Qui a peur des
juges ?
Par Christian Fremaux
avocat honoraire.
En France on
aime avoir des explications a priori sensées pour tout ce qui ne marche pas
surtout si ce sont des simples affirmations qui ne portent pas à suites
dommageables et qui permettent une critique sans risques qui souvent ne change
rien ou si peu. Désormais le responsable assure fermement qu’il
« assume » ce qui ne veut rien dire mais assoit ce qui est
l’autorité. Je n’aborderai pas précisément le dossier de la vaccination dont
chacun pense ce qu’il veut entre le principe constitutionnel de précaution
qui en matière de santé n’est pas à écarter d’un revers de mains et la
nécessaire vitesse attendue par tous les citoyens impatients de retrouver une
vie normale, de pouvoir retravailler pour ceux qui sont au bord de la
dépression et de la faillite réunies, et par tous ceux qui croient que le
vaccin fera disparaitre le virus, ce que l’on espère. Parmi les excuses que
l’on entend pour justifier une attente ou une action pas aussi musclée que l’on
souhaite, une est curieuse : les puissants ou décideurs auraient peur des
juges ?
Qui a peur des juges ?
Ce sont bien les seuls car il est acquis
que les délinquants d’habitude ont
intégré le risque pénal dans leur « carrière » et en
connaissent tous les méandres et comment s’en sortir ; que ceux qui
veulent démolir notre société pour la remplacer par une autre de leur
choix font passer leurs croyances avant
la loi et une condamnation vaut pour eux justification puisqu’ils agissent pour
plus haut que les hommes .Enfin il est admis que des jeunes qui exaspèrent
les citoyens honnêtes par leur effronterie, leur défi à l’autorité, leur
violence, et le mépris des sanctions y compris la détention ne craignent pas la
justice qui serait indulgente à leur égard et leur trouverait des circonstances
atténuantes aussi diverses qu’infondées .Ils s’estiment victimes de la société,
des autres. Les juges même pas peur !
disent-ils.
En revanche
nos politiques y compris les élus locaux, hauts fonctionnaires, ministres en
poste ou anciens titulaires, ancien président de la république ou premier ministre,
enfin ceux qui ont ou ont eu des responsabilités publiques redoutent de devoir
passer sous les fourches caudines des juges et d’en ressortir avec un casier judiciaire
ou pour le moins d’avoir dû affronter des questions infâmantes. Humainement on
les comprend. Il y a eu des précédents
dont en matière de santé l’affaire dite du sang contaminé. Cela n’a pas empêché
des poursuivis de poursuivre une carrière exemplaire. La justice sait séparer
le bon grain de l’ivraie, condamner en dispensant de peine, comprendre sans
exonérer des responsabilités, et faire coïncider le droit et l’équité.
Les tirés au sort.
Il semble
que l’on ait trouvé une parade : créer des comités de citoyens qui
émettent des recommandations ou des observations qui vont servir de
« caution » aux décisions prises par la puissance publique. Après les
150 de la convention citoyenne pour le climat, dont le président de la
république ne sait pas comment ne pas leur donner satisfaction sauf en
proposant un référendum pour modifier la Constitution pas moins, on récidive :
il va y avoir 35 citoyens tirés au sort pour s’occuper des procédures de
la vaccination. Pourquoi pas 3,5, ou 7 personnes seulement cela coûtera moins
cher tant qu’à faire dans la démocratie cosmétique. Je l’ai déjà écrit. Je suis
contre les comités Théodule prétendument indépendants qui cour circuitent la
démocratie représentative , légitime et juridiquement et politiquement
responsable: à quoi servent désormais les élus par le suffrage universel à tous
les niveaux et en France le portefeuille institutionnel est épais, sauf à
répondre de leurs manquements ou
mauvaises appréciations devant les tribunaux, si Toto ou son frère jumeau ou Duduche
qui n’est pas ma cousine, peuvent dire tout et son contraire en toute
impunité ? On se méfie déjà des experts qui ont des titres et aussi des
élites auto-proclamées ou qui vivent dans un cercle étroit public comme privé.
L’ouvrir à tout vent n’est pas la solution sauf de la démagogie. Les
bénéficiaires du hasard propulsés dans les allées du pouvoir peuvent se tromper
de bonne foi, le bon sens dont on les revêt à défaut de compétences avérées
étant « la chose du monde la mieux partagée » selon Descartes mais
invérifiable, et ainsi accentuer les erreurs des décideurs voire les inciter à
en commettre. Si on a besoin du quidam pour décider en haut lieu c’est
désastreux, et on s’étonnera ensuite que la confiance des petits et sans grade
fait défaut !
De la démocratie directe.
Dans la
Grèce antique où l’on se méfiait des oligarchies électives, les dieux
choisissaient ceux qui exerceraient les charges publiques, dont celles d’être
juges. Je pense mais je suis de mauvaise foi et cynique, que les choix des dieux
étaient un peu téléguidés par des puissants inspirés mais pas désintéressés ?
Platon et Aristote étaient contre le
procédé des tirés au sort car il ne garantissait pas la compétence et la
démocratie directe pouvait conduire à des excès. L’histoire a connu, et encore
de nos jours, des gouvernements du peuple. On sait comment cela se termine. En France on n’a pas oublié les comités de
citoyens pendant la révolution de 1789, les jugements sans avocats et sans
appel possible. On a cependant conservé des jurés devant la cour d’assises et
dans les conseils de prud’homme ne siègent que des juges non professionnels,
comme devant le tribunal de commerce. Mais on a mis en place des procédures
sévères de sélection pour ceux qui rendent la justice. On n’a jamais accepté que les juges
professionnels -du siège comme du parquet-soient élus comme dans d’autres
démocraties. La citoyenneté et la justice sont consubstantielles puisque le
juge qui a naturellement comme tout le monde des convictions personnelles,
morales, philosophiques, politiques doit les mettre de côté au profit de la
règle de droit qui existe, la loi votée après débats publics par
le parlement qui est représentatif et légitime. Devons- nous avoir peur
des juges ?
Oui pour
celui qui a causé une infraction volontairement ou qui a commis un crime odieux
qui bouleverse, ou qui trouble l’ordre public en menaçant gravement le pacte
social et les principes républicains. Oui car c’est toujours une épreuve de
devoir répondre à des accusations alors qu’on est certain d’avoir raison ou
d’être innocent. On ne sort jamais indemne de devoir s’expliquer en public et
se faire comprendre. Mais on peut être
vainqueur car l’inexorable n’est inscrit nulle part, et on n’est pas à l’abri
de convaincre.
Agir
toujours.
Mais non pour les autorités publiques qui
décident en notre nom et qui doivent avoir le courage de prendre les décisions
les plus favorables et efficaces à terme, parfois en déplaisant et en ne cédant
pas à l’émotion qui annihile la raison et reste l’écume des vagues. Elles
peuvent aussi accélérer et ne seront jamais poursuivies pour un délit de grande
vitesse si la nécessité fait loi. En revanche l’immobilisme et
la précaution qui paralyse pourront leur être reprochés par les victimes
directes ou non de l’inaction ou de la concertation sans fin. On entend parler tous les jours du délit de
mise en danger de la vie d’autrui : cette infraction conduit devant les tribunaux
correctionnels voire la cour de justice de la république alors même que le
préjudice peut ne pas être avéré.
Dans un Etat de droit.
Dans un Etat
de droit personne ne doit avoir peur des juges qui protègent la société et
les libertés dont celle de vivre. Tirer prétexte que sa responsabilité juridique
peut être engagée pour ne rien faire ou pas assez est misérable, moralement
inadmissible, et politiquement sanctionnable. On doit accepter dans toutes ses
conséquences ses choix : c’est l’honneur des décideurs publics.
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