La
cour de justice de la république en surchauffe.
Par
Christian FREMAUX avocat honoraire.
La cour de
justice de la république (C.J.R.) est saisie de nombreuses plaintes. Elle n’a
jamais autant travaillé. Cette institution
atypique en matière de justice est dans la lumière alors même qu’elle est
largement méconnue par les justiciables qui sont familiers du tribunal correctionnel où
comparaissent régulièrement des personnalités ou prétendues élites et de la
cour d’assises avec les jurés populaires où on juge des crimes notamment de ceux
qui ont intrigué et indigné l’opinion publique. Chaque citoyen se prononce selon
ses appréciations du bien et du mal en confondant droit et morale. Les
décisions de la justice sont toujours subjectives : chacun les considère
trop sévères ou pas assez selon ses valeurs et ses convictions.
Le cas
à part du président de la république.
Si le
président de la république n’était pas protégé par une irresponsabilité pénale
prévue à l’article 67 de la constitution de 1958 pour les actes accomplis en
lien avec ses fonctions, et sauf procédure devant la haute cour pour
destitution prévue à l’article 68 pour des faits d’une extrême gravité, il est
à parier que de nombreuses plaintes pour des motifs divers
le poursuivraient. Le climat quotidien de défiance s’y prête sans compter
les arrière- pensées de toute nature. D’autant plus que M. Macron n’hésite pas à
dire qu’il « assume » ce qui veut dire qu’il persiste et
signe pour ce qu’il a décidé et demandé au gouvernement de mettre en œuvre.
Le régime politique actuel qui est devenu quasi présidentiel - le parlement
voit son rôle se réduire en fait - oblige le président qui ne peut se
cacher derrière personne. Par ses choix il joue sa réélection ou non, mais
il ne craint rien sur le plan de la justice pour les actes correspondant à
sa fonction. Pour ceux qui sont en dehors de celle-ci 1 mois après la fin de
son mandat politique il peut être poursuivi : on vient ainsi
d’assister au procès de l’ancien président N. Sarkozy pour ce qu’on a appelé
l’affaire des écoutes de « Paul Bismuth ». Le tribunal correctionnel
de paris se prononcera le 1er mars prochain.
Les
ministres et leur justice spécifique.
Mais l’immunité qui prévaut pour le président,
ne s’applique pas aux ministres et au premier ministre : la cour de
justice de la république est ouverte en permanence et peut apprécier les
décisions prises par le pouvoir exécutif. On vient d’apprendre que des
magistrats avaient déposé plainte contre le ministre de la justice pour prise
illégale d’intérêts (art. 432-12 du code pénal) qui est la traduction
répressive du conflit d’intérêts : on lui reproche d’abuser de ses fonctions de
ministre et d’en profiter pour prendre des décisions pour régler des comptes de
l’avocat qu’il fut avec des magistrats ? Le ministre devient un
justiciable comme un autre, avec la présomption d’innocence, le droit à un avocat,
avec des débats contradictoires, l’accusation devant faire la preuve des faits
dénoncés et de leur qualification pénale...La question est : comment les
magistrats qui doivent dialoguer avec leur ministre au moins pour les affaires
courantes, font-ils pour rester neutres et ne considérer que l’intérêt des
justiciables avec les réformes indispensables ? La parabole de la paille
et de la poutre est à deux sens. Quelle est cette juridiction qui est chargée
du dossier ?
La
C.J.R qu’es- aco ?
La cour de
justice de la république est prévue à l’article 68-1 de la Constitution de la
Vème république. L’article 68-2 indique
que tout individu peut déposer plainte. Elle est régie par une loi organique du
23 novembre 1993. Elle est composée de 15 juges : 6 députés + 6 sénateurs
+ 3 magistrats issus du siège de la cour de cassation. Le président actuel est
M. Dominique Pauthe. Le ministère public est représenté par le procureur
général de la cour de cassation - le célèbre M. François Molins anciennement
chargé de la lutte contre le terrorisme - assisté d’avocats généraux. La plainte doit être préalablement déposée
devant une commission des requêtes qui la déclare irrecevable ou recevable. Dans
ce dernier cas une commission d’instruction de 3 membres examine le dossier,
entend qui elle veut, fait des interrogatoires et des vérifications, puis
décide de prononcer un non -lieu ou de renvoyer devant la formation de
jugement.
La cour se
prononce comme devant toute juridiction pénale et applique les sanctions
prévues pour l’infraction poursuivie : elle peut relaxer bien sûr,
condamner à de la prison avec ou sans sursis, à des amendes, à des peines d
‘interdiction ou de privation de droits civiques, dispenser de peine…Les
victimes ne peuvent pas se constituer parties civiles et obtenir directement
réparation de leurs préjudices.
Il y a
actuellement 4 instructions en cours dont celle qui commence concernant le
ministre de la justice. Depuis le début
de la covid -19 plus de 70 plaintes ont été déposées pour des délits comme je suppose
de mise en danger de la vie d’autrui et non- assistance à personne en
danger ; manquements à des mesures de sécurité ; homicides ou mort
sans intention de la donner ou blessures involontaires : je fais confiance
à l’imagination des avocats… Des ministres, des hauts fonctionnaires, et
l’ancien premier ministre ont été entendus. Des enquêtes avec perquisitions ont
commencé…
La cour
s’est prononcée jusqu’à fin 2020 sept (7) fois, de l’affaire du sang contaminé
en 1999, à la violation du secret professionnel (enquête fiscale contre un
député) par un ministre qui a été condamné en 2019.
Le débat
L’existence
de la cour de justice de la république est contestée. On dénonce son entre soi,
voire sa neutralité ou sa bienveillance au bénéfice de ceux qui comparaissent. Le président
Hollande avait promis de la supprimer. Il n’a pu le faire. S’agissant d’une modification de la
Constitution il faut en effet en passer -sauf référendum s’il est possible
et… souhaitable pour un unique sujet ? - par la réunion du congrès à
Versailles et le vote positif de 3/5ème des parlementaires. Le
président Macron souhaite aussi la suppression de la cour de justice et que les
ministres soient jugés par des magistrats de la cour d’appel de paris comme des
quasi quidams. Ce qui vaut pour les misérables vaudraient pour les puissants. Mais
il n’a pas eu l’opportunité de faire voter ladite suppression, ce que les
membres actuels de son gouvernement regrettent amèrement.
Il y a
d’autres formes pour combattre l’injustice et régénérer la démocratie qui est
la prise de ses responsabilités à tout niveau y compris dans l’Etat dit
profond. Le président voulait profiter de
la réforme pour notamment diminuer le nombre des députés et sénateurs ;
pour introduire une dose de proportionnelle dans les scrutins électoraux ;
pour permettre le droit à une différenciation pour les collectivités
locales ; pour mettre une disposition impérative sur le respect de
l’environnement ; et pour tenter de renforcer l’indépendance des
magistrats du parquet. Il pensait à élargir le référendum d’initiative
partagée et à transformer la composition du conseil économique, social, et
environnemental pour en faire le lieu de la participation citoyenne.
C’était aussi de la justice. Il a laissé son projet en suspens.
Le texte présenté en conseil des ministres le 28
août 2019 sur le renouveau de la vie démocratique est resté en l’état, et la
crise sanitaire qui dure ne va pas favoriser une réforme constitutionnelle qui
est pourtant nécessaire pour oxygéner la vie publique, faire participer plus
les citoyens et leur rendre la confiance. En effet et sauf erreur de ma part,
les priorités sont plus d’importance vitale économique, sociale,
qu’institutionnelle.
Obtenir
justice.
Bien sûr la
justice fait partie de la recherche d’égalité et de lutte contre l’absence de
responsabilités. Personne n’a oublié la formule « responsable mais pas
coupable ». Notre société veut à juste titre de la transparence, de la
vérité, de l’efficacité, et qu’il n’y ait pas de plus égaux que d’autres. Mais
la cour de justice de la république ne doit pas faire oublier que chacun
d’entre nous a aussi sa part de responsabilité et que l’Etat et ceux qui
gouvernent ne peuvent pas tout. Le principe de précaution n’est pas celui de
l’interdiction généralisée et de l’absence de risque. La justice est une vertu
qui ne se substitue pas à l’individu. Elle sanctionne en cas de faute dans
l’intérêt du collectif qui a besoin de direction et d’autorités. Mais elle ne
résout pas tout. La vie -la bonne et juste - appartient à l’homme /la
femme qui la construit à son image et qui parfois se trompe. Laissons juger la
cour de justice sans la soupçonner- car on ne peut douter de la république et
de ceux qui la protègent-ou lui demander plus qu’elle ne peut donner.