Abus
de droit, sécurité et responsabilités.
Par
Christian FREMAUX avocat honoraire.
On a assisté
avec stupéfaction aux débordements brutaux qui ont accompagné samedi 28 mai
2022 la finale de la ligue des champions de football entre Liverpool et le Real
Madrid au stade de France. La France a
été sifflée et a pris un carton rouge pour la sécurité publique. Son image a
pâli. Il va falloir se rattraper pour l’organisation des prochains grands
évènements. L’U.E.F.A. avait choisi en catastrophe Paris pour cette confrontation
à la place de Saint- Pétersbourg la Russie étant en guerre, et par précaution justement
parce que la France a une réputation de savoir- faire en matière de protection
des populations et de maintien de l’ordre : il va falloir le réviser et
confirmer. La France est en paix y compris dans les compétitions sportives. Elle
est championne toute catégorie des libertés et des droits de l’homme/de la
femme. Et désormais concourt dans le camp de la violence tous azimuts pour tout
sujet, sur tous les terrains, dans les quartiers et les communes de l’hexagone.
C’est le problème de fond.
L’éminent
spécialiste de la sécurité et de la criminologie le professeur Alain Bauer a
décrit les grains de sable qui s’étaient accumulés au point de devenir une plage.
Elle a été inondée. Le ministre a désigné un peu vite les présumés coupables à
savoir surtout les supporters anglais avec la fausse billetterie. On polémique
sur les chiffres et on se demande qui ment ? En voyant les images il
semble que les responsabilités soient partagées entre l’organisateur la
fédération ; le consortium du stade ; Liverpool avec ses billets
papiers ; la sécurité publique avec les moyens déployés dont les gaz
lacrymogènes ; et l’intervention volontaire bien que non désirée de voyous
de toute nature. A propos de ces derniers il ne faut pas en dénier la
réalité avec l’insécurité régnante un peu partout sur le territoire. L’occasion
fait le larron.
Admettons-
le a minima : il y a eu un problème
d’ordre public aux causes multiples qu’il va falloir analyser à froid pour
qu’il ne se reproduise plus. Heureusement il n’y a eu ni blessés graves ni
morts, que des frustrés, des volés, et des déçus. Ce qui est déjà beaucoup.
Mais l’Etat doit toujours tendre vers le mieux. Laissons prospérer les enquêtes
avant de désigner des responsables privés et publics par manque d’anticipation
et de réactions (in)appropriées, les forces de l’ordre répondant aux consignes
et à l’action en direct. N’oublions pas de condamner les
délinquants reconnus et jugés coupables.
Mais
il y a des limites à la décence qu’il ne faut pas franchir. Parmi les
grains de sable qui ont conduit au désordre il y a eu la grève dans le RER B
qui a obligé les spectateurs étrangers donc un peu perdus et irrités à venir
par le RER D ce qui avec les retards et la configuration des lieux a tout changé
en matière d’entrée dans le stade. La grève n’est évidemment pas le fait majeur
mais elle a facilité le désordre. Je n’ai pas aimé le communiqué cynique du
mardi 31 mai de la CGT qui a considéré que son mouvement du samedi était une
« réussite » et qu’elle allait le renouveler pour concrétiser le
rapport de forces. Je n’ignore pas la valeur constitutionnelle et symbolique du
droit de grève. Celle-ci s’exerce dans le cadre des lois qui la réglementent
notamment pour les nécessités de l’ordre public. Sous le contrôle du juge.
Il s’est
agi d’un abus de droit car les grévistes des deux entreprises Ratp et Sncf qui
exploitent le réseau ne pouvaient méconnaître le fait que si le RER ne
fonctionnait pas comme d’habitude il y aurait des conséquences qui n’ont
rien à voir avec des revendications sociales. Les usagers ou clients ne sont
pas des otages. Vieux débat. Il y a eu la prise volontaire d’un risque énorme
en perturbant les acheminements de la foule ce qui fait partie de la sécurité
globale à laquelle tout le monde doit coopérer sans s’exonérer pour préserver
ou obtenir des avantages corporatifs. La sécurité est l’affaire de tous et est
trop sérieuse pour ne la laisser qu’aux professionnels ou à l’Etat ce qui
est facile. Le citoyen responsable dans tous ses états doit s’y consacrer. La Cgt
aussi.
L’abus de
droit est une notion juridique notamment associée à la morale qui permet de sanctionner
tout usage d’un bénéfice légal qui dépasse les bornes de ce qui est raisonnable.
Par exemple dans le domaine fiscal ; ou le mariage blanc ; ou une
clause abusive dans un contrat. Cicéron
dans De Officiis constatait :« l’application excessive du droit conduit à
l’injustice ». Il faut savoir user de ses droits avec modération. On ne
comprend désormais que les droits individuels. La notion de devoirs qui fondaient
la nation a disparu. Tout est prétendument liberticide notamment les lois
discutées et votées par nos parlementaires en matière de défense collective,
terrorisme ou santé confondus.
J’espère que
les élus de juin 2022 seront des législateurs courageux pour concilier droits
et devoirs, pour trouver l’équilibre entre les libertés et les restrictions aux
fins de protections. On a besoin d’armes légales et d’autorité. Que veut-on
face aux menaces ? La société
idéale devrait- elle être sans aucune contrainte dans un état de droit toujours
irréprochable quelles que soient les circonstances ; conduisant au bonheur
à travers des débats sans fin avec les citoyens tous égaux. Est-ce
possible ? Qui décidera au bout ? L’utopie a conduit Thomas More à perdre sa tête
plus vite que la mise en application de ses idées réformatrices en théorie.
En attendant
on s’en remettra aux juges qui se prononcent sur les responsabilités. Ils le
font en conscience en l’état du droit national et européen qui parfois empêche.Et
des valeurs républicaines. Mais chacun sait qu’en démocratie celui qui a
le pouvoir c’est le peuple souverain représenté par ses élus et non pas
par des autorités diverses. Qui veut des actes.
M. Jean-Éric
Schoettl ancien conseiller d’Etat et secrétaire général du Conseil Constitutionnel
a consacré toute sa vie à la défense du droit. Il écrit dans « la
Démocratie au péril des prétoires. De l’Etat de droit au gouvernement des juges
[éd.le débat] » : « L’Etat de droit ne veut entendre que les raisons
d’Antigone et récuse celles de Créon ». « L’absolutisme
droits-de-l’hommiste bloque l’intérêt général. L’Etat de droit est devenu fondamentaliste.
Le contrôle des différents juges est devenu dogmatique et pointilleux ». M.Schoettl prône
le retour des autorités politiques. Encore faut- il qu’elles le veuillent
ou le puissent. Le mauvais exemple du foot. va-t-il conduire à une prise de conscience
générale ?.
Quant au
match Liverpool-Real Madrid il n’y a eu aucun abus de qualité. Il fut morne. Si
un club français avait joué tout aurait changé, parvis inclus. La fête ne se
serait pas transformée en défaite. Je galéje bien sûr ! France 0 - Fiasco
1.