vendredi 15 septembre 2023

L’arlésienne à la barre

 

                                      L’arlésienne à la barre

                  Par Christian Fremaux avocat honoraire

L’indépendance de la justice est comme le monstre du Loch Ness : un serpent de mer. Dans notre constitution de la Vème République la justice est une autorité ce qui vexe ceux qui en sont et qui s’estiment bien plus haut que cela. Outre le droit ils devraient aussi connaitre le sort d’Icare. Elle n’est pas un pouvoir comme l’exécutif ou le législatif et la théorie de Montesquieu n’est pas suivie. C’est le général de Gaulle en 1958 qui en a décidé ainsi. Il devait avoir une bonne raison ? D’autant plus que les gouvernements successifs de gauche comme de droite ne se sont pas lancés dans une réforme d’envergure. Ils l’ont annoncé ou constitué des colloques ou commissions d’étude. Point. L’opinion publique joue -t -elle un rôle pour que rien ne change ? Le débat concerne surtout l’indépendance des procureurs mais pas seulement. Et globalement la légitimité des juges n’ayant pas subi l’onction populaire. Puisqu’ils sont nommés et que le Garde des Sceaux en suivant des avis corporatistes se préoccupe de leurs promotions ce qui apparait comme un entre soi. 

On ne touche aux lois que d’une main tremblante. A la Constitution encore plus. Pour les juges on n’ose pas mettre un doigt dans l’engrenage. Ce n’est jamais le bon moment pour s’attaquer aux problèmes de fond connus et reconnus concernant les magistrats. On préfère parler à juste titre d’ailleurs, de budgets, de délais, de manque de moyens et de personnel qui sont de vraies difficultés. Mais la qualité des hommes et les femmes qui jugent est aussi déterminante. Ceux et celles qui décident au nom du peuple français doivent assumer qu’ils peuvent défaire une carrière ou la ralentir, se tromper ou refuser ou accepter tel fait ou ajouter à la loi, par leur interprétation des textes dans un contexte politique flottant ou social très chaud, ou environnemental contesté ou autre considération personnelle. Ce sont les arbitres de notre Etat de droit fondamental pour la démocratie à la suite d’un concours ardu passé souvent très jeunes après des études brillantes mais sans expérience du terrain ou de l’individu qui parfois substituent leurs avis à la volonté populaire. Et peuvent commettre des erreurs comme n’importe qui. Doivent- ils échapper à leurs responsabilités et rendre des comptes ? La réussite à une sélection confère -t-elle l’irresponsabilité à vie ?  

C’est la grande question puisque nul n’est plus égal qu’un autre citoyen, et que chacun doit assumer les conséquences de sa propre décision. On ne peut se cacher derrière le paravent de l’Etat ou d’une immunité de fait sinon de droit tout en gardant son libre arbitre, son indépendance quand il s’agit de se prononcer et de motiver le jugement ou l’arrêt. Et faire carrière car il faut gagner – le mieux possible - sa vie. Reconnaissons que trouver un équilibre est un vrai défi et on comprend que les politiques y vont à reculons. Mais leur honneur est d’être courageux, pas pour eux mais au profit des justiciables donc de tous les citoyens. On ne peut plaire à tout le monde : le grand écart est réservé aux plus souples et entrainés.


Comme la femme de César, la magistrature ne peut être soupçonnable. Or on apprend que des membres du syndicat de la magistrature [S.M.]  Institution qui regroupe environ un tiers des 9.000 magistrats en France ce qui est considérable, participent à la fête de l’humanité du parti communiste (avec le rappeur Médine) et discutent avec les héritiers de Staline et de Trotski - Poutine ou Kim Jong Un étant actuellement hors-jeu et M. Mélenchon pas disponible - de violences policières, de l’insécurité, du capitalisme à bannir ou de la propriété qui spolie, voire de l’immigration. Sujets pas seulement juridiques, car tous éminemment politiques, polémiques et qui sont dans l’actualité.  On rétorquera que ce sont des simples syndicalistes qui s’expliqueront et échangeront sans forcément approuver leurs interlocuteurs en vertu de leur liberté d’expression de citoyens et pas des juges en tant que tels. Mais s’ils étaient d’accord avec les politiques, comment le sait- on ? Leurs jugements reflèteront - ils une idéologie malgré leur devoir de réserve ?

Les querelles byzantines et sémantiques sont dépassées. Certes je connais la théorie d’Ernst Kantorowicz des deux corps du roi, le premier mortel et naturel le second surnaturel et immortel. Mais comment fonctionne un syndicaliste militant en même temps juge professionnel pour faire la distinction intellectuelle et concrète entre ses convictions partisanes que chaque citoyen a le droit d’avoir et l’application de la loi qui est celle de tout le peuple y compris de la majorité silencieuse, et qui nécessite impartialité et réflexion outre de prendre de la hauteur surtout si celui que l’on doit juger est pour soi dans le camp du mal, ou que la cause à  apprécier est contraire à ce que l’on croie. On ne demande pas aux magistrats d’être des héros, mais on exige l’objectivité, l’absence de partialité même inconsciente voire une neutralité active à mon avis étant quasi impossibles. Mais je dois être trop pessimiste sur la nature humaine !

 Chaque magistrat à son niveau doit s’empêcher comme disait Albert Camus. Et je parle aussi de ceux qui comme moi juge au conseil de prud’hommes ne sont pas des professionnels et qui doit faire l’effort de la tolérance, de la compréhension de l’autre et des intérêts supérieurs de la collectivité. Avec comme seule boussole le droit positif, les textes votés qui émanent de la volonté populaire. Et en cas de doute ou d’hésitation de se décider en esprit éclairé et équitable. Pas pour faire triompher un camp. La justice n’est pas là pour refaire le monde, pour soutenir telle vision de la cité qui deviendrait parfaite et idéale, pour punir certains et exonérer d’autres pour diverses raisons. Sinon le citoyen est perdu, il subodore la partialité et n’a plus confiance en la justice ce qui est grave. Ce sont les citoyens qui décident de ce que doit être la justice, pas de prétendues élites que l’on compte sur les doigts de quelques centaines de professionnels cooptés avec des mains blanches a priori pures et qui donnent des leçons. « Le devoir des juges est de rendre la justice, leur métier est de la différer. Quelques- uns savent leur devoir et font leur métier. Heureusement la plupart des juges connaissent leurs métiers et font leurs devoirs » comme l’a écrit La Bruyère.

La justice est un monument en péril. Les « maçons » du syndicat de la magistrature avaient construit le mur des cons ce qui n’a pas entrainé un mouvement enthousiaste à leurs bénéfices. On se rappelle l’exergue du magistrat Oswald Baudot dans les années 1970 qui incitait les juges à être partiaux. En devenant compagnons de route d’un parti que l’histoire a rejeté les juges du S.M. fissurent le mur de la justice. Celui de Berlin s’étant écroulé en 1989. L’histoire parfois bégaie. Donc attention.

L’indépendance commence dans les têtes et les consciences avant d’être institutionnalisée.       

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