune a minima, et M.Conté comme
ancien-nouveau premier ministre, pour gouverner le pays et surtout éliminer
M.Salvini. Qui est pris qui croyait prendre. Ce n’est pas glorieux mais c’est…
constitutionnel ! Comme quoi une constitution est comme la
langue d’Esope : on peut en tirer le pire comme le meilleur. M.Johnson
nous donne en direct une leçon de choses constitutionnelles dans la grande
démocratie qu’est l’Angleterre : god save the queen, for ever.
La leçon à
retenir est que les constitutions ne s’usent que si on ne s’en sert pas, et qu’il est préférable d’avoir un écrit plutôt que
rien du tout. L’expression chiffon de papier a été rendue célèbre par le
chancelier allemand Théobald Bethmann Hollweig qui l’a employée pour la
première fois le 4 août 1914. Il ne croyait pas à la bonne foi des Etats même
par écrit, ni à leur neutralité alors que l’ambassadeur britannique le
conjurait de signer un accord. On connait la suite de l’histoire. On va voir comment
nos amis britanniques vont rétablir la raison et rendre sa voix au speaker du parlement,
avant que le brexit ait lieu .
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