lundi 11 septembre 2023

Désobéissance civile et démocratie

 

                 Désobéissance civile et démocratie

                   Par Christian Fremaux avocat honoraire.

Le Garde des Sceaux M. Eric Dupont-Moretti a poussé un coup de gueule dans son langage fleuri mais que tout le monde comprend. Alors qu’il comparaissait à l’assemblée nationale à propos de l’enquête sur les violences notamment pour s’opposer aux méga- bassines à Sainte- Soline où il y a eu des affrontements très graves entre les gentils et pacifiques manifestants et les méchantes forces de l’ordre guerrières qui provoquent rien que par leur présence, le ministre a déclaré en substance : « ras le bol de la désobéissance civile… on a le droit disent certains quand on est porteur d’une cause légitime de ne plus obéir à la loi… C’est infernal… Rien n’est plus liberticide » a dit l’ancien ténor du barreau toujours percutant. En visant une partie extrême de l’échiquier politique. En prononçant aussi au passage le terme de « conneries » pour ce genre de raisonnement qui entraine des conséquences dramatiques. Il faut savoir nommer précisément les faits ce qui n’ajoute pas au malheur du monde. Outre un minimum de courage politique et ne pas se servir de slogans hargneux ou d’invectives qui excitent des citoyens qui se croient confortés dans leurs dérives ou utiliser la langue de bois, comme on l’entend souvent dans les débats parlementaires ou dans les protestations où c’est le plus sectaire qui croit avoir raison contre tous. Au nom de l’empathie sélective. Et de la détestation de l’ordre public.

J’approuve totalement le ministre de la justice car dans le rapport à la loi, dans le consentement même sans être convaincu à ce qui est légal et voté publiquement c’est le lien avec la démocratie qui est en jeu. Sans règles objectives, sans normes collectives, sans respect d’autrui sous le contrôle des tribunaux, avec la violence parce qu’on est convaincu de ce qui serait l’évidence, il n’y a plus d’Etat de droit. On n’attend même plus les échéances électorales. C’est  la jungle et la loi du plus fort ou du plus braillard qui s’applique. Si la liberté individuelle l’emporte sur les devoirs envers la nation on va au clash. On sait comment se termine le désordre ou le gouvernement du peuple directement ou à travers une avant- garde qui se dit éclairée. Si on s’autorise à n’en faire qu’à sa tête pour un motif quelconque, à accuser les adversaires de tous les maux, à attiser la haine par exemple contre des riches qui donnent aux restos du cœur, ou en dénigrant toutes les institutions et ses représentants en récusant par avance toute interdiction ou responsabilité, il n’y a plus de vie en société.

La désobéissance civile est un concept dévoyé.  Si les réactions ou revendications parfois brutales de diverses catégories sociales comme celles des individus durent depuis très longtemps on a pris la mauvaise habitude pour ne pas faire de vagues donc à tort, de constater que certains ne respectent rien dans le courant quotidien. On déplore que pour toute décision publique il y a un refus de l’autorité, une répugnance à respecter la loi, à considérer que toute disposition impérative voire toute simple recommandation, toute instruction générale sont des atteintes aux libertés et abusives, à ne tolérer aucune contrainte quelconque et à croire qu’en désobéissant on est dans le camp du bien. 

Cette rébellion ou pour ne pas exagérer cette propension à discuter, protester, pinailler, douter, dire tout et son contraire, se retrouvent dans tous les domaines et chacun d’entre nous doit l’affronter : par exemple  dans la famille avec les enfants ; à l’école où les parents viennent agresser les enseignants ;  dans l’entreprise où la moindre remarque est considérée comme du harcèlement moral et de la discrimination ; en justice où les jugements rendus font polémiques ; et bien sûr dans la sphère publique quand les politiques votent des lois à la suite d’un processus démocratique. A peine élu, le responsable n’est plus entendu. Car seule l’opinion publique aurait raison, c’est -à- dire une infime partie de la minorité. Notre monde actuel est devenu un mode d’empêcher de gouverner en rond, sans avoir la moindre légitimité et je pense aussi aux médias, sans répondre de ses actes si on se trompe, au prétexte que la démocratie est une vérification permanente par le peuple ou ceux qui prétendent l’incarner, et qu’il est normal de s’opposer ou de dire non y compris violemment. C’est de la vigilance active voire activiste. N’en faire que selon ses désirs est devenu un sport national, une manière de vivre et d’être, de se croire dissident -sans risques d’ailleurs- de s’en prendre aux pouvoirs publics tout en profitant des avantages et en négligeant que l’Etat ce n’est pas « moi » mais nous. Refuser d’obéir, de se soumettre à la loi, c’est considérer que la liberté individuelle est un principe supérieur à toute autre considération. L’intérêt général devient secondaire bien qu’il aille de soi qu’une loi peut être revue si elle est injuste ou inadaptée. 

On doit se rappeler ce que prêchait le père Henri Lacordaire (1802-1861), membre de l’Académie française et homme politique : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

Les militants qui désobéissent en se disant pacifiques mais en n’hésitant pas à faire le coup de poing contre les gendarmes et policiers et parfois secouristes, qui cassent ou créent des ZAD symboles de la résistance à l’Etat et à la Justice, utilisent le concept de désobéissance civile pour se justifier. Elle a été décrite en 1849 par le philosophe, naturaliste et poète né en 1817 à Concord (Usa) Henry David Thoreau. En juillet 1846 il avait refusé de payer un impôt à l’Etat américain pour protester contre l’esclavage. Il ne va passer qu’une nuit en prison car sa tante va payer sa caution. Furieux il décide de théoriser son action, sans oublier « le discours de la servitude volontaire ou le contr’un » d’Estienne de la Boétie (1530-1563) qui est une remise en cause de la légitimité des gouvernants à propos d’une révolte antifiscale - déjà - en Guyenne en 1548. La question est : pourquoi obéit-on ? Au bénéfice de qui ? Sinon la collectivité globale, indivisible et laïque désormais ?

Avec la désobéissance civile on refuse de se soumettre à une loi ou une mesure qui nous paraissent inacceptables. On s’interroge :  le légal est-il juste ? alors que l’on est en République et que l’absolutisme n’existe plus et sauf à penser que l’Etat est totalitaire.  On en appelle à des valeurs subjectives, à sa conscience personnelle, à ce qui nous motive, à sa définition du bien et du mal, pour renforcer parait -il l’intérêt collectif outre pour combattre l’impuissance des Etats face à des firmes mondialisées. Sans demander l’avis des autres citoyens. La désobéissance pour avoir raison ou par principe ne peut mener qu’à la chienlit. La vérité est protéiforme et seule l’élection démocratique permet de progresser. La désobéissance conduit à l’impasse exceptés quelques exemples historiques. Elle met en danger la démocratie. 

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