dimanche 1 septembre 2019

Les constitutions sont elles des chiffons de papier ?


Les constitutions sont elles des chiffons de papier ?
Par Christian Fremaux avocat honoraire et élu local.
Le nouveau premier ministre anglais Mister Boris Johnson que l’on connaissait pour son look atypique et son caractère surprenant n’a pas tardé à faire des siennes alors que le brexit se rapproche, et que personne ne sait ce qui va se passer. Les économistes sont en transe mais pas qu’eux. Les juristes s’y mettent. Alors que l’Angleterre est l’exemple moderne de la démocratie née à Athènes et pensée par Périclès dans l’antiquité, avec ses règles de droit, son sens du débat,  avec le parlement qui est la clef de voûte des institutions, M.Johnson vient de décider seul de suspendre les réunions dudit parlement pendant quelques semaines, ce qui lui permettra de manœuvrer sans répondre aux objections de l’opposition politique voire à ses adversaires conservateurs et d’ atteindre le 31 octobre date limite pour le brexit avec un deal ou non avec l’union européenne. Coup de génie ou pas de clerc l’avenir nous le dira. On crie au scandale, au quasi coup d’Etat ou pour le moins à une grave dérive constitutionnelle et des anglais légalistes et attachés à la démocratie ont saisi les tribunaux pour faire annuler le diktat de Boris. Je ne crois pas que les magistrats anglais pourront annuler ladite décision qui , si elle n’est pas formellement interdite peut être considérée comme pratiquement autorisée. Mais soyons prudent dans le pronostic : les juges qu’ils soient anglais ou français savent parfois surprendre et aller au-delà de leurs missions. Personne ne juge les juges… Il n’y a pas de constitution écrite en Angleterre. La nation du Commonwealth où le soleil ne se couchait jamais, du Royaume-Uni, de Churchill qui a incarné le droit donc le juste , le courage de défendre les libertés, et le sacrifice,  a l’habeas corpus depuis 1679 qui protège contre l’arbitraire et nous sommes dans le droit coutumier. Par exemple le premier ministre peut décider de dissoudre la chambre des communes ou de présenter la démission de son cabinet si sa politique est trop contestée. L’Angleterre vit avec des lois, des usages constitutionnels, de la jurisprudence celle qui se nourrit de précédents : c’est une « constitution non codifiée ». M.Johnson s’est contenté si l’on peut dire  de saisir une opportunité qui repose sur un vide juridique semble- t- il en suspendant jusque milieu octobre les réunions du parlement. La reine a validé la demande sans faire le moindre commentaire puisque elle règne mais ne gouverne pas. M.Johnson a joué un coup de poker menteur politique pour réfléchir en paix à la sortie du brexit  ce qui est peu démocratique  c’est certain voire un peu autoritaire mais reposant… pour lui. Avait- il le droit  de le faire ou non , that is the question.  C’est l’absence de constitution écrite qui lui a permis «  d’innover ». En France ce genre de manœuvre ne pourrait pas exister et MM. Macron et Philippe devraient se contenter de ronger leurs freins car nous avons une constitution  écrite qui jusqu’à présent nous a épargné toute aventure ou des expériences malheureuses, et  a garanti le fonctionnement du pays malgré les crises de toute nature avec des règles du jeu précises  sous le contrôle du conseil constitutionnel notamment.  
Une constitution est un texte fondamental, supérieur à toutes  les lois , fondateur du régime politique dans lequel le peuple va vivre, qui fixe les principes  juridiques écrits applicables, organise la séparation des pouvoirs entre le pouvoir exécutif et le parlement, l’indépendance de la justice ( simple autorité et non pouvoir  dans notre constitution de la Vème république du 4 octobre 1958 voulue par le général de Gaulle), détermine les modalités électorales et essaie de fixer  des valeurs  tout en répondant aux grands défis qui émergent ( la décentralisation ou l’écologie) ,et ce qui est immuable. L’article 1er de notre constitution  stipule : « la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale… ».Son élaboration répond à des consultations tout azimut. On peut créer une assemblée constituante spécialement dédiée au sujet ou le gouvernement peut proposer un projet qui sera ensuite soumis à l’approbation ou non du suffrage universel. La constitution peut évoluer selon les nécessités, dans des conditions et une procédure drastiques, mais il ne faut modifier le texte   que d’une main tremblante  car on sait ce qui fonctionne et doit être amélioré, et  il ne s’agit pas de suivre une démarche expérimentale  car l’inconnu peut être dangereux. La raison doit l’emporter sur l’émotion ou la pression de lobbys et de minorités.
Les constitutions sont ce que la pratique du pouvoir en fait. En Russie  ou en Chine la constitution est écrite et contient à peu près en théorie  tout ce qui aurait plu à Montesquieu. Mais entre les droits formels et ceux que l’on peut exercer dans la réalité, il y a un grand fossé. Les pays africains apprennent la démocratie et font des efforts, et leurs constitutions en général répondent aux canons « occidentaux » avec des spécificités locales. Cela n’empêchent pas les dirigeants de triturer les textes pour se maintenir au pouvoir pendant des années, tandis que l’opposition se prépare à gouverner depuis la prison ou l’exil. Ils peuvent mieux faire. J’évoque pour mémoire les pays théocratiques où la parole supposée de dieu se substitue au droit, ou encore les endroits où le fusil ou la force barbare font office de texte suprême .Et sous réserve des conflits armés où c’est la loi du plus fort qui s’impose.
M.Johnson espère tirer bénéfice de son tour de passe-passe constitutionnel.  Mais parfois l’homme trop malin se plante. En Italie M.Salvini qui se voyait déjà vainqueur dans les urnes et quasi premier ministre, a négligé que la constitution italienne donnait le pouvoir de dissolution au président de la république à condition qu’on ne trouve pas une  autre majorité pour gouverner. L‘improbable a eu lieu. Les ennemis jurés qu’étaient le mouvement 5 étoiles de M.Di Maio, et le parti démocrate du revenant  M. Renzi ont trouvé une plate forme de gouvernement commune a minima, et M.Conté comme ancien-nouveau premier ministre, pour gouverner le pays et surtout éliminer M.Salvini. Qui est pris qui croyait prendre. Ce n’est pas glorieux mais c’est… constitutionnel !   Comme quoi une constitution est comme la langue d’Esope : on peut en tirer le pire comme le meilleur. M.Johnson nous donne en direct une leçon de choses constitutionnelles dans la grande démocratie qu’est l’Angleterre : god save the queen, for ever.
La leçon à retenir est que les constitutions ne s’usent que si on ne s’en sert pas, et  qu’il est préférable d’avoir un écrit plutôt que rien du tout. L’expression chiffon de papier a été rendue célèbre par le chancelier allemand Théobald Bethmann Hollweig qui l’a employée pour la première fois le 4 août 1914. Il ne croyait pas à la bonne foi des Etats même par écrit, ni à leur neutralité alors que l’ambassadeur britannique le conjurait de signer un accord. On connait la suite de l’histoire. On va voir comment nos amis britanniques vont rétablir la raison et rendre sa voix au speaker du parlement, avant que le brexit ait lieu .   


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