Guerre et paix à quitte ou double
Par Christian Fremaux avocat honoraire
On commençait
à s’habituer aux récriminations et exigences du président Ukrainien face à
l’agression de la Russie, le conflit s’éternisant hélas. Les réfugiés se sont
mêlés aux migrants d’autres continents venus avec des motifs différents, ce qui
complique les solutions et entraine des discussions sans fin dans les pays dits
d’accueil qui veulent conserver leur identité et leur niveau de vie. C’est humain
car l’empathie sans limite ne fait pas une politique publique et on est débordé
par les masses. On a le droit de se protéger. Les donneurs de leçons simplistes
n’ont pas la science infuse. L’humanisme est un combat partagé, les principes universels
étant devenus fluctuants. Chacun choisit sa victime et n’accepte pas les autres
voire refuse tout le monde. C’est un débat de civilisation.
S’y sont
ajoutées les batailles vitales dans le haut- Karabakh et la menace directe sur
l’existence de l’Arménie. On en parle peu car cet Etat a perdu la protection de
la Russie qui a d’autres priorités, lutte pour sa survie depuis 1915 et il ne
doit pas correspondre aux codes religieux et à la gouvernance que souhaiteraient
ses voisins plutôt prompts à l’avaler. Ou irriter des puissances qui n’ont pas
d’état d’âmes mais des intérêts et veulent s’imposer en rebattant les cartes
distribuées il y a des dizaines d’années par les occidentaux. Dis- moi qui tu
es, si tu es prêt à courber l’échine, si tu as des matières premières, si tu
nous soutiens et dans quel domaine et je te dirai si tu mérites d’être aidé
sinon de vivre. La « realpolitik » est
à géométrie variable. Les cris d’effroi sont parfois discrets. L’homme, la
femme et l’enfant semblent être des valeurs relatives et inégales. Il ne
faut pas vivre à un mauvais endroit à un mauvais moment. La paix ou la guerre
sont un jeu de hasard.
L’attaque du
Hamas sur Israël et son cortège de barbaries a sidéré le monde. Je ne suis
pas assez savant et partial pour me prononcer sur le fond historique de la
dispute mortelle et je ne le veux pas. Simplement je soutiens qu’un peuple a le
droit minimum d’exister. Je ne méprise aucun raisonnement tenu par des hommes
s’ils sont de bonne foi, avancent des arguments contradictoires et respectent
leurs adversaires. Mais rien ne justifie la violence et la haine. L’histoire
nous a enseigné ce qu’il en était d’admettre tout et n’importe quoi pour
ne pas faire de vagues, pour provoquer malgré soi, ou pour être à l’abri de
ceux qui n’ont aucun remords ou regrets et prônent la mort de l’autre selon
leur vérité. Le mal existe.
Je ne mets pas sur un même plan un Etat démocratique
qui est né de la volonté de la communauté internationale et reconnu par elle,
qui est entouré d’ennemis qui veulent sa disparition, qui se bat pour survivre,
et une organisation terroriste masquée qui n’est pas le bras vengeur d’un proto
-Etat ou la branche armée d’une nation qui discute politiquement selon les
canons de la diplomatie. Tout ne se vaut pas. Les erreurs éventuelles d’Israël
ne justifient pas du voisin une défense - attaque qui n’est pas légitime ni en
droit ni en fait encore moins morale, une agression ne l’étant jamais.
On vient de
faire un grand bond en arrière et malgré tout ce qui s’est passé et arrive encore
l’Homme ne progresse pas. La force reste son arme favorite : il faut
contraindre l’autre, lui imposer sa vision de la vie, le déloger de son
territoire ou faire en sorte qu’il ne se sente plus chez lui. Pour l’obliger
à accepter ce dont il ne veut pas. Le dialogue même tendu n’est plus tenté.
C’est tout ou rien, c’est-à- dire le conflit brutal. Il n’y a ni
tolérance, ni compréhension, ni compromis possibles. On cogne pour toute
justification. C’est bestial et inhumain.
J’ai
naturellement l’humilité de constater que c’est facile à dire car je n’ai
aucune responsabilité ni répercussion personnelle. Je subis les évènements
comme tout spectateur- citoyen. J’ai un peu peur ici. Je souhaite ardemment que
nos dirigeants prennent des mesures efficaces protectrices et régaliennes sans
vouloir faire plaisir à tout le monde, on n’est plus dans l’électoralisme.
Car le grand écart - comme pour la délinquance et les trafics ou l’accueil tous
azimuts - fait mal aux jambes et on ne peut tenir longtemps. Il ne faut pas que
les règlements de comptes se déroulent aussi dans notre société républicaine et
ouverte sinon fraternelle.
On a compris
que les accords d’Oslo et d’Abraham ainsi que le rapprochement d’Israël avec
des pays arabes avaient du plomb dans l’aile. Et si notre modèle démocratique
pour des minorités était obsolète et si notre conception des droits de l’homme
était dépassée outre la laïcité qui irrite des communautés ? Jean Bodin qui
prétendait que la seule querelle qui vaille est celle de l’homme n’a -t
-il rien anticipé ? Alain Bauer a écrit : « ...de fait
l’humanité semble condamnée à vivre perpétuellement entre conflits et
intermèdes pacifiques … » [Au commencement était la guerre. Fayard .2023].
S’il avait raison ?
Et que devient la justice dans ce capharnaüm
et ce cataclysme sanglant pour les innocents civils par temps de guerre ? Le
droit international humanitaire des conventions de Genève a des approches byzantines
entre crimes de guerre et ceux contre l’humanité. Il n’y a pas une définition unanime
du terrorisme. La justice française est compétente pour ses ressortissants. L’Onu
se bloque elle -même avec le veto des membres du conseil de sécurité qui
détiennent la bombe nucléaire. La cour de justice internationale basée à La Haye
qui dépend des nations unies s’occupe surtout de frontières ou autres différends
entre Etats. Mais pas des guerres. La cour pénale internationale [CPI]
qui existe depuis 1998 et siège aussi à la Haye a pour compétences de juger les
crimes d’agression et de guerre, les génocides, les crimes contre l’humanité.
On y est oui, mais non car les pouvoirs de la cour sont limités et chaque Etat
a dû ratifier la compétence de la juridiction pour en être justiciable. Ce qui
n’est pas le cas des 193 Etats de l’Onu.
Le procès comme pour les nazis à Nuremberg
n’est pas pour demain car il faut d’abord que la guerre cesse. La Russie
s’est retirée de la CPI en 2016. M. Poutine a cependant été mis en demeure de cesser
son invasion de l’Ukraine. Que pensez- vous qu’il a répondu à la CPI :
niet, rien ou par le mépris ? Par ailleurs on ne négocie pas avec des terroristes.
La justice
internationale n’a pas de troupes et les juges ne peuvent faire comparaitre d’autorité
un dirigeant d’un Etat quelconque pour le mettre en garde à vue voire
l’emprisonner. Surtout un tueur. La guerre ou la paix se joue à la roulette russe
parfois mais est toujours aléatoire. L’être humain souffre. On n’a pas réussi à
bâtir une humanité faite d’empathie et le vivre ensemble est un faux semblant
qui mène à des désastres. « Le vent se lève il faut tenter de vivre »
a écrit Paul Valery dans le cimetière marin. Que sur terre il soit entendu.