Rendre
le pouvoir au peuple.
Par
Christian Fremaux avocat honoraire.
Par ces
temps de pré- campagne électorale présidentielle qui ne dit pas vraiment son
nom avec de vrais-faux candidats, on entend souvent l’incantation à vouloir
rendre le pouvoir au peuple. Cela signifie qu’il l’a perdu, qu’il a été
confisqué on ne sait pas précisément au profit de qui mais en soupçonnant des technocrates,
et qui sont les véritables pickpockets qui en profitent. Pourtant en République
on gouverne par et pour le peuple. On se gargarise de ce mantra qui est
l’ensemble des personnes soumises aux mêmes lois et qui forment une nation. Du
moins en théorie car on s’aperçoit bien que l’application de la loi est à
géométrie variable et que certains récusent le terme de nation au bénéfice de
la simple juxtaposition de groupes culturels différents qui essaient de
coopérer sur un même territoire sans frontières si possible ce qui permet de se
détacher d’un mode de vie, de principes institutionnels ou immatériels, et de
valeurs communes. On abhorre l’Etat- Léviathan mais on l’appelle au secours en
cas de crise. On rêve de l’auberge espagnole où le peuple est au four et au
moulin. Des prétendues élites auto-proclamées mais bruyantes déconstruisent
tout ce qui fait sens depuis des siècles. Mais démolir n’est pas jouer : il
faut être concret, sérieux et proposer, sinon on ne sort pas de la polémique et
il n’y a aucun bénéfice pour le peuple que l’on veut servir.
La
démocratie directe athénienne avec l’assemblée délibérante (l’ecclésia) est
difficile à mettre en place. Les citoyens réunis votaient à main levée et
la loi était ensuite exposée au public dans l’agora. Aujourd’hui c’est tout
juste si on n’exige pas que la loi soit votée par les réseaux sociaux ou les
minorités agissantes et les groupes de pression. Notre système représentatif
avec des élections libres à intervalles réguliers, des élus et divers corps
intermédiaires, est décrié. On dit que le citoyen doit avoir son mot à dire sur
tout ce qui le concerne, en permanence être interrogé (et non seulement sondé)
et que les pouvoirs exécutif comme législatif ne font plus l’affaire. Que seul
le peuple sait ce qui est bon pour lui. Mais on n’explique pas comment on tranche,
qui a le choix final, par quelles structures institutionnelles légitimes, sur
quels sujets, par quels moyens, avec quels recours… Je ne crois pas qu’un comité ad hoc de
personnes tirées au sort soit plus intelligent que des experts patentés qui
donnent un avis technique qui doit être validé ou non par les politiques- je
pense à l’assemblée nationale- qui engagent leurs responsabilités. Sortons de la
mode et de l’utopie qui veulent qu’un quidam soit par nature intègre, compétent,
soucieux de l’intérêt général et représente le peuple dans ses multiples
composantes et croyances.
Avant de
jeter ce qui fonctionne même si on doit l’améliorer voire le réviser, ne jouons
pas les apprentis sorciers qui transforment le plomb de ce qui existe en un
idéal en or pour imiter nos glorieux ainés de 1789 où le petit peuple a
souffert dans l’espérance de jours meilleurs sans de plus égaux que d’autres.
Avant de se lancer dans une assemblée constituante prévoyons des
expérimentations novatrices le peuple n’étant pas une variable d’ajustement ni corvéable
à merci. Il a besoin aussi de tranquillité et de stabilité. Ne passons pas à la 6ème république sans avoir
épuisé toutes les possibilités de la 5ème qui fait la preuve de la solidité
de ses fondations. Et posons-nous d’abord la question : y a-t-il un peuple
soudé sur des principes d’universalité qui fait la nation ? Quel(s) pouvoir(s)
devons- nous rendre à quel peuple ?
Avec les
gilets jaunes il y a eu la demande de fonder le référendum d’initiative
populaire, alors même qu’existe le référendum d’initiative partagée créé par M.
Sarkozy qu’on n’utilise pas, pas plus que le référendum cher au général De Gaulle.
Au lieu de réinventer la roue faisons la tourner vers ce qui se trouve déjà
quitte à modifier la constitution et son article 11 pour permettre plus de souplesse
dans la ou les questions posées sur l’organisation des pouvoirs publics et augmenter
les domaines pour solliciter l’avis des français. Mais pour cela il ne
faut pas avoir peur des réponses du peuple, et ne pas transformer un non comme
en 2005 par un oui législatif. Le pouvoir du peuple c’est de se prononcer et
que ceux qui sont chargés d’appliquer les décisions le fassent y compris si
elles leur déplaisent.
Des maires
ont mis en place des budgets dits participatifs parfois genrés pour distinguer
dans le peuple ! dont on ne sait pas bien ce que cela veut dire, mais je
n’ai aucune compétence dans ce domaine après 37 ans d’élu municipal dans une
commune de 600 habitants en zone rurale : j’interroge « mon peuple »,
mes concitoyens dans la rue ou chez eux, dans les cérémonies officielles ou à
l’occasion de réunions dédiées, et ils font confiance à ceux qu’ils ont élus. C’est
ringard ? Rendre le pouvoir au peuple c’est aussi
le considérer comme composé par des adultes et non des adolescents attardés ou wokistes
qu’il faut guider par une lumière qui vient du haut. Une démocratie ne vit
que si le citoyen par son avis - son vote – sera entendu, compris et suivi.
Encore faut -il que les propositions des candidats soient claires.
Rendre le
pouvoir au peuple c’est encore faire en sorte que la justice prononcée au nom
du peuple français ne soit pas dépendante de cours de justice extérieures au-
delà de ce que le peuple a décidé par sa constitution et ses lois. Il va de soi
que les traités internationaux signés par la France doivent être scrupuleusement
respectés, car la France n’a qu’une parole et qu’une signature. L’Union Européenne
en particulier a fondé son existence par l’intégration des Etats par le droit.
Mais à 27 membres c’est devenu la quadrature du cercle, le droit devient tordu et
les citoyens ne tolèrent plus les oukazes, je veux dire les règlements et directives
venus de Bruxelles établis par des bureaucrates évidemment non élus ce qui
n’est pas entièrement juste puisque les Etats participent avec le parlement européen
à la décision librement consentie et négociée. Le citoyen veut que sa justice
puisse prononcer les peines que méritent des individus, que le droit européen
ne s’oppose pas à des politiques publiques, et que ce qui apparait comme un
gouvernement de juges lointains ne contrarie pas le peuple souverain qui choisit
son destin et sa manière de vivre.
Il va donc falloir que tous ceux qui veulent
rendre le pouvoir au peuple nous expliquent de quoi il s’agit, qui décide quoi,
le mode d’emploi, et la pertinence. En évitant une sorte d’élection continue ou
des interrogations et récriminations sans fin. Il s’agit de restaurer une
république vivante et moderne plus informative avec les citoyens, avec son
histoire, ses valeurs et ambitions et des débats publics sans tabous, sans anathèmes,
sans rejet de l’autre. Il faut rendre au moins ce que l’on a reçu, avec
des dividendes c’est préférable.