lundi 30 mars 2020

souviens-toi de l'avenir


                      Souviens- toi de l’avenir.
                      par Christian FREMAUX Avocat honoraire
J’ai eu une très vieille voisine charmante, érudite, dynamique, madame Anne-Dominique Kapferer professeure émérite, écrivaine, qui avait la mémoire du XXème siècle où elle avait connu les guerres et ses conséquences humaines, et tout le milieu intellectuel et artistique. J’emprunte le titre d’un de ses ouvrages paru aux éditions l’Harmattan en 2008.  
Toute crise oblige à se regarder dans le miroir qui nous renvoie l’image de ce que nous sommes : il nous appartient de devenir ce que l’on veut être, ou ce qu’on est sans le savoir, de créer ce que l’on prétend vouloir faire et de ne pas se raconter d’histoires à nous -même. Chacun peut devenir son propre héros s’il s’y oblige à son niveau.
Avec la crise du coronavirus, Il y a les courageux ceux qui sont sur le terrain qui assument leur travail quoiqu’il leur en coûtera et qui n’attendent rien à peine un merci voire une prime si les promesses sont tenues. On se rappelle que les policiers et les gendarmes étaient acclamés  comme des héros  après les attentats  contre Charlie hebdo. Rapidement ils furent les ennemis accusés de violences par ceux là mêmes qui les avaient portés aux nues. Et puis il y a les confinés dont moi, qui restent chez eux, qui ne participent à rien et qui attendent des jours meilleurs en faisant confiance aux pouvoirs publics et aux soignants.  Sont-ils moins citoyens que les autres ? Un héros peut-il rester confiné ?
 Les devoirs sont une notion qui est devenue abstraite. Faudra -t -il la revitaliser, l’enseigner encore plus comme le civisme dans nos écoles pour que l’on retrouve le sens du dévouement -je n’évoque pas le sacrifice ce serait beaucoup y compris pour ma personne- et de la nation qui rassemble et donne de l’espoir car nous ne sommes plus seuls, c’est -à- dire de l’intérêt général ? S’y ajoute la prise en compte de son prochain que l’on peut toucher et fréquenter car il partage des valeurs et des malheurs communs, et qui se distingue selon le philosophe Robert Redeker de l’autre qui est plus évanescent et théorique « une abstraction pour belles âmes des beaux quartiers » écrit- il.  La crise du coronavirus qui frappe les jeunes comme les moins jeunes, les ministres et puissants ou des personnalités comme les inconnus, nous oblige à réfléchir sur l’avenir pour re- bâtir une autre société démocratique, plus solidaire, plus respectueuse, moins capricieuse et exigeante, plus de proximité ancrée sur des territoires là où vivent les gens dont on s’aperçoit que les villes ont besoin. Les grands principes du conseil national de la résistance  sont ignorés  dans la société hédoniste qui n’admet aucune entrave et qui parle business : les vols de masques, la vente de protections, le refus pour certains d’exécuter les mesures de confinement  indignent le citoyen moyen , mais ils sont révélateurs de tempéraments matérialistes que nous n’avons pas assez pris au sérieux, comme les trafics de drogue qui s’épanouissent par livraison directe et paiement sans contact que les forces de l’ordre ne peuvent arrêter car obliger au confinement n’est pas «  une priorité » (sic) a déclaré le ministre, et  il ne faut pas provoquer les banlieues. Il parait aussi que le cannabis réduit les angoisses :  tout est dit. Les obligations de la loi sont à option pour certains et depuis le temps que l’on attend pour tenter de reprendre pied dans certains territoires comme le gouvernement s’y efforce, les paroles verbales ne suffiront pas. Il faudra y mettre en concertation avec les maires et élus locaux, les moyens juridiques, matériels et financiers ajustés et non saupoudrés dans le vide pour calmer telle ou telle catégorie, humains, politiques, et permanents. Si on sait se battre contre une guerre sanitaire, il n’est pas pensable que l’on ne vienne pas à bout de quartiers insurrectionnels et séparatistes qui font du chantage à l’émeute, et qui pourrissent en plus la santé des habitants. Mais c’est pour après et il ne faudra pas oublier.  
 Comme on peut faire n’importe quoi en cette époque baroque, Je vais faire un parallèle osé avec le passé en nous reliant avec ceux qui ont donné leur vie pour que nous restions des citoyens libres. Pardonnez -moi si je choque mais selon moi l’être humain reste le même quelles que soient les technologies modernes, le prétendu progrès en toute matière, et l’extension infinie des droits. Seules les circonstances imprévues et graves changent les gens et révèlent l’homme tel qu’il est.  Dans le bon surtout, dans le moins bien aussi. 
 L’association nationale du souvenir français à laquelle j’appartiens a pour vocation de maintenir la mémoire de ceux qui se sont battus moralement et physiquement dans des conditions atroces face à un ennemi armé et puissant. Cela a duré. Ils ont désormais l’immortalité et nous les vivants, le souvenir. Les années et les générations se sont succédé, l’histoire aussi avec ses affrontements et horreurs, et nous sommes passés d’une mémoire de guerre à une mémoire civile et victimaire comme l’écrit Madame Sophie Hasquenoth maître de conférences en histoire à l’université de Lille [lire « les passeurs de mémoire. Le cimetière des Batignolles » sous la direction de Michel Terrioux président du Souvenir français du 17ème arrondissement de paris].    
La mémoire des grands évènements tragiques est un devoir envers ceux qui se sont sacrifiés pour que les autres vivent, et permet aux générations qui suivent de prendre les bonnes décisions soit  pour éviter que les mêmes causes produisent les mêmes effets soit parce que on peut anticiper et prendre des mesures préventives  pour atténuer autant que faire se peut les conséquences d’une crise inédite et grave, qu’elle soit militaire, économique, sociale, ou sanitaire, voire climatique  ou qui réunit tous les inconvénients en même temps, personne ne pouvant faire des prévisions à  ce sujet. L’avenir est donc écrit au présent et il appartient aux responsables dans tout domaine car les politiques n’ont pas la science infuse et l’Etat ne peut tout prévoir, de ne pas baisser les bras et de mettre en place ce qui pourra être utile plus tard quand les circonstances l’exigeront.
 L’union sacrée des citoyens fait la force chacun agissant à son niveau avec ses moyens. Les générations nées après la 2 ème guerre mondiale qui au mieux ont entendu leurs grands- parents parler de la 1ère et des crises militaires, financières ou sociales entre 1919 et 1940 avec la grippe espagnole de 1919-1920, n’ont pas été habituées à des bouleversements majeurs et c’est tant mieux. Ceux qui ont connu les horreurs de 1940-45, les déportations et la souffrance se taisent et sont de moins en moins nombreux : on les honore mais leurs malheurs sont loins pour les plus jeunes. Sauf exception pour leurs parents qui ont participé aux guerres des indépendances et qui n’en racontent pas grand-chose par pudeur et parce qu’il faut tourner la page sans l’effacer.  
Les papy boomers sont désormais à la retraite et ils ont vécu les trente glorieuses, avec la société de consommation qu’ils croyaient installée pour toujours et aseptisée de toute maladie dangereuse collectivement. Mai 68 a libéré les esprits et les mœurs en interdisant d’interdire y compris en mettant en danger sa propre santé, et a conféré plus de droits individuels que de devoirs collectifs. Notre société est devenue égoïste chacun se repliant sur ses intérêts, voire sur sa communauté. La nation s’est vidée de sa substance et n’a plus de réel sens pour certains. La liberté individuelle prime toute autre considération.  On croyait la paix installée ad vitam aeternam dans notre démocratie malgré les exigences sociales ou environnementales ou participatives, et les soubresauts guerriers partout dans le monde. Et on croyait normal d’obtenir toujours plus, de se croire misérables, de pinailler pour tout et rien, de n’accepter aucune limitation à nos désirs et réclamations.  
Et puis arrive « La » crise qui devient rapidement mondiale, qui est une guerre sanitaire comme l’a qualifiée le président de la république avec un ennemi invisible mais qui fait des morts, et agresse notre modèle républicain, nos structures, nos habitudes de réagir, et interroge notre civisme. On est sidéré et perdu, avec des polémiques confondantes, des pouvoirs publics qui  ont peur d’être trainés devant les tribunaux ce qui est déjà le cas, qui s’en remettent aux sachants pas d’accord entre eux, et qui organisent ce qui est possible de l’être en commandant des protections …en chine d’où viendrait  le mal,  pays qui va rattraper économiquement ses mois de confinement en faisant tourner ses usines jour et nuit, car le droit social dans l’empire du milieu n’a pas la même vigueur et ancienneté que le nôtre avec les droits acquis. Et même malgré des objections syndicales ici et là si nous avons adapté notre législation par ordonnances compte tenu des circonstances exceptionnelles, jusqu’au 31 décembre 2020 pour permettre à ceux qui produisent de travailler avec des volontaires de surcroît, car il ne faut pas ajouter un désastre économique aux malheurs humains.    
L’Etat providence mâtiné de mondialisation se bat, résiste mais il a du mal : on voit nos insuffisances et l’ennemi se propage. Chacun doit s’engager comme il le peut.  Les plus anciens qui en ont vu d’autres savent ce qu’est se confiner, ne pas parler pour rien, ne rien gâcher, d’obéir aux recommandations et à la loi, de patienter, et de ne jamais cesser d’espérer car il y a toujours une fin et une victoire. Nos contraintes doivent être appliquées volontairement avec le sourire, en applaudissant ceux qui sont au front en première ligne. Au lieu d’armes nous avons comme moyens une conduite civique exemplaire et la solidarité, avec la confiance dans les autres. 
Comme nos ainés nous n’aurons pas l’occasion d’être distingués au champ d’honneur, heureusement. Mais sur le champ de paix civile bien que bouleversé nous devons être à la hauteur. C’est notre devoir qui donne de l’espoir sans qui la vie n’existe pas. Mais quand tout sera terminé, il ne faudra pas occulter ce qui s’est passé, pour en tirer les leçons.   Comme l’a écrit Jean de la Fontaine : « le corbeau honteux et confus, jura mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus ».


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