Paroles verbales bien qu’écrites.
Par Christian Fremaux avocat honoraire.
On dit qu’il
y a parole verbale lorsque le verbe sert à remplacer l’action et ne conduit
qu’à des généralités sans conséquences concrètes. C’est de la
communication. Une campagne électorale se prête à des annonces parfois
échevelées qui ne seront jamais mises en œuvre. Il s’agit de séduire
l’électeur. Et les orateurs ne sont pas avare d’effet de manche. Parfois un
document officiel écrit peut être considéré comme une parole verbale.
Dans le
conflit Ukraine -Russie les instances internationales sont à la manœuvre, l’Onu
d’abord. Ensuite les juridictions internationales comme la Cour internationale
de Justice [C.I.J.] qui est un organe des Nations Unies et ne juge que les
Etats, par exemple pour une difficulté de frontières ou autre sujet plus grave
sur plainte d’un Etat. Puis la Cour Pénale internationale [C.P.I.] qui est
une juridiction indépendante s’intéressant aux individus, ceux qui décident les
chefs d’Etat et leur état- major pour examiner leurs responsabilités en cas de
génocide ou crimes contre l’humanité ou de guerre ou crimes d’agression. La
C.I.J. fait connaitre ses décisions par voie d’ordonnance ou d’arrêt. La C.P.I.
de même. Nous sommes dans l’écrit mais
je fais un parallèle osé avec les paroles verbales car il arrive - c’est le cas
en ce moment - que les écrits ne soient suivis d’aucun résultat.
Une
résolution à l’ONU est l’expression formelle des Etats avec un préambule qui
expose les motifs et un dispositif qui décide et ordonne. Il y a 193 Etats membres.
L’assemblée générale de l’ONU dans une résolution du 24 Mars 2022 adoptée par
140 Etats, 5 ayant voté contre et 38 s’étant abstenus a exigé l’arrêt immédiat
de la guerre, la protection des civils et le respect du droit international
humanitaire. M. Poutine certainement rendu sourd par le bruit de ses bombes n’a
pas bronché. Mais il sait lire.
La C.I.J.
plus haut tribunal de l’Onu avait déjà ordonné le 19 Mars 2022 à la Russie de
suspendre immédiatement ses opérations militaires en Ukraine. Mais en droit les
« ordres » de la cour ne sont que des mesures provisoires édictées dans
l’urgence en attendant un jugement sur le fond dans un temps lointain. Par
ailleurs l’ONU n’a ni le pouvoir prévu par les textes ni les moyens
d’envoyer sur le terrain des soldats ou des policiers pour faire respecter ses
décisions notamment ses résolutions. Les casques bleus qui se battent contre
aucune partie sont forces d’interposition et de maintien de la paix et ne sont déployés
que par une décision spécifique du conseil de sécurité où la Russie a un droit
de veto, ou par l’assemblée générale. Et sauf si on décidait au cas d’espèce de
changer brutalement les règles du droit international et les statuts de l’Onu
ce qui ne sera pas demain la veille mais je peux me tromper.
La C.P.I.
s’est aussi prononcée fermement. Alors que la Russie n’a pas daigné
comparaitre devant la cour, celle- ci a rendu le 16 mars 2022 une ordonnance
(c’est comme un jugement) exigeant que la Russie cesse son agression et veille
à ce qu’aucune unité militaire régulière ou non (des mercenaires) ne commette
d’actes tendant à la poursuite de la guerre y compris sur éventuelle demande
des pro-russes du Donbass .Nous sommes encore dans le cadre de mesures
conservatoires qui bien qu’obligatoires ne peuvent être appliquées de force à
la Russie. M. Poutine qui a compris que les occidentaux ne veulent pas être des
co-belligérants continue donc son offensive.
On dit que
l’autocrate russe méprise le droit international. C’est vrai quand celui -ci
lui est défavorable. Mais il l’utilise à son profit quand il soutient qu’il a
déclenché la guerre pour arrêter le génocide des populations anti ukrainiennes
dans les régions de Donetsk et Louhansk et pour « dénazifier » l’Ukraine
afin qu’elle devienne plus démocratique et se libère d’un régime de profiteurs
les oligarques ukrainiens et d’un gouvernement à la solde des USA je
suppose ? Le bluff est énorme et le
droit international qui est fondé sur des valeurs universelles ne peut tolérer
qu’on lui torde le cou ainsi. Ceci dit que fait- on pour sortir de
l’impasse ?
Soyons pratiques.
Pour que les résolutions de l’Onu et les décisions judiciaires de la C.I.J. et de
la C.P.I. soient efficaces il faudra créer des moyens d’intervention
forcée pour les rendre exécutoires sur place. Sinon on restera dans les intentions
louables et on sera à la merci de la bonne volonté d’un agresseur qui décide
d’arrêter ou de persévérer voire d’accentuer ses exactions selon son bon vouloir
et ses intérêts. La communauté internationale est ridicule en réalité
impuissante et les beaux discours les plus raisonnables et émouvants soient-ils
ne servent pas à grand-chose. Sauf à mobiliser l’opinion mondiale. Mais un
agresseur comme M. Poutine qui doit avoir aussi des visées internes et personnelles
se soucie- t- il de l’avis des autres et de la clameur indignée ?
Les coups de
menton qui rappellent des mauvais souvenirs de l’histoire ne règlent rien. Les
responsables des institutions internationales sont dépourvus quand la bise
glaciale vient de l’Est profond. Il faut cependant maintenir la pression et utiliser
toutes les sanctions économiques ou individuelles possibles même si elles ont
un effet pervers en nous frappant par ricochet. Pourquoi interdire aux
entreprises françaises de ne plus travailler en Russie ce qui va entrainer du
chômage sur place et chez nous ? Personnellement je trouve injuste de
bannir la culture ancienne et les artistes russes contemporains et faire en
sorte qu’ils soient tenus pour complices de M. Poutine alors qu’ils sont aussi
victimes. On n’est pas obligé de se servir des armes excessives de la guerre et
de tout balayer y compris le passé des peuples. On ne lutte pas contre des
individus mais contre un régime politique qui a dérivé et un homme
submergé par une volonté de puissance et peut être désormais dépassé par
le monstre qu’il a créé. Il a « gagné » déjà : l’Otan
est ressuscitée ! Et l’Union Européenne s’est soudée et a compris quoi
faire pour son avenir. Le tsar de l’ex- KGB ne peut que perdre sur
la longueur car la Russie ne sera jamais le maitre du monde. Et un Etat
grand par la taille et la population outre son histoire ne peut être au ban des
nations ad vitam aeternam. Les diplomates vont devoir trouver un compromis même
s’il apparait injuste. En justice souvent toutes les parties sont mécontentes
du jugement rendu.
Les paroles s’envolent mais parfois elles sont
plus fortes que les canons et les missiles catalogués comme « défensifs »
mais qui tuent aussi. Ne nous donnons pas bonne conscience en se mentant à soi
-même. Les écrits, les décisions de justice restent mais souvent ils sont
théoriques et posent des pétitions de principe. Soyons réalistes demandons
l’impossible : que la guerre cesse et que l’on règle le conflit sur le
tapis vert. Que le droit soit une arme de dissuasion massive. La vie y trouvera
son compte.
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