mardi 17 novembre 2015

LE TERRORISME LA JUSTICE ET LE DROIT

Le terrorisme, la Justice et le droit.
Par Christian FREMAUX avocat et élu local.
Les attentats de vendredi 13 (jour de malheur) novembre 2015 devenu un vendredi noir ont choqué par leur ampleur avec des centaines de morts et blessés, et par le fait qu’il y a des français parmi les terroristes, mais n’ont pas surpris  les autorités  qui savaient, au moins depuis les attentats de janvier et l’après CHARLIE ,que  des menaces très  sérieuses existaient mais sans pouvoir préciser où et quand. Le gouvernement avait pris des précautions mais il ne lit pas dans le marc de café et ne peut tout anticiper.  Le temps n’est pas à la polémique, même si  ici et là des responsables ont regretté  que des mesures plus drastiques n’aient pas été prises plus tôt .Mais il est facile de critiquer quand on connait la fin de l’histoire et on peut toujours donner des leçons surtout quand on n’a pas la responsabilité du pouvoir. Il convient désormais de se rassembler pour que les victimes ne soient pas mortes pour rien, que règne l’union pour dénoncer les criminels,  qu’aucun citoyen quelque soit son origine, sa religion, ses convictions partisanes, ne soit oublié et que tous nous partagions  le combat à mener sans amalgame, sans bouc-émissaire, sans haine , mais avec fermeté , compassion pour ceux qui souffrent , et volonté de détruire le mal incarné par le terrorisme, quelque soit sa motivation ou son absence de raison .Le président de la République a dénoncé l’ennemi : l’Etat islamique(DAESH), et ceux qui y sont affiliés –même en étant nés en France et ayant été élevés au biberon de la démocratie, de la laïcité , du respect de l’autre et de la vie-  et se croient investis de la mission de tuer à l’aveuglette, froidement, à l’arme de guerre des innocents à savoir les prétendus « infidèles » ou ceux qui pensent que l’islam radical , dévoyé du coran,  est un retour au moyen âge sur le plan des mœurs et de la vie en société Il est inutile de tenter de raisonner sur les actes criminels des 7 terroristes tués ou qui se sont fait éclater,  parce que l’on est dans l’irrationnel et dans un domaine qui échappe à tout humanisme et aux valeurs de la république qui nous bercent depuis l’époque des lumières. Nous ne sommes coupables de rien collectivement et nous n’avons aucune repentance à formuler. Il s’agit désormais de se reconstruire, de continuer à vivre et d’adapter notre corpus juridique et judiciaire  à ce qui vient d’arriver, peut recommencer, et fait peser sur chacun d’entre nous une menace réelle, mortelle. Nous ne devons pas céder, à quelles revendications d’ailleurs puisqu’il n’y en a pas,  et que pourrions nous faire pour « donner satisfaction » aux terroristes de DAESC H,  et à ceux qui s’estiment «  brimés « en France ? ,  pour tenter d’empêcher d’autres attentats et être épargnés alors que d’autres peuples subiraient la foudre. Nous n’avons pas le droit de n’être pas solidaires. Demander pardon  et de quoi ? ,serait nous exposer encore plus car ils (les anonymes tueurs) auraient la preuve que nous sommes coupables de quelque chose puisque nous nous excusons ! Nous n’avons donc pas le choix. Nous devons affirmer qui nous sommes ; conforter notre culture et nos traditions ; s’appuyer fermement sur nos principes et valeurs républicaines et faire front.
Le président de la république devant le congrès, c'est-à-dire l’ensemble des députés et sénateurs, et le gouvernement au grand complet, a annoncé la détermination de la France qui sera impitoyable avec les terroristes, et on doit approuver le chef de l’Etat au-delà de tout esprit partisan. Mais surtout le président a annoncé des mesures de droit car notre Constitution notamment, et l’ensemble de notre législation  pénale et administrative, ne sont plus adaptées à l’évolution de dangers dans le monde et aux menaces proteïformes qui existent et concernent notre territoire. Il va de soi qu’une coordination au niveau européen est nécéssaire et que l’ONU et la coalition internationale, avec les états musulmans en premier, doivent mener une guerre sans merci  là ou se situe l’Etat islamique. En attendant examinons ce que l’on peut faire  en France .
Notre Constitution date du 4 octobre 1958. Elle a été voulue par le général DE GAULLE et correspondait à la fin des « évènements d’Algérie » qui retentissent encore douloureusement  pour certains d’entre nous. On n’avait pas prévu que le mur de BERLIN tomberait et que l’ennemi de l’EST, bien identifié , disparai trait; il y avait du terrorisme de nature diverse, notamment au Moyen-orient, en Palestine, au Liban ;sans oublier la Lybie avec l’attentat contre le vol 772 UTA de 1989.Il y avait eu auparavant le terrorisme d’extrême droite  puis d’extrême gauche… Les USA avait eu Septembre 2001 et le destruction des twin towers…En France  le terrorisme antisémite avait frappé rue Copernic, rue des rosiers… et début janvier 2015 ce fut l’attentat à l’hyper cacher porte de Vincennes ; l’attentat du métro Saint michel à Paris en 1995  avait  marqué les esprits . J’évoque pour mémoire l’assassinat du préfet ERIGNAC en Corse qui, avait sidéré les français...Puis  les attentats furent réguliers, avec par exemple les actes de M.MERAH à TOULOUSE en mars 2012. Les gouvernements au pouvoir ne sont jamais restés inertes et ont fait voter des lois qui comblaient telle ou telle faille de la sécurité. Mais il y avait un grand débat en France : fallait-il sacrifier nos libertés au nom d’une sécurité renforcée ? L’individu par définition honnête, devait il pâtir de lois dites « sécuritaires »  qui donnaient plus de moyens à l’ETAT et aux professionnels même pour la bonne cause à savoir la prévention des attentats, l’arrestation des présumés ou avérés terroristes, et donc la protection des hommes et des biens , et de nos intérêts vitaux. En ma qualité d’avocat très attaché aux principes de droit, à la  présomption d’innocence, aux droits de la défense et à une justice indépendante et même si je me suis refusé à plaider pour des terroristes ou criminels de ce genre (mais aucun n’est venu me solliciter), sauf comme parties civiles pour les victimes, j’ai  toujours été circonspect sur les arguments de compassion à la JJ ROUSSEAU ou de droits de l’homme dévoyés en postulat absolu  (comme si en France les forces de l’ordre ou nos services n’étaient pas légalistes et républicains), et comme citoyen j’ai eu du mal à comprendre en quoi libertés individuelles et publiques étaient incompatibles avec un ordre public efficace, sous le contrôle des tribunaux ?. De mon point de vue on peut prendre des mesures de sécurité qui nous gênent quelque peu (par exemple la fouille des bagages, les contrôles d’identité, des entraves à la libre circulation…) le tout pour favoriser la sûreté générale, alors même que par nos ordinateurs, nos téléphones portables on accepte-implicitement mais consciemment - de permettre de savoir où nous sommes en temps réel. Autrement dit  les atteintes prétendues à nos libertés sont à géométrie variable :certaines ne nous dérangent pas .Il convient donc de savoir ce que nous voulons et s’il s’agit d’avoir une protection maximale, même si la sécurité zéro n’existe pas, il faut adapter notre législation à la situation nouvelle. La Constitution de 1958 déjà souvent amendée, en particulier par le Président SARKOZY en 2008 (avec la fameuse question prioritaire de constitutionnalité ,progrès formidable pour les justiciables)à la suite du rapport de M.BALLADUR qui avait fait 77 propositions,  doit donc être révisée pour donner des droits incontestables aux professionnels de la sécurité et au pouvoir exécutif qui a la charge très lourde de nous protéger.
Le président a annoncé que l’article 16 de la constitution qui donne «  pleins pouvoirs »au président de la république quand le fonctionnement réguliers des pouvoirs publics est interrompu, ne s ’appliquait pas. L’article 36 qui évoque l’état de siège ne correspond pas à la situation inédite .Il a donc décidé qu’il présenterait des projets de rédaction nouvelle de certains articles de la constitution actuelle, avec peut être des nouveaux ? au congrès , pour que notre Constitution qui est la norme de droit supérieure, soit adaptée aux circonstances immédiates et à venir. Il faut donc attendre le contenu exact des textes pour savoir ce que sera la nouvelle Constitution, ce qui va prendre quelques temps et des débats  passionnés. Les juristes, au regard aussi du droit européen certainement et du droit international public en particulier, vont donc beaucoup réfléchir et travailler pour résoudre la quadrature du cercle : concilier libertés et sécurité. Il faut en effet se rappeler nos polémiques récentes concernant la loi sur le renseignement qui a été votée en avril 2015 pour permettre à nos forces et à nos services d’avoir de vrais pouvoirs d’investigation et d’action : il a fallu que le conseil constitutionnel valide la loi-sauf une petite partie- et affirme que les libertés de notre état de droit étaient compatibles avec les besoins des services de l’ETAT .Le français adore  la « palabre », ou plutôt les discussions de principe et la liberté d’expression avec les leçons de morale. Les terroristes eux ne discutent pas, ne coupent pas les cheveux en quatre : ils tirent dans le tas, sans sommation,  avec des armes de guerre issues de trafics divers, et essaient de faire un maximum de victimes. La lutte n’est donc pas égale. Nous sommes en démocratie ce qui est notre faiblesse car nous respectons la loi et nos principes de droit en particulier ceux issus de la résistance dont les plus anciens se souviennent. Pour nous la fin ne justifie pas les moyens. Mais c’est aussi notre force car face à l’ennemi qui nous a déclaré la guerre nous avons nos valeurs républicaines  celles qui nous soudent et sur lesquelles les tribunaux veillent scrupuleusement : tout n’est pas permis, même si nos ancêtres révolutionnaires criaient «  pas de liberté pour les ennemis de la liberté ».C’était une autre époque !
En attendant l’état d’urgence a été proclamé. Elle date d’une loi ...du 3 avril 1955 , et a été  décreté d’abord pour 12 jours par le conseil des ministres : le congrès devrait le prolonger pour 3 mois. L’état d’urgence  doit correspondre à un péril imminent résultant d’atteintes graves  à l’ordre public ou évènements présentant par leur nature et leur gravité , le caractère de calamité publique .C’est le cas.  Sur tout le territoire, les préfets peuvent alors interdire sous forme de couvre-feu la circulation des personnes et des véhicules dans des lieux précis et à des heures fixées par arrêté. Ils peuvent prononcer des interdictions de séjour ; le ministre de l’intérieur peut assigner à résidence toute personne dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre public ;  on peut fermer des salles de réunion ;  et surtout, on l’a vu, le ministre de l’intérieur et les préfets peuvent ordonner des perquisitions de jour comme de nuit. Nous sommes « hors » du système judiciaire ce qui  implique que l’état d’urgence est très encadré et limité dans le temps .En l’espèce après les attentats du 13 novembre 2015 le plan alpha rouge a été aussi prononcé, avec des contrôles aux frontières. Quand au cours des interpellations et perquisitions des infractions sont constatées la justice est saisie. Le président de la république a annoncé  vouloir créer un « régime civil d’état de crise »-issu d’une proposition de M.BALLADUR- qui permettrait si j’ai bien compris , de compléter l’art.36 de la constitution sans recourir à l’article 16, et donc de faciliter l’action des pouvoirs publics.  D’autres mesures qui vont peut être entraîner d’autres modifications de la Constitution (   par exemple la déchéance de nationalité ou l’interdiction de retour)  sont à l’étude chez le premier ministre M.VALLS  très en pointe sur  tous ces sujets. Mais le temps joue contre nous. On ne sait pas si d’autres attentats vont avoir lieu ou non, et la révision de la Constitution nécessite des études approfondies en droit , des concertations  politiques et citoyennes larges , et un consensus pour que les textes soient votés au congrès. En attendant il faut faire avec l’arsenal anti-terroriste existant qui est dérogatoire au droit commun, on comprend pourquoi. La loi fondatrice date du 9 septembre 1986 .Les dossiers sont centralisés par ces magistrats parisiens ( comme M.BRUGUIERE jadis, M.TREVIDIC récemment et M .David  BENiCHOU actuellement).Ce sont les article 706-17 et suivants du code de procédure pénale qui s’appliquent.IL y a, à la galerie Saint Eloi du TGI de Paris, huit juges d’instruction  (le pôle anti-terroriste) et un parquet anti-terroriste (l’ex.14ème section) de 9 magistrats .Ils sont chargés d’instruire  les crimes commis contre les intérêts fondamentaux de la nation. Les gardes à vue sont plus longues que pour le droit commun, mais les personnes poursuivies peuvent se faire assister par un avocat et  bénéficient de diverses mesures qui protègent leurs droits. Puis en cas de crime, ils sont renvoyés après une instruction , devant la cour d’assises composée exclusivement de juges professionnels  (et pas de jurés citoyens pour éviter toute pression).Le juge est donc au centre du dispositif et il devra le rester quelques soient par ailleurs les mesures administratives supplémentaires qui seront votées. Dans un état de droit comme la France , le juge est le garant des libertés individuelles et un rempart contre des lois d’exception qui peuvent devenir … permanentes ,même si la lutte pour une défense globale et une sécurité renforcée est fondamentale. La loi de 1986 a été complétée par les lois des 21 décembre 2012 et 13 novembre 2014, avec une circulaire de la garde des sceaux du 12 janvier 2015 pour inciter les parquets  à être très réactifs. Nous sommes en guerre. Elle se gagne aussi avec des moyens de droit. C’est l’espoir que nous devons avoir pour conserver une société de confiance et de paix.

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