Guerre ou paix et Justice.
Par
Christian Fremaux avocat honoraire.
Accoler les termes guerre-justice c’est écrire
un oxymore comme une douce violence. La guerre entre Etats se termine sur un
champ de bataille avec un vainqueur et un vaincu et surtout deux éclopés, ou
sur le tapis vert par la diplomatie qui conduit à la signature d’un traité
international donc par des clauses de droit. Voire par une juridiction qui
rend un avis ou un arrêt qui tranche juridiquement le conflit. Tout ceci peut
entrainer ensuite des difficultés d’exécution ou d’interprétation et reconduire
aux armes, le 20-ème siècle nous l’a appris. La justice internationale a-t-elle
le pouvoir d’arrêter la guerre ou d’ordonner le cessez- le -feu puisque
l’Ukraine a saisi diverses instances pour que la Russie soit contrainte de
mettre fin à son agression. M. Poutine va -t- il avoir peur des juges ?
La paix dépend-elle du droit international ?
Le
philosophe Pascal Bruckner écrit que « les européens prenaient la paix
[depuis 1945] pour la norme alors qu’elle n’était que l’exception. La
parenthèse est fermée. Le réveil est effroyable ». On ne croyait plus
au mal et on pensait que l’Europe permettrait l’harmonie par le droit, avec des
frontières ouvertes facilitant l’accueil des plus exposés ou des plus utiles,
outre des religions pouvant s’exercer dans l’ignorance de ceux qui ne croient
pas et sans les nations devenues désuètes. On a péché par bienveillance et
naïveté dans le cadre de la mondialisation qui devait abolir tous les
antagonismes malgré quelques perdants. Restaient d’autres valeurs historiques
pas matérielles mais humaines et spirituelles avec des individus avides de
libertés et de démocratie que l’on a négligées. Notamment le poids de
l’histoire des populations longtemps sous le joug, l’espoir de vivre mieux et
indépendantes avec des ambitions qui ne plaisent pas à certains. Francis
Fukuyama avait annoncé la fin de l’histoire après la chute du mur de Berlin et
le triomphe de la démocratie occidentale. Il s’est trompé. On vient de
faire dans la précipitation une révision urgente et drastique de la
nécessité de la nation, de notre protection contre toute menace sur notre civilisation
ou simplement sur notre territoire soyons modestes. Ou pour pallier les
errements de dirigeants y compris en Europe qui par leurs comportements
hégémoniques ou de puissance entrainent des dommages collatéraux loin de leurs
bases. Le terrorisme islamique a redistribué les cartes et a choisi la voie de
la terreur, la guerre tous azimuts et permanente. Nos yeux se sont dessillés
mais parce qu’en France les grands principes démocratiques prévalent à juste
titre on hésite encore à considérer que l’on est attaqué par idéologie globale.
On prend des mesures préventives et nos tribunaux jugent les responsables des
attentats. Nos forces armées sont prêtes à toute éventualité.
Il y a des dizaines de conflits armés dans le
monde sur tous les continents et parfois plusieurs dans un pays ou une même
région. Chaque Etat défend ce en quoi il croit ou parce qu’il est concerné directement,
et quand il le peut essaie de participer si on veut de lui à résoudre les
difficultés des autres peuples. Les victimes se comptent par millions. L’émotion
submerge plus ou moins soyons francs selon les intéressés. Un agresseur ne
regrette jamais et se trouve des justifications. Les printemps arabes ou celui
de Maïdan en Ukraine ont dégénéré ou n’ont pas produit les fruits attendus. Des
démocraties illibérales tendent plus vers des démocratures que des états de
droit. L’Ukraine vient de s’apercevoir que l’Otan n’interviendrait pas et que l’union
européenne non plus puisque ce pays n’en fait pas partie. Morale ou indignation
au vu des souffrances humaines et réalisme politique ne se confondent pas. Le président
Zelensky vient de déplorer que « les occidentaux ne tenaient pas leurs
promesses ». Il n’aura pas d’avions venant d’un Etat de l’atlantique nord
sauf à prendre le risque d’élargir les combats à ceux qui les ont fournis. Est-ce
vraiment une surprise un Etat n’ayant que des intérêts et pas d’amis selon la
formule cynique classique ? L’Ukraine s’est tournée vers des juridictions internationales,
faisons- en la distinction.
L’Ukraine a
saisi la Cour Internationale de Justice [C.I.J.] créée en 1945 qui siège à La
Haye et qui est un organe de l’ONU où la Russie a un droit de veto. Seul l’un
des 193 Etats de cette organisation peut saisir la cour et ses 15 juges. La C.I.J.
juge des Etats. Des particuliers ou des Ong ne peuvent être demandeurs. L’Ukraine
accuse la Russie d’avoir abusé de la convention pour la prévention et la
répression du génocide. Moscou soutient en effet qu’il y a eu des génocides
contre les pro-russes dans les régions de Donestsk et Louhansk. La Russie ne
s’est pas présentée à la première audience du 7 mars 2022.Aucune mesure
d’exécution provisoire à titre conservatoire n’est possible. Les avocats de M. Poutine
connaissent certainement leur travail. La procédure est longue, très longue.
La Cour Pénale
Internationale [C.P.I.] qui siège aussi à La Haye a été saisie. Elle juge
des individus et pas des Etats qui peuvent se retrouver en prison après un long
procès selon la procédure anglo-saxonne méticuleuse, contradictoire sur
preuves, avec accusation et défense. La CPI a été créée en 1998 par le traité
de Rome qui doit être ratifié par les Etats. Les Usa, la Chine, Israël en particulier
n’ont pas ratifié le traité et la Russie s’est retirée après l’enquête préliminaire
engagée et liée à la Crimée en 2014.La cour juge les crimes de génocide ou ceux
contre l’humanité ou de guerre. On se bat sur les définitions et le contenu de
ces crimes. Puis sur la réalité des faits. C’est interminable.
Enfin
l’Ukraine a saisi la Cour Européenne des droits de l’Homme [C.E.D.H.] qui siège
à Strasbourg. Ce n’est ni une juridiction de l’union européenne ni une instance
française puisqu’elle dépend du Conseil de l ’Europe. Cette institution
regroupe 47 Etats dont la France notamment, puis la Turquie, la Russie et
l’Ukraine. La procédure est particulière. Un individu peut la saisir. Cela dure
des mois voire des années. Mais il y a des cas d’urgence. Elle s’appuie
sur la déclaration universelle des droits de l’homme dont l’interdiction de la
torture, de la violence, le droit d’expression et de conscience, d’aller et
venir… Je ne crois pas que M. Poutine certain de son bon droit ait la
même lecture des droits de l’Homme qu’un vulgaire démocrate « ordinaire » :
son argument de droit massue est la raison du plus fort !
La paix doit
venir au plus vite du théâtre de guerre, sur le terrain. Le cessez- le- feu
permet aux diplomates donc au droit d’intervenir. Comme la justice interne la justice
internationale a un temps long, et n’évitera ni les drames humains ni les
désolations. Ce n’est pas juste. Mais
entre ce qu’il ne faut pas faire qui est injuste et l’ambition humaine il
n’y a parfois rien. A chacun de faire ce qu’il peut et à l'Etat qui nous représente d’agir.
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