DURA LEX
SED LEX
Par Christian
FREMAUX avocat honoraire et élu local
On a
appris mardi 12 octobre que cinq salariés
soupçonnés d’avoir agressé le DRH d’AIR France qui a pris la fuite avec
sa chemise en lambeaux, des cadres et blessé sérieusement un garde de sécurité
(qui est un salarié comme les agresseurs), étaient renvoyés devant le tribunal
correctionnel de BOBIGNY sous la
prévention de violences en réunion, prévues
et réprimées par l’article 222-7 du code pénal en cas d’atteinte à
l’intégrité des personnes. Sans avoir connaissance du dossier autre que par les
médias, et donc pouvant commettre des erreurs en droit comme en fait je me
risque toutefois à un commentaire sur l’enchainement juridique et judiciaire
car il n’y a pas de justice de classe, mais l’application de la loi tout
simplement. Comment aurait -on -réagi
s’il n’y avait pas eu de suites judiciaires au fallacieux prétexte que des
salariés défendent leurs intérêts face à une
direction rigide et provocatrice? Chacun appréciera .Certains ont
hurlé que ce délit était passible d’une peine maximale de trois ans de prison
et d’un amende de 45 000 euros, ce qui est pour eux de surcroit inconcevable
pour un bout de tissu déchiré. Ils ajoutent que les salariés en question ne
sont pas des « délinquants », mais comment qualifier autrement quelqu’un
qui commet un délit ? Ces querelles sémantiques d’ailleurs dissimulent le
fond et évitent d’avoir à dénoncer les actes .Ce n’est pas le débat mais
rassurons tout de suite ceux qui sont scandalisés : ces salariés sont
présumés innocents, comme tout justiciable, et il est possible que les
juges-qui sont des professionnels et disposent d’un pouvoir souverain
d’appréciation (c’est la loi) -estiment
les faits ou l’infraction non établis, ou qu’il y a un doute qui profite aux
accusés, et qu’ils relaxent les personnes poursuivies, c’est-à-dire considèrent
qu’ils ne sont pas coupables ? C’est l’application quotidienne de la règle
de droit au-delà de toute considération morale, ou sociale ou politique que
l’on soit d’accord ou non à titre personnel, et qui est une des caractéristiques
de notre état de droit. Et même si
lesdits juges pensent que les faits sont établis par des preuves, en
plus de ce que les caméras ont filmé, ils peuvent, compte tenu du contexte, des
circonstances sociales, être indulgents et prononcer une peine de principe,
sans être inscrite au casier judiciaire, comme d’autres juges l’ont été pour
les « conti » qui ont saccagé la sous-préfecture de Compiègne, ou
envers M.BESANCENOT qui a été condamné avec d’autres postiers à une amende avec
sursis, à la suite d’incidents consécutifs à des revendications. C’est toujours
la loi qui s’applique. La justice n’a pas à tenir compte de l’opinion publique,
même si les juges ne sont ni sourds ni aveugles, et ont des convictions voire des engagements personnels. L’opinion publique
doit être chassée du prétoire comme le tonnait l’illustre avocat Me
MORO-GIAFFERI en d’autres temps .On aime ou on déteste ce principe mais il est
le garant d’une justice indépendante, et il faut se rappeler qu’un innocent
peut devenir un justiciable en puissance quelque soit le régime politique en
place. Il faut démentir COLUCHE qui
disait que pour gagner un procès il est préférable de connaitre le juge plutôt
que le droit ! Boutade bien sûr que je rappelle pour détendre
l’atmosphère. Dans tous les cas de figure M.MELENCHON ne sera pas un martyr,
lui qui a déclaré vouloir faire de la prison à la place des salariés ou les y accompagner (SIC) comme si une peine
de prison était un séjour dans un établissement (pénitentiaire )de son choix,
avec toutes les commodités et surtout celle de continuer la lutte. On croit rêver !. Et l’on s’étonne du discrédit de la classe
politique et des corps représentatifs
après ce genre de déclarations irresponsables.
Mais ne
nous trompons pas de sujet : ce ne sont pas les syndicats en tant que tels
qui sont en cause. Ils ont suffisamment à faire pour être représentatifs donc
utiles dans le dialogue social qui doit impérativement trouver des solutions
pragmatiques aux graves problèmes concrets sur la table des négociations. Et
aussi régler leurs querelles internes comme la C.G.T. qui cherche sa ligne pour
garder sa position de leader. Il semble que les syndicats plutôt réformistes soient compris des
salariés. Ceux qui vont comparaitre en justice sont cinq salariés qui ont
confondu dialogue avec violence, et qui ont pensé que la direction et l’ETAT reculeraient..
comme d’habitude ! Revenons à
l’essentiel qui ne concerne pas un bout
de chiffon ; il s’agit de juger des « voyous » comme l’a déclaré à juste titre
le premier ministre et non une simple bousculade qui aurait dégénéré. Le
tribunal dira s’il y a eu préméditation ou non ; s’il y a eu provocation par qui et pourquoi ; si la fin justifie les
moyens en droit social ; si le
dialogue dans l’entreprise autorise
l’échange de coups au lieu d’arguments de raison. Pour ma part, j’estime qu’aucune violence n’est légitime,
sauf celle qui consiste à se défendre (par exemple contre le terrorisme et
toutes les menaces) quand on est agressé. On sait par ailleurs que les
entreprises sont mortelles dans le cadre de la mondialisation où la concurrence
est agressive. L’ETAT actionnaire n’est pas en général un bon patron. Mais
c’est une autre polémique qui mérite d’autres explications. Ce sont des
conditions judiciaires de l’incident dont
je veux parler : la loi a-t -elle été
bien appliquée ou a –t- on fait un sort inéquitable aux personnes
poursuivies qui par ailleurs, n’expriment ni regrets ni remords envers les victimes ,ce qui est significatif
de l’état d’esprit qui règne? L’interpellation des cinq personnes à leur
domicile dès potron-minet, est une pratique classique de la police ,autorisée
par le code de procédure pénale, et sous le contrôle d’un magistrat du parquet
.Il n’y a eu ni volonté d’humiliation ,ni
procédure vexatoire, et l’on peut supposer que les personnes poursuivies
n’ont pas du être vraiment surprises de
voir la police débarquer chez eux et que
,certainement , ils avaient parlé de l’ « incident » à leur famille qui regarde
la télévision, même si la méthode d’arrestation
est très désagréable, je le concède. Il s’agit d’isoler chaque personne ;
d’empêcher des concertations ou la destruction de preuves ; et d’obtenir des
déclarations « spontanées » sur les faits, et de préciser qui est auteur ou
co-auteur, ou complice…Puis il y a eu la garde à vue et l’application de
l’article 62-2 du code de procédure
pénale : la garde à vue que subissent de
nombreux chefs d’entreprise ou des
cadres qui ont des délégations de pouvoir, des responsables politiques, ou des professionnels
divers et aussi des quidams dont on ne
parle jamais, a pour but la recherche de la vérité et peut aussi servir à
apaiser le trouble social en montrant que les pouvoirs publics s’intéressent au
problème et ont diligenté une enquête. C’est rassurant :on ne part pas à l’aventure .Le gardé à vue a beaucoup de
droits (issus de la Convention européenne des droits de l’homme ) qui lui sont
communiqués par l’enquêteur : celui de connaitre la nature des faits qui lui
sont reprochés ; de prévenir sa famille, de voir un médecin; de consulter un
avocat qui peut s’entretenir avec lui 30 minutes sur place (lois PERBEN ;et loi
du du 9 mars 2004 …).Et surtout le droit de se taire (loi du 14 avril 2011) .La
garde à vue dure au maximum 24 heures renouvelables une fois , dans les
infractions les plus courantes (pas en matière de terrorisme heureusement) sous
le contrôle du Procureur de la république. En l’espèce la loi a été respectée
et les salariés ont été relâchés après avoir reçu une convocation à comparaitre
devant le tribunal correctionnel le 2 décembre prochain .Ce sont les articles
393 à 397-7 du code de procédure pénale qui visent la comparution immédiate,
c'est-à-dire à une date proche (chacun
sait que par ailleurs les délais pour obtenir un jugement sont très longs, ce
qui est une critique récurrente des justiciables). C’est donc une bonne
nouvelle pour les salariés en cause ; ils ont le temps de consulter le dossier
( par leurs avocats) ; de préparer leur défense, de faire citer si nécessaire
des témoins, et opposer tout moyen pour contrer les poursuites .Mais il ne faut
pas se focaliser uniquement sur ceux que l’on poursuit. Il y a aussi les
victimes ; le DRH, les cadres, le vigile blessé qui ont droit aussi et surtout
à notre compassion. Le procès pénal n’est pas l’apanage-comme souvent les
médias le font- du « pauvre » accusé, du « fascinant »criminel, du terroriste
qui combat « au nom de son dieu » du « justicier »qui
se bat contre tous ! Il y a les
victimes directes qui se portent parties
civiles pour obtenir réparation de leurs préjudices (c’est aussi la loi) et la
société, représentée par le procureur de
la république ,c’est-à-dire tous les citoyens jusqu’aux plus modestes, qui
réclament l’application de la loi votée par les parlementaires au nom du peuple
français. Sinon, s’il y a impunité, pourquoi être honnête, non violent et
partisan du dialogue dans une démocratie adulte, respecter la loi, payer ses
impôts.. C’est le contrat social qui vole alors en éclats et c’est
une injustice avérée.
Dans cette
triste et honteuse affaire ,les cinq prévenus n’ont subi aucun traitement de
défaveur ou une atteinte à leur honneur. La loi a été appliquée .Le citoyen
lambda a compris la problématique, et il a choisi son camp. Tout le monde sera attentif au jugement qui
sera rendu en espérant qu’il apaisera les tensions et servira de jurisprudence c’est-à-dire
de cadre à ne pas dépasser en cas de conflit social, même dur. Les juges auront
la tâche « ingrate » mais gratifiante de dire le droit et ils
peuvent mécontenter toutes les parties, car ils ont l’obligation ardente de
trouver un équilibre sans choisir une
partie contre l’autre. L’acte de juger, difficile, n’en aura que plus de valeur
.Mais ils feront leur devoir dans la sérénité et la responsabilité sans pour
autant avoir mission de régler le problème global d’AIR France dont tous les
français sont fiers… quand les avions décollent, à l’heure. DURA LEX SED LEX.
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