mardi 5 janvier 2021

qui a peur des juges?

 

                            Qui a peur des juges ?

                  Par Christian Fremaux avocat honoraire.

En France on aime avoir des explications a priori sensées pour tout ce qui ne marche pas surtout si ce sont des simples affirmations qui ne portent pas à suites dommageables et qui permettent une critique sans risques qui souvent ne change rien ou si peu. Désormais le responsable assure fermement qu’il « assume » ce qui ne veut rien dire mais assoit ce qui est l’autorité. Je n’aborderai pas précisément le dossier de la vaccination dont chacun pense ce qu’il veut entre le principe constitutionnel de précaution qui en matière de santé n’est pas à écarter d’un revers de mains et la nécessaire vitesse attendue par tous les citoyens impatients de retrouver une vie normale, de pouvoir retravailler pour ceux qui sont au bord de la dépression et de la faillite réunies, et par tous ceux qui croient que le vaccin fera disparaitre le virus, ce que l’on espère. Parmi les excuses que l’on entend pour justifier une attente ou une action pas aussi musclée que l’on souhaite, une est curieuse : les puissants ou décideurs auraient peur des juges ?

                                                  Qui a peur des juges ?

 Ce sont bien les seuls car il est acquis que les délinquants d’habitude  ont intégré le risque pénal dans leur «  carrière » et en connaissent tous les méandres et comment s’en sortir ; que ceux qui veulent démolir notre société pour la remplacer par une autre de leur choix  font passer leurs croyances avant la loi et une condamnation vaut pour eux justification puisqu’ils agissent pour plus haut que les hommes .Enfin il est admis que des jeunes qui exaspèrent les citoyens honnêtes par leur effronterie, leur défi à l’autorité, leur violence, et le mépris des sanctions y compris la détention ne craignent pas la justice qui serait indulgente à leur égard et leur trouverait des circonstances atténuantes aussi diverses qu’infondées .Ils s’estiment victimes de la société, des autres.  Les juges même pas peur ! disent-ils.

En revanche nos politiques y compris les élus locaux, hauts fonctionnaires, ministres en poste ou anciens titulaires, ancien président de la république ou premier ministre, enfin ceux qui ont ou ont eu des responsabilités publiques redoutent de devoir passer sous les fourches caudines des juges et d’en ressortir avec un casier judiciaire ou pour le moins d’avoir dû affronter des questions infâmantes. Humainement on les comprend.  Il y a eu des précédents dont en matière de santé l’affaire dite du sang contaminé. Cela n’a pas empêché des poursuivis de poursuivre une carrière exemplaire. La justice sait séparer le bon grain de l’ivraie, condamner en dispensant de peine, comprendre sans exonérer des responsabilités, et faire coïncider le droit et l’équité.  

                                                  Les tirés au sort.

Il semble que l’on ait trouvé une parade : créer des comités de citoyens qui émettent des recommandations ou des observations qui vont servir de « caution » aux décisions prises par la puissance publique. Après les 150 de la convention citoyenne pour le climat, dont le président de la république ne sait pas comment ne pas leur donner satisfaction sauf en proposant un référendum pour modifier la Constitution pas moins, on récidive : il va y avoir 35 citoyens tirés au sort pour s’occuper des procédures de la vaccination. Pourquoi pas 3,5, ou 7 personnes seulement cela coûtera moins cher tant qu’à faire dans la démocratie cosmétique. Je l’ai déjà écrit. Je suis contre les comités Théodule prétendument indépendants qui cour circuitent la démocratie représentative , légitime et juridiquement et politiquement responsable: à quoi servent désormais les élus par le suffrage universel à tous les niveaux et en France le portefeuille institutionnel est épais, sauf à répondre de leurs manquements  ou mauvaises appréciations devant les tribunaux, si Toto ou son frère jumeau ou Duduche qui n’est pas ma cousine, peuvent dire tout et son contraire en toute impunité ? On se méfie déjà des experts qui ont des titres et aussi des élites auto-proclamées ou qui vivent dans un cercle étroit public comme privé. L’ouvrir à tout vent n’est pas la solution sauf de la démagogie. Les bénéficiaires du hasard propulsés dans les allées du pouvoir peuvent se tromper de bonne foi, le bon sens dont on les revêt à défaut de compétences avérées étant « la chose du monde la mieux partagée » selon Descartes mais invérifiable, et ainsi accentuer les erreurs des décideurs voire les inciter à en commettre. Si on a besoin du quidam pour décider en haut lieu c’est désastreux, et on s’étonnera ensuite que la confiance des petits et sans grade fait défaut !

                                                    De la démocratie directe.

Dans la Grèce antique où l’on se méfiait des oligarchies électives, les dieux choisissaient ceux qui exerceraient les charges publiques, dont celles d’être juges. Je pense mais je suis de mauvaise foi et cynique, que les choix des dieux étaient un peu téléguidés par des puissants inspirés mais pas désintéressés ?  Platon et Aristote étaient contre le procédé des tirés au sort car il ne garantissait pas la compétence et la démocratie directe pouvait conduire à des excès. L’histoire a connu, et encore de nos jours, des gouvernements du peuple. On sait comment cela se termine.  En France on n’a pas oublié les comités de citoyens pendant la révolution de 1789, les jugements sans avocats et sans appel possible. On a cependant conservé des jurés devant la cour d’assises et dans les conseils de prud’homme ne siègent que des juges non professionnels, comme devant le tribunal de commerce. Mais on a mis en place des procédures sévères de sélection pour ceux qui rendent la justice.  On n’a jamais accepté que les juges professionnels -du siège comme du parquet-soient élus comme dans d’autres démocraties. La citoyenneté et la justice sont consubstantielles puisque le juge qui a naturellement comme tout le monde des convictions personnelles, morales, philosophiques, politiques doit les mettre de côté au profit de la règle de droit qui existe, la loi votée après débats publics par le parlement qui est représentatif et légitime. Devons- nous avoir peur des juges ?

Oui pour celui qui a causé une infraction volontairement ou qui a commis un crime odieux qui bouleverse, ou qui trouble l’ordre public en menaçant gravement le pacte social et les principes républicains. Oui car c’est toujours une épreuve de devoir répondre à des accusations alors qu’on est certain d’avoir raison ou d’être innocent. On ne sort jamais indemne de devoir s’expliquer en public et se faire comprendre.  Mais on peut être vainqueur car l’inexorable n’est inscrit nulle part, et on n’est pas à l’abri de convaincre.

                                                       Agir toujours.

 Mais non pour les autorités publiques qui décident en notre nom et qui doivent avoir le courage de prendre les décisions les plus favorables et efficaces à terme, parfois en déplaisant et en ne cédant pas à l’émotion qui annihile la raison et reste l’écume des vagues. Elles peuvent aussi accélérer et ne seront jamais poursuivies pour un délit de grande vitesse si la nécessité fait loi. En revanche l’immobilisme et la précaution qui paralyse pourront leur être reprochés par les victimes directes ou non de l’inaction ou de la concertation sans fin.   On entend parler tous les jours du délit de mise en danger de la vie d’autrui : cette infraction conduit devant les tribunaux correctionnels voire la cour de justice de la république alors même que le préjudice peut ne pas être avéré.

                                                Dans un Etat de droit.

Dans un Etat de droit personne ne doit avoir peur des juges qui protègent la société et les libertés dont celle de vivre. Tirer prétexte que sa responsabilité juridique peut être engagée pour ne rien faire ou pas assez est misérable, moralement inadmissible, et politiquement sanctionnable. On doit accepter dans toutes ses conséquences ses choix : c’est l’honneur des décideurs publics.   

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