Erreur d’aiguillage
Par Christian Fremaux
avocat honoraire
J’ai lu le jugement qui indigne Mme Le Pen et ses amis.
Décision hâtivement et beaucoup commentée surtout par ceux qui ne l’ont pas lue
ou par des militants outrés que l’on touche à leur idole devenue un espoir pour
2027. Il est très motivé et bien écrit de façon claire et didactique en listant
toutes les hypothèses y compris les conséquences politiques de l’inéligibilité.
Mais il peut y avoir erreur en droit. D’où le double degré de juridiction comme
la deuxième chance ou plus si affinités pour les délinquants récidivistes
ordinaires ! Se contenter d’appliquer la loi n’est pas automatiquement une excuse
et un solde de tous comptes surtout quand la sanction n’est pas obligatoire.
Je ne suis pas d’accord avec toutes les considérations
générales des juges notamment pour l’exécution provisoire ou sur l’affirmation que
les citoyens exigeraient pour l’avenir de plus en plus de fermeté pour les élus
qui ne respecteraient pas la loi. C’est le souhait d’une société idéale pas une
réclamation globale. Les citoyens veulent aussi juger avec leurs bulletins de
vote. Mais ces analyses relèvent du pouvoir d’appréciation des magistrats,
liberté qui doit être approuvée. Voudrait-on des décisions rendues par la seule
intelligence artificielle ? J’attends l’appel car il est possible que sur le
fond il y ait culpabilité ? Je crois en la présomption d’innocence jusque le
point final. Je m’abstiens de toute observation car ma voix n’est pas autorisée
et pour ne pas en rajouter dans l’approximation et le doute envers les juges.
Quand le sage montre l’infraction, l’idiot utile ou le
partisan regarde le doigt qui désigne son chef pour lui forcément innocent.
Il ne faut pas se
tromper de débat. Ce n’est pas le procès d’une personnalité qui compte. C’est
le rôle fondamental de la Justice dans la démocratie. Puisque la Justice est
rendue au nom du peuple français il est normal que les citoyens la critiquent
et s’étonnent de certains jugements, à tort ou à raison. Les juges avec leurs subjectivités
interprètent la loi votée par les parlementaires qui parfois font n’importe
quoi sous l’émotion, sans mesurer la portée de leurs textes. Ils estiment incarner le bien et ce que veut
le citoyen. C’est- à -dire l’intérêt général. Mais il peut y avoir des effets
boomerangs. Et des conséquences secondaires discutables. Outre le fait que le
citoyen peut changer d’avis.
On voudrait que la Justice reste à l’écart sauf pour ses
adversaires ou concurrents. Qu’elle ne se mêle pas à son insu de son plein gré
à la vie politique. Mais la justice ne s’auto-saisit pas et les juges du siège
répondent à une plainte ou à une accusation du parquet et aux arguments des
parties.
Depuis des décennies on discute surtout sur le statut des
procureurs placés sous le magistère du ministre de la Justice. Mais on ne
touche à rien. L’indépendance des magistrats est un serpent de mer car on n’ose
pas mettre sur la table les difficultés et réformer. Qu’entend-on par indépendance,
comment et par rapport à qui, avec quelle légitimité et quels
contrôles ? Il ne s’agit pas de contraindre les juges
ou de les enfermer dans un cadre rigide. Il faut leur donner les moyens de
juger vite et mieux, car sans arbitres neutres une société ne peut progresser
dans la sérénité. Il y aura toujours des cas qui émeuvent, révulsent
notamment pour les crimes et délits ou qui sont considérés comme une injustice.
Mais le domaine pénal est une partie du contentieux avec le civil, le
social, ou le commercial qui comptent dans la vie quotidienne.
Les juges sont des
hommes et des femmes qui peuvent se tromper, de bonne foi. Il ne leur est pas
interdit de faire leur auto-critique et de suggérer des mesures pour évacuer la
méfiance ? Ils ne reçoivent pas d’instructions individuelles mais ils
peuvent vouloir être conformes à la doxa ? Ils ne sont pas tous partiaux
comme les membres du syndicat de la magistrature qui n’ont jamais leurs responsabilités
engagées, ce qui pose un problème pour l’institution. Ou qui sont décidés à se
substituer au vote populaire pour imposer une société selon leurs convictions personnelles.
Ce serait la nation construite par une minorité prétendument visionnaire et
utopique en droit. Le devoir de réserve devrait être accentué. Les justiciers
n’ont rien à y faire.
On doit avoir confiance dans la Justice donc envers les
juges. L’état de droit que l’on met à toutes les sauces soit pour dénoncer des
menaces extrêmes sur la société et les libertés soit pour justifier ou
combattre telle décision judiciaire, est dévoyé de son contenu. L’état de droit
c’est la séparation des pouvoirs, la hiérarchie des normes et l’égalité de l’accès
au juge, avec des élections libres (sans exclusion d’électeurs). La justice en
fait partie mais elle n’incarne pas en exclusivité l’état de droit. D’autant
plus que notre Constitution de 1958 parle d’une autorité judiciaire. Il est donc possible d’apprécier les
jugements et arrêts mais sans s’attaquer à la personne des juges.
On peut aussi sans changer notre organisation réformer le
droit pour s’adapter aux circonstances et menaces nouvelles. Ce n’est pas
détruire l’état de droit. Tout n’est pas liberticide. Depuis des décennies on a
choisi les droits individuels. Mais la société a le devoir de se défendre
et de répondre par des mesures fermes à ce qui la menace. Ou à la
violation de la loi qui concerne par nature tous les citoyens. Les valeurs républicaines
dont on s’enorgueillit à juste titre deviennent des incantations quand elles
sont régulièrement bafouées, en retournant leurs contenus contre elles- mêmes. Autorité
et humanisme sont compatibles. Mais tolérance et libertés ne veulent pas dire
impunité et laxisme.
La Justice doit
participer à ce combat avec les armes légales dont elle dispose. Au lieu de
s’invectiver au parlement les députés surtout feraient mieux de légiférer après
étude d’impact dans un consensus minimum puisque le but est de conserver une
société apaisée et d’envisager l’avenir dans une harmonie acceptée. Aucun parti
ne détient la vérité. Il appartient aussi aux électeurs de faire des bons choix
car le grand soir n’est pas souhaitable et de constituer des majorités qui permettent
d’agir. Les politiques ne sont pas seuls responsables du chaos. Le citoyen
a le résultat de son vote.
Les juges ne peuvent être cloués au pilori car à chaque décision
les soutiens changent de camp. Habituons-nous à la modération et à l’objectivité
sachant que dans un procès il y a deux mécontents. Celui qui a gagné et ce
n’est pas trop tôt et pas assez. Et celui qui a perdu, les juges n’ayant rien
compris ou étant iniques. En plus de dizaines d’années d’exercice comme avocat
je n’ai jamais entendu qu’un jugement pour une affaire sensible faisait
l’unanimité des opinions. Les juges n’y peuvent rien. Ne tirons pas sur
les magistrats ils sont désarmés et muets.
Il ne faut pas faire d’erreur d’aiguillage. L’étape ultime
de destination est le bon fonctionnement de la justice dans toutes ses
composantes ; des moyens accrus ; des délais les plus courts possibles
avec appel ; des magistrats indépendants de toute influence mais rendant
aussi des comptes au moins à un organe institutionnel avec des élus, des
experts, des représentants de l’Etat et des citoyens potentiellement
justiciables. Donc devant le peuple
français dans sa diversité. Il n’est pas question de mettre des bracelets
démocratiques aux juges. On a besoin de professionnels insoupçonnables
incarnant l’intégrité Intellectuelle sinon morale.
La vie n’est pas binaire. La justice est une et
indivisible.
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