Le terrorisme, la Justice et le droit.
Par Christian
FREMAUX avocat et élu local.
Les attentats
de vendredi 13 (jour de malheur) novembre 2015 devenu un vendredi noir ont
choqué par leur ampleur avec des centaines de morts et blessés, et par le fait
qu’il y a des français parmi les terroristes, mais n’ont pas surpris les autorités
qui savaient, au moins depuis les attentats de janvier et l’après
CHARLIE ,que des menaces très sérieuses existaient mais sans pouvoir
préciser où et quand. Le gouvernement avait pris des précautions mais il ne lit
pas dans le marc de café et ne peut tout anticiper. Le temps n’est pas à la polémique, même si ici et là des responsables ont regretté que des mesures plus drastiques n’aient pas
été prises plus tôt .Mais il est facile de critiquer quand on connait la fin de
l’histoire et on peut toujours donner des leçons surtout quand on n’a pas la
responsabilité du pouvoir. Il convient désormais de se rassembler pour que les
victimes ne soient pas mortes pour rien, que règne l’union pour dénoncer les
criminels, qu’aucun citoyen quelque soit
son origine, sa religion, ses convictions partisanes, ne soit oublié et que tous
nous partagions le combat à mener sans
amalgame, sans bouc-émissaire, sans haine , mais avec fermeté , compassion pour
ceux qui souffrent , et volonté de détruire le mal incarné par le terrorisme,
quelque soit sa motivation ou son absence de raison .Le président de la
République a dénoncé l’ennemi : l’Etat islamique(DAESH), et ceux qui y
sont affiliés –même en étant nés en France et ayant été élevés au biberon de la
démocratie, de la laïcité , du respect de l’autre et de la vie- et se croient investis de la mission de tuer
à l’aveuglette, froidement, à l’arme de guerre des innocents à savoir les
prétendus « infidèles » ou ceux qui pensent que l’islam radical ,
dévoyé du coran, est un retour au moyen
âge sur le plan des mœurs et de la vie en société Il est inutile de tenter de
raisonner sur les actes criminels des 7 terroristes tués ou qui se sont fait
éclater, parce que l’on est dans
l’irrationnel et dans un domaine qui échappe à tout humanisme et aux valeurs de
la république qui nous bercent depuis l’époque des lumières. Nous ne sommes
coupables de rien collectivement et nous n’avons aucune repentance à formuler.
Il s’agit désormais de se reconstruire, de continuer à vivre et d’adapter notre
corpus juridique et judiciaire à ce qui
vient d’arriver, peut recommencer, et fait peser sur chacun d’entre nous une
menace réelle, mortelle. Nous ne devons pas céder, à quelles revendications
d’ailleurs puisqu’il n’y en a pas, et
que pourrions nous faire pour « donner satisfaction » aux terroristes
de DAESC H, et à ceux qui s’estiment «
brimés « en France ? , pour
tenter d’empêcher d’autres attentats et être épargnés alors que d’autres
peuples subiraient la foudre. Nous n’avons pas le droit de n’être pas
solidaires. Demander pardon et de
quoi ? ,serait nous exposer encore plus car ils (les anonymes tueurs)
auraient la preuve que nous sommes coupables de quelque chose puisque nous nous
excusons ! Nous n’avons donc pas le choix. Nous devons affirmer qui nous
sommes ; conforter notre culture et nos traditions ; s’appuyer
fermement sur nos principes et valeurs républicaines et faire front.
Le président
de la république devant le congrès, c'est-à-dire l’ensemble des députés et
sénateurs, et le gouvernement au grand complet, a annoncé la détermination de
la France qui sera impitoyable avec les terroristes, et on doit approuver le
chef de l’Etat au-delà de tout esprit partisan. Mais surtout le président a annoncé
des mesures de droit car notre Constitution notamment, et l’ensemble de notre
législation pénale et administrative, ne
sont plus adaptées à l’évolution de dangers dans le monde et aux menaces
proteïformes qui existent et concernent notre territoire. Il va de soi qu’une
coordination au niveau européen est nécéssaire et que l’ONU et la coalition
internationale, avec les états musulmans en premier, doivent mener une guerre
sans merci là ou se situe l’Etat
islamique. En attendant examinons ce que l’on peut faire en France .
Notre
Constitution date du 4 octobre 1958. Elle a été voulue par le général DE GAULLE
et correspondait à la fin des « évènements d’Algérie » qui
retentissent encore douloureusement pour
certains d’entre nous. On n’avait pas prévu que le mur de BERLIN tomberait et
que l’ennemi de l’EST, bien identifié , disparai trait; il y avait du
terrorisme de nature diverse, notamment au Moyen-orient, en Palestine, au Liban ;sans
oublier la Lybie avec l’attentat contre le vol 772 UTA de 1989.Il y avait eu
auparavant le terrorisme d’extrême droite
puis d’extrême gauche… Les USA avait eu Septembre 2001 et le destruction
des twin towers…En France le terrorisme
antisémite avait frappé rue Copernic, rue des rosiers… et début janvier 2015 ce
fut l’attentat à l’hyper cacher porte de Vincennes ; l’attentat du métro
Saint michel à Paris en 1995 avait marqué les esprits . J’évoque pour mémoire
l’assassinat du préfet ERIGNAC en Corse qui, avait sidéré les français...Puis les attentats furent réguliers, avec par
exemple les actes de M.MERAH à TOULOUSE en mars 2012. Les gouvernements au
pouvoir ne sont jamais restés inertes et ont fait voter des lois qui comblaient
telle ou telle faille de la sécurité. Mais il y avait un grand débat en
France : fallait-il sacrifier nos libertés au nom d’une sécurité
renforcée ? L’individu par définition honnête, devait il pâtir de lois
dites « sécuritaires » qui
donnaient plus de moyens à l’ETAT et aux professionnels même pour la bonne
cause à savoir la prévention des attentats, l’arrestation des présumés ou
avérés terroristes, et donc la protection des hommes et des biens , et de nos
intérêts vitaux. En ma qualité d’avocat très attaché aux principes de droit, à
la présomption d’innocence, aux droits
de la défense et à une justice indépendante et même si je me suis refusé à
plaider pour des terroristes ou criminels de ce genre (mais aucun n’est venu me
solliciter), sauf comme parties civiles pour les victimes, j’ai toujours été circonspect sur les arguments de
compassion à la JJ ROUSSEAU ou de droits de l’homme dévoyés en postulat
absolu (comme si en France les forces de
l’ordre ou nos services n’étaient pas légalistes et républicains), et comme
citoyen j’ai eu du mal à comprendre en quoi libertés individuelles et publiques
étaient incompatibles avec un ordre public efficace, sous le contrôle des
tribunaux ?. De mon point de vue on peut prendre des mesures de sécurité
qui nous gênent quelque peu (par exemple la fouille des bagages, les contrôles
d’identité, des entraves à la libre circulation…) le tout pour favoriser la
sûreté générale, alors même que par nos ordinateurs, nos téléphones portables
on accepte-implicitement mais consciemment - de permettre de savoir où nous
sommes en temps réel. Autrement dit les
atteintes prétendues à nos libertés sont à géométrie variable :certaines
ne nous dérangent pas .Il convient donc de savoir ce que nous voulons et s’il
s’agit d’avoir une protection maximale, même si la sécurité zéro n’existe pas,
il faut adapter notre législation à la situation nouvelle. La Constitution de
1958 déjà souvent amendée, en particulier par le Président SARKOZY en 2008
(avec la fameuse question prioritaire de constitutionnalité ,progrès formidable
pour les justiciables)à la suite du rapport de M.BALLADUR qui avait fait 77
propositions, doit donc être révisée
pour donner des droits incontestables aux professionnels de la sécurité et au
pouvoir exécutif qui a la charge très lourde de nous protéger.
Le président
a annoncé que l’article 16 de la constitution qui donne « pleins
pouvoirs »au président de la république quand le fonctionnement réguliers
des pouvoirs publics est interrompu, ne s ’appliquait pas. L’article 36
qui évoque l’état de siège ne correspond pas à la situation inédite .Il a donc
décidé qu’il présenterait des projets de rédaction nouvelle de certains
articles de la constitution actuelle, avec peut être des nouveaux ? au
congrès , pour que notre Constitution qui est la norme de droit supérieure,
soit adaptée aux circonstances immédiates et à venir. Il faut donc attendre le
contenu exact des textes pour savoir ce que sera la nouvelle Constitution, ce
qui va prendre quelques temps et des débats
passionnés. Les juristes, au regard aussi du droit européen certainement
et du droit international public en particulier, vont donc beaucoup réfléchir
et travailler pour résoudre la quadrature du cercle : concilier libertés
et sécurité. Il faut en effet se rappeler nos polémiques récentes concernant la
loi sur le renseignement qui a été votée en avril 2015 pour permettre à nos
forces et à nos services d’avoir de vrais pouvoirs d’investigation et
d’action : il a fallu que le conseil constitutionnel valide la loi-sauf
une petite partie- et affirme que les libertés de notre état de droit étaient
compatibles avec les besoins des services de l’ETAT .Le français
adore la « palabre », ou
plutôt les discussions de principe et la liberté d’expression avec les leçons
de morale. Les terroristes eux ne discutent pas, ne coupent pas les cheveux en
quatre : ils tirent dans le tas, sans sommation, avec des armes de guerre issues de trafics
divers, et essaient de faire un maximum de victimes. La lutte n’est donc pas
égale. Nous sommes en démocratie ce qui est notre faiblesse car nous respectons
la loi et nos principes de droit en particulier ceux issus de la résistance
dont les plus anciens se souviennent. Pour nous la fin ne justifie pas les
moyens. Mais c’est aussi notre force car face à l’ennemi qui nous a déclaré la
guerre nous avons nos valeurs républicaines
celles qui nous soudent et sur lesquelles les tribunaux veillent
scrupuleusement : tout n’est pas permis, même si nos ancêtres
révolutionnaires criaient « pas de liberté pour les ennemis de la
liberté ».C’était une autre époque !
En attendant
l’état d’urgence a été proclamé. Elle date d’une loi ...du 3 avril 1955 , et a
été décreté d’abord pour 12 jours par le
conseil des ministres : le congrès devrait le prolonger pour 3 mois. L’état
d’urgence doit correspondre à un péril
imminent résultant d’atteintes graves à
l’ordre public ou évènements présentant par leur nature et leur gravité , le
caractère de calamité publique .C’est le cas. Sur tout le territoire, les préfets peuvent
alors interdire sous forme de couvre-feu la circulation des personnes et des
véhicules dans des lieux précis et à des heures fixées par arrêté. Ils peuvent
prononcer des interdictions de séjour ; le ministre de l’intérieur peut
assigner à résidence toute personne dont l’activité s’avère dangereuse pour la
sécurité et l’ordre public ; on peut fermer des salles de
réunion ; et surtout, on l’a vu, le
ministre de l’intérieur et les préfets peuvent ordonner des perquisitions de
jour comme de nuit. Nous sommes « hors » du système judiciaire ce
qui implique que l’état d’urgence est
très encadré et limité dans le temps .En l’espèce après les attentats du 13
novembre 2015 le plan alpha rouge a été aussi prononcé, avec des contrôles aux
frontières. Quand au cours des interpellations et perquisitions des infractions
sont constatées la justice est saisie. Le président de la république a
annoncé vouloir créer
un « régime civil d’état de crise »-issu d’une proposition de
M.BALLADUR- qui permettrait si j’ai bien compris , de compléter l’art.36 de la
constitution sans recourir à l’article 16, et donc de faciliter l’action des
pouvoirs publics. D’autres mesures qui
vont peut être entraîner d’autres modifications de la Constitution ( par
exemple la déchéance de nationalité ou l’interdiction de retour) sont à l’étude chez le premier ministre
M.VALLS très en pointe sur tous ces sujets. Mais le temps joue contre
nous. On ne sait pas si d’autres attentats vont avoir lieu ou non, et la
révision de la Constitution nécessite des études approfondies en droit , des
concertations politiques et citoyennes larges
, et un consensus pour que les textes soient votés au congrès. En attendant il
faut faire avec l’arsenal anti-terroriste existant qui est dérogatoire au droit
commun, on comprend pourquoi. La loi fondatrice date du 9 septembre 1986 .Les
dossiers sont centralisés par ces magistrats parisiens ( comme M.BRUGUIERE
jadis, M.TREVIDIC récemment et M .David BENiCHOU
actuellement).Ce sont les article 706-17 et suivants du code de procédure
pénale qui s’appliquent.IL y a, à la galerie Saint Eloi du TGI de Paris, huit
juges d’instruction (le pôle
anti-terroriste) et un parquet anti-terroriste (l’ex.14ème section) de 9
magistrats .Ils sont chargés d’instruire
les crimes commis contre les intérêts fondamentaux de la nation. Les
gardes à vue sont plus longues que pour le droit commun, mais les personnes
poursuivies peuvent se faire assister par un avocat et bénéficient de diverses mesures qui protègent
leurs droits. Puis en cas de crime, ils sont renvoyés après une instruction ,
devant la cour d’assises composée exclusivement de juges professionnels (et pas de jurés citoyens pour éviter toute
pression).Le juge est donc au centre du dispositif et il devra le rester
quelques soient par ailleurs les mesures administratives supplémentaires qui
seront votées. Dans un état de droit comme la France , le juge est le garant
des libertés individuelles et un rempart contre des lois d’exception qui
peuvent devenir … permanentes ,même si la lutte pour une défense globale et une
sécurité renforcée est fondamentale. La loi de 1986 a été complétée par les
lois des 21 décembre 2012 et 13 novembre 2014, avec une circulaire de la garde
des sceaux du 12 janvier 2015 pour inciter les parquets à être très réactifs. Nous sommes en guerre.
Elle se gagne aussi avec des moyens de droit. C’est l’espoir que nous devons
avoir pour conserver une société de confiance et de paix.
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