L’arlésienne à la barre
Par Christian Fremaux avocat
honoraire
L’indépendance
de la justice est comme le monstre du Loch Ness : un serpent de mer. Dans
notre constitution de la Vème République la justice est une autorité ce qui
vexe ceux qui en sont et qui s’estiment bien plus haut que cela. Outre le
droit ils devraient aussi connaitre le sort d’Icare. Elle n’est pas un pouvoir
comme l’exécutif ou le législatif et la théorie de Montesquieu n’est pas
suivie. C’est le général de Gaulle en 1958 qui en a décidé ainsi. Il devait
avoir une bonne raison ? D’autant plus que les gouvernements successifs de
gauche comme de droite ne se sont pas lancés dans une réforme d’envergure.
Ils l’ont annoncé ou constitué des colloques ou commissions
d’étude. Point. L’opinion publique joue -t -elle un rôle pour que
rien ne change ? Le débat concerne surtout l’indépendance des procureurs
mais pas seulement. Et globalement la légitimité des juges n’ayant pas subi l’onction
populaire. Puisqu’ils sont nommés et que le Garde des Sceaux en suivant des
avis corporatistes se préoccupe de leurs promotions ce qui apparait comme un
entre soi.
On ne touche
aux lois que d’une main tremblante. A la Constitution encore plus. Pour les
juges on n’ose pas mettre un doigt dans l’engrenage. Ce n’est jamais le bon
moment pour s’attaquer aux problèmes de fond connus et reconnus concernant les
magistrats. On préfère parler à juste titre d’ailleurs, de budgets, de délais,
de manque de moyens et de personnel qui sont de vraies difficultés. Mais la
qualité des hommes et les femmes qui jugent est aussi déterminante. Ceux et
celles qui décident au nom du peuple français doivent assumer qu’ils peuvent
défaire une carrière ou la ralentir, se tromper ou refuser ou accepter
tel fait ou ajouter à la loi, par leur interprétation des textes dans un
contexte politique flottant ou social très chaud, ou environnemental contesté
ou autre considération personnelle. Ce sont les arbitres de notre Etat de
droit fondamental pour la démocratie à la suite d’un concours ardu passé souvent
très jeunes après des études brillantes mais sans expérience du terrain ou de l’individu
qui parfois substituent leurs avis à la volonté populaire. Et peuvent commettre
des erreurs comme n’importe qui. Doivent- ils échapper à leurs responsabilités
et rendre des comptes ? La réussite à une sélection confère -t-elle
l’irresponsabilité à vie ?
C’est la
grande question puisque nul n’est plus égal qu’un autre citoyen, et que chacun
doit assumer les conséquences de sa propre décision. On ne peut se cacher
derrière le paravent de l’Etat ou d’une immunité de fait sinon de droit tout en
gardant son libre arbitre, son indépendance quand il s’agit de se
prononcer et de motiver le jugement ou l’arrêt. Et faire carrière car
il faut gagner – le mieux possible - sa vie. Reconnaissons que
trouver un équilibre est un vrai défi et on comprend que les politiques y vont
à reculons. Mais leur honneur est d’être courageux, pas pour eux mais au profit
des justiciables donc de tous les citoyens. On ne peut plaire à tout le
monde : le grand écart est réservé aux plus souples et entrainés.
Comme la femme de César, la magistrature ne peut être soupçonnable. Or on
apprend que des membres du syndicat de la magistrature [S.M.] Institution qui regroupe environ un tiers des
9.000 magistrats en France ce qui est considérable, participent à la fête de
l’humanité du parti communiste (avec le rappeur Médine) et discutent avec les héritiers
de Staline et de Trotski - Poutine ou Kim Jong Un étant actuellement hors-jeu
et M. Mélenchon pas disponible - de violences policières, de l’insécurité, du
capitalisme à bannir ou de la propriété qui spolie, voire de
l’immigration. Sujets pas seulement juridiques, car tous éminemment politiques,
polémiques et qui sont dans l’actualité. On rétorquera que ce sont
des simples syndicalistes qui s’expliqueront et échangeront sans forcément
approuver leurs interlocuteurs en vertu de leur liberté d’expression de
citoyens et pas des juges en tant que tels. Mais s’ils étaient d’accord avec
les politiques, comment le sait- on ? Leurs jugements reflèteront - ils
une idéologie malgré leur devoir de réserve ?
Les querelles
byzantines et sémantiques sont dépassées. Certes je connais la théorie d’Ernst Kantorowicz
des deux corps du roi, le premier mortel et naturel le second surnaturel et
immortel. Mais comment fonctionne un syndicaliste militant en même temps juge
professionnel pour faire la distinction intellectuelle et concrète entre ses
convictions partisanes que chaque citoyen a le droit d’avoir et l’application
de la loi qui est celle de tout le peuple y compris de la majorité
silencieuse, et qui nécessite impartialité et réflexion outre de prendre de la
hauteur surtout si celui que l’on doit juger est pour soi dans le camp du mal, ou
que la cause à apprécier est contraire à
ce que l’on croie. On ne demande pas aux magistrats d’être des héros, mais
on exige l’objectivité, l’absence de partialité même inconsciente voire une
neutralité active à mon avis étant quasi impossibles. Mais je dois être trop
pessimiste sur la nature humaine !
Chaque
magistrat à son niveau doit s’empêcher comme disait Albert Camus. Et je parle
aussi de ceux qui comme moi juge au conseil de prud’hommes ne sont pas des
professionnels et qui doit faire l’effort de la tolérance, de la compréhension
de l’autre et des intérêts supérieurs de la collectivité. Avec comme seule
boussole le droit positif, les textes votés qui émanent de la volonté
populaire. Et en cas de doute ou d’hésitation de se décider en esprit éclairé
et équitable. Pas pour faire triompher un camp. La justice n’est pas là
pour refaire le monde, pour soutenir telle vision de la cité qui deviendrait
parfaite et idéale, pour punir certains et exonérer d’autres pour diverses raisons.
Sinon le citoyen est perdu, il subodore la partialité et n’a plus confiance en
la justice ce qui est grave. Ce sont les citoyens qui décident de ce que doit
être la justice, pas de prétendues élites que l’on compte sur les doigts de
quelques centaines de professionnels cooptés avec des mains blanches a priori
pures et qui donnent des leçons. « Le devoir des juges est de rendre la
justice, leur métier est de la différer. Quelques- uns savent leur devoir et font
leur métier. Heureusement la plupart des juges connaissent leurs métiers et
font leurs devoirs » comme l’a écrit La Bruyère.
La justice
est un monument en péril. Les « maçons » du syndicat de la magistrature
avaient construit le mur des cons ce qui n’a pas entrainé un mouvement enthousiaste
à leurs bénéfices. On se rappelle l’exergue du magistrat Oswald Baudot dans les
années 1970 qui incitait les juges à être partiaux. En devenant
compagnons de route d’un parti que l’histoire a rejeté les juges du S.M. fissurent
le mur de la justice. Celui de Berlin s’étant écroulé en 1989. L’histoire
parfois bégaie. Donc attention.
L’indépendance
commence dans les têtes et les consciences avant d’être institutionnalisée.