Désobéissance
civile et démocratie
Par
Christian Fremaux avocat honoraire.
Le Garde des
Sceaux M. Eric Dupont-Moretti a poussé un coup de gueule dans son langage fleuri
mais que tout le monde comprend. Alors qu’il comparaissait à l’assemblée
nationale à propos de l’enquête sur les violences notamment pour s’opposer aux méga-
bassines à Sainte- Soline où il y a eu des affrontements très graves entre
les gentils et pacifiques manifestants et les méchantes forces de l’ordre guerrières
qui provoquent rien que par leur présence, le ministre a déclaré en substance : « ras le bol de la désobéissance
civile… on a le droit disent certains quand on est porteur d’une cause légitime
de ne plus obéir à la loi… C’est infernal… Rien n’est plus liberticide » a
dit l’ancien ténor du barreau toujours percutant. En visant une partie extrême
de l’échiquier politique. En prononçant aussi au passage le terme de « conneries »
pour ce genre de raisonnement qui entraine des conséquences dramatiques. Il faut
savoir nommer précisément les faits ce qui n’ajoute pas au malheur du monde. Outre
un minimum de courage politique et ne pas se servir de slogans hargneux ou
d’invectives qui excitent des citoyens qui se croient confortés dans leurs dérives
ou utiliser la langue de bois, comme on l’entend souvent dans les débats
parlementaires ou dans les protestations où c’est le plus sectaire qui croit
avoir raison contre tous. Au nom de l’empathie sélective. Et de la détestation
de l’ordre public.
J’approuve
totalement le ministre de la justice car dans le rapport à la loi, dans le
consentement même sans être convaincu à ce qui est légal et voté publiquement
c’est le lien avec la démocratie qui est en jeu. Sans règles objectives, sans
normes collectives, sans respect d’autrui sous le contrôle des tribunaux, avec
la violence parce qu’on est convaincu de ce qui serait l’évidence, il n’y
a plus d’Etat de droit. On n’attend même plus les échéances électorales. C’est la jungle et la loi du plus fort ou du plus
braillard qui s’applique. Si la liberté individuelle l’emporte sur les devoirs
envers la nation on va au clash. On sait comment se termine le désordre ou le
gouvernement du peuple directement ou à travers une avant- garde qui se dit
éclairée. Si on s’autorise à n’en faire qu’à sa tête pour un motif quelconque,
à accuser les adversaires de tous les maux, à attiser la haine par exemple
contre des riches qui donnent aux restos du cœur, ou en dénigrant toutes les
institutions et ses représentants en récusant par avance toute interdiction ou responsabilité,
il n’y a plus de vie en société.
La
désobéissance civile est un concept dévoyé. Si les réactions ou revendications parfois
brutales de diverses catégories sociales comme celles des individus durent
depuis très longtemps on a pris la mauvaise habitude pour ne pas faire de
vagues donc à tort, de constater que certains ne respectent rien dans le
courant quotidien. On déplore que pour toute décision publique il y a un refus
de l’autorité, une répugnance à respecter la loi, à considérer que toute
disposition impérative voire toute simple recommandation, toute instruction
générale sont des atteintes aux libertés et abusives, à ne tolérer aucune
contrainte quelconque et à croire qu’en désobéissant on est dans le camp du
bien.
Cette
rébellion ou pour ne pas exagérer cette propension à discuter, protester,
pinailler, douter, dire tout et son contraire, se retrouvent dans tous les
domaines et chacun d’entre nous doit l’affronter : par exemple dans la famille avec les enfants ; à
l’école où les parents viennent agresser les enseignants ; dans l’entreprise où la moindre remarque est
considérée comme du harcèlement moral et de la discrimination ; en justice
où les jugements rendus font polémiques ; et bien sûr dans la sphère
publique quand les politiques votent des lois à la suite d’un processus
démocratique. A peine élu, le responsable n’est plus entendu. Car seule
l’opinion publique aurait raison, c’est -à- dire une infime partie de la
minorité. Notre monde actuel est devenu un mode d’empêcher de gouverner en
rond, sans avoir la moindre légitimité et je pense aussi aux médias, sans
répondre de ses actes si on se trompe, au prétexte que la démocratie est une
vérification permanente par le peuple ou ceux qui prétendent l’incarner, et
qu’il est normal de s’opposer ou de dire non y compris violemment. C’est de la
vigilance active voire activiste. N’en faire que selon ses désirs est devenu un
sport national, une manière de vivre et d’être, de se croire dissident -sans
risques d’ailleurs- de s’en prendre aux pouvoirs publics tout en profitant des
avantages et en négligeant que l’Etat ce n’est pas « moi » mais nous.
Refuser d’obéir, de se soumettre à la loi, c’est considérer que la liberté
individuelle est un principe supérieur à toute autre considération. L’intérêt
général devient secondaire bien qu’il aille de soi qu’une loi peut être revue
si elle est injuste ou inadaptée.
On doit se
rappeler ce que prêchait le père Henri Lacordaire (1802-1861), membre de
l’Académie française et homme politique : « entre le fort et le
faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la
liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».
Les
militants qui désobéissent en se disant pacifiques mais en n’hésitant pas à
faire le coup de poing contre les gendarmes et policiers et parfois secouristes,
qui cassent ou créent des ZAD symboles de la résistance à l’Etat et à la Justice,
utilisent le concept de désobéissance civile pour se justifier. Elle a été
décrite en 1849 par le philosophe, naturaliste et poète né en 1817 à Concord (Usa)
Henry David Thoreau. En juillet 1846 il avait refusé de payer un impôt à
l’Etat américain pour protester contre l’esclavage. Il ne va passer qu’une nuit
en prison car sa tante va payer sa caution. Furieux il décide de théoriser
son action, sans oublier « le discours de la servitude volontaire ou le
contr’un » d’Estienne de la Boétie (1530-1563) qui est une remise en cause
de la légitimité des gouvernants à propos d’une révolte antifiscale - déjà - en
Guyenne en 1548. La question est : pourquoi obéit-on ? Au bénéfice de
qui ? Sinon la collectivité globale, indivisible et laïque désormais
?
Avec la
désobéissance civile on refuse de se soumettre à une loi ou une mesure qui nous
paraissent inacceptables. On s’interroge : le légal est-il
juste ? alors que l’on est en République et que l’absolutisme
n’existe plus et sauf à penser que l’Etat est totalitaire. On en appelle à des valeurs subjectives, à sa
conscience personnelle, à ce qui nous motive, à sa définition du bien et du
mal, pour renforcer parait -il l’intérêt collectif outre pour combattre l’impuissance
des Etats face à des firmes mondialisées. Sans demander l’avis des autres
citoyens. La désobéissance pour avoir raison ou par principe ne peut mener qu’à
la chienlit. La vérité est protéiforme et seule l’élection démocratique permet
de progresser. La désobéissance conduit à l’impasse exceptés quelques exemples
historiques. Elle met en danger la démocratie.
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