mardi 17 septembre 2019

décrocheurs et désobéisseurs ou l'état de nécessité


Décrocheurs et désobéisseurs ou l’état de nécessité.
            Par Christian Fremaux avocat honoraire et élu local.

Tout ce qui est social ou se rapporte aux émotions est désormais revendiqué comme prioritaire ou de valeur supérieure dans notre environnement technocratique où les décisions tombent du haut ou viennent d’ailleurs (l’Europe), société qui est devenue technologique et immatérielle où l’homme -la femme semblent être une variable d’ajustement. On a besoin de sentiments, de rapports plus humains, de générosité, d’entraide avec celui ou ceux qui sont en difficulté, et l’on exige d’agir pour le climat. Nous sommes d’accord mais faut-il pour autant ne pas respecter la loi, les symboles républicains et s’affranchir de toutes contraintes légales démocratiquement votées ? Est- il légitime de désobéir ?

Madame Macron vient d’ouvrir à Clichy-sous- bois (93) une école où elle enseigne au bénéfice de « décrocheurs » adultes ceux qui ne sont pas restés à l’école, n’ont ni diplômes ni formation professionnelle et qui galèrent en conséquence pour s’insérer et trouver du travail. Il faut féliciter madame la femme du président de la république : les décrocheurs qu’elle aide sont positifs. C’était nécessaire pour eux.

 Mais il y a une autre catégorie de décrocheurs qui sont dangereux car ils ont décidé de désobéir ce qui est un mauvais exemple pour l’ensemble des citoyens et renforce l’individualisme qui est une menace pour la cohésion sociale, et l’union qui est indispensable. On peut avoir toutes les raisons que l’on veut, mais on doit aussi respecter ses devoirs, les institutions, les lois, sinon c’est la porte ouverte à toutes les aventures. Dans notre démocratie il y a des élections, des médias, des contre- pouvoirs, un parlement, un conseil économique, social et environnemental, des mairies, des associations, des groupes de pression, la liberté de manifester et des débats permanents…  qui permettent de faire passer ses idées sans violence, voire contraindre le pouvoir exécutif à agir. La force même mineure ou joyeuse n’est pas tolérable et une petite minorité ne peut dicter sa loi.
  
On a ressorti un vieux concept qui est devenu une arme de revendication et de chantage massif : la désobéissance qui n’est pas une nécessité.  
La désobéissance civile combat l’autorité de la délibération publique. Cette forme de résistance passive consiste à refuser d’obéir aux lois délibérées et votées démocratiquement et à écarter les jugements d’ordre civil. Des citoyens mus par des motivations éthiques ou prétendues telles (que la majorité n’approuve pas de son côté ou ne connait pas) transgressent délibérément de manière publique, pacifique dans l’intention – qui se caractérise par de la violence en fin de compte - une loi en vigueur [lire John Rawls 1971 théorie de la justice]. On se rappelle les campagnes de désobéissance civile en Afrique du sud de 1949 à 1952, et de l’action aux USA de Martin Luther King (1929-1968). La situation est- elle aussi critique en France en 2019 même si le réchauffement climatique mérite qu’on agisse ? On ajoute dans cette pratique au civisme la notion de « civilité » entendue comme du savoir-vivre (ensemble).
La désobéissance civique qui est une notion quasi similaire se distingue cependant de la civile car elle se heurte à la démocratie classique représentative qui incarne la majorité du peuple. Des minorités agissantes veulent avoir raison et déstabilisent les institutions. C’est le refus de vote, le rejet de toutes directives publiques, de la loi… Sans avoir la moindre légitimité, on fait passer son avis avant celui des autres et son intérêt personnel avant l’intérêt général. On veut être aussi vigie auto-proclamée, un lanceur d’alerte que d’ailleurs désormais la loi protège. Le cadre légal est abandonné.
Ce genre de désobéissance menace le système institutionnel et la confiance envers ceux qui ont été élus pour gouverner. On revient à la loi du plus fort, le faible n’est plus rien, l’élu est suspect, alors qu’il va de soi que tout abus doit être puni et que le soupçon permanent ne fait pas avancer les choses.
Les « décrocheurs »se sont aussi ceux qui se rendent subrepticement dans les mairies et sauf exception sans l’accord du maire dérobent (décrochent) le portrait officiel du président de la république qui est le symbole de l’autorité, de la solidarité et de la république.  Ce peut être considéré comme drôle et potache mais en réalité il s’agit d’un acte politique d’opposition, un geste militant qui signifie beaucoup. D’où des poursuites judiciaires qui sont engagées contre les auteurs identifiés, et une jurisprudence flottante. A Strasbourg le tribunal correctionnel a relaxé trois militants, tandis qu’à Bourg -en- Bresse des militants étaient condamnés à des amendes fermes ou avec sursis. Il va falloir attendre que la cour de cassation se prononce pour avoir une ligne de conduite cohérente et d’appréciation.

Le tribunal correctionnel de Lyon statuant par juge unique a prononcé une décision de relaxe de deux décrocheurs le 16 septembre 2019 en se fondant sur l’état de nécessité. Ce sont les motivations du tribunal, que j’ai lues dans la presse qui m’ont « interpellées » car elles rappellent la jurisprudence du « bon juge » Magnaud (1848-1926). Ce magistrat avait acquitté le 4 mars 1898 louise Menard une jeune fille-mère qui avait dérobé du pain chez un boulanger parce qu’elle n’avait rien mangé depuis deux jours. Le bon juge avait évoqué l’état de nécessité, notion qui fut reconnue par le code pénal seulement en 1994.Celui de Lyon a considérablement étendu la notion à l’intérêt général versus avis personnel.
 
Le tribunal a en effet considéré de manière inédite que ce décrochage-qui est une infraction avérée- est une « interpellation légitime » du président ? et doit être interprété comme « le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président et le peuple » et qu’inventer d’autres formes de participation des citoyens en dehors des élections est recevable. Cela se discute comme le disait le regretté Jean-Luc Delarue ! Les gilets jaunes le répètent aussi, et la démocratie participative est mise en avant : mais à quoi servent les instances représentatives des élus aux syndicats ou autres si chaque citoyen a droit à être écouté voire reçu par le président de la république, et en quoi y-a t- il un dialogue impraticable en matière de réchauffement climatique et de transition énergétique déjà pris en compte par le gouvernement ? Le magistrat est muet à ce sujet, il affirme et c’est court.
Le tribunal de Lyon a jugé aussi que la réalité du dérèglement climatique « affecte gravement l’avenir de l’humanité ». Dont acte. Et il en déduit : « face au défaut du respect par l’Etat d’objectifs pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital, le mode d’expression des citoyens en pays démocratique ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales mais doit inventer d’autres formes de participation dans le cadre d’un devoir de vigilance critique ». Or la perception de chacun est subjective et on peut se tromper de bonne foi. Quant à inventer d’autres formes d’expression démocratiques, le concours Lépine est ouvert. 

Nous sommes loin d’une motivation en droit et je me demande si le juge ne s’est pas prononcé ultra petita dans son écriture qui est plus proche d’une leçon de morale ou de bonne gouvernance que du droit positif. Le juge ne serait- il pas aussi militant ?  Personne ne nie l’urgence à agir pour le climat, mais en quoi cela justifie t- il que quelques citoyens s’exonèrent du cadre légal et court-circuitent les institutions ? On ne gouverne pas sous la menace ou le chantage. La majorité des français est peut-être d’accord avec les précautions prises par le gouvernement surtout pour ne pas pénaliser encore plus le monde rural.
Dans son jugement ledit juge lyonnais a dû reconnaitre qu’il y avait eu matériellement vol, mais il l’a formulé autrement : le décrochage c’est « un enlèvement sans autorisation » (sic) -comme la déesse Europe !- commis de «  façon manifestement pacifique avec un trouble à l’ordre public très modéré » ce qui entraine un simple rappel à la loi. Il va falloir lire attentivement ce jugement puisque d’autres décrocheurs vont comparaitre devant des tribunaux correctionnels dans les semaines qui suivent.

Les conséquences ont été immédiates. Les militants poursuivis ont considéré que le juge leur avait donné un permis de désobéissance puisqu’il avait compris les objectifs de leurs missions auto-attribuées. Et c’est là le danger. Si n’importe qui choisit un sujet qu’il estime fondamental et humaniste il serait légitime à ne plus respecter la loi voire à commettre des infractions ou déstabiliser telle ou telle institution. Dans ces conditions l’incivisme paierait sous forme de désobéissance et le citoyen ordinaire celui qui suit les règles quoiqu’il lui en coûte, paie ses taxes et impôts et va voter serait marginalisé voir stipendié. On ne peut l’admettre. Les tribunaux doivent appliquer la loi quitte à prononcer des condamnations minimes, ou dispenser de peine quand un délit est acquis. L’état de nécessité ne peut être retenu pour tout et rien.  

 L’individu n’est pas roi et le peuple qui a coupé la tête à Louis XVI est le souverain dans sa majorité.  Personne n’a le monopole du peuple, ou de la vérité ou du bien. On participe tous. On ne peut avoir raison sur tout et tout le temps. Pour les enfants désobéir est un vilain défaut, un manque d’éducation. Pour les adultes individuellement ou en petit nombre collectivement désobéir est mettre en danger la cohésion nationale et la nation, et est péril mortel pour la démocratie. Quant à la violence même « douce » elle est inacceptable sous toutes ses formes et quel qu’en soit le motif. La fraternité, la tolérance, et le débat démocratique même incisif doivent s’imposer.   


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