vendredi 16 octobre 2015

DURA LEX SED LEX 16 octobre 2015



DURA LEX SED LEX
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local

On a appris mardi 12 octobre que cinq salariés  soupçonnés d’avoir agressé le DRH d’AIR France qui a pris la fuite avec sa chemise en lambeaux, des cadres et blessé sérieusement un garde de sécurité (qui est un salarié comme les agresseurs), étaient renvoyés devant le tribunal correctionnel de BOBIGNY  sous la prévention de violences en réunion, prévues  et réprimées par l’article 222-7 du code pénal en cas d’atteinte à l’intégrité des personnes. Sans avoir connaissance du dossier autre que par les médias, et donc pouvant commettre des erreurs en droit comme en fait je me risque toutefois à un commentaire sur l’enchainement juridique et judiciaire car il n’y a pas de justice de classe, mais l’application de la loi tout simplement. Comment  aurait -on -réagi s’il n’y avait pas eu de suites judiciaires au fallacieux prétexte que des salariés défendent leurs intérêts face à une  direction rigide et provocatrice? Chacun appréciera .Certains ont hurlé que ce délit était passible d’une peine maximale de trois ans de prison et d’un amende de 45 000 euros, ce qui est pour eux de surcroit inconcevable pour un bout de tissu déchiré. Ils ajoutent que les salariés en question ne sont pas des « délinquants », mais comment qualifier autrement quelqu’un qui commet un délit ? Ces querelles sémantiques d’ailleurs dissimulent le fond et évitent d’avoir à dénoncer les actes .Ce n’est pas le débat mais rassurons tout de suite ceux qui sont scandalisés : ces salariés sont présumés innocents, comme tout justiciable, et il est possible que les juges-qui sont des professionnels et disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation  (c’est la loi) -estiment les faits ou l’infraction non établis, ou qu’il y a un doute qui profite aux accusés, et qu’ils relaxent les personnes poursuivies, c’est-à-dire considèrent qu’ils ne sont pas coupables ? C’est l’application quotidienne de la règle de droit au-delà de toute considération morale, ou sociale ou politique que l’on soit d’accord ou non à titre personnel, et qui est une des caractéristiques de notre état de droit. Et même si  lesdits juges pensent que les faits sont établis par des preuves, en plus de ce que les caméras ont filmé, ils peuvent, compte tenu du contexte, des circonstances sociales, être indulgents et prononcer une peine de principe, sans être inscrite au casier judiciaire, comme d’autres juges l’ont été pour les « conti » qui ont saccagé la sous-préfecture de Compiègne, ou envers M.BESANCENOT qui a été condamné avec d’autres postiers à une amende avec sursis, à la suite d’incidents consécutifs à des revendications. C’est toujours la loi qui s’applique. La justice n’a pas à tenir compte de l’opinion publique, même si les juges ne sont ni sourds ni aveugles,  et ont des convictions voire des  engagements personnels. L’opinion publique doit être chassée du prétoire comme le tonnait l’illustre avocat Me MORO-GIAFFERI en d’autres temps .On aime ou on déteste ce principe mais il est le garant d’une justice indépendante, et il faut se rappeler qu’un innocent peut devenir un justiciable en puissance quelque soit le régime politique en place.  Il faut démentir COLUCHE qui disait que pour gagner un procès il est préférable de connaitre le juge plutôt que le droit ! Boutade bien sûr que je rappelle pour détendre l’atmosphère. Dans tous les cas de figure M.MELENCHON ne sera pas un martyr, lui qui a déclaré vouloir faire de la prison à la place des salariés  ou les y accompagner (SIC) comme si une peine de prison était un séjour dans un établissement (pénitentiaire )de son choix, avec toutes les commodités et surtout celle de continuer la lutte. On croit rêver !.  Et l’on s’étonne du discrédit de la classe politique et  des corps représentatifs après ce genre de déclarations  irresponsables.
Mais ne nous trompons pas de sujet : ce ne sont pas les syndicats en tant que tels qui sont en cause. Ils ont suffisamment à faire pour être représentatifs donc utiles dans le dialogue social qui doit impérativement trouver des solutions pragmatiques aux graves problèmes concrets sur la table des négociations. Et aussi régler leurs querelles internes comme la C.G.T. qui cherche sa ligne pour garder sa position de leader. Il semble que les syndicats  plutôt réformistes soient compris des salariés. Ceux qui vont comparaitre en justice sont cinq salariés qui ont confondu  dialogue avec violence,  et qui ont pensé que la direction et l’ETAT reculeraient.. comme d’habitude ! Revenons à l’essentiel  qui ne concerne pas un bout de chiffon ; il s’agit de juger des « voyous » comme l’a déclaré à juste titre le premier ministre et non une simple bousculade qui aurait dégénéré. Le tribunal dira s’il y a eu préméditation ou non ; s’il y a eu provocation  par qui et pourquoi ; si la fin justifie les moyens en droit social ;  si le dialogue  dans l’entreprise autorise l’échange de coups au lieu d’arguments de raison. Pour ma part,  j’estime qu’aucune violence n’est légitime, sauf celle qui consiste à se défendre (par exemple contre le terrorisme et toutes les menaces) quand on est agressé. On sait par ailleurs que les entreprises sont mortelles dans le cadre de la mondialisation où la concurrence est agressive. L’ETAT actionnaire n’est pas en général un bon patron. Mais c’est une autre polémique qui mérite d’autres explications. Ce sont des conditions judiciaires  de l’incident dont je veux parler : la loi a-t -elle été  bien appliquée ou a –t- on fait un sort inéquitable aux personnes poursuivies qui par ailleurs, n’expriment ni regrets ni remords  envers les victimes ,ce qui est significatif de l’état d’esprit qui règne? L’interpellation des cinq personnes à leur domicile dès potron-minet, est une pratique classique de la police ,autorisée par le code de procédure pénale, et sous le contrôle d’un magistrat du parquet .Il n’y a eu ni volonté d’humiliation ,ni  procédure vexatoire, et l’on peut supposer que les personnes poursuivies  n’ont pas du être vraiment surprises de voir la police débarquer chez eux et  que ,certainement , ils avaient parlé de l’ « incident » à leur famille qui regarde la télévision, même si la méthode  d’arrestation est très désagréable, je le concède. Il s’agit d’isoler chaque personne ; d’empêcher des concertations ou la destruction de preuves ; et d’obtenir des déclarations « spontanées » sur les faits, et de préciser qui est auteur ou co-auteur, ou complice…Puis il y a eu la garde à vue et l’application de l’article 62-2 du code  de procédure pénale : la garde à vue que subissent  de nombreux  chefs d’entreprise ou des cadres qui ont des délégations de pouvoir, des responsables politiques, ou des professionnels divers et  aussi des quidams dont on ne parle jamais, a pour but la recherche de la vérité et peut aussi servir à apaiser le trouble social en montrant que les pouvoirs publics s’intéressent au problème et ont diligenté une enquête. C’est rassurant :on ne part  pas à l’aventure .Le gardé à vue a beaucoup de droits (issus de la Convention européenne des droits de l’homme ) qui lui sont communiqués par l’enquêteur : celui de connaitre la nature des faits qui lui sont reprochés ; de prévenir sa famille, de voir un médecin; de consulter un avocat qui peut s’entretenir avec lui 30 minutes sur place (lois PERBEN ;et loi du du 9 mars 2004 …).Et surtout le droit de se taire (loi du 14 avril 2011) .La garde à vue dure au maximum 24 heures renouvelables une fois , dans les infractions les plus courantes (pas en matière de terrorisme heureusement) sous le contrôle du Procureur de la république. En l’espèce la loi a été respectée et les salariés ont été relâchés après avoir reçu une convocation à comparaitre devant le tribunal correctionnel le 2 décembre prochain .Ce sont les articles 393 à 397-7 du code de procédure pénale qui visent la comparution immédiate, c'est-à-dire à une date proche  (chacun sait que par ailleurs les délais pour obtenir un jugement sont très longs, ce qui est une critique récurrente des justiciables). C’est donc une bonne nouvelle pour les salariés en cause ; ils ont le temps de consulter le dossier ( par leurs avocats) ; de préparer leur défense, de faire citer si nécessaire des témoins, et opposer tout moyen pour contrer les poursuites .Mais il ne faut pas se focaliser uniquement sur ceux que l’on poursuit. Il y a aussi les victimes ; le DRH, les cadres, le vigile blessé qui ont droit aussi et surtout à notre compassion. Le procès pénal n’est pas l’apanage-comme souvent les médias le font- du « pauvre » accusé, du « fascinant »criminel, du terroriste qui combat «  au nom de son dieu » du « justicier »qui se bat contre tous ! Il y a   les victimes  directes qui se portent parties civiles pour obtenir réparation de leurs préjudices (c’est aussi la loi) et la société,  représentée par le procureur de la république ,c’est-à-dire tous les citoyens jusqu’aux plus modestes, qui réclament l’application de la loi votée par les parlementaires au nom du peuple français. Sinon, s’il y a impunité, pourquoi être honnête, non violent et partisan du dialogue dans une démocratie adulte, respecter la loi, payer ses impôts..  C’est le  contrat social qui vole alors en éclats et c’est une injustice avérée.
Dans cette triste  et honteuse affaire ,les  cinq prévenus n’ont subi aucun traitement de défaveur ou une atteinte à leur honneur. La loi a été appliquée .Le citoyen lambda a compris la problématique, et il a choisi son camp.  Tout le monde sera attentif au jugement qui sera rendu en espérant qu’il apaisera les tensions et servira de jurisprudence c’est-à-dire de cadre à ne pas dépasser en cas de conflit social, même dur. Les juges auront la tâche «  ingrate »  mais gratifiante de dire le droit et ils peuvent mécontenter toutes les parties, car ils ont l’obligation ardente de trouver un équilibre  sans choisir une partie contre l’autre. L’acte de juger, difficile, n’en aura que plus de valeur .Mais ils feront leur devoir dans la sérénité et la responsabilité sans pour autant avoir mission de régler le problème global d’AIR France dont tous les français sont fiers… quand les avions décollent, à l’heure. DURA LEX SED LEX.


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