mardi 12 janvier 2021

la cour de justice de la république en surchauffe

 

La cour de justice de la république en surchauffe.

Par Christian FREMAUX avocat honoraire.

La cour de justice de la république (C.J.R.) est saisie de nombreuses plaintes. Elle n’a jamais autant travaillé.  Cette institution atypique en matière de justice est dans la lumière alors même qu’elle est largement méconnue par les justiciables qui sont familiers du tribunal correctionnel où comparaissent régulièrement des personnalités ou prétendues élites et de la cour d’assises avec les jurés populaires où on juge des crimes notamment de ceux qui ont intrigué et indigné l’opinion publique. Chaque citoyen se prononce selon ses appréciations du bien et du mal en confondant droit et morale. Les décisions de la justice sont toujours subjectives : chacun les considère trop sévères ou pas assez selon ses valeurs et ses convictions.

                                      Le cas à part du président de la république.

Si le président de la république n’était pas protégé par une irresponsabilité pénale prévue à l’article 67 de la constitution de 1958 pour les actes accomplis en lien avec ses fonctions, et sauf procédure devant la haute cour pour destitution prévue à l’article 68 pour des faits d’une extrême gravité, il est à parier que de nombreuses plaintes pour des motifs divers le poursuivraient. Le climat quotidien de défiance s’y prête sans compter les arrière- pensées de toute nature.  D’autant plus que M. Macron n’hésite pas à dire qu’il « assume » ce qui veut dire qu’il persiste et signe pour ce qu’il a décidé et demandé au gouvernement de mettre en œuvre. Le régime politique actuel qui est devenu quasi présidentiel - le parlement voit son rôle se réduire en fait - oblige le président qui ne peut se cacher derrière personne. Par ses choix il joue sa réélection ou non, mais il ne craint rien sur le plan de la justice pour les actes correspondant à sa fonction. Pour ceux qui sont en dehors de celle-ci 1 mois après la fin de son mandat politique il peut être poursuivi : on vient ainsi d’assister au procès de l’ancien président N. Sarkozy pour ce qu’on a appelé l’affaire des écoutes de « Paul Bismuth ». Le tribunal correctionnel de paris se prononcera le 1er mars prochain.

                                        Les ministres et leur justice spécifique.

 Mais l’immunité qui prévaut pour le président, ne s’applique pas aux ministres et au premier ministre : la cour de justice de la république est ouverte en permanence et peut apprécier les décisions prises par le pouvoir exécutif. On vient d’apprendre que des magistrats avaient déposé plainte contre le ministre de la justice pour prise illégale d’intérêts (art. 432-12 du code pénal) qui est la traduction répressive du conflit d’intérêts : on lui reproche d’abuser de ses fonctions de ministre et d’en profiter pour prendre des décisions pour régler des comptes de l’avocat qu’il fut avec des magistrats ? Le ministre devient un justiciable comme un autre, avec la présomption d’innocence, le droit à un avocat, avec des débats contradictoires, l’accusation devant faire la preuve des faits dénoncés et de leur qualification pénale...La question est : comment les magistrats qui doivent dialoguer avec leur ministre au moins pour les affaires courantes, font-ils pour rester neutres et ne considérer que l’intérêt des justiciables avec les réformes indispensables ? La parabole de la paille et de la poutre est à deux sens.   Quelle est cette juridiction qui est chargée du dossier ?

                                               La C.J.R qu’es- aco ?

La cour de justice de la république est prévue à l’article 68-1 de la Constitution de la Vème république.  L’article 68-2 indique que tout individu peut déposer plainte. Elle est régie par une loi organique du 23 novembre 1993. Elle est composée de 15 juges : 6 députés + 6 sénateurs + 3 magistrats issus du siège de la cour de cassation. Le président actuel est M. Dominique Pauthe. Le ministère public est représenté par le procureur général de la cour de cassation - le célèbre M. François Molins anciennement chargé de la lutte contre le terrorisme - assisté d’avocats généraux.  La plainte doit être préalablement déposée devant une commission des requêtes qui la déclare irrecevable ou recevable. Dans ce dernier cas une commission d’instruction de 3 membres examine le dossier, entend qui elle veut, fait des interrogatoires et des vérifications, puis décide de prononcer un non -lieu ou de renvoyer devant la formation de jugement.

La cour se prononce comme devant toute juridiction pénale et applique les sanctions prévues pour l’infraction poursuivie : elle peut relaxer bien sûr, condamner à de la prison avec ou sans sursis, à des amendes, à des peines d ‘interdiction ou de privation de droits civiques, dispenser de peine…Les victimes ne peuvent pas se constituer parties civiles et obtenir directement réparation de leurs préjudices.

Il y a actuellement 4 instructions en cours dont celle qui commence concernant le ministre de la justice.  Depuis le début de la covid -19 plus de 70 plaintes ont été déposées pour des délits comme je suppose de mise en danger de la vie d’autrui et non- assistance à personne en danger ; manquements à des mesures de sécurité ; homicides ou mort sans intention de la donner ou blessures involontaires : je fais confiance à l’imagination des avocats… Des ministres, des hauts fonctionnaires, et l’ancien premier ministre ont été entendus. Des enquêtes avec perquisitions ont commencé…

La cour s’est prononcée jusqu’à fin 2020 sept (7) fois, de l’affaire du sang contaminé en 1999, à la violation du secret professionnel (enquête fiscale contre un député) par un ministre qui a été condamné en 2019.

                                                       Le débat

L’existence de la cour de justice de la république est contestée. On dénonce son entre soi, voire sa neutralité ou sa bienveillance au bénéfice de ceux qui comparaissent.  Le président Hollande avait promis de la supprimer. Il n’a pu le faire.  S’agissant d’une modification de la Constitution il faut en effet en passer -sauf référendum s’il est possible et… souhaitable pour un unique sujet ? - par la réunion du congrès à Versailles et le vote positif de 3/5ème des parlementaires. Le président Macron souhaite aussi la suppression de la cour de justice et que les ministres soient jugés par des magistrats de la cour d’appel de paris comme des quasi quidams. Ce qui vaut pour les misérables vaudraient pour les puissants. Mais il n’a pas eu l’opportunité de faire voter ladite suppression, ce que les membres actuels de son gouvernement regrettent amèrement.  

Il y a d’autres formes pour combattre l’injustice et régénérer la démocratie qui est la prise de ses responsabilités à tout niveau y compris dans l’Etat dit profond.  Le président voulait profiter de la réforme pour notamment diminuer le nombre des députés et sénateurs ; pour introduire une dose de proportionnelle dans les scrutins électoraux ; pour permettre le droit à une différenciation pour les collectivités locales ; pour mettre une disposition impérative sur le respect de l’environnement ; et pour tenter de renforcer l’indépendance des magistrats du parquet. Il pensait à élargir le référendum d’initiative partagée et à transformer la composition du conseil économique, social, et environnemental pour en faire le lieu de la participation citoyenne. C’était aussi de la justice. Il a laissé son projet en suspens.

 Le texte présenté en conseil des ministres le 28 août 2019 sur le renouveau de la vie démocratique est resté en l’état, et la crise sanitaire qui dure ne va pas favoriser une réforme constitutionnelle qui est pourtant nécessaire pour oxygéner la vie publique, faire participer plus les citoyens et leur rendre la confiance. En effet et sauf erreur de ma part, les priorités sont plus d’importance vitale économique, sociale, qu’institutionnelle.  

                                                      Obtenir justice.

Bien sûr la justice fait partie de la recherche d’égalité et de lutte contre l’absence de responsabilités. Personne n’a oublié la formule « responsable mais pas coupable ». Notre société veut à juste titre de la transparence, de la vérité, de l’efficacité, et qu’il n’y ait pas de plus égaux que d’autres. Mais la cour de justice de la république ne doit pas faire oublier que chacun d’entre nous a aussi sa part de responsabilité et que l’Etat et ceux qui gouvernent ne peuvent pas tout. Le principe de précaution n’est pas celui de l’interdiction généralisée et de l’absence de risque. La justice est une vertu qui ne se substitue pas à l’individu. Elle sanctionne en cas de faute dans l’intérêt du collectif qui a besoin de direction et d’autorités. Mais elle ne résout pas tout. La vie -la bonne et juste - appartient à l’homme /la femme qui la construit à son image et qui parfois se trompe. Laissons juger la cour de justice sans la soupçonner- car on ne peut douter de la république et de ceux qui la protègent-ou lui demander plus qu’elle ne peut donner.   

 

mercredi 6 janvier 2021

la vie est-elle une course?

 

                                 La vie est -elle une course ?

                             Par Christian Fremaux avocat honoraire.

Malgré le temps qui passe et  qui incite plus à la morosité qu’à l’enthousiasme insouciant la vie continue et il faut faire face dans l’adversité. Il convient de se forger sa propre philosophie de la vie. Le poète Paul Valery écrit dans le cimetière marin : « le vent se lève il faut tenter de vivre ». Certains anciens ont eu des idées.  Sénèque le jeune né un peu avant J.C., précepteur puis conseiller politique de l’empereur Néron professait que le bonheur n’est pas matériel mais qu’il nait d’une vie en accord avec la vertu et la raison. Il fut quand même acculé au suicide le 12 avril 65 à Rome son élève Néron artiste dans l’âme n’aimant pas être contrarié. Le stoïcisme qui nous vient de la Grèce antique du III ème siècle avant J.C. consiste à acter le moment tel qu’il se présente ; à avoir du courage pour supporter la douleur et le malheur avec les apparences de l’indifférence pour aboutir à la tranquillité d’esprit. Selon les stoïciens la santé, la richesse et le plaisir ne sont ni bons ni mauvais en soi n’ayant de valeur qu’en tant que matière sur laquelle la vertu peut agir. On peut y croire mais cela se discute comme le disait le regretté Jean-Luc Delarue.  Le dernier grand stoïcien fut Marc- Aurèle après l’avènement du christianisme comme religion d’Etat au IV ème siècle.

 Le stoïcisme trouve, de mon modeste point de vue pragmatique, un regain d’intérêt dans cette période contemporaine curieuse. En effet les valeurs traditionnelles et j’ajoute républicaines sont remises en question au profit de concepts creux, de repentance, d’anti- tout pour tenter d’instaurer que le bien règne sur la terre et dans les cieux. Utopie quand tu nous tiens alors que  la violence règne y compris verbalement si on n’ adopte pas le politiquement correct et si on ose n’être pas d’accord avec  l’avant-garde minimaliste et minoritaire des élites auto-proclamées progressistes où l’homme a parfois des comportements  et des exigences qui le font régresser dans la tolérance et l’ouverture d’esprit ; où rien ne peut se débattre sans mise au ban et invectives ; où  enfin la solidarité manque et où la fraternité semble un mot et un concept à revisiter, à reconstruire en pratique pour ne pas se contenter d’en faire un mantra sans vraie signification. Tout est grave et on ne rit plus après le couvre- feu bien sûr qui rappelle à nos parents et grands- parents des périodes plus sombres et plus tragiques, mais aussi dans la journée.

J’exagère évidemment car j’ai lu dans mon journal papier (car je suis vieux) à savoir le figaro du 6 janvier 2021 page 4 que le président de la république avait annoncé sur twitter (soyons geek) sept (7)- et pas une de plus ?-  bonnes nouvelles de début de l’année. Parmi celles-ci : l’interdiction des pailles en plastique. Je me suis réjoui de bon cœur car cette annonce phénoménale m’a donné un moral de vainqueur pour entamer le combat de la journée et envisager l’avenir avec décontraction. Puis j’ai entendu sur mon transistor- je veux dire sur mon smartphone- le ministre de la santé qui comme le furet court les plateaux et fait des déclarations tout azimut comme la dissuasion nucléaire sur l’ennemi invisible l’ignoble traître qui mute de surcroit sans demander la moindre autorisation. Le ministre donc qui a déclaré ne pas courir un sprint mais un marathon pour répondre aux accusations sur la vaccination à vitesse réduite dans une course de lenteur que notre vaillant pays phare des donneurs de leçons a déjà gagnée. On attend la remontada si on s’est trompé de match et qu’il faut au contraire vacciner le plus vite possible dans la sécurité cela va de soi, et en convainquant tous ceux qui refusent le vaccin tout en se plaignant que tout ne va pas assez vite. Je suis content de n’être pas ministre ou aux affaires même de loin   - personne ne m’ayant jamais demandé de l’être d’ailleurs – même si j’ai pensé que la santé est une chose trop sérieuse pour la laisser aux médecins, en empruntant une formule de Georges Clémenceau pour la guerre. La critique est facile mais qui concrètement peut faire mieux ?  

On connait les deux thèses sur le soldat de Marathon après la 1ère guerre médique en 490 avant J.C. qui opposait les athéniens aux perses. Selon Plutarque un soldat dénommé Euclès courut du champ de bataille jusqu’à Athènes pour annoncer la victoire. Puis il mourut. Avec cet exploit militaire ce fut l’affirmation du modèle démocratique grec.  Selon Hérodote le soldat dénommé Philipidès a couru jusqu’à Sparte pour demander à ses dirigeants l’aide qui a permis la victoire. Puis il mourut d’épuisement. Je ne sais pas quelle est la bonne version mais il y a une certitude que le ministre devrait méditer : après avoir couru le marathon, le soldat trépassa. Prudence donc.

Marathon symbolise la ténacité, l’endurance, le sacrifice, la volonté d’arriver au but même s’il est lointain, et l’intérêt du collectif face au destin personnel. Le ministre de la santé qui tient la forme doit se ménager pour tenir la distance, et il ne faudrait pas que les spectateurs -les citoyens- franchissent la ligne d’arrivée en ne souffrant plus, en étant guéris mais morts préalablement. Il doit donc se hâter lentement ne serait- ce que pour éviter un marathon judiciaire s’il échoue ou prend les mauvaises décisions. Beaucoup d’entre nous connaisse la solitude du gardien de but : toute l’équipe le soutient mais s’il n’arrête pas le pénalty il sera responsable de la défaite. Cela vaut pour toutes les situations professionnelles ou non.   

On ne choisit pas entre le sprint et le marathon ce sont les circonstances qui décident. N’est pas le jamaïcain Usain Bolt qui veut ni le kenyan Abel kimi non plus. Le marathon ou le semi- marathon ou les courses avec obstacles sont usants et semblent n’avoir pas de limites. Comme le disait Woody Allen  « l’éternité c’est long surtout vers la fin ».Le sprint est trop rapide car on n’a pas de temps de démarrer que l’on est arrivé, mais on n’a rien vu passer .Si on a pris un mauvais départ on ne peut corriger.  

La course de la vie a un début dans les starting- blocks et un poteau d’arrivée : elle est indéterminée dans le temps mais le drapeau qui marque la fin est prêt à servir. On n’est pas impatient et malgré nos difficultés essayons de profiter de ce qui est, de construire un avenir et de se battre pour soi et les autres : carpe diem puisque l’espoir fait vivre !      

mardi 5 janvier 2021

qui a peur des juges?

 

                            Qui a peur des juges ?

                  Par Christian Fremaux avocat honoraire.

En France on aime avoir des explications a priori sensées pour tout ce qui ne marche pas surtout si ce sont des simples affirmations qui ne portent pas à suites dommageables et qui permettent une critique sans risques qui souvent ne change rien ou si peu. Désormais le responsable assure fermement qu’il « assume » ce qui ne veut rien dire mais assoit ce qui est l’autorité. Je n’aborderai pas précisément le dossier de la vaccination dont chacun pense ce qu’il veut entre le principe constitutionnel de précaution qui en matière de santé n’est pas à écarter d’un revers de mains et la nécessaire vitesse attendue par tous les citoyens impatients de retrouver une vie normale, de pouvoir retravailler pour ceux qui sont au bord de la dépression et de la faillite réunies, et par tous ceux qui croient que le vaccin fera disparaitre le virus, ce que l’on espère. Parmi les excuses que l’on entend pour justifier une attente ou une action pas aussi musclée que l’on souhaite, une est curieuse : les puissants ou décideurs auraient peur des juges ?

                                                  Qui a peur des juges ?

 Ce sont bien les seuls car il est acquis que les délinquants d’habitude  ont intégré le risque pénal dans leur «  carrière » et en connaissent tous les méandres et comment s’en sortir ; que ceux qui veulent démolir notre société pour la remplacer par une autre de leur choix  font passer leurs croyances avant la loi et une condamnation vaut pour eux justification puisqu’ils agissent pour plus haut que les hommes .Enfin il est admis que des jeunes qui exaspèrent les citoyens honnêtes par leur effronterie, leur défi à l’autorité, leur violence, et le mépris des sanctions y compris la détention ne craignent pas la justice qui serait indulgente à leur égard et leur trouverait des circonstances atténuantes aussi diverses qu’infondées .Ils s’estiment victimes de la société, des autres.  Les juges même pas peur ! disent-ils.

En revanche nos politiques y compris les élus locaux, hauts fonctionnaires, ministres en poste ou anciens titulaires, ancien président de la république ou premier ministre, enfin ceux qui ont ou ont eu des responsabilités publiques redoutent de devoir passer sous les fourches caudines des juges et d’en ressortir avec un casier judiciaire ou pour le moins d’avoir dû affronter des questions infâmantes. Humainement on les comprend.  Il y a eu des précédents dont en matière de santé l’affaire dite du sang contaminé. Cela n’a pas empêché des poursuivis de poursuivre une carrière exemplaire. La justice sait séparer le bon grain de l’ivraie, condamner en dispensant de peine, comprendre sans exonérer des responsabilités, et faire coïncider le droit et l’équité.  

                                                  Les tirés au sort.

Il semble que l’on ait trouvé une parade : créer des comités de citoyens qui émettent des recommandations ou des observations qui vont servir de « caution » aux décisions prises par la puissance publique. Après les 150 de la convention citoyenne pour le climat, dont le président de la république ne sait pas comment ne pas leur donner satisfaction sauf en proposant un référendum pour modifier la Constitution pas moins, on récidive : il va y avoir 35 citoyens tirés au sort pour s’occuper des procédures de la vaccination. Pourquoi pas 3,5, ou 7 personnes seulement cela coûtera moins cher tant qu’à faire dans la démocratie cosmétique. Je l’ai déjà écrit. Je suis contre les comités Théodule prétendument indépendants qui cour circuitent la démocratie représentative , légitime et juridiquement et politiquement responsable: à quoi servent désormais les élus par le suffrage universel à tous les niveaux et en France le portefeuille institutionnel est épais, sauf à répondre de leurs manquements  ou mauvaises appréciations devant les tribunaux, si Toto ou son frère jumeau ou Duduche qui n’est pas ma cousine, peuvent dire tout et son contraire en toute impunité ? On se méfie déjà des experts qui ont des titres et aussi des élites auto-proclamées ou qui vivent dans un cercle étroit public comme privé. L’ouvrir à tout vent n’est pas la solution sauf de la démagogie. Les bénéficiaires du hasard propulsés dans les allées du pouvoir peuvent se tromper de bonne foi, le bon sens dont on les revêt à défaut de compétences avérées étant « la chose du monde la mieux partagée » selon Descartes mais invérifiable, et ainsi accentuer les erreurs des décideurs voire les inciter à en commettre. Si on a besoin du quidam pour décider en haut lieu c’est désastreux, et on s’étonnera ensuite que la confiance des petits et sans grade fait défaut !

                                                    De la démocratie directe.

Dans la Grèce antique où l’on se méfiait des oligarchies électives, les dieux choisissaient ceux qui exerceraient les charges publiques, dont celles d’être juges. Je pense mais je suis de mauvaise foi et cynique, que les choix des dieux étaient un peu téléguidés par des puissants inspirés mais pas désintéressés ?  Platon et Aristote étaient contre le procédé des tirés au sort car il ne garantissait pas la compétence et la démocratie directe pouvait conduire à des excès. L’histoire a connu, et encore de nos jours, des gouvernements du peuple. On sait comment cela se termine.  En France on n’a pas oublié les comités de citoyens pendant la révolution de 1789, les jugements sans avocats et sans appel possible. On a cependant conservé des jurés devant la cour d’assises et dans les conseils de prud’homme ne siègent que des juges non professionnels, comme devant le tribunal de commerce. Mais on a mis en place des procédures sévères de sélection pour ceux qui rendent la justice.  On n’a jamais accepté que les juges professionnels -du siège comme du parquet-soient élus comme dans d’autres démocraties. La citoyenneté et la justice sont consubstantielles puisque le juge qui a naturellement comme tout le monde des convictions personnelles, morales, philosophiques, politiques doit les mettre de côté au profit de la règle de droit qui existe, la loi votée après débats publics par le parlement qui est représentatif et légitime. Devons- nous avoir peur des juges ?

Oui pour celui qui a causé une infraction volontairement ou qui a commis un crime odieux qui bouleverse, ou qui trouble l’ordre public en menaçant gravement le pacte social et les principes républicains. Oui car c’est toujours une épreuve de devoir répondre à des accusations alors qu’on est certain d’avoir raison ou d’être innocent. On ne sort jamais indemne de devoir s’expliquer en public et se faire comprendre.  Mais on peut être vainqueur car l’inexorable n’est inscrit nulle part, et on n’est pas à l’abri de convaincre.

                                                       Agir toujours.

 Mais non pour les autorités publiques qui décident en notre nom et qui doivent avoir le courage de prendre les décisions les plus favorables et efficaces à terme, parfois en déplaisant et en ne cédant pas à l’émotion qui annihile la raison et reste l’écume des vagues. Elles peuvent aussi accélérer et ne seront jamais poursuivies pour un délit de grande vitesse si la nécessité fait loi. En revanche l’immobilisme et la précaution qui paralyse pourront leur être reprochés par les victimes directes ou non de l’inaction ou de la concertation sans fin.   On entend parler tous les jours du délit de mise en danger de la vie d’autrui : cette infraction conduit devant les tribunaux correctionnels voire la cour de justice de la république alors même que le préjudice peut ne pas être avéré.

                                                Dans un Etat de droit.

Dans un Etat de droit personne ne doit avoir peur des juges qui protègent la société et les libertés dont celle de vivre. Tirer prétexte que sa responsabilité juridique peut être engagée pour ne rien faire ou pas assez est misérable, moralement inadmissible, et politiquement sanctionnable. On doit accepter dans toutes ses conséquences ses choix : c’est l’honneur des décideurs publics.   

lundi 21 décembre 2020

un procès singulier: des juges contre thémis

 

                

                   Un procès singulier : des juges contre Themis.

                              Par Christian Fremaux avocat honoraire.

                                                   Un dïner de c.

 Je pourrai choisir un exemple inédit : parmi les 10 qui ont diné à l’Elysée mercredi 16 décembre avec le président et le premier ministre je lis que certains d’entre eux et des associations auraient déposé plainte pour mise en danger de la vie d’autrui si ce n’est pas une fake- news, puisque on a appris par la presse que le président était atteint du covid. C’est un manque de reconnaissance du ventre, et un défaut de responsabilité personnelle. On peut accepter d’aller diner à 10 dans l’antre du pouvoir en passant par la cheminée sans respecter les gestes barrières pour profiter de la parole et de la table du président. Mais on ne se plaint pas après ! On pouvait décliner l’invitation. Comme dirait Francis Veber ce fut un dîner de c.

                                      Des juges vigilants qui s’autosaisissent quasiment.

Par ces temps énervés et d’esprits égarés, j’ai choisi un exemple singulier pour montrer jusqu’où peuvent aller des juges, ces juges dont on a besoin et qui arbitrent la vie ou l’avenir des hommes et des femmes.  On a envie de croire qu’ils sont sur les hauteurs et qu’ils ne s’attaquent pas à des détails, même si des détails posent problèmes. On a besoin de sérénité et de repères solides mais tout explose.  Des juges surtout syndicalistes ont craqué et attaquent en justice leur propre ministre qui incarne Thémis pour conflit d’intérêts et peut être d’autres infractions en l’accusant de profiter de ses fonctions ministérielles pour arranger ses dossiers d’ancien avocat. Ils ne lui adressent plus la parole ? : on n’ose y croire.   Essayons d’être clair d’après ce que l’on sait ou cru apprendre de cette affaire obscure des écoutes de Paul Bismuth alias N.Sarkozy ou l’inverse qui vient de se terminer dans l’indignation du barreau vent debout  et les larmes de l’infâmie  : si j’ai bien compris car les poursuites sont confuses  et non documentées l’avocat  Dupond-Moretti qui a été écouté pendant des années comme un criminel potentiel est soupçonné comme d’autres avocats - qui ont été plutôt victimes des procédures secrètes et curieuses du parquet national financier- d’avoir été ou d’avoir profité d’une  taupe (sic)  au sein de la cour de cassation à son profit personnel ? ou  pour informer son confrère avocat de M. Sarkozy.  On attend la décision au fond du tribunal pour l’ancien président et ses éventuels « comparses » pour le 1er mars 2021. Et si M. Sarkozy était relaxé, on ne peut l’exclure ! La justice rend des arrêts et non des services disait au 19ème siècle le 1er président de la cour d’appel M. Séguier. Mais concernant Me Dupond -Moretti des juges le soupçonnent d’autres vilénies dans des dossiers qu’il a gérés pendant qu’il était avocat, que l’on ne connait pas et heureusement secret professionnel oblige pour le moins. Les juges pensent que Me Dupond-Moretti n’est pas blanc-bleu dans d’autres dossiers qu’il a eu à défendre. C’est l’ère du soupçon qui monte jusqu’à un ministre. Alors pour la valetaille attention ! 

                                                 Partira partira pas ?

En attendant d’éventuels jugements publics ou plus de précisions puisque tout est confiné et couvert par le secret -sauf les fuites organisées- des juges poussent les feux, car ils n’ont pas aimé être critiqués même quand c’était légitime, et estiment avoir été maltraités pendant des années par celui qui est devenu leur ministre. On dit que la vengeance est un plat qui se mange froid. « Vengeance ? » répondent-ils pas le moins du monde simplement application du droit puisque le ministre n’est ni au-dessus ni au-dessous des lois surtout quand il était avocat. A chacun de choisir sa version ! Comme si un avocat même de talent pouvait à lui seul mettre à bas la magistrature qui s’exprime aussi.  La roue tourne pour tout le monde. Des juges se mordent la queue et on ne sait pas bien ce qu’ils veulent : le départ honteux de Me Dupond-Moretti et son remplacement par un ministre que les juges adouberaient partageant leurs visions de la justice. Ou que le ministre se rende à Canossa c’est-à-dire à la rentrée judiciaire de début 2021 à paris c’est moins loin et avoue son crime sinon ses turpitudes de sa vie passée ce qui permettrait ainsi d’avoir un aveu pour le faire démissionner ou pouvoir dire que le grand avocat avait tort et a cédé devant ses juges comme un vulgaire délinquant. Quelle victoire à la Pyrrhus quoiqu’il arrive. Sauf si le ministre persiste et signe, fait la preuve de son innocence alors que les procureurs devraient démontrer sa culpabilité, et que les juges soient renvoyés au fin fond des palais de justice pour qu’ils se contentent de faire leur métier, travaillent vite et bien, ce qui après tout n’est pas une sanction dégradante.

                                                La plainte contre le ministre

  Mieux vaut en rire qu’en pleurer mais je dois dire que cette nouvelle m’a démontré s’il le fallait encore que nous vivions dans une époque étrange où l’on fait n’importe quoi et où l’exemplarité n’a plus de sens. Et l’on s’étonne de vivre en Absurdistan quand nos élites technocratiques- pour notre bien cela va de soi - nous imposent des décisions a priori incohérentes en matière de santé même si je ne sais pas s’il y a des solutions qui n’ont pas d’effets secondaires néfastes pour certains et leurs professions, et que les juges qui doivent être exemplaires et tourner 7 fois leurs codes dans leurs mains s’y mettent aussi.  Ainsi deux syndicats de magistrats ont- ils déposé plainte devant la cour de justice de la république qui est déjà débordée par les plaintes liées à la crise sanitaire, contre leur ministre pour conflit d’intérêts entre autres, M. Dupond-Moretti aurait parait- il mélangé les genres. Quand il était avocat le ministre gérait dans son cabinet dans l’intérêt de ses clients ce qui est la base du métier, des dossiers dits sensibles soit par les problèmes de droit à régler soit en raison de la personnalité de ceux qu’il défendait et des causes qui avaient électrisé le pays. On le sait l’avocat Dupond-Moretti n’a jamais ménagé les juges en général. Le premier syndicat qui a déposé plainte est celui de la magistrature SM qui tire à boulets rouges et conduit à gauche. Le second majoritaire dans la profession est l’USM Union syndicale des magistrats, apolitique, de l’extrême centre technique et corporatiste. Pour que les deux se plaignent il faut un évènement très grave, au moins un crime, et pour un ministre de la haute trahison ou de la forfaiture sinon une question de principe supérieur. Il semble cependant qu’on soit dans une catégorie plus secondaire : de profiter d’être ministre pour régler des difficultés d’avocat ! Mais avant de dénoncer l’autre et de donner des leçons il faut montrer patte blanche, ou main désinfectée au gel hydro alcoolique.

                                            Sur la responsabilité personnelle des juges

 Rappelons que les magistrats sauf cas exceptionnel et faute lourde ne peuvent pas être poursuivis individuellement pour faute professionnelle comme un vulgaire avocat ou membre de n’importe quel métier, encore moins pour les décisions qu’ils prennent car on ne commente pas les jugements sauf techniquement sur le fond du droit, et que ces avantages font partie de leur indépendance et de leur statut bien qu’ils ne soient qu’une autorité et pas un pouvoir depuis la Constitution de 1958. S’ils se trompent - et cela arrive avec des détenus relâchés à raison d’un oubli ou d’un jugement contestable ou d’une appréciation erronée sans compter des jurisprudences dans tous domaines (social, civil …) qui prêtent à polémiques, ou des retards très importants dans le rendu des jugements pour des raisons diverses dont matérielles- l’Etat est poursuivi à leur place, et ils continuent leur carrière. Ce quasi régime d’exonération que les méchants qualifient d’impunité en titille plus d’un, car qui peut se vanter de ne rien craindre judiciairement à l’heure actuelle : personne. Un ancien premier ministre poursuivi pendant la campagne présidentielle de 2017 plus vite que l’éclair par le parquet financier national qui venait d’être créé pour lutter contre la grande délinquance a été condamné à 5 ans dont 2 ans de prison ferme. Il attend l’appel. Un ancien président de la république s’est entendu réclamer par les procureurs qui requièrent au nom du peuple français donc de tout citoyen d’accord ou non, une condamnation de 4 ans deux 2 ans de prison ferme, à égalité avec son avocat à qui on a ajouté 5 ans d’interdiction professionnelle ce qui met fin à sa carrière, et un présumé complice un ancien magistrat avocat général auprès de la cour de cassation pas moins.

                                      Réviser la Constitution : est-ce le moment ?

 Mais il faudrait au moins réviser la constitution si l’on veut modifier le régime de responsabilité des magistrats, sachant que la cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg considère que les procureurs ne sont pas des magistrats comme les autres puisqu’ils sont soumis au pouvoir exécutif. On vit donc une époque « formidable » puisque chacun vit selon ses droits et son statut protecteur ou sa vérité, ou sa vision des obligations de l’autre, voit midi à sa porte, et ne se soucie pas de l’ensemble et de l’image qu’il renvoie. Les syndicats de magistrats qui ont déposé plainte contre M. Dupond-Moretti Garde des Sceaux sont les gardiens de la justice : ils se veulent les gardes du corps de Thémis déesse de la justice, qui on le sait est souvent représentée avec un bandeau sur les yeux et le glaive à la main.

 La justice ne se grandira pas à instruire le ou les faits dénoncés contre le ministre pour savoir s’ils sont ou des délits. Comme avocat je préfèrerai que la justice aille ultra rapidement pour instruire les dossiers de toutes natures des justiciables et pour prendre des décisions exprèsses. Et comme citoyen je souhaiterai que la justice se concentre sur l’Etat de droit, sur les libertés, mais aussi sur la protection du collectif, n’invente pas des interprétations du droit qui ne font pas l’union, ne voit pas racisme et discriminations partout pour complaire aux minorités, et réponde des errements de certains rares magistrats voire fautes quand il y en a puisque personne n’est parfait et ne peut se vanter d’être irréprochable. Les leçons de vivre ensemble ou morale ne sont pas de mon goût. On gausse beaucoup sur les tendances sociétales ou politiques d’une très petite minorité de juges. Redonnons confiance aux justiciables en responsabilisant encore plus les magistrats : ils ne retrouveront leur lustre qu’avec leurs devoirs. Ils ne doivent pas être soupçonnés mais ils ne sont pas propriétaires de la justice, pas plus que les avocats ou l’opinion publique des groupes de pression. Seul le peuple est souverain et la justice est rendue en son nom.  Que les magistrats ne veuillent plus parler avec leur ministre est honteux : les citoyens ont le droit d’avoir une justice qui fonctionne, qui est reformée dans le consensus avec des débats constructifs en interrogeant les praticiens et les utilisateurs, sans qu’il y ait des dissensions au plus haut niveau. La responsabilité c’est de ne pas bouder mais de passer au-dessus de ses propres convictions et d’engager un dialogue même viril.

                                        Le match magistrats-ministre  

Revenons à nos moutons le match magistrats syndicalistes contre leur ministre. Belle affiche.  Depuis sa nomination pour ses qualités selon le président de la république et malgré ses défauts selon les magistrats, le ministre de la justice est conspué par les juges. Dans ce milieu fermé - il dit entre-soi ce qui n’est pas apprécié ! -on ne l’aime pas, et il le sait. On le somme de choisir entre prévention et répression alors que les deux sont nécessaires comme sécurité et libertés vont de pair.  Chez les citoyens il est un ténor du barreau et on compte sur lui pour mettre de l’ordre dans la maison place Vendôme, faire collaborer efficacement les uns et les autres en leur donnant des moyens matériels et humains, et en valorisant les juges essentiels dans un Etat de droit. Il ne s’agit pas de transformer la belle endormie en une pin- up moderne dont on se gargarise de sa beauté et des grands principes qu’elle porte fièrement. Mais elle doit être respectée, performante, protectrice des libertés et du collectif. Elle doit permettre de restaurer l’autorité tout en restant humaine avec ceux qui ont fauté. Tout ceci est possible mais il faut y croire et ne pas entraver l’action du ministre, même s’il doit répondre de ses responsabilités comme tout un chacun. Le risque potentiel voire structurel de ne pas répondre à la justice appartient au passé. Nul n’en est exempt.    

On est dans le paradoxe. A peine élu M. Macron avait voulu supprimer la Cour de justice de la république à la composition atypique de juristes et de politiques. Le congrès que l’on a réuni à Versailles avait refusé. Et cette cour n’a jamais eu autant de travail en 2020 et pour 2021.  

                                      La Cour de justice de la République

Des juges professionnels toute affaire cessante également parties selon la plainte, comme des parlementaires qui sont le pouvoir législatif aussi juges et parties puisqu’un ministre c’est un justiciable comme un autre qui doit répondre de ses actes mais c’est en même temps le pouvoir exécutif, vont dire si les faits sont avérés ou non après examen de la recevabilité de la requête. Déjà l’association anti-cor qui lutte contre la corruption avait saisi la justice ainsi qu’un militant écologiste. Le ministre avait cédé son cabinet d’avocat en hâte, avait répondu aux questions de la haute autorité sur la transparence de la vie publique notamment sur d’éventuels conflits d’intérêt, avait transféré lentement- c’est un des reproches constitutifs du présumé délit- au 1er ministre son pouvoir légal de connaitre comme ministre les remontées d’information de ses parquets sur ses dossiers, rien n’y a fait. Les réformes qu’il a initiées que l’on approuve ou non et qui sont en cours de discussion avec un budget très augmenté pour le ministère ne sont pas des circonstances atténuantes. Des syndicalistes magistrats veulent la peau du ministre. C’est grave et je dénonce la méthode, pas le ministre qui n’a pas besoin d’être assisté, il sait se défendre très bien.  Le droit est fait par les parlementaires élus, légitimes, et les magistrats doivent l’appliquer. Ils n’ont pas à choisir leur ministre. Personne ne détient la vérité.  Elle est la propriété du peuple souverain au nom de qui elle est rendue. 

                                          Pour quel profit ? 

Cette plainte contre le ministre ne va pas améliorer l’opinion du quidam sur la justice. Si les élites se battent entre elles, gare au justiciable de base. Au secours Thémis et Montesquieu réunis, ils sont devenus fous. Notre Etat de droit est fondamental par ces temps troublés et dangereux. Accrocher un ministre sur leurs robes noires ou d’hermines ne sera pas pour nos juges une décoration flatteuse. Qu’ils ne se perdent pas dans des querelles d’allemand s’ils veulent retrouver la confiance des citoyens. Qu’ils soient assidus dans les prétoires ce sera déjà une victoire et qu’ils s’interrogent sur eux- mêmes : n’ont-ils pas aussi des progrès à faire ? 

 

mardi 15 décembre 2020

justice impitoyable pour certains

 

                       Justice impitoyable pour certains ?

                      Par Christian Fremaux avocat honoraire.

 

Tout le monde a un avis sur tout même celui qui n’y connait rien surtout en matière de justice où la nuance devrait être la règle. On subit les commentaires et parfois on n’en croit pas ses oreilles. Chacun se met à la place de celui qui doit prendre ses responsabilités et donne un avis péremptoire sans avoir accès au dossier. On prend pour argent comptant le compte rendu que l’on lit dans la presse ou ce que l’on entend dans les médias alors que souvent le journaliste croit faire son travail mais n’était pas sur place, ou est partisan, ou n’a pas vraiment compris le débat de fond. Il est resté à la superficie des faits, au people, au spectaculaire, au scoop qu’il recherche, à l’émotion, éléments qu’il confond avec la recherche de la vérité judiciaire en particulier. Et quand un puissant comparait devant ses juges comme s’il allait à Canossa, c’est pain bénit. Tous ceux qui n’osaient hausser la voix sonnent l’hallali.

                                        Une société exigeante et énervée.

 Je vais donc être un peu excessif, partial et corporatiste cela me fait un bien fou par ces temps post coloniaux orientés et lacrymaux voire exonératoires selon ce que tu es et d’où tu viens. Je résiste comme le vieux nostalgique presque geek par force que je suis dans cette magnifique période où l’on nous parle des droits de l’homme pour tout et rien, des minorités agissantes qu’il faut saluer même si leurs combats sont antinomiques avec les intérêts de la société globale, des discriminations et du racisme qui seraient institutionnels et devant lesquels il faut se mettre à genoux pour s’excuser.  On devrait se réjouir de ces années dites humanistes où les policiers et gendarmes sont mis en cause et accablés de tous les maux, poursuivis et sanctionnés durement  quand ils ont commis une faute déontologique ou un  délit,  alors que leur agresseur  a un  simple rappel à la loi le plus souvent ; où l’on n’incarcère plus personne puisque les prisons sont pleines et que la détention conduit à de la radicalisation ; où la victime s’est trouvée de sa faute à un mauvais endroit à un mauvais moment ; où le droit sert à réparer les injustices de la vie sociale ou de la couleur de peau ; où l’autorité dans la rue, à l’école ou ailleurs est forcément le début de la dictature ; où la moindre remarque est considérée comme une odieuse  attaque et où l’on est prié d’accueillir qui décide à l’insu de son plein gré sous des justifications fantaisistes sauf les vrais réfugiés politiques de venir en France et bénéficier de nos aides sans contrepartie et sans dire merci, sous peine d’être traité comme un égoïste, donc un moins que rien qui ne connait pas la fraternité. Chacun aura son exemple qu’il vit ou connait de près.

                                            On est contre tout.

 Le discours dominant est anti fa. , anti -capitaliste, anti- démocratie libérale, anti- ordre public, décroissant si possible car la nature et les animaux seraient plus précieux que les hommes-femmes,  et il  faut privilégier  les libertés individuelles de ceux  qui n’ont pas à se soucier des autres dont la majorité qui respecte les lois et paie ou cotise. Dont acte mais on n’est pas obligé de partager ce discours peu citoyen et contraire aux valeurs universelles républicaines qui ne fait pas l’union. L’air du temps est d’être cool. Gramsci avait raison : la révolution et la mise à bas des démocraties et de leurs institutions commencent par gagner la guerre des esprits pour créer les conditions du changement en dénigrant tout et en relativisant ce qui est sombre. Nos beaux esprits participent à cette désagrégation, a priori sans le vouloir on l’espère. Mais il ne s’agit que d’une bataille et il appartient aux républicains et aux gens de bonne volonté de reconquérir le terrain car rien n’est inéluctable et à force de tirer sur la corde elle casse. J’avais prévenu que je serai peu dans la nuance alors que moi aussi je m’estime humaniste et n’aie aucune leçon à recevoir.  C’est fait !

                                                   Sur la justice

 Heureusement la justice est sévère envers certains. Le tribunal judiciaire de paris nouvellement installé après des débats qui remontent à M.Sarkozy quand il était président de la république et qui siège aux Batignolles dans le 17ème arrondissement est un magnifique bâtiment de verre, transparent , élancé vers le ciel comme une cathédrale si le rapprochement spirituel- profane ( juridique) est recevable ? Mais les juridictions statuant au nom du peuple français qui incarne la souveraineté pourquoi pas ? M.Giscard d’Estaing a eu le centre Pompidou-Beaubourg ; M.Mitterrand la pyramide du louvre ; et  M.Sarkozy a le tribunal ce qu’il regrette  peut être  compte tenu  des procès qu’il doit affronter ? Mais je m’égare. Le tribunal judiciaire s’est- t- il transformé en règlements de comptes à OK.Corral où l’on flingue  à coup de réquisitoires et de jugements  et où il faut un cadavre virtuel ou au moins des grands blessés pour que la justice passe ? Je suis scié comme on dit chez les menuisiers ou scotché selon les jeunes à la suite du procès de M.Sarkozy, de son avocat et d’un présumé complice un haut magistrat de la cour de cassation pas moins,  à la suite des réquisitions du parquet national financier PNF  existant depuis 2013 pour lutter contre la grande délinquance, prononcées à leur encontre : 4 ans dont 2 de prison  ferme pour chacun  en y ajoutant 5 ans d’interdiction professionnelle pour l’avocat ce qui signifie sa mort professionnelle. Je vous prie de croire en ma modeste expérience d’avocat plaidant depuis des décennies. Pour condamner quelqu’un à 4 ans dont 2 de prison ferme il faut quasi un crime voire un délit aggravé constitué avec une ou des victimes, des préjudices établis, des preuves irréfutables, et un délinquant qui a un passé déjà très chargé. Pour comparaison les premiers terroristes avérés jugés avec une législation moins répressive à l’époque -qui seront libérés prochainement – ont eu des peines de quelques années fermes.  Avec le passage au ministère de la justice de Mme Taubira les juges ont été enclins à la modération.  On se rappelle que M.Fillon  – avec l’enquête la plus rapide de France  pendant la campagne présidentielle de 2017 déjà du parquet financier national- a été condamné à 5 ans de prison  dont 2 de prison ferme outre de considérables dommages-intérêts sur constitution de partie civile de l’assemblée nationale.  Il prépare son appel car il s’estime innocent et veut que les juges correctionnels prennent une veste - si j’ose persifler - devant la cour d’appel.

                                                       Un rapport ?

Quel est le rapport entre M.Fillon et M.Sarkozy en leur qualité de justiciables naturellement , même si le jugement  que l’on ne peut prédire  car les juges  peuvent surprendre, sera rendu en mars 2021 pour l’ancien chef de l’Etat - garant à l’époque des institutions dont celle de la justice ? Ce sont les 2 ans fermes et pourquoi ? Parce que les procureurs appliquent le « en même temps » prévu par le code pénal qui consiste pour faire plaisir à l’opinion publique à réclamer de la prison ferme contre des puissants contemporains ou anciens ou supposés tels, et de savoir qu’en réalité la loi applicable aux faits reprochés aux prévenus qui datent de quelques années, n’entraine pas à 2 ans et au-dessous une incarcération. La loi obligeait à une mesure alternative comme un travail d’intérêt général, le port d’un bracelet électronique, les jours amende, un stage de citoyenneté, la surveillance électronique… Imagine-t-on le général de Gaulle porter à sa retraite politique un bracelet électronique ou travailler pour une association d’anciens dealers ou repentis de toute nature ou ramasser des feuilles mortes au fin fond d’une commune obscure ?

 La loi du 23 mars 2019 a revu ces dispositions pour les durcir notamment pour abaisser le seuil des 2 ans à 1 an. A partir de cette peine l’incarcération est effective. Attention donc pour les futurs politiques qui risquent la prison depuis le 24 mars 2020. Encore faut -il que l’intendance suive c’est à dire qu’il y ait des places de prison. Et sachant que les juges sont encouragés à aménager les peines par des mesures alternatives.

           « Selon que vous serez puissant ou misérable » (Jean de la Fontaine).   

Je ne me prononce pas sur le fond des dossiers que je n’ai évidemment pas lu comme les journalistes sauf s’ils bénéficient de la violation du secret de l’instruction ou professionnel, mais qui sont couverts par le principe de droit de la protection de leurs sources. Et chaque partie divulgue ce qui peut lui servir tant pour l’accusation que pour la défense, ne soyons pas naïfs. M.Fillon a des avocats de talent et j’espère qu’il sera relaxé. Mais j’admets que l’on peut être indigné par ce qui est reproché aux politiques et que l’on souhaite au nom de l’égalité devant la loi qu’ils soient jugés comme n’importe quel justiciable,et que les peines soient plus sévères car ayant eu tout ils doivent donner l’exemple.

                       Ne pas être impartial ça fait du bien !

 Je vais désormais être partial car le dossier de M.Paul Bismuth alias N.Sarkozy  ou  le contraire m’a choqué. Il repose sur une enquête préliminaire « secrète »   du parquet financier national pendant des années où les plus célèbres avocats pénalistes- dont Me Dupond-Moretti actuel garde des sceaux- gravitant autour de l’avocat de M.Sarkozy ont été écoutés pour savoir qui était une taupe auprès de la cour de cassation ! (Sic). Personne n’a été identifié, des hauts magistrats ont été interrogés pour un résultat nul en violant de mon point de vue tout ce qui est la base de la justice pénale : des enquêtes contradictoires, le respect absolu du secret professionnel de l’avocat ; des écoutes réglementées et contrôlées ; la preuve par l’accusation que les faits sont établis et constituent des infractions ; la présomption d’innocence… Je connais bien l’avocat historique de M.Sarkozy : nous avons débuté presque ensemble et nous nous sommes croisés dans des affaires. Il était au cabinet du très grand pénaliste Me J.L. Pelletier et j’étais collaborateur auprès de l’illustre Me J.L. Tixier-Vignancour. Il a un grand talent outre une expérience professionnelle exemplaire. Il s’est contenté de défendre un client qui était son ami ce n’est pas interdit et qui a eu la malchance- pour des juges- d’être un président de la république qui a quelque peu bousculé les magistrats. Je crois comme l’a dit aussi M.Sarkozy à l’audience en la justice de mon pays qui est le symbole de l’Etat de droit et qui remplit une fonction  indispensable pour trancher les litiges et pour punir ceux qui le méritent. La sanction n’est pas pour moi un gros mot. L’indulgence non plus quand elle est justifiée. Relaxer ou acquitter n’est pas un désaveu : c’est la simple prise d’acte que les infractions ne sont pas constituées ou qu’il y a un doute qui doit toujours profiter à celui qui est accusé. Le légal doit être juste et la qualité d’ancien chef de l’Etat n’est pas une circonstance aggravante. La justice qui ne se confond pas avec la morale ou l’analyse du comportement des autres que l’on n’aime pas -moi je n’aurai pas fait cela- doit être impitoyable mais seulement avec ceux qui sont des délinquants avérés, des menaces pour l’ordre public, des dangers pour la population. Elle doit aussi être exemplaire et ne pas dresser des murs qui lui ont fait honte.

                                       Ce que les juges ne font pas.

 Les procureurs ont dit à l’audience que la justice n’est pas la vengeance. Bravo on y croit mais parfois on s’interroge. Elle n’est pas là non plus pour couvrir les erreurs ou les initiatives curieuses de collègues.  On l’espère et on sait surtout que la responsabilité individuelle des magistrats ne peut être engagée sauf faute lourde, et c’est l’Etat qui assume. Pourtant le pendant de l’indépendance revendiquée à juste titre et à haute voix en demandant l’intervention du président de la république quand il y a un fait divers qui pose problèmes (par exemple un détenu libéré qui récidive) devrait être la responsabilité personnelle.  Qui ne répond pas de ses actes à notre période : qui bénéficie de l’impunité ? Personne. Pour ma part au lieu de la discussion sans fin sur l’indépendance non discutée pour les magistrats du siège mais contestée pour ceux du parquet avec la Cour Européenne des droits de l’homme à Strasbourg, et un homme ou une femme ayant leurs qualités et leurs défauts, je préfère les termes d’impartialité et d’objectivité. Et je fais confiance dans le lien juges-avocats qui reste à conforter. 

 Au-delà de la ligne téléphonique ouverte par au plus usurpation d’identité, mais il n’y a pas de plainte et tout ceci est petit, je ne me prononce pas sur ce qui est principalement reproché au fond à M.Sarkozy et ses co-prévenus à savoir un pacte de corruption. Je retiens des commentaires extérieurs au tribunal qu’il n’est pas prouvé, que le magistrat n’a pas été nommé à Monaco, que l’avocat est resté avocat, et que M.Sarkozy n’a bénéficié de rien judiciairement parlant ?   Le tribunal se prononcera et il sera d’autant plus indépendant qu’il ne suivra pas les réquisitions.

Mais je demande aux procureurs de la république en général qui me représentent puisqu’ils portent l’accusation au nom du peuple français donc de moi simple citoyen, de ne pas vouloir satisfaire l’opinion publique ou une minorité agissante en frappant fort, très ou trop fort pour marquer les esprits et montrer qu’ils n’ont peur de personne.  Ils se discréditent et vont obtenir l’effet inverse de ce qu’ils recherchent.  

La justice ne peut être à géométrie variable. C’est sa grandeur.  

jeudi 10 décembre 2020

Vous avez dit indépendance?

 

                    Vous avez dit indépendance ?

                Par christian fremaux avocat honoraire.

Dès qu’une émotion submerge les esprits et actuellement c’est le cas pour tout sujet avant même de savoir si les faits sont réels car on se fie à ce qui est montré et parfois déformé ou partiel sans connaitre ce qui s’est passé avant l’extrait choisi et pourquoi, on crie au scandale, et les médias font de l’information continue avec des prétendus experts qui n’étaient pas sur place mais qui expliquent ce qu’ils ne savent pas n’ayant pas accès au dossier d’ailleurs pas encore constitué. Cela n’empêche personne d’exiger des sanctions immédiates ou une enquête dans telles ou telles conditions, et de contester tout et son contraire. Le tribunal médiatique siège jours et nuits, sans avocats mais avec des procureurs et la reconstitution se fait en direct en studio avec décors et sans faits contradictoirement débattus. Le scoop vaut jugement. La bonne conscience et l’empathie sont raison et il est réclamé la création de n’importe quoi qui serait indépendant. Indépendant de quoi et de qui c’est la question.

 Ainsi dans l’arrestation musclée et filmée choquante a priori à la seule vue des images du producteur Michel Zecler dont le juge pénal est déjà saisi ! ( au passage notons que  les ardents défenseurs de la vie privée ne critiquent pas  les caméras de vidéoprotection quand elles vont dans le bon sens c’est -à -dire contre ce qui est l’autorité) , on s’indigne que l’IGPN l’inspection générale de la police nationale composée d’officiers de police judiciaire notamment soit chargée de l’enquête, car on la soupçonne d’office de partialité et de complaisance envers les fonctionnaires de police qui pensent le contraire au vu des nombreuses sanctions prononcées contre eux, et on demande à sa place de créer ce qui serait une autorité ou commission administrative indépendante composée de personnalités neutres, de magistrats, peut- être d’avocats ?, de quelques policiers mais ce n’est pas sûr et de citoyens surtout, comme si le fait d’être un simple quidam était un gage de compétences et de bon sens, sans rien connaitre au métier considéré, au maintien de l’ordre, et à la sureté en général. On veut des personnes honnêtes dans tous les sens du terme, non partisanes, transparentes pour tout ce qui les concerne, sans passé discutable, sans aucun conflit d’intérêts, et qu’ils soient savants. Bonjour aux candidats qui cochent toutes les cases. On cherche les oiseaux rares voire inexistants car les hommes comme les femmes ont leurs qualités et défauts. Et s’ils rendent une décision d’exonération alors que l’on attend une confirmation de la culpabilité que se passera- t -il ? C’est vrai que l’on a bien tiré au sort 150 individus venant de nulle part pour la convention citoyenne sur le climat et que le président de la république avait dit qu’il reprendrait leurs conclusions- sauf 3 -sans filtre. II a changé d’avis et est maintenant empêtré : l’exécutif ne sait plus comment sortir du piège qu’il a construit innocemment pour être transparent et participatif.

Après des décennies de barreau je crois savoir ce qu’est être indépendant, surtout dans cette période de confinement où on aide à juste titre les salariés et les entreprises, mais où les professions libérales doivent se débrouiller et continuer à se battre quasiment seules. Pour avoir la joie de ne rendre de comptes à personne on a l’indépendance qui est la rançon de la liberté et de la responsabilité personnelle. On assume le bon comme le mauvais à savoir ses erreurs ou ses fautes. Qu’en est -il pour une commission administrative indépendante, quelles légitimité et liberté a-t-elle dans ses rapports à l’Etat ? et que fait -on si ses conclusions sont contestables ?

  G.Clémenceau disait que lorsque on veut enterrer un problème on nomme une commission. Le général de Gaulle parlait de machin pour des institutions internationales comme l’Onu et était pour la suppression des comités dits Théodule peu utiles à ses yeux et qui devaient servir à compléter voire démembrer la politique publique. Rien n ‘y a fait la technostructure renaissant toujours de ses cendres comme le phénix. 

 Le terme autorité administrative indépendante (AAI) a été utilisé pour la première fois par la loi du 6 janvier 1978 avec la création de la CNIL commission nationale informatique et libertés. Ce terme a été consacré le 26 juillet 1984 par la jurisprudence du conseil constitutionnel. La loi du 20 janvier 2017 a fixé une liste - un peu à la Prévert - de 25 autorités ou commissions  administratives indépendantes ( comme  CSA pour l’audiovisuel ;  AMF pour les marchés financiers  ; AFLD contre le dopage ; Autorité de la concurrence ; CADA pour l’accès aux documents administratifs ; HATVP pour la transparence de la vie publique…).Selon le Conseil d’Etat ce sont des organismes administratifs qui agissent au nom de l’Etat et disposent d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité de l’Etat. Bien sûr ils ont une organisation, un siège social, des collaborateurs et un budget. Pour garantir leur indépendance on les a placés sous la protection du parlement  qui garde lui, ses systèmes internes d’enquête bien connus.

Les AAI sont contestées car elles sont nombreuses malgré des regroupements comme avec la création du Défenseur des droits (M. Jacques Toubon a été nommé en 2014 et vient de quitter ses fonctions) qui a absorbé divers domaines comme celui du médiateur de la république et qui est prévu à l’article 71-1 de la Constitution. Il veille au respect des libertés. Il peut intervenir en matière de déontologie des forces de l’ordre. Faut-il donc inventer une nouvelle commission administrative indépendante à la place de l’IGPN entre autres en appliquant le principe de la destruction créatrice de Schumpeter ? Je ne crois pas. Les députés Dosière et Vanneste avaient rendu un rapport en 2010 conseillant de rationaliser les commissions pour qu’il y en ait moins.

 Les AAI sont aussi décriées car on pense qu’elles participent à un démembrement de l’Etat qui perd ainsi de son pouvoir régalien alors qu’il parait nécessaire au contraire qu’il renforce son autorité. On peut en effet s’interroger sur le fait de confier à une structure administrative ex-nihilo dédiée un pouvoir d’actions et de sanctions - sous le contrôle du juge - ou de formuler un avis voire de prendre place à un procès en accompagnant telle victime ou supposée avoir cette qualité souvent dans des affaires très sensibles qui sont discutées,  donc à des entités sui generis qui ne détiennent aucune légitimité démocratique ni électorale ni technique incontestable et qui ne tiennent leurs prérogatives que d’une nomination du seigneur de l’instant. Bien sûr les personnes choisies ne sont pas en cause. La méthode est paradoxale alors que pour la justice on discute à longueur de temps surtout quand des personnalités politiques de 1er plan -c’est l’actualité-ou connues répondent de leurs actes comme tout citoyen ni au -dessus ni au -dessous des lois. La justice est une autorité -et non un pouvoir- dans la Constitution de 1958 approuvée formellement par le peuple.  Aucun gouvernement de gauche comme de droite ou d’ailleurs n’a jamais voulu changer cette disposition, même si on estime que dans l’Etat de droit les magistrats doivent jouer un rôle essentiel. De là à en faire un pouvoir, soyons prudents pense-t-on ! Les juges du siège sont indépendants. Ils appliquent la loi et décident en conscience qu’on le déplore ou l’approuve. Il y a débat pour les membres du parquet, actuellement pour ceux du parquet national financier eux qui portent l’accusation pour la société. Les procureurs ne sont pas considérés par la Cour Européenne des droits de l’homme de Strasbourg comme des juges indépendants puisqu’ils dépendent du ministre de la justice qui lui fait partie du pouvoir exécutif. Et on se pose des questions sur l’indépendance ou plutôt sur l’impartialité et l’objectivité car chaque citoyen donc chaque juge, procureur, avocat, ou membre d’une AAI a le droit d’avoir des convictions et faire des choix politiques.

Croire qu’en créant une commission administrative l’indépendance suivra et qu’il n’y aura pas de contradictions ou d’indignations du peuple ou des minorités qui veulent avoir raison et poursuivent d’autres buts que celui de l’objectivité, est une erreur et pour le moins de la naïveté ou de la démagogie. En outre en général les personnalités fortes n’arrivent pas là où on les attend et ne concluent pas forcément dans le sens souhaité.  Je me méfie de la France des auto-proclamés experts ou sachants, des grands témoins voire désormais de quidams de tout genre et de toute confession pour ne pas discriminer, qui représenteraient l’innocence incarnée, le bon sens presque la vérité, et qui ont l’opportunité de choisir ce qu’ils veulent puisqu’ils n’ont aucune responsabilité personnelle de droit. Ils peuvent se tromper avec panache en invoquant les grands principes. Ressaisissons-nous et remettons chacun à sa place en étant pragmatique.  

Laissons les inspections de contrôle qui existent jouer leurs rôles puisque de toutes façons la justice peut être saisie par celui ou celle qui n’est pas d’accord, et que l’ambiance actuelle où tout doit être transparent jusqu’à l’intime ce que je regrette, permet de tout savoir. L’indépendance est l’état de quelqu’un qui n’est tributaire de personne sur le plan matériel, moral, intellectuel, ni de l’opinion ni de l’Etat même si celui-ci l’a nommé. Il doit passer au -dessus de ses propres inclinations pour trouver l’intérêt général.  Quel défi. C’est la plus difficile des missions.  L’indépendance n’est pas un cadeau surprise, même à Noël.    

vendredi 13 novembre 2020

L'Etat n'est-il qu'un tigre de papier?

 

                L’Etat n’est -il qu’un tigre de papier ?

                  par Christian Fremaux avocat honoraire. 

La société Bridgestone avait annoncé il y a quelques semaines qu’elle allait fermer son usine de Béthune ce qui entrainait le licenciement de centaines de salariés. Ce fut un tollé. Conformément à leur vocation et à leurs habitudes les syndicats hurlèrent au scandale – à juste titre je l’avoue car le fabricant japonais de pneus bas de gamme avait touché des aides et des subventions pour s’installer sur place- et les politiques régionaux et locaux montèrent au créneau. On allait voir ce qu’on allait voir ! Les noms d’oiseau volèrent.  Le gouvernement dépêcha un ministre qui assura qu’on ne laisserait pas faire, que Bridgestone devrait en passer par les fourches caudines de l’exécutif, et annonça comme un succès phénoménal que dans les semaines qui venaient on allait trouver une solution pour limiter la casse sociale et contraindre l’entreprise à reconvertir le site, ne serait- ce qu’en fonction de notre législation. On fut soulagé. Mais fatalitas, la sentence vient de tomber : Bridgestone persiste et signe, la fermeture aura lieu. La ministre déléguée à l’industrie a déclaré « que nous avions travaillé à un plan qui réduit le surcoût de l’usine. Bridgestone a fermé la porte. Pour nous cette décision n’est pas responsable ».  Groupe mondialisé 1, Etat et région comme commune, 0. Paroles verbales et morale humaine contre décision financière autoritaire et lointaine.  Il n’y a plus pour ceux qui restent qu’à trouver un repreneur.

 L’Etat n’a eu aucun pouvoir réel alors qu’on attendait tout de lui. Ce n’est pas la première fois. Quand il était premier ministre M.Jospin avait  dit que «  l’Etat ne peut pas tout ».  Il a payé politiquement très cher d’énoncer cette vérité, car on a cru que c’était du cynisme, un aveu d’impuissance qui se confondait avec le manque de volonté d’agir. On a vu qu’avec ses salariés les fonctionnaires, l’Etat patron ou actionnaire n’est pas performant.

Avec la 2ème vague du covid l’Etat - je veux dire le pouvoir exécutif approuvé par la majorité parlementaire - a décidé de reconfiner, en faisant par lui -même la distinction de ce qui était essentiel et de ce qui ne l’était pas. Ceux qui ne peuvent plus travailler et sont en souffrance lui en veulent d’une décision autocratique parfois incohérente prise dans la confidentialité d’un conseil de défense, qui va entrainer des conséquences personnelles, familiales, financières et économiques graves pour préserver voire sauver la santé de millions de personnes. Gouverner c’est choisir en se trompant parfois, mais il faut être modeste car s’il est facile de critiquer il l’est moins de proposer des solutions qui font plaisir et sont efficaces ou qui ne nuisent pas à certains. L’Etat est là encore mis en cause pour son impuissance supposée ou son inefficacité.

Il en est de même pour pratiquement chaque domaine et je cite celui fondamental de la sécurité : il y a encore des attentats qui nous révulsent, de la violence pour tout et partout, un climat anxiogène général.  Le cri fameux « que fait la police ? » se traduit par l’Etat est nul ou inexistant.

 Avec la crise sanitaire inédite pour les spécialistes comme pour les malades potentiels, l’Etat prend des mesures qui égratignent quelque peu nos libertés pour tenter de réduire les effets du virus que personne ne peut éradiquer, et qui sont peut- être selon les méchants plus du domaine du principe de précaution pour ceux qui décident. En effet la Cour de justice de la république est saisie ainsi que le parquet de paris et nos décideurs qui voudraient bien miraculeusement que la crise disparaisse savent que la justice peut les rattraper. On aura des responsables et coupables mais l’ennemi invisible sera toujours là.

L’Etat c’est-à-dire nous pour qui on gouverne, la haute administration qui incarne la bureaucratie ; les services publics souvent tatillons avec le particulier ; nos institutions de la Constitution de la 5 ème République telles que voulues par le général de Gaulle et qui sont contestées par certains qui veulent plus de participation à la prise de décision , de dialogue, de réactivité, enfin tout ce qui constitue notre état de droit avec nos valeurs éthiques, de civilisation et de vivre-ensemble qui fondent notre démocratie, sont -ils suffisants ? L’Etat peut-il plus s’il ne peut tout ? et faut-il en changer mais au profit de quoi ?  Comme il y a 67 millions de sélectionneurs pour l’équipe de France de foot., peut-il y avoir 67 millions d’avis autorisés pour répondre à la question ? On ne va pas tirer à pile ou face, ou au sort comme pour la convention citoyenne sur le climat pour résoudre les difficultés et définir du jour au lendemain un Etat qui fait consensus et qui résout ce qui ne va pas. Le verbe des auto-proclamés experts que l’on entend à longueur de journée et qui fatigue, ne remplace pas les actes même s’ils sont maladroits ou pas aussi efficaces qu’on l’espère.

Dans les années 1980-90 celles de M. Reagan et de Mme Thatcher et aussi avec l’arrivée au pouvoir de M. Mitterrand qui ne remit pas en cause la constitution de 1958 qu’il avait combattue, il y eut un débat sur l’Etat à l’époque providence. On réfléchissait à un Etat réduit à ses fonctions régaliennes, en donnant aux collectivités locales avec la décentralisation, aux entreprises, aux initiatives de toute nature, plus de libertés. M.Guy Sorman écrivit un best- seller : « l’Etat minimum ».  La mondialisation s’étendait. Mais la réalité s’imposa, les crises furent nombreuses et on revint progressivement  vers une conception classique – pour les français- de l’Etat tel  qu’il avait été construit au sortir de la 2ème guerre mondiale : un parapluie, un bouclier, un garant des grands principes, un dispensateur de droits, le recours suprême ,puis au fil des années celui qui garantissait les libertés individuelles et des avantages, qui redistribuait,  qui combattait les injustices réelles ou supposées,  qui créait de la richesse pour tous dans l’égalité et surtout qui réglait toutes crises et menaces. On lui demande donc tout et quand il ne fait pas, certains le trainent en justice et des juridictions le condamnent ou lui donnent des injonctions ( par exemple pour  les rodéos en motos qui continuent ou parce qu’il n’applique pas assez vite la transition énergétique). On l’aime, on le veut, on le sollicite mais on le tient pour faiblard, peut mieux faire comme on dit à l’école. Le léviathan est devenu un homme comme un autre ! même si l’individu ne s’interroge pas sur son propre comportement (ex. les règles respectées difficilement pour le confinement) et si le civisme n’est plus une vertu cardinale.

Si rien n’est parfait en France on devrait cependant être content. On voit ce qu’il en est quand l’Etat se confond avec Dieu, ou qu’il n’y a plus d’Etat ; ou quand l’Etat est dispersé entre les clans, les communautés, les tribus. Si l’Etat est totalitaire c’est big brother, et si l’Etat est issu d’une caricature de démocratie, gare aux libertés.   On exige désormais un Etat fort surtout dans les fonctions régaliennes, avec une protection externe comme interne et en même temps un Etat bienveillant, gardien des libertés, progressiste -sans définir le contenu du progressisme- et qui crée la prospérité. Donc qui a résolu la quadrature du cercle.  Les canards sauvages n’ont jamais été les enfants du bon dieu, et pour que l’Etat donne ce que l’on veut de lui il faut y mettre du sien, de la responsabilité et de la tolérance, et comme dans l’auberge espagnole venir avec ses qualités, ses devoirs, sa raison. L’Etat n’est pas un tigre de papier mais pour en faire le roi des animaux qui maintient l’ordre et le droit il faut le nourrir sainement et lui donner de l’espace. Ce sera l’un des enjeux de l’élection présidentielle de 2022 : se protéger en restant libre.