mercredi 9 mars 2022

guerre ou paix et justice

 

                                         Guerre ou paix et Justice.

                        Par Christian Fremaux avocat honoraire.

 Accoler les termes guerre-justice c’est écrire un oxymore comme une douce violence. La guerre entre Etats se termine sur un champ de bataille avec un vainqueur et un vaincu et surtout deux éclopés, ou sur le tapis vert par la diplomatie qui conduit à la signature d’un traité international donc par des clauses de droit. Voire par une juridiction qui rend un avis ou un arrêt qui tranche juridiquement le conflit. Tout ceci peut entrainer ensuite des difficultés d’exécution ou d’interprétation et reconduire aux armes, le 20-ème siècle nous l’a appris. La justice internationale a-t-elle le pouvoir d’arrêter la guerre ou d’ordonner le cessez- le -feu puisque l’Ukraine a saisi diverses instances pour que la Russie soit contrainte de mettre fin à son agression. M. Poutine va -t- il avoir peur des juges ? La paix dépend-elle du droit international ?

Le philosophe Pascal Bruckner écrit que « les européens prenaient la paix [depuis 1945] pour la norme alors qu’elle n’était que l’exception. La parenthèse est fermée. Le réveil est effroyable ». On ne croyait plus au mal et on pensait que l’Europe permettrait l’harmonie par le droit, avec des frontières ouvertes facilitant l’accueil des plus exposés ou des plus utiles, outre des religions pouvant s’exercer dans l’ignorance de ceux qui ne croient pas et sans les nations devenues désuètes. On a péché par bienveillance et naïveté dans le cadre de la mondialisation qui devait abolir tous les antagonismes malgré quelques perdants. Restaient d’autres valeurs historiques pas matérielles mais humaines et spirituelles avec des individus avides de libertés et de démocratie que l’on a négligées. Notamment le poids de l’histoire des populations longtemps sous le joug, l’espoir de vivre mieux et indépendantes avec des ambitions qui ne plaisent pas à certains. Francis Fukuyama avait annoncé la fin de l’histoire après la chute du mur de Berlin et le triomphe de la démocratie occidentale. Il s’est trompé. On vient de faire dans la précipitation une révision urgente et drastique de la nécessité de la nation, de notre protection contre toute menace sur notre civilisation ou simplement sur notre territoire soyons modestes. Ou pour pallier les errements de dirigeants y compris en Europe qui par leurs comportements hégémoniques ou de puissance entrainent des dommages collatéraux loin de leurs bases. Le terrorisme islamique a redistribué les cartes et a choisi la voie de la terreur, la guerre tous azimuts et permanente. Nos yeux se sont dessillés mais parce qu’en France les grands principes démocratiques prévalent à juste titre on hésite encore à considérer que l’on est attaqué par idéologie globale. On prend des mesures préventives et nos tribunaux jugent les responsables des attentats. Nos forces armées sont prêtes à toute éventualité.

 Il y a des dizaines de conflits armés dans le monde sur tous les continents et parfois plusieurs dans un pays ou une même région. Chaque Etat défend ce en quoi il croit ou parce qu’il est concerné directement, et quand il le peut essaie de participer si on veut de lui à résoudre les difficultés des autres peuples. Les victimes se comptent par millions. L’émotion submerge plus ou moins soyons francs selon les intéressés. Un agresseur ne regrette jamais et se trouve des justifications. Les printemps arabes ou celui de Maïdan en Ukraine ont dégénéré ou n’ont pas produit les fruits attendus. Des démocraties illibérales tendent plus vers des démocratures que des états de droit. L’Ukraine vient de s’apercevoir que l’Otan n’interviendrait pas et que l’union européenne non plus puisque ce pays n’en fait pas partie. Morale ou indignation au vu des souffrances humaines et réalisme politique ne se confondent pas. Le président Zelensky vient de déplorer que « les occidentaux ne tenaient pas leurs promesses ». Il n’aura pas d’avions venant d’un Etat de l’atlantique nord sauf à prendre le risque d’élargir les combats à ceux qui les ont fournis. Est-ce vraiment une surprise un Etat n’ayant que des intérêts et pas d’amis selon la formule cynique classique ? L’Ukraine s’est tournée vers des juridictions internationales, faisons- en la distinction.

L’Ukraine a saisi la Cour Internationale de Justice [C.I.J.] créée en 1945 qui siège à La Haye et qui est un organe de l’ONU où la Russie a un droit de veto. Seul l’un des 193 Etats de cette organisation peut saisir la cour et ses 15 juges. La C.I.J. juge des Etats. Des particuliers ou des Ong ne peuvent être demandeurs. L’Ukraine accuse la Russie d’avoir abusé de la convention pour la prévention et la répression du génocide. Moscou soutient en effet qu’il y a eu des génocides contre les pro-russes dans les régions de Donestsk et Louhansk. La Russie ne s’est pas présentée à la première audience du 7 mars 2022.Aucune mesure d’exécution provisoire à titre conservatoire n’est possible. Les avocats de M. Poutine connaissent certainement leur travail. La procédure est longue, très longue.

La Cour Pénale Internationale [C.P.I.] qui siège aussi à La Haye a été saisie. Elle juge des individus et pas des Etats qui peuvent se retrouver en prison après un long procès selon la procédure anglo-saxonne méticuleuse, contradictoire sur preuves, avec accusation et défense. La CPI a été créée en 1998 par le traité de Rome qui doit être ratifié par les Etats. Les Usa, la Chine, Israël en particulier n’ont pas ratifié le traité et la Russie s’est retirée après l’enquête préliminaire engagée et liée à la Crimée en 2014.La cour juge les crimes de génocide ou ceux contre l’humanité ou de guerre. On se bat sur les définitions et le contenu de ces crimes. Puis sur la réalité des faits. C’est interminable.

Enfin l’Ukraine a saisi la Cour Européenne des droits de l’Homme [C.E.D.H.] qui siège à Strasbourg. Ce n’est ni une juridiction de l’union européenne ni une instance française puisqu’elle dépend du Conseil de l ’Europe. Cette institution regroupe 47 Etats dont la France notamment, puis la Turquie, la Russie et l’Ukraine. La procédure est particulière. Un individu peut la saisir. Cela dure des mois voire des années. Mais il y a des cas d’urgence. Elle s’appuie sur la déclaration universelle des droits de l’homme dont l’interdiction de la torture, de la violence, le droit d’expression et de conscience, d’aller et venir… Je ne crois pas que M. Poutine certain de son bon droit ait la même lecture des droits de l’Homme qu’un vulgaire démocrate « ordinaire » : son argument de droit massue est la raison du plus fort !    

La paix doit venir au plus vite du théâtre de guerre, sur le terrain. Le cessez- le- feu permet aux diplomates donc au droit d’intervenir.  Comme la justice interne la justice internationale a un temps long, et n’évitera ni les drames humains ni les désolations.  Ce n’est pas juste. Mais entre ce qu’il ne faut pas faire qui est injuste et l’ambition humaine il n’y a parfois rien. A chacun de faire ce qu’il peut et à l'Etat qui nous représente d’agir.

 

 

  

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