dimanche 27 mars 2022

Paroles verbales bien qu’écrites.

 

                   Paroles verbales bien qu’écrites.

                    Par Christian Fremaux avocat honoraire.

On dit qu’il y a parole verbale lorsque le verbe sert à remplacer l’action et ne conduit qu’à des généralités sans conséquences concrètes. C’est de la communication. Une campagne électorale se prête à des annonces parfois échevelées qui ne seront jamais mises en œuvre. Il s’agit de séduire l’électeur. Et les orateurs ne sont pas avare d’effet de manche. Parfois un document officiel écrit peut être considéré comme une parole verbale.

Dans le conflit Ukraine -Russie les instances internationales sont à la manœuvre, l’Onu d’abord. Ensuite les juridictions internationales comme la Cour internationale de Justice [C.I.J.] qui est un organe des Nations Unies et ne juge que les Etats, par exemple pour une difficulté de frontières ou autre sujet plus grave sur plainte d’un Etat. Puis la Cour Pénale internationale [C.P.I.] qui est une juridiction indépendante s’intéressant aux individus, ceux qui décident les chefs d’Etat et leur état- major pour examiner leurs responsabilités en cas de génocide ou crimes contre l’humanité ou de guerre ou crimes d’agression. La C.I.J. fait connaitre ses décisions par voie d’ordonnance ou d’arrêt. La C.P.I. de même.  Nous sommes dans l’écrit mais je fais un parallèle osé avec les paroles verbales car il arrive - c’est le cas en ce moment - que les écrits ne soient suivis d’aucun résultat.

Une résolution à l’ONU est l’expression formelle des Etats avec un préambule qui expose les motifs et un dispositif qui décide et ordonne. Il y a 193 Etats membres. L’assemblée générale de l’ONU dans une résolution du 24 Mars 2022 adoptée par 140 Etats, 5 ayant voté contre et 38 s’étant abstenus a exigé l’arrêt immédiat de la guerre, la protection des civils et le respect du droit international humanitaire. M. Poutine certainement rendu sourd par le bruit de ses bombes n’a pas bronché. Mais il sait lire.

La C.I.J. plus haut tribunal de l’Onu avait déjà ordonné le 19 Mars 2022 à la Russie de suspendre immédiatement ses opérations militaires en Ukraine. Mais en droit les « ordres » de la cour ne sont que des mesures provisoires édictées dans l’urgence en attendant un jugement sur le fond dans un temps lointain. Par ailleurs l’ONU n’a ni le pouvoir prévu par les textes ni les moyens d’envoyer sur le terrain des soldats ou des policiers pour faire respecter ses décisions notamment ses résolutions. Les casques bleus qui se battent contre aucune partie sont forces d’interposition et de maintien de la paix et ne sont déployés que par une décision spécifique du conseil de sécurité où la Russie a un droit de veto, ou par l’assemblée générale. Et sauf si on décidait au cas d’espèce de changer brutalement les règles du droit international et les statuts de l’Onu ce qui ne sera pas demain la veille mais je peux me tromper.

La C.P.I. s’est aussi prononcée fermement. Alors que la Russie n’a pas daigné comparaitre devant la cour, celle- ci a rendu le 16 mars 2022 une ordonnance (c’est comme un jugement) exigeant que la Russie cesse son agression et veille à ce qu’aucune unité militaire régulière ou non (des mercenaires) ne commette d’actes tendant à la poursuite de la guerre y compris sur éventuelle demande des pro-russes du Donbass .Nous sommes encore dans le cadre de mesures conservatoires qui bien qu’obligatoires ne peuvent être appliquées de force à la Russie. M. Poutine qui a compris que les occidentaux ne veulent pas être des co-belligérants continue donc son offensive.

On dit que l’autocrate russe méprise le droit international. C’est vrai quand celui -ci lui est défavorable. Mais il l’utilise à son profit quand il soutient qu’il a déclenché la guerre pour arrêter le génocide des populations anti ukrainiennes dans les régions de Donetsk et Louhansk et pour « dénazifier » l’Ukraine afin qu’elle devienne plus démocratique et se libère d’un régime de profiteurs les oligarques ukrainiens et d’un gouvernement à la solde des USA je suppose ?  Le bluff est énorme et le droit international qui est fondé sur des valeurs universelles ne peut tolérer qu’on lui torde le cou ainsi. Ceci dit que fait- on pour sortir de l’impasse ?  

Soyons pratiques. Pour que les résolutions de l’Onu et les décisions judiciaires de la C.I.J. et de la C.P.I. soient efficaces il faudra créer des moyens d’intervention forcée pour les rendre exécutoires sur place. Sinon on restera dans les intentions louables et on sera à la merci de la bonne volonté d’un agresseur qui décide d’arrêter ou de persévérer voire d’accentuer ses exactions selon son bon vouloir et ses intérêts. La communauté internationale est ridicule en réalité impuissante et les beaux discours les plus raisonnables et émouvants soient-ils ne servent pas à grand-chose. Sauf à mobiliser l’opinion mondiale. Mais un agresseur comme M. Poutine qui doit avoir aussi des visées internes et personnelles se soucie- t- il de l’avis des autres et de la clameur indignée ?

Les coups de menton qui rappellent des mauvais souvenirs de l’histoire ne règlent rien. Les responsables des institutions internationales sont dépourvus quand la bise glaciale vient de l’Est profond. Il faut cependant maintenir la pression et utiliser toutes les sanctions économiques ou individuelles possibles même si elles ont un effet pervers en nous frappant par ricochet. Pourquoi interdire aux entreprises françaises de ne plus travailler en Russie ce qui va entrainer du chômage sur place et chez nous ? Personnellement je trouve injuste de bannir la culture ancienne et les artistes russes contemporains et faire en sorte qu’ils soient tenus pour complices de M. Poutine alors qu’ils sont aussi victimes. On n’est pas obligé de se servir des armes excessives de la guerre et de tout balayer y compris le passé des peuples. On ne lutte pas contre des individus mais contre un régime politique qui a dérivé et un homme submergé par une volonté de puissance et peut être désormais dépassé par le monstre qu’il a créé. Il a « gagné » déjà : l’Otan est ressuscitée ! Et l’Union Européenne s’est soudée et a compris quoi faire pour son avenir. Le tsar de l’ex- KGB ne peut que perdre sur la longueur car la Russie ne sera jamais le maitre du monde. Et un Etat grand par la taille et la population outre son histoire ne peut être au ban des nations ad vitam aeternam. Les diplomates vont devoir trouver un compromis même s’il apparait injuste. En justice souvent toutes les parties sont mécontentes du jugement rendu.

 Les paroles s’envolent mais parfois elles sont plus fortes que les canons et les missiles catalogués comme « défensifs » mais qui tuent aussi. Ne nous donnons pas bonne conscience en se mentant à soi -même. Les écrits, les décisions de justice restent mais souvent ils sont théoriques et posent des pétitions de principe. Soyons réalistes demandons l’impossible : que la guerre cesse et que l’on règle le conflit sur le tapis vert. Que le droit soit une arme de dissuasion massive. La vie y trouvera son compte.      

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