Souviens- toi de
l’avenir.
par Christian FREMAUX Avocat honoraire
J’ai eu une
très vieille voisine charmante, érudite, dynamique, madame Anne-Dominique
Kapferer professeure émérite, écrivaine, qui avait la mémoire du XXème
siècle où elle avait connu les guerres et ses conséquences humaines, et tout le
milieu intellectuel et artistique. J’emprunte le titre d’un de ses ouvrages
paru aux éditions l’Harmattan en 2008.
Toute crise
oblige à se regarder dans le miroir qui nous renvoie l’image de ce que nous sommes
: il nous appartient de devenir ce que l’on veut être, ou ce qu’on est sans le
savoir, de créer ce que l’on prétend vouloir faire et de ne pas se raconter
d’histoires à nous -même. Chacun peut devenir son propre héros s’il s’y oblige à
son niveau.
Avec la
crise du coronavirus, Il y a les courageux ceux qui sont sur le terrain qui
assument leur travail quoiqu’il leur en coûtera et qui n’attendent rien à peine
un merci voire une prime si les promesses sont tenues. On se rappelle que les
policiers et les gendarmes étaient acclamés
comme des héros après les
attentats contre Charlie hebdo.
Rapidement ils furent les ennemis accusés de violences par ceux là mêmes qui les
avaient portés aux nues. Et puis il y a les confinés dont moi, qui
restent chez eux, qui ne participent à rien et qui attendent des jours
meilleurs en faisant confiance aux pouvoirs publics et aux soignants. Sont-ils moins citoyens que les autres ?
Un héros peut-il rester confiné ?
Les devoirs sont une notion qui est devenue abstraite.
Faudra -t -il la revitaliser, l’enseigner encore plus comme le civisme dans nos
écoles pour que l’on retrouve le sens du dévouement -je n’évoque pas le
sacrifice ce serait beaucoup y compris pour ma personne- et de la nation
qui rassemble et donne de l’espoir car nous ne sommes plus seuls, c’est -à-
dire de l’intérêt général ? S’y ajoute la prise en compte de son prochain que
l’on peut toucher et fréquenter car il partage des valeurs et des malheurs
communs, et qui se distingue selon le philosophe Robert Redeker de l’autre qui
est plus évanescent et théorique « une abstraction pour belles âmes des
beaux quartiers » écrit- il. La
crise du coronavirus qui frappe les jeunes comme les moins jeunes, les
ministres et puissants ou des personnalités comme les inconnus, nous oblige à
réfléchir sur l’avenir pour re- bâtir une autre société démocratique, plus
solidaire, plus respectueuse, moins capricieuse et exigeante, plus de proximité
ancrée sur des territoires là où vivent les gens dont on s’aperçoit que les
villes ont besoin. Les grands principes du conseil national de la
résistance sont ignorés dans la société hédoniste qui n’admet aucune
entrave et qui parle business : les vols de masques, la vente de
protections, le refus pour certains d’exécuter les mesures de confinement indignent le citoyen moyen , mais ils sont
révélateurs de tempéraments matérialistes que nous n’avons pas assez pris au
sérieux, comme les trafics de drogue qui s’épanouissent par livraison directe
et paiement sans contact que les forces de l’ordre ne peuvent arrêter car
obliger au confinement n’est pas « une priorité » (sic) a
déclaré le ministre, et il ne faut pas
provoquer les banlieues. Il parait aussi que le cannabis réduit les angoisses :
tout est dit. Les obligations de la loi
sont à option pour certains et depuis le temps que l’on attend pour tenter de
reprendre pied dans certains territoires comme le gouvernement s’y efforce, les
paroles verbales ne suffiront pas. Il faudra y mettre en concertation avec
les maires et élus locaux, les moyens juridiques, matériels et financiers ajustés
et non saupoudrés dans le vide pour calmer telle ou telle catégorie, humains, politiques,
et permanents. Si on sait se battre contre une guerre sanitaire, il n’est pas
pensable que l’on ne vienne pas à bout de quartiers insurrectionnels et
séparatistes qui font du chantage à l’émeute, et qui pourrissent en plus la
santé des habitants. Mais c’est pour après et il ne faudra pas oublier.
Comme on peut faire n’importe quoi en cette
époque baroque, Je vais faire un parallèle osé avec le passé en nous reliant
avec ceux qui ont donné leur vie pour que nous restions des citoyens libres.
Pardonnez -moi si je choque mais selon moi l’être humain reste le même
quelles que soient les technologies modernes, le prétendu progrès en toute
matière, et l’extension infinie des droits. Seules les circonstances imprévues
et graves changent les gens et révèlent l’homme tel qu’il est. Dans le bon surtout, dans le moins bien
aussi.
L’association nationale du souvenir français à
laquelle j’appartiens a pour vocation de maintenir la mémoire de ceux qui se
sont battus moralement et physiquement dans des conditions atroces face à un
ennemi armé et puissant. Cela a duré. Ils ont désormais l’immortalité et nous
les vivants, le souvenir. Les années et les générations se sont succédé,
l’histoire aussi avec ses affrontements et horreurs, et nous sommes passés
d’une mémoire de guerre à une mémoire civile et victimaire comme l’écrit Madame
Sophie Hasquenoth maître de conférences en histoire à l’université de Lille [lire
« les passeurs de mémoire. Le cimetière des Batignolles » sous la
direction de Michel Terrioux président du Souvenir français du 17ème
arrondissement de paris].
La mémoire
des grands évènements tragiques est un devoir envers ceux qui se sont sacrifiés
pour que les autres vivent, et permet aux générations qui suivent de prendre
les bonnes décisions soit pour éviter
que les mêmes causes produisent les mêmes effets soit parce que on peut
anticiper et prendre des mesures préventives
pour atténuer autant que faire se peut les conséquences d’une crise inédite
et grave, qu’elle soit militaire, économique, sociale, ou sanitaire, voire
climatique ou qui réunit tous les inconvénients en même temps, personne
ne pouvant faire des prévisions à ce
sujet. L’avenir est donc écrit au présent et il appartient aux responsables
dans tout domaine car les politiques n’ont pas la science infuse et l’Etat ne
peut tout prévoir, de ne pas baisser les bras et de mettre en place ce qui pourra
être utile plus tard quand les circonstances l’exigeront.
L’union sacrée des citoyens fait la force
chacun agissant à son niveau avec ses moyens. Les générations nées après la 2
ème guerre mondiale qui au mieux ont entendu leurs grands- parents parler de la
1ère et des crises militaires, financières ou sociales entre 1919 et 1940 avec
la grippe espagnole de 1919-1920, n’ont pas été habituées à des bouleversements
majeurs et c’est tant mieux. Ceux qui ont connu les horreurs de 1940-45, les déportations
et la souffrance se taisent et sont de moins en moins nombreux : on les
honore mais leurs malheurs sont loins pour les plus jeunes. Sauf exception pour
leurs parents qui ont participé aux guerres des indépendances et qui n’en
racontent pas grand-chose par pudeur et parce qu’il faut tourner la page
sans l’effacer.
Les papy
boomers sont désormais à la retraite et ils ont vécu les trente glorieuses,
avec la société de consommation qu’ils croyaient installée pour toujours et
aseptisée de toute maladie dangereuse collectivement. Mai 68 a libéré les
esprits et les mœurs en interdisant d’interdire y compris en mettant en danger
sa propre santé, et a conféré plus de droits individuels que de devoirs
collectifs. Notre société est devenue égoïste chacun se repliant sur ses
intérêts, voire sur sa communauté. La nation s’est vidée de sa substance et n’a
plus de réel sens pour certains. La liberté individuelle prime toute autre
considération. On croyait la paix
installée ad vitam aeternam dans notre démocratie malgré les exigences sociales
ou environnementales ou participatives, et les soubresauts guerriers partout dans
le monde. Et on croyait normal d’obtenir toujours plus, de se croire
misérables, de pinailler pour tout et rien, de n’accepter aucune limitation à
nos désirs et réclamations.
Et puis
arrive « La » crise qui devient rapidement mondiale, qui est une guerre
sanitaire comme l’a qualifiée le président de la république avec un ennemi
invisible mais qui fait des morts, et agresse notre modèle républicain, nos structures,
nos habitudes de réagir, et interroge notre civisme. On est sidéré et perdu,
avec des polémiques confondantes, des pouvoirs publics qui ont peur d’être trainés devant les tribunaux
ce qui est déjà le cas, qui s’en remettent aux sachants pas d’accord entre eux,
et qui organisent ce qui est possible de l’être en commandant des protections
…en chine d’où viendrait le mal, pays qui va rattraper économiquement ses mois
de confinement en faisant tourner ses usines jour et nuit, car le droit social dans
l’empire du milieu n’a pas la même vigueur et ancienneté que le nôtre avec les
droits acquis. Et même malgré des objections syndicales ici et là si nous avons
adapté notre législation par ordonnances compte tenu des circonstances exceptionnelles,
jusqu’au 31 décembre 2020 pour permettre à ceux qui produisent de travailler
avec des volontaires de surcroît, car il ne faut pas ajouter un désastre économique
aux malheurs humains.
L’Etat
providence mâtiné de mondialisation se bat, résiste mais il a du
mal : on voit nos insuffisances et l’ennemi se propage. Chacun doit
s’engager comme il le peut. Les
plus anciens qui en ont vu d’autres savent ce qu’est se confiner, ne pas parler
pour rien, ne rien gâcher, d’obéir aux recommandations et à la loi, de
patienter, et de ne jamais cesser d’espérer car il y a toujours une fin et une
victoire. Nos contraintes doivent être appliquées volontairement avec le
sourire, en applaudissant ceux qui sont au front en première ligne. Au lieu
d’armes nous avons comme moyens une conduite civique exemplaire et la
solidarité, avec la confiance dans les autres.
Comme nos
ainés nous n’aurons pas l’occasion d’être distingués au champ d’honneur,
heureusement. Mais sur le champ de paix civile bien que bouleversé nous devons
être à la hauteur. C’est notre devoir qui donne de l’espoir sans qui la vie
n’existe pas. Mais quand tout sera terminé, il ne faudra pas occulter ce
qui s’est passé, pour en tirer les leçons. Comme l’a
écrit Jean de la Fontaine : « le corbeau honteux et confus, jura mais
un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus ».